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1Peut-on encore apporter du nouveau sur ce protagoniste majeur de la Révolution française, a fortiori après les multiples biographies qui sont sorties des presses ces dernières années ? Dans l’absolu, on pourrait être tenté de répondre d’emblée par la négative et de soutenir qu’il est désormais impossible d’écrire un nouveau livre sur Maximilien Robespierre, sauf à découvrir de nouvelles sources inédites. Pourtant, Marion Pouffary vient ici nous démontrer le contraire, en inscrivant ses pas dans les pistes ouvertes par d’autres auteurs, notamment par Marc Belissa et Yannick Bosc en 2013 (Robespierre. La fabrication d’un mythe). Ce n’est pas tant la biographie du personnage qui l’a intéressée, mais les multiples facettes de l’image transmise à la postérité, ainsi que les usages de Robespierre (de son nom, de ses écrits, de son action…) par les historiens, les militants politiques et les députés. C’est à ces derniers et aux débats parlementaires du 19^e siècle qu’était surtout consacrée la thèse de doctorat de Marion Pouffary, dont est issu ce livre.

2Onze chapitres thématiques se succèdent et mettent en lumière, d’une part, les différentes interprétations du personnage proposées au fil du 19^e siècle, d’autre part, la place plus ou moins importante occupée par Robespierre dans les débats parlementaires. On s’en doute, le tout reprend des analyses classiques sur les légendes noires ou dorées, mais Marion Pouffary propose de distinguer différents aspects de ces légendes et surtout d’en suivre les évolutions au fil du temps. L’étude de la légende dorée n’apportera pas forcément du neuf, tout au moins aux yeux des lecteurs qui connaissent bien les études consacrées à Robespierre depuis que Laponneraye a diffusé l’image de « l’homme-principe ». Le « poids des mots » possède alors toute son importance, puisque l’édition de textes de Robespierre sous la monarchie de Juillet rencontre un vif « succès de librairie ». Non seulement on s’intéresse alors dans les milieux républicains à la vie et aux écrits de Robespierre, mais on loue son style et son éloquence. À suivre Marion Pouffary, « le style de Robespierre, influencé par le rire de Voltaire comme par les larmes de Rousseau », serait un « style de transition » entre les héritages du classicisme et le préromantisme. Qu’on le perçoive ici comme un théoricien du droit à l’insurrection et là comme un homme d’ordre, ou encore comme un théoricien d’un nouvel ordre social fraternel, voire comme le « précurseur d’un communisme moral » (Buonarroti), l’homme est admiré, fût-ce avec des nuances. En un sens, il incarne la Révolution dans son entier, à tel point que celle-ci serait supposée prendre fin en Thermidor. Des représentations destinées à avoir la vie dure surgissent aussi dans ce premier 19^e siècle, ainsi sous la plume d’Alphonse Esquiros en 1847 : « Danton, Robespierre, Saint-Just sont des orateurs de premier ordre : la parole de Danton imite le mugissement de la foule ; celle de Robespierre est un écho sérieux et grave de sa pensée ; celle de Saint-Just éclaire et agrandit tout ce qu’elle touche ». On sait à quel point le « Danton tribun » va être utilisé sous la Troisième République, ce que rappelle aujourd’hui encore sa statue près de la station de métro Odéon à Paris. Quant à Robespierre, sa parole serait donc un « écho » de sa pensée... Nul doute que le tout soit infiniment plus compliqué, aussi est-il d’ailleurs un peu délicat de suivre Marion Pouffary lorsqu’elle évoque « la politique de Robespierre ». Autant il est envisageable de lire et d’interpréter ses textes, d’étudier son rôle et son action entre 1789 et 1794, autant l’existence d’« une » politique rattachée à son seul nom semble infiniment plus difficile à démontrer.

