• 1 Francesca Fattori, Floriane Picard, Éric Dedier, Victor Simonnet et Cécile Hennion, « Les défis pos (...)

3Il s’agit en particulier d’imposantes statues anthropomorphiques appartenant à une collection de vingt-six pièces constituant le « Trésor de Béhanzin », qui avait été « pillé par les troupes coloniales françaises, en 1892, lors de la mise à sac du palais des rois d’Abomey. Conservées au musée du Quai-Branly, à Paris, et réclamées par le Bénin depuis 2016, elles ont été restituées à Cotonou, le 18 février 2022, à la suite de la loi de restitution de décembre 20201 ». Elles sont à présent exposées dans le musée de « l’épopée des Amazones et des rois du Danxomé », à Abomey.

• 2 Sur ce discours et cet enjeu, cf. Chloé Maurel, Histoire de l’Unesco, Paris, L’Harmattan, 2010, et (...)

6Rappelons que l’Unesco a été pionnière sur cette question, avec l’appel lancé en 1978 par le directeur général de l’institution, le Sénégalais Amadou Mahtar M’Bow, en faveur du retour des œuvres d’art et objets archéologiques pillés pendant la colonisation par les puissances européennes et alors toujours détenus dans les musées occidentaux2.

• 3 Bénédicte Savoy, Felwine Sarr, Rapport sur la restitution du patrimoine culturel africain. Vers une (...)
• 4 Cité dans : Francesca Fattori, Floriane Picard, Éric Dedier, Victor Simonnet et Cécile Hennion, art (...)

7Depuis, les revendications de restitution des objets africains détenus dans les musées occidentaux se sont multipliées, et plusieurs retours d’objets à leurs pays d’origine se sont produits, comme la restitution de l’obélisque d’Axoum à l’Éthiopie, de la part de l’Italie, en 2005. En 2018, le rapport Savoy-Sarr a développé des arguments rationnels, fondés sur l’histoire et l’équité, en faveur de ces retours3. Rappelons le contexte de la rédaction de ce rapport commandé par le président de la République française : lors de son discours prononcé face à un parterre d’étudiants de l’université de Ouagadougou, au Burkina Faso, le 28 novembre 2017, le président Emmanuel Macron avait suscité la surprise en souhaitant que, « d’ici à cinq ans, les conditions soient réunies pour des restitutions temporaires ou définitives du patrimoine africain en Afrique ». Dans cette optique, deux chercheurs – l’écrivain sénégalais Felwine Sarr, économiste et professeur à l’université Gaston-Berger de Saint-Louis (Sénégal), et Bénédicte Savoy, historienne de l’art française à l’université technique de Berlin – avaient été chargés de rédiger un rapport4.

• 5 Ibid.

Ce rapport a dressé un « constat accablant », comme le résume la citation mise en exergue, empruntée à une lettre de l’écrivain Michel Leiris à son épouse, datée de 1931 : « On pille des Nègres, sous prétexte d’apprendre aux gens à les connaître et les aimer, c’est-à-dire, en fin de compte, à former d’autres ethnographes, qui iront eux aussi les “aimer” et les “piller”. » Plus concrètement, le rapport a dressé le constat que « la quasi-totalité (de 90 % à 95 %, selon les estimations) du patrimoine matériel des pays d’Afrique situés au sud du Sahara se trouve hors du continent africain, rendue inaccessible à la jeunesse africaine au point qu’elle en ignore souvent la richesse et la potentialité, si ce n’est l’existence même5 ».

• 6 Propos de Jean-Marc Lalanne, dans Le Masque et la plume, « Faut-il aller voir Dahomey de Mati Diop  (...)

9La deuxième partie du film contraste avec la première : autant la première est lente et hypnotique, triste aussi (la voix de la statue semble fatiguée, lasse, âgée, épuisée après tant d’années de « captivité »), autant la deuxième est dynamique, vive, pleine de jeunesse et de passion. Comme l’observe Jean-Marc Lalanne dans l’émission Le Masque et la plume, c’est « un grand film engagé, porteur d’une énergie très positive », qui « invente un dispositif formel d’une profondeur poétique inouïe avec cette idée de faire parler des statues ». La deuxième partie du film fait vivre au spectateur un « choc thermique », « un choc de cinéma », « proche du reportage free jazz, avec des plans très fragmentés où la réalisatrice suit les flux de la parole qui circule ». Ces « deux parties aussi antagonistes » sont construites ainsi à dessein et cela donne un « très grand film porteur d’une énergie positive6 ».

• 7 Francesca Fattori, Floriane Picard, Éric Dedier, Victor Simonnet et Cécile Hennion, article cité.
• 8 Philippe Baqué, « Polémique sur la restitution des objets d’art africains », Le Monde diplomatique, (...)

10Engagée à gauche, Mati Diop avait tourné auparavant, en 2018, son premier long métrage intitulé Atlantique, une fiction sur les jeunes Sénégalais partis vers l’Europe et noyés en mer, un film poétique et politique qui faisait une incursion dans le domaine du surnaturel. Avec ce nouveau film, elle aborde de plain-pied un enjeu culturel et géopolitique majeur de notre temps, qui touche aussi bien à l’histoire des musées qu’aux relations internationales : celui de la restitution des objets des pays du Sud par les musées des pays du Nord. Cet enjeu pose des défis importants sur les plans culturel, symbolique et économique7. Il suscite des polémiques, critiques et controverses qui ne sont pas près de s’éteindre8.