1L’ouvrage de Daniel Finn se démarque de la littérature foisonnante au sujet des « troubles » en Irlande du Nord et sur l’évolution du républicanisme par sa concision, sa prise de recul sur les événements, mais aussi une analyse personnelle des événements qui ont entouré l’évolution du Sinn Féin et de l’IRA. Daniel Finn, par sa clarté et la juste sélection de l’information, rend ce sujet accessible aux non-spécialistes de la question nord-irlandaise et montre d’emblée la dualité du mouvement républicain irlandais. Par la poudre et par la plume. Histoire politique de l’IRA, visiblement le fruit de ses recherches de doctorat, décrit la guérilla menée par le principal acteur du conflit nord-irlandais, l’IRA, contre l’un des États les plus puissants d’Europe. Il analyse l’évolution de la lutte armée de l’Armée républicaine, le développement d’une stratégie politique et les facteurs qui ont motivé l’apparition de différents courants en son sein. Il démontre comment le mouvement républicain s’est peu à peu transformé en un parti politique de gauche, à la fois au nord et au sud de l’île d’Irlande.

2En introduction, Daniel Finn borne chronologiquement son analyse entre les premières manifestations pour les droits civiques dans la province, en 1968, et la signature de l’Accord de paix dit « du Vendredi Saint », en avril 1998. Il revient néanmoins sur certains moments clés de l’histoire irlandaise, de la fin du 18^e siècle au début des années 1960. Il explicite la dualité du mouvement républicain, dont les composantes principales (une branche armée clandestine et un parti politique) étaient officiellement séparées, mais souvent dirigéEs par les mêmes personnes. L’auteur évoque également l’orientation « à gauche » du parti Sinn Féin et comment, sous l’influence du marxisme, les républicains ont abordé les questions fondamentales de la lutte pour l’indépendance nationale tout en proposant un projet pour la classe ouvrière. Face aux évolutions récentes, avec les victoires politiques significatives du Sinn Féin en Irlande du Nord, Finn se garde d’émettre des spéculations sur l’avenir. Son travail entend se centrer, de manière assez logique, sur les figures marquantes que sont Gerry Adams, Martin McGuinness et Danny Morrison. Il précise également les implications de la terminologie qui désigne l’Irlande du Nord, que l’on se place du côté républicain/nationaliste ou unioniste/loyaliste (« le Nord » pour les premiers, car ils contestent la légitimité de l’appellation « Irlande du Nord » préférée par les seconds). Il déclare utiliser indifféremment les deux, dans la mesure où l’Irlande du Nord existe sous sa forme actuelle depuis plus d’un siècle et qu’il n’y a plus de raison de refuser son titre officiel. C’est là l’un des rares auteurs spécialistes de l’Irlande du Nord à se positionner de la sorte sur la question et surtout à ne pas faire de distinction entre ces deux termes.

3L’ouvrage est divisé en trois parties chronologiques et dix chapitres : un aperçu de l’histoire irlandaise et de la genèse du mouvement républicain, avec l’évocation d’événements et de personnages marquants du républicanisme entre le 18^e siècle et les mouvements pour les droits civiques en Irlande du Nord ; les trente années de « troubles » (1968-1998) en Irlande du Nord et les tentatives de mettre fin à la violence par le processus de paix nord-irlandais ; puis la période de 1998 à 2020.

4La première partie, extrêmement dense en termes d’informations, revient sur les événements et personnages marquants associés à la lutte républicaine : l’insurrection manquée de Wolfe Tone, violemment réprimée par le pouvoir britannique (1798) ; la campagne de Daniel O’Connell pour l’abrogation de l’Acte d’Union de 1801 ; la formation de l’Irish Republican Brotherhood (1858) ; et bien sûr les Pâques sanglantes de 1916 (Easter Rising) aujourd’hui encore commémorées par la communauté nationaliste. Il revient aussi sur les élections de 1918, qui ont permis au Sinn Féin sa première victoire électorale et aborde la Guerre d’Indépendance irlandaise (1919-1921) au cours de laquelle la nouvellement formée Irish Republican Army (IRA) mit en œuvre ses tactiques de guérilla. Il évoque les répercussions du traité de 1921, ayant donné lieu à la partition de l’Irlande en deux entités distinctes, à savoir : la guerre civile irlandaise et la division du Sinn Féin et de l’IRA sur la question de la partition de l’île, division qui affaiblit grandement le mouvement républicain.

5Les discriminations en Irlande du Nord à l’encontre de la communauté catholique d’Irlande du Nord sont décrites, entre 1921 et la campagne pour les droits civiques dès 1969. Posant ainsi les bases du conflit nord-irlandais, Daniel Finn propose ensuite une analyse personnelle des « troubles » en Irlande du Nord et des différentes tentatives de résolution de ce conflit, à travers le prisme de l’évolution du mouvement républicain.

6Après ce cadrage historique, Daniel Finn propose une analyse des événements marquants des « troubles » en Irlande du Nord, des tentatives de résolution et de l’implication des républicains dans ces événements, implication qui sera d’ailleurs à l’origine de leur évolution. L’auteur jalonne son récit de témoignages des acteurs principaux du mouvement pour les droits civiques, des membres du mouvement républicain, mais aussi des dirigeants nord-irlandais et britanniques. Il propose ainsi une vision « de l’intérieur » du conflit.

