Laurence Druez, Xavier Rousseaux (dir.), Scènes de crimes. La photographie policière, témoin de l’enquête judiciaire
Laurence Druez, Xavier Rousseaux (dir.), Scènes de crimes. La photographie policière, témoin de l’enquête judiciaire, Bruxelles, Racine, 2023, ISBN : 978-2-39025-237-5
Full text
1Coordonné par l’historien Xavier Rousseaux et Laurence Druez, archiviste aux Archives de l’État de Liège, Scènes de Crimes rentre dans la catégorie des « beaux-livres », que ce soit par son format ou par la place de l’iconographie en son sein. L’objectif de cet ouvrage collectif est de faire connaître et valoriser une collection de photos prises par le laboratoire de police technique et scientifique de la police judiciaire de Liège (Belgique). Celle-ci a été récemment transférée aux Archives de l’État, à la suite du déménagement du service de police de l’ancien palais des princes-évêques de Liège – son siège historique depuis sa création dans l’immédiat après Première Guerre mondiale – vers des locaux plus modernes et fonctionnels.
2À travers des photographies de crimes, de lieux d’accidents, de victimes ou de suspects, l’ouvrage de Rousseaux et Druez interroge l’histoire de l’expertise policière ainsi que son rôle lors des phases successives de l’enquête judiciaire depuis la fin du xixe siècle. Depuis cette époque, l’enquête policière se fonde de plus en plus sur l’idée de progrès et de modernité scientifique. Les auteurs démontrent comment la photographie constitue un support toujours plus utilisé de la science criminalistique. Elle est primordiale dans sa quête de la compréhension de modus operandi de l’événement, puis dans la recherche de son auteur. Le livre dresse d’abord les grandes étapes de cette conception scientifique de l’enquête, il propose ensuite une analyse de ce que révèlent ces photos des transformations de la société belge.
3L’intérêt de la démarche éditoriale tient aux caractéristiques de la collection photographique du laboratoire de police technique et scientifique de Liège. Son ampleur en est le premier élément remarquable, puisque la série compte près de 100 000 clichés pris entre 1923 pour les plus anciens et 1988 pour les plus récents. Les chercheurs ont en fait à leur disposition une série intégrale, continue, des photos produites par ce laboratoire. C’est presque une anomalie de conservation des documents à laquelle les archivistes ont été confrontés, tant les risques de perte ou de destruction (volontaire ou non) étaient importants depuis près d’un siècle. La conservation des registres de cette immense collection de photographies, permettant la documentation des clichés par les « métadonnées » qui y sont consignées pour chacun de ceux-ci représente un second trait exceptionnel de la collection. Enfin, les sujets même des photos conservées ouvrent la porte à des recherches multiples. Si on y retrouve évidemment des photos policières et judiciaires classiques et donc de plus en plus « normées » (scènes de crimes, reconstitutions, photographies d’identification), de nombreuses photos plus ordinaires s’y retrouvent. Elles représentent les policiers du service, les techniciens du laboratoire. Elles ont été prises, notamment dans les locaux du laboratoire, dans le cadre de tests ou d’essais techniques de nouveaux matériels. Ces tirages constituent alors, pour l’historien, autant de portes d’entrées sur le quotidien de la police, son équipement, ses installations, ses manières de travailler.
4Les éditeurs du livre ont fait le choix de multiplier les approches et points de vue autour de cette collection photographique. Par ce biais, ils cherchent autant à comprendre les multiples fonctions de l’image dans la procédure judiciaire d’alors (fixer une réalité éphémère et la pérenniser, faire preuve, constituer des fichiers de traces, permettre une analyse ultérieure) que son utilité pour la recherche contemporaine.
5Au-delà de la présentation de la source et des enjeux techniques de la photographie ancienne, une première série de contributions interroge l’histoire de la police technique et scientifique dans une perspective internationale. Redéfinissant les grandes étapes et débats du développement des sciences forensiques, le propos n’est sans doute le plus inédit pour le spécialiste. On soulignera pourtant l’intérêt des deux textes synthétiques sur la Belgique (Welter, Somer et Rousseaux d’une part, Rossion et Doyen de l’autre), espace pour laquelle l’historiographie restait encore éparpillée et parcellaire. Ces articles de fonds sont entrecoupés d’encarts qui présentent brièvement les grands noms des pionniers de la criminalistique (belges et étrangers), l’histoire de l’anthropométrie ou qui cherchent à identifier les plus anciennes photos existantes de détenus.
- 1 Soulignons également la présence d’une préface cosignée par la médiatique Anne Gruwez, juge d’instr (...)
