L’émission Le Dessous des cartes, qui, bien sûr, évite ces écueils, vise, en se fondant sur l’histoire, à analyser les situations actuelles et à tenter des analyses prospectives, luttant en cela contre les réflexes bellicistes. Par-là, elle démocratise l’histoire et la géopolitique, et est appréciée autant des enseignants que des élèves et étudiants, ainsi que du grand public.

 

Quel est votre parcours, et qu’est-ce qui vous a amenée à présenter cette émission ?

Je suis devenue journaliste en 2002, après la fin de mes études (classes préparatoires à l’ENS, licence de littérature à la Sorbonne, puis Sciences-Po Paris), d’abord comme reporter sur la chaîne LCP, puis comme présentatrice de JT et d’émissions (notamment l’animation des grands débats électoraux, les primaires socialistes en 2007, une émission hebdomadaire littéraire, La cité du Livre, une autre sur le cinéma Grand Écran…).

Puis j’ai travaillé pour l’agence Capa de 2008 à 2012, qui produisait pour Arte l’émission GlobalMag : l’occasion pour moi de tourner des reportages chaque semaine dans un pays différent, une période de grands voyages à travers l’Europe.

Dans la foulée, j’ai présenté les soirées géopolitiques de la case Documentaires Thema d’Arte le mardi soir et animé pendant quatre ans sur France culture le magazine dominical d’actualité politique et géopolitique L’Esprit Public, dans la foulée de Philippe Meyer.

Enfin, après la brutale et douloureuse disparition de Jean-Christophe Victor, l’inventeur du Dessous des cartes, Arte a fait le pari de me proposer cette périlleuse succession. J’en suis devenue la présentatrice et, progressivement, la rédactrice en chef, ce qui suppose d’animer une équipe passionnante de chercheurs (historiens, géographes, géo politologues), journalistes, cartographes, graphistes…

 

Qu’a apporté cette émission de novateur depuis sa création, avec la focalisation sur des cartes ?

Les cartes exercent une sorte de fascination sur les gens. Elles sont dépaysantes et infiniment pédagogiques, par nature.

Expliquer le monde par ce moyen-là apparaît sans doute à notre public comme une garantie de fiabilité, car pour représenter cartographiquement une actualité ou une problématique géopolitique, il faut des chiffres, des données et des faits précis. Pas de place pour le commentaire personnel ou l’éditorialisation. La carte revient à l’essentiel et c’est sans doute cela qui a fait le succès et la longévité de l’émission.

Alors, bien-sûr, on me rétorquera que l’on peut toujours faire mentir les cartes : sauf si l’on se réfère en permanence au droit international. C’est notre cas.

 

Comment choisissez-vous vos sujets, cherchez-vous à coller le plus possible à l'actualité, ou bien cherchez-vous aussi à avoir un certain recul historique ?

Votre question me rappelle une phrase de François Mitterrand que j’aime souvent citer : « l’histoire emprunte toujours les chemins de la géographie. »

Le Dessous des cartes c’est une promesse : celle d’éclairer une problématique géopolitique contemporaine par le rappel des bases géographiques et historiques, indispensables à la compréhension du temps présent.

On ne comprend évidemment pas la guerre actuelle entre le Hamas et Israël si l’on ne repart pas du 20^e siècle et si l’on ne regarde pas une carte du Moyen-Orient.

Nous jouons toujours, pour chaque émission, sur plusieurs échelles, temporelles et géographiques.

Par ailleurs, il y a toujours deux conseils bibliographiques en fin d’émission, le second souvent plus exigeant que le premier. Sur la Méditerranée par exemple, on proposera à la fois un atlas classique mais on conseillera en parallèle les ouvrages de Fernand Braudel.

Enfin, j’ai la chance de piloter désormais plusieurs formats, chacun ayant sa propre temporalité :

- nos formats longs du samedi soir (19 h 30) sont fabriqués pendant plusieurs semaines, toujours en collaboration avec un chercheur spécialiste du sujet qui nous aide également à trouver les bonnes ressources cartographiques. Pour ce format, je privilégie des sujets qui structurent notre siècle et ont vocation à s’inscrire dans la durée : le nouveau centre géostratégique de l’Asie-Pacifique par exemple, les guerres de l’Information, les atteintes que subit le modèle démocratique, le duel sino-américain, etc. ;

- en revanche, pour notre format court diffusé chaque soir (20 h 50), nous nous saisissons de ce qui fait l’une des grandes actualités internationales du jour, en piochant dans notre stock de cartes. Je décide du sujet le matin, j’ai quelques heures pour le construire avec ma petite équipe, puis il y a l’animation des cartes, longue et minutieuse. Bref, nous sommes dans une certaine urgence pour fabriquer dans la journée ce qui sera diffusé le soir même sur l’antenne d’Arte, dans les deux langues, français et allemand.

 

Cherchez-vous l’objectivité au sens de neutralité, ou bien concevez-vous vos émissions comme engagées ?

J’ai tendance à penser que si les enseignants utilisent autant nos contenus, c’est peut-être parce que nous visons toujours la plus grande neutralité, dans la mesure aussi où nous donnons à voir et à comprendre le monde en le décrivant par des cartes, des chiffres et des faits, des rappels historiques, des données géographiques, des dates-clé. Sans idéologie.

À Arte, nous revendiquons ou assumons cependant deux « engagements » fermes : notre attachement à la construction européenne et au respect de l’État de droit.

 

Ces livres sont nourris par tous les textes et cartes que nous produisons chaque jour, par nos échanges constants avec le monde de la recherche. Mais ce sont aussi des ouvrages qui s’adressent à tous, du fait que je demeure une journaliste qui a la chance de travailler avec des universitaires : nous croisons nos compétences en quelque sorte, notamment avec Frank Tétart, mon co-auteur.

Chacun de nos atlas propose une grille de lecture :

- En 2021, regarder le monde à la lumière des changements provoqués par la crise du Covid.

- En 2022, regarder les effets-domino planétaires de l’invasion russe de l’Ukraine.

- En septembre 2024, nous regarderons cette fois le monde vu des mers et océans, avec l’idée que le 21^e siècle se jouera aussi (voire surtout) autour d’enjeux maritimes : notamment parce que 90 % du transport commercial se fait par bateau et que 90 % de nos communications sont rendues possibles par des câbles sous-marins.

Pour les besoins de ce livre notamment, je me suis rendue ces derniers mois au sultanat d’Oman, en mer Baltique à bord d’une frégate de l’OTAN, dans le détroit de Formose à Taïwan et dans le détroit de Gibraltar.

Donner à voir et à comprendre le monde suppose aussi d’aller régulièrement à sa rencontre !