8Comme de nombreux auteurs avant lui, Daniel Finn évoque la division du mouvement républicain (en 1969) entre Provisoires (Provos) et Officiels. Il désigne la lutte armée comme le point d’achoppement déterminant et cite Gerry Adams afin de rendre compte des aspirations des deux courants.

9Les événements marquants du début des années 1970 dans la Province sont évoqués à la lumière de l’implication des deux branches du républicanisme et de la nouvelle force politique nationaliste modérée, le Parti social démocratique et travailliste (SDLP). L’auteur aborde la dégradation des relations entre l’armée britannique et la communauté nationaliste, puis montre comment la saison des défilés orangistes dans la Province mit le feu aux poudres. Il présente le couvre-feu de Falls Road et le tristement célèbre massacre du Bloody Sunday à Derry comme les décisions militaires qui eurent les plus graves conséquences dans la Province et démontre comment l’internement de suspects sans jugement préalable, en réponse à la violence de l’IRA envers l’armée britannique au début des années 1970, conduisit à l’escalade dramatique de la violence.

10Il propose également une analyse détaillée des origines du Bloody Sunday en janvier 1972 ayant précipité la fin de « l’État orangiste ». Loin de se contenter de simplement rappeler les faits, de ce jour où l’armée britannique tira sur une foule de manifestants pacifistes nationalistes, il propose de trancher sur la question de la responsabilité en s’appuyant sur les deux rapports d’enquête sur les événements : le rapport Widgery (1972) et le rapport Saville (2010). Aussi, afin de mettre ces événements en perspective avec l’évolution du mouvement républicain, l’auteur évoque la priorité donnée à l’action politique, le « plan de paix » présenté par les Provisoires (en secret) au gouvernement britannique et l’importance grandissante de Gerry Adams et de Martin McGuinness au sein des républicains. Il rappelle toutefois que, faute de branche politique, « les Provos » n’avaient à ce moment d’autre choix que de continuer la guerre, pour l’idéal d’autodétermination et la réunification irlandaise.

11Avec toujours le soin de citer les membres des deux courants du républicanisme, ainsi que d’autres figures politiques marquantes, avec nombre de détails sur la vie des habitants des quartiers nationalistes de Belfast, Daniel Finn parvient à dresser le paysage quasi cinématographique de ce qu’étaient les conditions de vie terribles de la population catholique au début des années 1970. Une époque marquée, d’une part, par une radicalisation politique unioniste qui trouve son écho dans de violentes campagnes paramilitaires loyalistes et, d’autre part, par la guerre fratricide entre les deux IRA (Officielle et Provisoire). À l’issue de ces affrontements intracommunautaires, qui coûtent la vie à des membres importants de l’IRA Officielle, les républicains Provisoires s’imposent comme le groupe principal de résistance à l’État britannique.

12Comme l’ont fait nombre d’autres spécialistes de la question nord-irlandaise et du mouvement républicain auparavant, Daniel Finn relate comment, entre la deuxième moitié des années 1970 et le début des années 1980, le Sinn Féin (provisoire), « une pâle ombre de l’IRA », s’engage sur la voie électorale et comment le mouvement républicain fait progressivement évoluer sa stratégie de lutte armée exclusive vers une double stratégie à la fois militaire et politique. L’auteur évoque les tristement célèbres grèves de la faim des prisonniers républicains à la prison de Maze et la victoire du gréviste Bobby Sands aux élections partielles à Westminster de 1981 – il décède en prison peu après. Cette nouvelle stratégie et l’abandon de l’abstentionnisme politique avaient été soigneusement préparés par Gerry Adams plusieurs années auparavant. L’auteur associe d’ailleurs volontiers Adams à la réorganisation de l’IRA à cette époque – rappelons qu’Adams a toujours démenti toute activité au sein du groupe paramilitaire.

13Grâce à un usage habile de sources internes, Daniel Finn montre comment le trio Adams-McGuinness-Morrison, puis le duo Adams-McGuinness, de concours avec l’influence capitale du leader nationaliste John Hume sur Gerry Adams, a su faire évoluer la stratégie républicaine vers un assouplissement de ses principes fondamentaux, jusqu’à envisager un arrêt de la lutte armée. Il explicite la complexité de ce dernier point, ainsi que le principe de prise de position conjointe du Sinn Féin et de l’IRA ayant fait du cessez-le-feu républicain et de l’acceptation des Accords de paix de 1998 un travail de très longue haleine, qui a nécessité un effort de négociation considérable de la part de Gerry Adams dans les rangs républicains. Ce dernier point est d’ailleurs traité avec une concision et une clarté remarquable par l’auteur. Il s’attache à montrer, avec une réelle habileté, le lien entre l’évolution de la pensée républicaine, la formation d’un front pan-nationaliste par John Hume et Gerry Adams, et l’essence même des textes fondateurs du processus de paix nord-irlandais. Il aborde les complexités qui ont entouré les tentatives de cessez-le feu républicain, puis du désarmement de l’IRA, et explique comment, dans un contexte de résolution du conflit nord-irlandais, la prise de conscience que la lutte armée ne permettrait pas d’atteindre l’objectif final des républicains s’est finalement imposée. Il n’omet pas d’évoquer la difficulté pour Gerry Adams à maintenir l’unité du mouvement républicain sur la base d’un nouveau programme révisionniste dans les années 1990. Il attribue ce tour de force à la coopération avec Martin McGuinness, qui permet la convergence de l’IRA et du Sinn Féin, laquelle a été cruciale pour l’unité du mouvement.