• 1 Robert Kosmann, Notice biographique d’Alain Viguier, dans Le Maitron – Dictionnaire biographique du (...)

1Alain Viguier et Apolônio de Carvalho se sont liés d’amitié lors de leur rencontre en Algérie durant les années 1970. Le premier, âgé de 25 ans, y avait été envoyé pour travailler comme « formateur à l’Institut technologique d’El Harrach et représenter le PSU auprès des mouvements de libération nationale africains1 », tandis que le second, à près de 60 ans, avait déjà milité en Espagne, en France et au Brésil contre les politiques totalitaires et fascistes. Il est alors un réfugié politique, le Brésil étant une dictature militaire depuis 1964. Leur amitié n’a été interrompue que par la mort de ce dernier en 2005.

• 2 Stela Grisotti, Rudi Böhm (dir.), Vale a Pena Sonhar - A vida de Apolônio de Carvalho, Rio de Janei (...)
• 3 Vale a Pena Sonhar, Editora Rocco, Rio de Janeiro, 1997 ; Renée France de Carvalho, uma vida de lut (...)
• 4 Traduction libre : Centre russe de conservation et d’études des documents en histoire contemporaine (...)

2Le livre d’Alain Viguier, publié par Syllepse en 2023, est préfacé et postfacé par des militants brésiliens proches d’Apolônio et respecte strictement le fil biographique. Le catalogage et l’analyse des sources de la vie d’un homme qui a parcouru différents pays et a passé près d’un demi-siècle lié aux mouvements de gauche, une grande partie dans la clandestinité, demande un énorme effort, qui doit être considéré comme un acte d’engagement à l’égard de l’histoire. Ainsi, pour tracer les grandes lignes de cette biographie, le chercheur a débuté avec le visionnage du documentaire Vale a pena sonhar2 et la lecture des autobiographies d’Apolônio et de Renée France de Carvalho, sa compagne, elle-même une militante née en France3. Il décrit tout d’abord le contexte social dans lequel les parents d’Apolônio ont vécu et l’entrecroise avec la situation politique et économique du Brésil des premières décennies du 20^e siècle. Puis il présente le processus d’engagement dans les mouvements de gauche au Brésil, d’abord à l’Alliance nationale de libération (ANL), puis avec le Parti communiste du Brésil (PCB). Dans un troisième moment, l’engagement dans la lutte armée est retracé, notamment en Espagne puis en France (1937-1944). Afin de bien évoquer ce moment de la vie d’Apolônio, l’expérience militante avec les Brigades internationales puis avec les Francs-tireurs et partisans – Main-d’œuvre immigrée (FTP-MOI) –, l’auteur s’est appuyé sur de nombreuses sources, telles les archives de l’Internationale communiste ou du site RGASPI4, mais également des témoignages des anciens partisans. Néanmoins, si de nombreuses informations sont disponibles, les problèmes de la concordance entre elles ont été un véritable défi. Il a fait face aux contradictions entre le récit du Brésilien et ceux d’autres partisans. Les chapitres consacrés aux années 1945-1964 abordent les temps de doutes d’un militant expérimenté, qui s’interroge sur le rôle des partis révolutionnaires dans la société brésilienne et celui des militants au sein de ces partis. Les pages suivantes traitent du coup d’État militaire et de la dictature au Brésil (1964-1973), d’un exil douloureux commencé en Algérie puis en France (1970-1979), et de la difficulté d’être un homme et un militant loin de son pays et de sa famille. Des entretiens avec différents militants ont permis de surmonter le silence des sources autour de l’exil. Selon Alain Viguier, ce sont ces beaux souvenirs qu’Apolônio a laissés autour de lui qui ont permis de connaître cette histoire encore méconnue. Enfin les derniers chapitres, avec des sources journalistiques majoritairement issues de la presse de gauche, sont consacrés à son retour au Brésil après la signature de l’amnistie (1979-1980), son adhésion au Parti des travailleurs (PT) et l’élection de Lula (2001).

