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1À travers une étude comparée des partis socialistes français et italien entre Libération et guerre froide, Virgile Cirefice propose une importante contribution à l’histoire de référentiels socialistes fréquemment éclipsés, tirée de sa thèse de doctorat en histoire. L’auteur déploie une comparaison, appuyée sur les séquences synchrones que traversent les deux organisations impliquées dans leurs gouvernements respectifs entre 1944 et 1947, marquées par des contestations internes puis des scissions entre 1946 et 1949, et leurs relations jusqu’à la rupture de leurs échanges en 1948.

2L’auteur s’attache plus précisément à étudier les représentations des socialistes et les pratiques dans lesquelles elles s’incarnent. Plus que de dessiner les contours d’une culture politique, le travail entrepris porte la thèse d’évolutions partisanes mues par ces représentations diverses plutôt que par un « patrimoine idéologique » homogène.

3Fondée sur la consultation d’un important ensemble d’archives émanant des organisations française et italienne, mais aussi des structures successives du socialisme international, cette recherche porte autant sur les traces de la base militante que sur celles des relations entretenues avec le « sommet » des partis ou les récits produits par les organisations sur elles-mêmes.

4L’ouvrage passe au crible la guerre froide de six fédérations des deux partis : deux bastions industriels avec les fédérations du Nord et de Milan ; deux fédérations plus modestes, mais enracinées dans une ancienne tradition socialiste locale avec les Ardennes et Arezzo ; deux fédérations méridionales avec le Tarn et Bari. Le plan chronothématique proposé distribue les huit chapitres de l’ouvrage en trois pôles. Le premier aborde le temps de la Libération comme une période de mise en tension de référentiels concurrents, qu’il s’agisse des débats opposant orthodoxie marxiste revendiquée et renouvellement « humaniste » de la doctrine (chapitre 1), ou des implications croisées dans le projet révolutionnaire et le renforcement de la République (chapitre 2). Le second pôle dépeint les représentations des socialistes sur l’organisation économique de leurs sociétés (chapitre 3) et la place qu’y occupe la religion (chapitre 5), mais aussi sur leurs propres organisations (chapitre 4) ou leur engagement (chapitre 6). Enfin le dernier aborde le temps de l’entrée en guerre froide, à travers les relations entretenues par les deux partis avec leurs homologues communistes (chapitre 7) et leurs organisations sœurs socialistes au niveau international (chapitre 8).

6Un autre mérite de l’ouvrage consiste dans la place nodale qu’il accorde à l’internationalisation des dirigeants de la période. Virgile Cirefice insiste sur la sensibilité des dirigeants italiens au modèle français, renforcée par un passif d’exil qui les a, dans la plupart des cas, amenés à séjourner en France. Loin de se résumer à des positions antagonistes entre « atlantistes » et « unitaires », la tension qui traverse les deux organisations et aboutit à des scissions fait l’objet d’interprétations contrastées et changeantes : le PSLI (scission du PSI hostile à l’unité d’action avec les communistes) suscite au sein de la SFIO des soutiens qui approuvent sa composante neutraliste, tandis que le courant anticommuniste de Giuseppe Saragat, leader du parti, apparaît influencé par la politique d’alliance parlementaire de « troisième force » de la SFIO. L’ouvrage dessine en ce sens un jeu de désencastrement et de réencastrement transnational des événements, prétextes à autant de positionnements et repositionnements d’un parti à l’autre. 

7Un troisième apport du travail repose sur une démarche qui déborde les constructions classiques de l’histoire du socialisme. Il ouvre l’analyse aux contributions et controverses qui traversent les partis à tous les échelons et dans toutes leurs expressions (discours prononcés lors des congrès, publications locales, dessins de presse, lettres de militants). En ce sens, l’ouvrage met en lumière des oppositions persistantes, et quelque peu oubliées, vis-à-vis de certains groupes sociaux ou de l’appareil d’État.

8Enfin, l’ouvrage apporte une construction originale sur les élaborations socialistes quant aux temps sociaux, par lesquels s’articulent des imaginaires politiques apparemment incommensurables (agir pour le mieux dans le temps présent, en cohérence avec l’horizon révolutionnaire). Ce faisant, le travail éclaire les logiques par lesquelles, entre Libération et guerre froide, s’éteignent les dissonances cognitives chez les militants.