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  • 1 Conférence de presse sur le partenariat avec l’Afrique, Emmanuel Macron, Paris, 27 février 2023.
  • 2 Rencontre avec la communauté française au Gabon, Emmanuel Macron, Libreville, 2 mars 2023.

1Encore une fois, fallait-il en parler ou pas ? Vieille histoire qui accompagne, de façon souvent obscure, méconnue de nombre de citoyen·nes français·es, l’histoire de la France depuis les lendemains de la Seconde Guerre mondiale, cette Françafrique. Sujet qui brûle dès que les secrets sont éventés, tant les fils se tirent, enchevêtrés, associant secrets d’État, secret des affaires, secrets des familles. Tant d’argent et de sang sont attachés à ces fils. Séquelles de dominations impériales qui ne renoncent pas aux intérêts de la domination. La volonté affichée de sortir d’un postcolonialisme qui ne dit pas son nom est pourtant un engagement réitéré des dirigeants politiques français. Le président Macron, à son tour, avait proclamé ce printemps 2023 la fin de la Françafrique et la nécessité pour la France de faire preuve « d’une profonde humilité » en Afrique1. Quelques jours plus tard, cette fois au Gabon, il affirmait : « L’âge de la Françafrique est révolu2 ». La rhétorique moralisante du président français a vite montré ses limites. Au moment où nous publions ce dossier, mûrement pensé depuis des mois, des expressions parmi les plus spectaculaires de la Françafrique sont ébranlées. La présence de forces militaires françaises est partout mise en cause. Le pouvoir politique au Niger est tombé le 26 juillet, et les putschistes se sont appuyés sur la dénonciation de l’influence française et du pillage des ressources naturelles par les entreprises françaises pour défendre leur action. Depuis le « coup de gueule » du président français, qui a montré les limites de « l’humilité » évoquée quelques mois plus tôt, la décision du nouveau pouvoir d’expulser l’ambassadeur de France a confirmé l’ancrage de l’action du nouveau pouvoir dans le rejet de l’influence française. Puis est venu se rajouter à ces mises en cause spectaculaires et populaires le coup d’État de ce 30 août au Gabon, contre un président que sa fidélité à la France, à la suite de celle de son père Omar Bongo, a placé au cœur de la Françafrique. Si les défenseurs de la politique française en Afrique pouvaient essayer de convaincre que la situation au Mali était un cas spécifique où les sentiments antifrançais étaient attisés par des influences étrangères, cet été vient montrer à quel point le rejet est général et conforte l’idée d’une cohérence dans la gestion des relations avec les États de l’ancien empire. La Françafrique fait décidément partie de ces passés qui ne passent pas et rappelle cruellement le poids des passés coloniaux sur notre présent.

  • 3 Sans revenir ici sur l’ensemble de sa bibliographie, nous nous permettons de signaler sa contributi (...)
  • 4 René Dumont, L’Afrique noire est mal partie, Paris, Seuil, 1962.
  • 5 Voir à ce sujet les réflexions des africanistes, par exemple, Catherine Coquery-Vidrovitch, « Pourq (...)

