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Cet ouvrage extrêmement utile, sous-titré « L’éducation du peuple à l’ère des révolutions, 1815-1870 », aborde, après son introduction, la Restauration dans un premier chapitre, la monarchie de Juillet et la Seconde République dans les deux suivants, se clôt sur le Second Empire, avant de proposer un inventaire des sources et un index.

Aujourd’hui, l’« éducation populaire » est à la mode et louée par tous, mais elle recouvre des réalités très variées : alphabétisation des adultes, rattrapage, cours professionnels, formation permanente, conférences culturelles, formation politique et syndicale ou même religieuse, vulgarisation scientifique, ateliers artistiques pour amateurs, ciné-débats, bibliothèques populaires, sociétés diverses, « émancipation ouvrière », etc. De nombreux livres et articles (notamment de Carole Christen, maîtresse de conférences à l’université de Lille) se sont attachés ces dernières années à en écrire l’histoire. Cette contribution se concentre sur les « cours du soir », après l’Empire et avant la III^e République. C’est un exercice difficile, au vu de la rareté des sources et de leur dispersion. Ces cours relèvent d’initiatives diverses : associatives, religieuses, municipales, plus rarement nationales ; en outre, les participants des milieux populaires n’ont guère eu l’occasion de passer des diplômes, de conserver leurs notes ou d’écrire leurs mémoires ; quant aux statistiques, quand elles existent, elles sont biaisées.

Les cours du soir peuvent avoir divers objectifs : savoir lire, écrire et compter ; parfaire ses connaissances professionnelles avec le dessin, la mesure, la mécanique, la chimie ; promouvoir l’hygiène publique. Mais les thèmes sont très divers, comme la « morale », qui peut signifier aussi bien inculquer des raisons de soumission, ou contester les pouvoirs en place, voire se préparer à les renverser. On croise alors des personnages célèbres très différents : le baron de Gérando, Charles Dupin, Martin Nadaud, Hippolyte Carnot ou Victor Duruy. Différents groupements ont joué un rôle important dans cet ensemble, comme la Société pour l’instruction élémentaire, l’Association polytechnique, créée dès août 1830, l’Association libre pour l’éducation gratuite du peuple, scission de la précédente en juin 1831, les Frères des écoles chrétiennes, qui existaient avant la Révolution, l’Association philotechnique, née le 29 mars 1848, mais aussi les instituteurs, les municipalités et les conseils généraux. Ces cours pour adultes, c’est-à-dire de plus de 15 ans, ne sont pas strictement indépendants de l’enseignement aux enfants, puisque ce sont souvent les instituteurs qui les assurent.

L’autrice nous fait naviguer dans des milieux divers sur plus d’un demi-siècle. L’ouvrage peut être regardé selon plusieurs diagonales : chronologique et politique (avec notamment les évolutions de la surveillance et de la répression), économique, morale (très souvent explicite dans les initiatives, religieuses ou socialistes, d’instruction et d’éducation), sociale (tant en ce qui concerne les situations des auditeurs que les conditions de ceux qui enseignent, souvent bénévolement), mais aussi par rapport aux biographies individuelles. Picorons ainsi quelques exemples.

L’aspiration à une élévation du niveau d’instruction du peuple au 19^e siècle est évidemment à mettre en regard avec l’histoire de l’enseignement initial primaire et technique, qui sont liés, ses stagnations ou régressions sous la Restauration, ses avancées heurtées pendant la monarchie de Juillet et le Second Empire. Côté capitalistes et gouvernements, on souhaite souvent un certain décollage en matière de connaissances techniques, en particulier face aux besoins de l’industrie et à la concurrence, surtout britannique. Le Second Empire n’encourage les cours du soir qu’à partir du début des années 1860, en lien avec les traités de libre-échange avec la Grande-Bretagne, la Belgique et le Zollverein des États allemands. Mais on ne veut pas que les ouvriers en sachent trop, au risque de les pousser à des revendications de carrière, ou d’exercer leur esprit critique. D’où diverses alternances d’encouragements souvent modestes, de surveillance (à cause aussi des réunions subversives avant et après les cours), de pressions sur les contenus exposés (cours interrompus sur l’ordre du préfet de police, suppression des cours d’histoire et d’hygiène populaire). La période 1831-1834, après l’enthousiasme de courte durée qui a suivi la révolution de Juillet, est instructive, on se délectera notamment du rapport de police du 5 juin 1831.

Les contradictions entre le clergé, les instituteurs laïques – en général communaux – et les associations traversent également l’ouvrage. Elles portent sur les objectifs, mais aussi sur les méthodes, par exemple entre les partisans de l’enseignement mutuel et ceux de l’enseignement simultané. Les objectifs sont différenciés suivant qu’il s’agit des hommes ou des femmes. Pour les premiers, « le temps qu’il consacre ainsi à cultiver son esprit, il le dérobe à l’oisiveté ruineuse et dissolvante des cafés ». Si on promet dans l’abstrait la nécessité d’une meilleure instruction pour les femmes, on n’oublie pas en général qu’elles doivent rester à leur place, qui n’est pas la première. Le livre nous permet aussi de faire la connaissance de personnages moins connus, mais très impliqués dans les cours du soir : l’instituteur Albert Laponneraye (1808-1849), Victor Lechevalier (1795-1871) ou Nicolas Perron (1798-1876).

Son index (partie l) des noms de personnes et ses « Sources », uniquement les sources « primaires » manuscrites et imprimées, sont très utiles. Il est dommage que l’éditeur n’ait pas inclus une bibliographie cumulative des sources secondaires : les références en note de bas de page engendrent des cascades d’« op. cit. » qui renvoient à une référence difficile à retrouver. Cet ouvrage fort intéressant apporte de nombreuses informations de qualité, au plus près de la vie quotidienne des travailleurs.