• 1 Florian Besson, Pauline Ducret, Guillaume Lancereau, Mathilde Larrère, Le Puy-du-Faux. Enquête sur (...)

2Tout d’abord, il faut souligner que ce film trouve son origine dans le complexe du Puy du Fou, fondé en 1989 par Philippe De Villiers, dont on connaît l’attachement à l’idée d’un « génocide vendéen ». Quatre historiens ont démontré combien le Puy du Fou est un univers d’erreurs et de simplifications, porteur d’un esprit partisan1. Au début du film, les intervenants sont notamment Reynald Sécher, historien initiateur du concept de « génocide vendéen », connu du grand public pour ses ouvrages polémiques, dont Le Génocide franco-français : La Vendée-Vengé (1986), ainsi que l’historienne Anne Rolland-Boulestreau, professeure à l’Université catholique de l’Ouest, à Angers, spécialiste du même sujet.

• 2 Voir Jules Michelet, Histoire de la Révolution française, tome quatrième, Paris, Impr. nationale, 1 (...)

3Le film est construit autour de la figure de François Athanase Charette de la Contrie, incarné par le comédien Hugo Becker, personnage présenté comme celui d’un homme allant jusqu’au bout de ses convictions, héritier d’une ancienne famille de la noblesse d’épée. Charette a 28 ans en 1793. Lieutenant de marine, il a donné sa démission après avoir participé à plusieurs campagnes militaires et vit dans son petit manoir de Fonteclause, en Vendée2, où on viendra le chercher pour devenir un des chefs du soulèvement royaliste. Le film présente l’homme comme le « roi de la Vendée », et c’est précisément le surnom qu’on lui a donné de son vivant. Quelle part de ce récit peut-on accepter comme réelle, quelle part relève du mythe ?

• 3 Jean-Clément Martin, Violence et révolution : essai sur la naissance d’un mythe national, Paris, Se (...)
• 4 Jean-Clément Martin, La Vendée et la France, Paris, Seuil, 1987, p. 18.
• 5 Ibid., p. 72
• 6 Jean-Clément Martin, « Entre Nantes et la Vendée, entre mémoire “bleue” et “blanche” », Place publi (...)
• 7 Claude Petitfrère, Myriam Masse, « Les réfugiés de la Vendée à Angers (1793) », dans « Républiques (...)

4Le film présente le conflit qui oppose les révoltés vendéens au pouvoir républicain. Jean-Clément Martin souligne : « Le malheur de la Vendée tient à sa place dans le dispositif politique, hors de sa réalité géographique et sociale. Elle ne représente pas une vraie région, mais un symbole politique forgé et instrumentalisé3 ». C’est sans doute la volonté de servir ce symbole qui conduit le film vers une lecture extrêmement partisane de l’événement. Il présente, à juste titre, comme une des causes du soulèvement la réquisition des hommes dans le cadre de la conscription. Du 10 au 19 mars 1793, les paysans des communes autour de Saint-Florent-le-Vieil (Maine-et-Loire) et Machecoul (Loire-Atlantique) refusent de participer au tirage au sort qui doit désigner les conscrits pour les armées de la République, stationnées aux frontières. Ils s’emparent des petites villes et des bourgs les plus proches : Cholet, Pornic, Montaigu, Machecoul4. Ce moment particulier du déclenchement de la révolte est décrit en détail, mais il est traité comme s’il allait de soi qu’il doive entraîner un rejet de la République et une adhésion collective aux idées monarchistes. Or, le soulèvement vendéen a également d’autres causes, moins conjoncturelles, plus fondamentales, notamment la question religieuse. L’adoption de la Constitution civile du clergé le 12 juillet 1790, l’opposition entre clergé « constitutionnel » et clergé « réfractaire », qui a profondément divisé les paroisses5, mêlent étroitement le religieux et le politique dans le contexte d’une France en guerre et d’une radicalisation de la Révolution à partir de l’été 1792 (prise des Tuileries le 10 août, abolition de la monarchie en septembre, exécution du roi le 21 janvier 1793). Tous ces événements, et le film le montre avec insistance, alimentent l’influence exercée sur une partie de la population vendéenne par l’aristocratie locale et le clergé réfractaire, non sans succès. Mais il faut garder à l’esprit qu’en Vendée, comme dans tout l’ouest de la France, les populations sont partagées : les villes en particulier, mais aussi de nombreux villages, restent majoritairement fidèles à la Révolution (Nantes6, Angers, Le Mans, Granville résistent aux insurgés lors de la « virée de Galerne »). Sans cela, comment expliquer les massacres commis par les troupes insurgées, y compris dans les campagnes ? Comment expliquer le nombre de « réfugiés de la Vendée7 » présents dans tous les départements alentour ?