6D’autres textes s’essaient à tisser un dialogue entre le fonds photographique et son espace géographique. Entre tendances lourdes et affaires particulières, il s’agit alors d’interroger sur le temps long l’exercice de la justice dans la région liégeoise (Wilkin) ou la situation sécuritaire dans des moments paroxystiques, comme autour de la Seconde Guerre mondiale (Kesteloot, Colignon). Un troisième axe, particulièrement riche, utilise les photos comme autant de portes d’entrée pour aborder des réalités dépassant le seul domaine criminel : approches du quotidien par l’analyse de ce qu’elles révèlent des intérieurs des habitations (Charpy), de l’urbanisme (Brück) ou des dynamiques locales, notamment autour d’une série de photos prises suite à un accident de la route (Artières). Enfin, la parole est donnée à propos de cette collection à des praticiens contemporains. Les auteurs apportent alors leur regard expert, professionnel, sur les sources. Ils proposent une interprétation de celles-ci ancrées dans leurs pratiques et leur quotidien1. Philippe Boxho propose un dialogue entre une série de photos des années 1950 et son expérience de médecin légiste, tandis qu’une interview du commissaire Simon, chef du service de Police technique et scientifique de la Police judiciaire fédérale de Liège offre un exercice similaire, interrogeant les fondements et les transformations de l’expertise policière.
7Scènes de crimes est donc un livre pluriel dans ses approches et le public qu’il peut intéresser. Au premier rang, on pense d’abord à l’historien, au chercheur en science humaines qui y trouvera matière à réflexion sur les régulations, l’expertise scientifique, la lente professionnalisation de de l’ordre ou les méandres de la société belge. En même temps, c’est un livre qui se destine également à une audience plus large ou à un public averti. Ces personnes y trouveront un ancrage local, un regard sur le passé sur leur profession qui ne pourra que leur plaire.
8Le livre recèle les qualités et les limites de ce double exercice. Par la présentation de l’histoire de l’expertise policière dont la photographie est une technique centrale et un support omniprésent, le livre offre sans conteste un aperçu riche et stimulant pour comprendre de quoi est constitué le travail de l’ombre de l’enquête policière au service de l’exercice de la Justice ; comment l’enquête est influencée par la conception du droit, les progrès scientifiques, la personnalité des enquêteurs, les rapports entre acteurs privés et pouvoirs publics, mais aussi les contraintes financières et matérielles d’administrations publiques. La seule perspective d’histoire intellectuelle de la criminologie et de la criminalistique est ainsi inscrite dans une perspective plus globale. Avec sa chronologie notamment marquée par les deux occupations, la situation belge est révélatrice et exemplaire d’une dynamique transnationale plus large dont le livre complète utilement l’historiographie. Les contributions rassemblées n’épuisent pas le sujet : l’analyse doit être systématisée. On s’étonne notamment du faible usage des photos des années 1970-1980 dans les articles réunis. Le livre se caractérise également par la richesse méthodologique de son propos, soulignant les apports de l’analyse visuelle et photographique pour de nombreux champs de la recherche. Au-delà des quelques instantanés proposés dans les contributions, son apport principal est ici de susciter l’intérêt pour des recherches futures au sein de la collection de Liège, au profit de multiples problématiques en histoire sociale, culturelle ou matérielle.
9La richesse et la qualité de l’iconographie constitue naturellement un autre point remarquable. Nombreuses, les reproductions photographiques sont généralement de grand format et d’excellente qualité. Majoritairement mobilisées au cœur des articles, ce ne sont pas seulement des illustrations « annexes », déconnectées du propos. On pourrait seulement regretter des légendes parfois (trop ?) réduites. Celles-ci auraient pu proposer plus de pistes au lecteur pour qu’il puisse décoder, déconstruire et interpréter les images au-delà d’un seul énoncé descriptif et factuel. À l’échelle des regrets, on soulignera aussi les notes de fin de volume qui, au vu du format adapté, ne sont pas aisément consultables. L’équilibre entre « beau livre » devant permettre une consultation aisée et monographie scientifique, proposant un équilibre entre une synthèse nécessaire de l’historiographie et nouveaux chantiers rencontre ici certaines de ses limites. Ces remarques ne sont pas seulement formelles, elles touchent également à la manière d’utiliser la publication, au-delà d’une seule consultation ponctuelle.
Notes
1 Soulignons également la présence d’une préface cosignée par la médiatique Anne Gruwez, juge d’instruction honoraire, rendue célèbre pour avoir été l’objet de deux reportages de l’émission Strip Tease (Le Flic, la Juge et l’Assassin en 2008, Madame la juge en 2012) et du film documentaire Ni Juge, ni Soumise réalisé en 2017 par Jean Libon.
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Bibliographical reference
Jonas Campion, “Laurence Druez, Xavier Rousseaux (dir.), Scènes de crimes. La photographie policière, témoin de l’enquête judiciaire”, Crime, Histoire & Sociétés / Crime, History & Societies, vol. 28, n°1 | 2024, 140-142.
Electronic reference
Jonas Campion, “Laurence Druez, Xavier Rousseaux (dir.), Scènes de crimes. La photographie policière, témoin de l’enquête judiciaire”, Crime, Histoire & Sociétés / Crime, History & Societies [Online], vol. 28, n°1 | 2024, Online since 09 September 2024, connection on 12 November 2024. URL: http://journals.openedition.org/chs/3607; DOI: https://doi.org/10.4000/12a7p
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