• 5 Alain Viguier, La Puissance de l’espoir Apolônio de Carvalho : Les combats d’un internationaliste - (...)
• 6 Michelle Perrot, Mélancolie ouvrière, Paris, Grasset, 2012 ; Serge Wolikow (dir.), Écrire des vies. (...)

3Alain Viguier précise dans l’introduction son objectif, « restituer à des lecteurs français la richesse de l’engagement politique internationaliste d’Apolônio de Carvalho, qui, connu au Brésil, ne l’est guère en France5 ». Il suit ainsi une ligne engagée d’histoire sociale. Les questions relatives à la situation politique et économique orientent le récit biographique. Le lecteur découvre également quelques-unes des lectures qui ont formé la pensée de gauche du militant brésilien, de même que les moments de doute et les déceptions. On suit la maturation de l’homme et du militant au sein de son parti et même de sa famille, on découvre sa sensibilité. Cette recherche vise-t-elle à participer à une forme d’histoire socioculturelle, comme Michelle Perrot a pu la développer dans son livre sur la vie de la militante Lucie Baud6 ?  Possiblement. Alain Viguier entrelace l’histoire d’une vie et la décision de lutter pour un monde plus juste. À partir de ce thème de croire/lutter pour une société meilleure, le chercheur nous invite donc à réfléchir sur l’idée de restitution.

• 7 Alain Viguier, op. cit., p. 27.
• 8 En particulier dans les États de Rio de Janeiro et de São Paulo. Il nous semble important de soulig (...)

4Selon les mots d’Alain Viguier, Apolônio de Carvalho était « un homme de son temps. (…) Il avait été capable de vivre et mourir pour leur cause, par la fidélité à la classe ouvrière internationale7 ». Il fut célébré par Jorge Amado comme le « héros des trois patries ». Le peintre brésilien Cândido Portinari, un autre personnage connu pour son engagement, accepta d’être le messager de la lettre qui donna le droit à Apolônio de rentrer au Brésil. Après sa mort en 2005, des rues et une école publique ont été baptisées à son nom8. Cependant, même si des hommages ont été rendus dans le but d’inscrire son nom dans la mémoire de la lutte démocratique et sociale, une grande partie des Brésiliens ignorent cette histoire. D’une certaine manière, sa vie demeure une mémoire générationnelle restreinte aux intellectuels et aux militants de gauche. Ainsi, l’effort d’Alain Viguier pour diffuser cette histoire en France devrait également être entrepris au Brésil. Peut-être qu’une traduction serait un pas dans ce sens, ou même faire une bande dessinée qui pourrait être utilisée dans les écoles publiques. Qui sait ? Pour Apolônio, l’éducation critique a toujours joué un rôle primordial dans la formation des hommes.

• 9 Cf. Pierre Bourdieu, « L’illusion biographique », dans Actes de la recherche en sciences sociales, (...)
• 10 Cf. Cécile Vidal, « Pour une histoire globale du monde atlantique ou des histoires connectées dans (...)

5Le livre est agréable à parcourir et permet à la fois de découvrir le militant, de même que les enjeux politiques et le contexte des luttes armées. L’amitié entre ces deux hommes, leurs engagements communs, cette proximité du biographe avec son sujet, posent un défi méthodologique relevé par Alain Viguier9. Si, dans le cadre des lectures académiques, Alain Viguier s’appuie presque exclusivement sur des études françaises, la force de sa recherche réside dans le caractère atlantique10 qu’elle embrasse.

• 11 Vale a Pena Sonhar - A vida de Apolônio de Carvalho, op. cit.

8« Pour vivre, il faut mériter de vivre. La vie est une chose extraordinaire ! C’est un don et elle doit être valorisée. Et pour cela, il faut avoir un idéal de vie pour l’améliorer et améliorer la société. » 11