2Le dossier coordonné pour ce numéro des Cahiers d’histoire par nos collègues Alain Gabet et Sébastien Jahan cherche à dessiner une voie qui, à la fois, installe la Françafrique dans l’histoire du 20e siècle et, en même temps, en analyse les formes d’existence au présent. L’introduction des deux coordonnateurs du dossier montre l’apport essentiel, du point de vue historien comme de la réalité politique, du concept unifié par François-Xavier Verschave pour appréhender les relations de la France avec les États issus des indépendances, la « Françafrique ». En même temps, les auteurs soulignent, comme les événements de cet été viennent de le mettre en évidence, que ce concept définit une constante politique inscrite dans les transformations des rapports de force hérités de la Seconde Guerre mondiale et de la décolonisation. En effet, la dénonciation de plus en plus vive de la présence française, du soutien apporté à des dirigeants politiques autoritaires, corrompus et corrupteurs, des privilèges consentis aux entreprises françaises, va de pair avec le développement de la capacité d’intervention d’autres puissances, comme on le voit, au cœur même du « pré carré » français hérité de la colonisation. On comprend, à lire les articles de ce dossier, combien nous avons besoin d’élargir notre approche des sociétés passées en croisant les résultats d’études menées à partir d’autres États, d’autres espaces, en faisant varier aussi les temporalités. Notamment s’impose une meilleure connaissance de l’histoire de l’Afrique sur le temps long, comme elle se développe actuellement. Saluons ici l’apport fondamental de Catherine Coquery-Vidrovitch à ce vaste chantier. Elle contribue à ce dossier à travers un article qui rappelle de façon salutaire les dimensions d’exploitation économique de la Françafrique (monoculture d’exportation, activités extractives, domination monétaire…), l’enchevêtrement des intérêts politiques, stratégiques et économiques qui fait la solidité de la domination. Mais au-delà, les écrits récents de Catherine Coquery-Vidrovitch ont contribué à réinsérer cette histoire dans une histoire longue du continent africain, indispensable à la compréhension de ce que fut le choc de la colonisation et ses séquelles jusqu’à nos jours3. À plus court terme, c’est l’ensemble des processus des indépendances qui doit être réinterrogé à l’aune de la réorganisation du monde dans l’après 1945, comme le font les auteur·trices de ce dossier, Armelle Mabon, Tiemoko Diallo, François Graner. Comment les indépendances, qui ont suscité tant d’espoirs, ont-elles échoué à effacer les effets de domination et ont-elles provoqué tant de déceptions et de misère venant confirmer les plus sombres présages ? Comment, en effet, face à la réalité de la pauvreté massive des populations africaines rappelée à la lumière des événements récents, à la faiblesse des investissements dans les infrastructures collectives, aux guerres réitérées, aux drames permanents de l’émigration, ne pas entendre avec amertume résonner les mots de l’agronome René Dumont, diagnostiquant dans son livre de 1962 L’Afrique noire est mal partie4 ? Un autre diagnostic pessimiste croise celui des faiblesses de pays pris dans l’étau d’une dépendance politique qui cache son nom et d’une exploitation économique persistante, celui que pointe ici Alain Gabet, celui de la faible part faite à l’Afrique dans l’enseignement en France et, plus spécifiquement, de l’occultation des rapports de domination entretenus par la France dans l’espace de son ancien empire. Soit la Françafrique. On se souvient de la polémique suscitée par l’introduction de quelques heures d’histoire des civilisations de l’Afrique dans les programmes de Cinquième du collège. On sait que cette partie du programme a disparu subrepticement des programmes en 20155. On mesure le chemin à parcourir pour que l’Afrique soit l’objet de l’attention qu’elle mérite et que la connaissance de son histoire soit considérée comme nécessaire à la compréhension de notre monde. Nous espérons avec ce dossier contribuer à faire avancer dans cette voie, comme nous l’avons fait depuis une vingtaine d’années en multipliant dossiers, débats, comptes rendus d’expositions, de films (un hommage au cinéaste militant panafricaniste Med Hondo est en préparation), recensions de livres qui rendent compte des renouvellements historiographiques et, plus globalement, salutairement, d’une curiosité nouvelle pour la diversité des réalités sociales et culturelles des populations africaines.

3La vigueur de l’actualité africaine, qui inscrit le dossier de ce numéro 157 des Cahiers d’histoire dans les surgissements du présent, nous conduit à voir l’Afrique en grand.

4En ce temps de difficulté des projets socialistes, les atermoiements de la socialdémocratie allemande en Lituanie au début du 20e siècle peuvent nous paraître d’une moins grande urgence. Pourtant, l’article de Florian Ferrebeuf rappelle des réalités et des difficultés de long terme des mouvements socialistes, puis communistes. Comment ne pas sentir que l’affirmation du député socialdémocrate Haase, de Königsberg, est restée d’une grande acuité à travers les diverses expériences socialistes du 20e siècle et l’est encore aujourd’hui ? « La social-démocratie s’est toujours opposée à toute oppression, qu’elle s’exerce contre une classe, une race ou une nation », dit-il dans un discours prononcé au Reichstag. Il s’exprime pour que tous les Lituaniens et les Polonais du Reich puissent, à leur demande, bénéficier à tout moment d’un interprète devant les tribunaux et qu’ils puissent exprimer ce qu’ils veulent dans leur langue maternelle. Cette proposition deviendra ensuite une loi. Mais l’article montre la difficulté des sociaux-démocrates à prendre toute la mesure de la force des identités nationales, à s’en faire les défenseurs et à les conjuguer avec leur visée internationaliste. Problématique rémanente à gauche que l’articulation de la diversité des identités religieuses, culturelles, nationales à l’appartenance de classe censée les subsumer dans beaucoup des analyses des héritiers de Marx.

  • 6 Musée de l’histoire vivante, Montreuil (93100), exposition « Marx en France », jusqu’au 30 décembre (...)

5Après « Chantiers », Marx est présent de façon moins dramatique, pourrait-on dire, dans « Métiers ». À travers les questions des membres de la rédaction, Pascal Guillot et Grégoire Le Quang, la rubrique donne la parole à l’historien Jean-Numa Ducange, qui y présente l’exposition « Marx en France », du Musée de l’histoire vivante de Montreuil, dont il a été le conseiller historique6. Penser la vie et la réception de Marx en France rappelle le décalage en termes d’influence et de puissance des analyses de Marx en France et en Allemagne, de façon non linéaire du 19e au 21e siècle !

6« Débats » rend hommage à la caricature politique et aux importants travaux des historiens depuis quelques décennies sur ce média, par la plume d’Annie Duprat, elle-même spécialiste réputée de ces études, particulièrement dans le contexte de la fin de l’Ancien Régime et de la Révolution française.

