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2En trois parties et huit chapitres, cet ouvrage propose plus précisément de « déconstruire un récit souvent trop simpliste » de ces luttes. L’auteur s’appuie sur des sources marginalisées par les acteur·trices de l’époque comme par les historien·nes – des récits autobiographiques, des sources orales de militant·es radicaux et des photographies produites par ces dernier·es en dehors des canaux médiatiques traditionnels de l’époque – et joue avec les échelles, celles des parcours de vie et générations, des initiatives locales comme nationales. Il s’attache ainsi à restituer les « récits vaincus ou marginalisés, les voix discordantes qui ont été effacées du récit dominant ou bien déformées ». Ce sont alors les clivages – de classes, de genres, de stratégies – et la pluralité des objectifs visés par les Africain·es-Américain·es mobilisé·es sur la période – droits et participation civiques et politiques, justice sociale et économique – qu’il met ici en lumière, en restituant notamment la « portée radicale » de nombre de ces combats.

3Si la focale porte avant tout sur les vingt-cinq années entre 1945 et 1970, marquées d’abord par un climat politique maccarthyste délétère, puis l’accélération au cours des années 1950 du Mouvement des droits civiques, avant la radicalisation de militant·es la décennie suivante, l’analyse débute durant les années 1930 lors de la période du New Deal. La première partie, intitulée « Noirs et rouges, les Soviets en Amérique », propose en effet de revenir d’abord sur les revendications communistes de militant·es africain·es–américain·es des années 1930, « génération radicale et pionnière pour le combat des droits civiques » et forgée dans les contextes de la Grande dépression puis de la Seconde Guerre mondiale et de la guerre froide. Après un premier chapitre de contextualisation, ce sont ainsi les parcours militants des communistes Hosea Husdson et Harry Haywood, puis de l’intellectuelle Esther Cooper Jackson qui sont analysés. La deuxième partie, « Qui gardera les enfants ? Le mouvement au féminin » s’intéresse aux mobilisations des Africaines-Américaines spécifiquement, dont le militantisme fut doublement contraint par la chasse aux sorcières menée à travers le pays et par le patriarcat, dont les associations africaines-américaines, dominées par les hommes, n’étaient pas exemptes, comme l’analyse ici l’auteur. Leur invisibilisation sur le terrain comme dans les récits historiques dominants est en premier lieu discutée. La photographie, comme « lieu d’affrontement », à la fois militant et mémoriel, est ensuite analysée. L’auteur revient notamment sur les stéréotypes véhiculés et la déformation du parcours militant de Rosa Parks à travers le portrait iconique de la militante « respectable », « inoffensive et figée » réalisé dans le bus et publié à la suite de la victoire du boycott des transports publics de Montgomery en 1955-1956. Il le met en miroir avec celles, « effrayantes » et « virilisées », du Black Power. Ce sont ensuite les parcours militants de Rosa Parks et d’Anne Moody qui servent l’analyse de contre-récits féminins. La troisième et dernière partie, « Les années radicales : Du SNCC au Black Power », propose enfin de revenir sur la radicalisation de militant·es africain·es-américain·es, particulièrement celles et ceux évoluant au sein de l’association SNCC comme John Lewis, Fanny Lou Hamer ou Stokely Carmichael. On retrouve au fil des chapitres les parcours militants d’autres figures incontournables comme Ella Baker ou Bob Moses, ainsi que des passages de contextualisation clés. L’ouvrage s’achève sur quelques réflexions sur la présidence Obama et le mouvement Black Lives Matter, et sur les formes contemporaines de discriminations dans l’exercice du droit de vote des minorités raciales.

4C’est ainsi une véritable histoire incarnée de celles et ceux animé·es par la volonté de transformer en profondeur les structures raciales et sociales de la société étatsunienne qu’Olivier Mahéo nous propose. Son récit, clair et riche en anecdotes peu connues du grand public, va au-delà de l’opposition binaire fréquente entre idéaux intégrationnistes et radicalité : il interroge la fabrique d’une « mémoire consensuelle » de ces luttes.

7Enfin, on aurait souhaité que l’ouvrage dialogue davantage avec Black America, qui s’était déjà attaqué à la chronologie du mouvement, aux acteur·trices marginalisé·es, à la géographie des luttes, aux clivages internes et à la relecture d’événements historiques connus comme celui du bus impliquant Rosa Parks. On appréciera toutefois l’ouvrage d’Olivier Mahéo pour l’impressionnante historiographie des mouvements noirs ici mobilisée et synthétisée, ainsi que pour la remarquable plongée, via un corpus de sources primaires riche et varié, dans la complexité du groupe africain-américain et de ses luttes, sur le temps long et dans une multitude de contextes étatsuniens.