3S’agissant des légendes noires, Marion Pouffary en distingue de prime abord trois grandes catégories : des légendes « de droite » et d’autres « de gauche », puis une troisième catégorie appelée « libérale-républicaine ». Les premières restent souvent aujourd’hui les plus connues et stigmatisent, au prix d’un affreux néologisme, le « tyrannarchiste » : d’un côté, le prétendu « anarchiste » dénoncé par la presse royaliste dès 1790, mais aussi par des Girondins en 1792 ; de l’autre et surtout, le prétendu « tyran » voué aux gémonies à partir de Thermidor. Les deux thèmes peuvent parfois être associés, avec la figure du « tyrannarchiste niveleur », surtout entre l’été 1794 et 1815, ou bien dissociés sous la Restauration. La légende noire « libérale-républicaine », elle, pourfend, entre autres, les supposées « influences cléricales » pesant sur Robespierre, qui « était né prêtre » pour oser reprendre cette phrase assassine de Michelet. Au moment où la Troisième République se cherche des ancêtres parmi les révolutionnaires et entend célébrer 1789 plutôt que la première des républiques françaises, Aulard pousse l’absurde jusqu’à écrire que Danton fut « l’homme qui représentait la politique laïque et française par opposition au système théocratique de Robespierre » ! Cela étant, il reste difficile de déterminer qui devrait remporter un « premier prix » pour la plus spectaculaire ineptie, dans la mesure où les légendes noires « de gauche » ne sont pas en reste. On peut sourire de constater que pour certains (Demazy, Tridon…), Hébert et ses partisans auraient été les seuls défenseurs de « l’égalité réelle », tandis que pour d’autres (les anarchistes) ils font partie du camp « autoritaire »… là où seuls Jacques Roux et les Enragés méritent à leurs yeux des éloges. Et que dire de Proudhon voyant dans « la république indivisible de Robespierre, la pierre angulaire du despotisme et de l’exploitation bourgeoise » ?

4Les citations pourraient ici être multipliées à l’envi tant l’ouvrage de Marion Pouffary en contient, tout comme avant lui le livre de Marc Belissa et Yannick Bosc. Mettre Robespierre à toutes les sauces finirait presque par s’apparenter à une sorte de jeu humoristique. Hervé Leuwers l’écrit de manière plus policée dans sa préface : « D’un détracteur à l’autre, le rejet de Robespierre ne s’opère pas pour de mêmes motifs, et pas au profit de mêmes héros (…) Tout l’art de Marion Pouffary est de montrer la souplesse de ces représentations ».

5Cette grande souplesse se repère aussi dans les débats parlementaires, où l’auteure a traqué les occurrences du nom Robespierre au gré des comptes rendus de ces débats. Les quatre derniers chapitres leur sont consacrés et forment la partie assurément la plus neuve de ce travail. Les lecteurs y trouveront toutes les évolutions successives du « spectre » qui, à défaut de hanter l’Europe, agite alors les parlementaires. Et ici encore leur fait dire tout et son contraire. Pour n’en citer qu’un exemple parmi d’autres, au cours d’un débat sur la liberté de la presse en 1822, tel député peut soutenir qu’elle aurait pu sauver la monarchie au lieu de quoi on a vu « Robespierre s’élever sur ses ruines et Bonaparte la prostituer à sa police », tel autre prétendre que « la licence des journaux [favorise] le venin corrupteur des doctrines révolutionnaires ». Mais, somme toute, l’« anarchiste impie », le « tyran clérical », le « tyran des consciences », cet homme aux mille et une facettes n’est pas toujours si présent que cela dans les débats parlementaires, et se trouve même presque absent de ceux consacrés à la commémoration du Centenaire. Il gêne, de toute évidence, et d’ailleurs son héritage n’est que partiellement revendiqué par les députés les plus à gauche.

6Au chapitre des regrets, mineurs, on aurait aimé avoir quelques graphiques pour mieux visualiser la fréquence et la chronologie des occurrences, mais aussi davantage de citations extraites des débats parlementaires. Le passage de la thèse de doctorat inédite au livre publié a sans doute imposé à l’auteure des contraintes éditoriales. Reste que le travail de Marion Pouffary se lit de manière très agréable et vient ajouter une nouvelle couche aux diverses strates historiographiques qui composent la biographie de Robespierre. On ne saurait trop la remercier pour cela et conseiller une prompte lecture de son livre.