• 8 Jean-Clément Martin, La Vendée et la France, p. 133-135.
• 9 Ibid., p. 135.
• 10 Jean-Clément Martin, Violence et révolution…, p. 159.

6Jean-Clément Martin a bien montré les faiblesses des armées républicaines : hétérogénéité8, inexpérience9, ce qui est également évoqué dans le film à l’occasion des premières victoires des insurgés. Il souligne combien « une déroute d’une colonne armée transforme des révoltes rurales, certes nombreuses et déterminées, mais disparates, en une guerre menée par des contre-révolutionnaires10 ». Mais le film donne l’impression d’un processus se déroulant de manière quasi naturelle, débouchant de manière évidente sur une guerre civile opposant républicains et monarchistes.

• 11 Jean-Clément Martin, « Histoire et polémique, les massacres de Machecoul », dans Révolution et cont (...)
• 12 Jean-Clément Martin, « Polémique, censure et interdits à propos des critiques du film Vaincre ou mo (...)
• 13 <https://www.un.org/fr/genocideprevention/genocide.shtml>.
• 14 Olivier Beauvallet, « Lemkin, une œuvre en un mot : l’invention du génocide », Les Cahiers de la Ju (...)

7Si le film présente les faits d’une façon aussi univoque, c’est dans le but de servir la thèse connue du « génocide vendéen », une entreprise purement idéologique. Le film montre un « peuple vendéen » opposé à une armée républicaine venue d’ailleurs, désignée comme celle qui procède à des massacres, alors que ceux des insurgés, notamment celui de Machecoul11, sont passés sous silence12. Mais ses auteurs vont plus loin encore, en introduisant dans le film des images de certaines entreprises génocidaires du 20^e siècle, un amalgame qui, sur le plan de la recherche historique, pose un sérieux problème. Le terme « génocide13 » désigne l’extermination intentionnelle et systématique d’un groupe humain14. Sur la base de cette définition, l’ONU reconnaît trois génocides : celui des Arméniens en 1915, celui des juifs pendant la Seconde Guerre mondiale et celui des Tutsis en 1994. Le terme pourrait-il être appliqué aux guerres de Vendée ? Si la violence du conflit et les crimes de guerre auxquels il a donné lieu sont une réalité incontestable, s’il n’est pas exagéré de parler à son propos de guerre civile, en revanche le terme de « génocide » n’est en rien adapté à cet affrontement, sauf à en dénaturer ou falsifier les faits. Mais il y a plus grave : utiliser le terme de « génocide » aussi abusivement ne conduit-il pas à relativiser la gravité des génocides du 20^e siècle ?

• 15 Bruno Hervé, « Introduction », La Révolution française [En ligne], Les massacres aux temps des Révo (...)
• 16 Jean-Clément Martin, Violence et révolution, op. cit., p. 15-50.
• 17 Pascal Bastien, Histoire de la peine de mort. Bourreaux et supplices : Paris, Londres, 1500-1800, P (...)

8Du fait de sa vision orientée et caricaturale des événements qu’il relate, ce film ne peut prétendre être un travail d’historien et n’apporte rien à la compréhension des guerres de Vendée, qui exige une connaissance approfondie, une mise en contexte et une analyse nuancée des événements. L’historien Bruno Hervé souligne : « Appréhender les massacres au temps des révolutions nécessite de dépasser la compétition des légendes noires15 ». S’il est pertinent de faire réfléchir sur la violence des révolutions et des guerres civiles, Jean-Clément Martin précise que, de ce point de vue, la Révolution française est grandement l’héritière de l’Ancien Régime, dont il rappelle les formes de violence sociale, à commencer par celle des exécutions16. La permanence des conflits et de la violence dans les sociétés, leur rôle dans l’histoire17, sont assurément des questions passionnantes, mais que le film ne suggère même pas. À l’évidence, ce mauvais travail de propagande n’a pas vocation à faire réfléchir.