7Les luttes sociales ont, comme toujours, une place importante dans « Les Cahiers recommandent ». Chacun·e découvrira la richesse sans cesse renouvelée de cette rubrique. Soulignons ici qu’elle est le lieu de notre rappel du coup d’État militaire de 1973 au Chili contre le gouvernement d’unité populaire dirigé par Salvador Allende. Évocation d’un Chili marqué par la puissance des forces conservatrices, à travers la présentation de films récents d’une jeune réalisatrice, Manuela Martelli, et d’un monument du cinéma chilien en exil, Patricio Guzman. Ce rappel de l’histoire chilienne sera complété par l’organisation de projections et conférences à Gennevilliers, en partenariat avec l’Université populaire des Hauts-de-Seine : le 11 octobre, projection ; le 12 octobre, conférence d’Olivier Compagnon ; le 19 octobre, conférence de Pierre Dardot. Les textes des conférences seront publiés dans les Cahiers d’histoire7.

  • 8 Un dossier « (Dé)politiser les Jeux Olympiques » coordonné par Igor Martinache et Valentin Guéry, s (...)

8Toujours à la recherche des formes les plus susceptibles de rendre l’histoire présente au présent, ce dernier semestre 2023, la rédaction des Cahiers initiera ou relaiera débats, échanges, expositions, remise de prix (comme c’est le cas dans le cadre des Rendez-vous de l’histoire de Blois, dont rend compte ici pour « Métiers » Chloé Maurel, elle-même protagoniste). Ce sera autour de la Françafrique dans les débats de la Fête de l’Humanité le samedi 16 septembre, ce sera autour des « Vivants et des morts », lors des Rendez-vous de l’histoire de Blois. Ce sera bien sûr, comme tous les deux ans, aux Rencontres d’histoire critique à Gennevilliers, coordonnées avec l’historienne Marie-Claude L’Huillier pour l’UP 92. Les 8èmes Rencontres ! Cette année, ce sera autour du forum des 24 et 25 novembre 2023, « Sports En-jeux ! ». Il y a beaucoup à dire, beaucoup d’histoires à faire ! Nous vous attendons nombreuses, nombreux, curieuses, curieux, critiques bien sûr8 !

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Notes

1 Conférence de presse sur le partenariat avec l’Afrique, Emmanuel Macron, Paris, 27 février 2023.

2 Rencontre avec la communauté française au Gabon, Emmanuel Macron, Libreville, 2 mars 2023.

3 Sans revenir ici sur l’ensemble de sa bibliographie, nous nous permettons de signaler sa contribution à ce chantier dans le cadre des Cahiers d’histoire : Catherine Coquery-Vidrovitch (dir.), « Les empires africains, des origines au 20e siècle », Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique, n° 128, 2015.

4 René Dumont, L’Afrique noire est mal partie, Paris, Seuil, 1962.

5 Voir à ce sujet les réflexions des africanistes, par exemple, Catherine Coquery-Vidrovitch, « Pourquoi il faut enseigner l’histoire ancienne de l’Afrique subsaharienne », site Aggiornamento histoire-géographie, <www.aggiornamento.hypothèses.org>, 14 septembre 2011 ; ou lors de la publication des nouveaux programmes, Jean-Pierre Chrétien et Pierre Boilley, « Enseignement de l’Afrique à l’école, un oubli coupable », Libération, 9 octobre 2015.

6 Musée de l’histoire vivante, Montreuil (93100), exposition « Marx en France », jusqu’au 30 décembre 2023.

7 Pour les précisions sur les horaires et lieux, consulter <www.journals.openedition.org>, Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique, ou <www.universite-populaire92.org>.

8 Un dossier « (Dé)politiser les Jeux Olympiques » coordonné par Igor Martinache et Valentin Guéry, suivi pour les Cahiers d’histoire par Nicolas Tardits, paraîtra à l’occasion des Rencontres. Nos partenaires, la Fondation Gabriel-Péri et l’Institut de recherches de la FSU, proposeront eux aussi des tables rondes. L’association Vigo-pour-tous soutiendra la projection du film iranien « La Permission », de Soheil Beiraghi, suivie d’un débat avec la militante associative Hanieh Hadizadeh. Exposition, rendez-vous avec les clubs sportifs, film inédit de Claire Angélini… l’esprit de création militante et culturelle sera au rendez-vous des Rencontres d’histoire critique.

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Pour citer cet article

Référence papier

Anne Jollet, « Le mot de la rédaction »Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique, 157 | 2023, 5-9.

Référence électronique

Anne Jollet, « Le mot de la rédaction »Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique [En ligne], 157 | 2023, mis en ligne le , consulté le 13 mai 2025. URL : http://journals.openedition.org/chrhc/21775 ; DOI : https://doi.org/10.4000/chrhc.21775

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Auteur

Anne Jollet

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Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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