Dimitri Tilloi D’Ambroisi, Les Voyages d’Hadrien. Sur les traces d’un empereur nomade
Dimitri Tilloi D’Ambroisi, Les Voyages d’Hadrien. Sur les traces d’un empereur nomade, Paris, Arkhê, 2020, 204 p., 19 €.
Texte intégral
1L’empereur Hadrien (76-138) a passé une grande partie de son règne à parcourir le pourtour méditerranéen et une partie des zones germaniques et britanniques de l’Empire romain. Dans cet ouvrage, Dimitri Tilloi D’Ambroisi interroge les logiques politiques, culturelles et religieuses de ses pérégrinations impériales. Il note très justement que « le maître de Rome est (…) à la tête d’un empire à prétention universelle, comme l’était celui d’Alexandre le Grand » (p. 10). Hadrien vient d’« une famille de sénateurs » (p. 11) et même s’il est provincial, sa carrière de magistrat le situe au cœur du pouvoir. Adopté par Trajan, il lui succède à la tête de l’Empire en 117. Commence alors un « gouvernement de l’Empire par les voyages » (p. 21) qui témoigne à la fois de la nécessaire incarnation du pouvoir (i.e. Hadrien visite en personne les confins de son territoire) et la puissance d’un espace politique dont l’empereur peut quitter la capitale pendant de longues périodes.
2Dimitri Tilloi D’Ambroisi évoque, pour commencer, les « conditions du voyage impérial et ses contraintes » (p. 23). Il retrace donc l’état des voies routières (les cahots, les bornes scandant les distances) ou fluviales. Le déplacement d’un empereur romain exige « une logistique complexe et lourde » (p. 30). Certains rituels doivent être respectés, comme la profectio lors des départs). Les chantiers sont également visités, notamment lors des périodes de retour à Rome. Ce que le voyage impérial met en jeu, c’est une dialectique centre/périphérie particulièrement sensible. La cité accueillant l’empereur doit être prévenue, d’autant que la suite impériale compte pas moins de cinq mille personnes : « lorsque le prince se déplace, c’est le centre de gravité de l’Empire qui fait de même » (p. 37).
3Le maintien militaire des frontières constitue l’un des enjeux princeps des voyages d’Hadrien. À l’aube des années 120, l’empereur « arpente la frontière de Germanie supérieure et inspecte les hommes et les installations défensives » (p. 50). Il s’agit non seulement d’affirmer une position militaire, mais aussi d’affermir une puissance « symbolique » (p. 55). Même si Hadrien a rompu avec la volonté d’expansion continue du territoire impérial, l’ancrage militaire de son pouvoir reste essentiel. Les déplacements permettent ainsi de motiver les soldats et d’insuffler un regain de discipline.
4L’empereur gyrovague traverse de nombreuses cités ; c’est l’occasion pour lui de poursuivre « un dialogue entre le pouvoir impérial et les élites locales, entre le centre et la périphérie » (p. 78). Il s’agit là d’une forme souple de gouvernement, qui n’exige pas une soumission totale : « Rome s’est toujours montrée pragmatique pour administrer ses territoires » (p. 78). L’évergétisme est un des moyens employés pour aider les cités et s’attirer leur reconnaissance. L’entrée dans la cité « constitue toujours un événement », d’autant qu’elle s’organise selon « un protocole bien établi » (p. 81). On construit, notamment « en Orient (…) des arcs honorifiques ou des statues de la famille impériale » (p. 82). Le déplacement est l’occasion pour les élites locales de rencontrer l’empereur et de favoriser leur ascension. Hadrien doit aussi réguler les concurrences locales entre cités, comme la lutte qui oppose Smyrne à Éphèse. Toutefois, c’est Athènes qui a les faveurs de l’empereur. La cité hellénique est parée d’un temple de Zeus ; Hadrien « légifère (…) sur le commerce de l’huile et des olives » (p. 106).
5L’empereur est animé d’une grande curiosité, ses déplacements sont donc l’occasion de nourrir ses connaissances. Lorsqu’il visite Alexandrie, le musée retient bien sûr son attention. Hadrien « souhaite s’attacher les services » du « directeur du musée, Lucius Julius Vestinus, qui occupe également la fonction d’archiprêtre pour Alexandrie et toute l’Égypte » (p. 123). De manière générale, l’empereur « aspire à l’érudition et s’investit dans une multitude de domaines artistiques et intellectuels » (p. 124). Hadrien visite (probablement pour certains) les monuments remarquables sur sa route : pyramides en Égypte, restes du Colosse à Rhodes, temple d’Artémis à Éphèse… Le voyage est aussi fait de scansions mémorielles, de recueillement sur les sépultures d’individus illustres (Pompée, Alexandre, Alcibiade…). Mais ce sont également les sites naturels remarquables qui font l’objet d’une visite impériale (notamment l’Etna).
6Le sacrifice suicidaire d’un des favoris d’Hadrien, Antinoüs – rencontré lors de la traversée de l’Égypte –, est l’occasion de rappeler que les voyages impériaux sont aussi marqués par les drames et les événements de l’existence. De même, l’initiation d’Hadrien aux mystères d’Éleusis indique combien les déplacements se nouent à la vie spirituelle du prince.
7L’empereur voyageur a construit une partie de son pouvoir précisément sur cette itinérance, qui témoignait d’une certaine unité géographique et politique du territoire dominé par Rome. Ce qui circule avec Hadrien, c’est une incarnation de l’Empire, capable de fédérer ses franges, de maintenir les frontières, de comprendre les logiques locales des cités, de communier dans le foisonnement des cultes. Cette géopolitique de l’errance informe un certain rapport à la puissance impériale, construite notamment sur le maintien d’une tension sensible entre toutes les entités régionales.
Pour citer cet article
Référence électronique
Jérôme Lamy, « Dimitri Tilloi D’Ambroisi, Les Voyages d’Hadrien. Sur les traces d’un empereur nomade », Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique [En ligne], 151 | 2021, mis en ligne le 17 février 2022, consulté le 22 mai 2025. URL : http://journals.openedition.org/chrhc/18074 ; DOI : https://doi.org/10.4000/chrhc.18074
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