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Comptes rendus

Elsa Génard, Mathilde Rossigneux-Méheust (dir.), Routines punitives. Les sanctions du quotidien. XIXe-XXe siècle

Paris, CNRS Éditions, 2023, 408 p.
Vincent Mazy
p. 145-148
Référence(s) :

Elsa Génard, Mathilde Rossigneux-Méheust (dir.), Routines punitives. Les sanctions du quotidien. XIXe-XXe siècle, Paris, CNRS Éditions, 2023, 408 p., ISBN : 9782271133113

Texte intégral

1Aujourd’hui, de plus en plus, les questions punitives au sein des institutions fermées retrouvent une place au cœur des débats publics contemporains. Les conditions de détention déplorables, les mauvais traitements, les abus d’autorité, les risques de déshumanisation sont autant d’éléments qui soulèvent des interrogations fondamentales autour de l’efficacité et de l’éthique des pratiques disciplinaires dans ces établissements. Face à ces enjeux, il devient crucial d’approfondir notre compréhension de ces mécanismes punitifs, tant pour contribuer aux débats de société qui les entourent que pour envisager des solutions et réformes sur le long terme.

  • 1 Michel Foucault , Surveiller et punir. Naissance de la prison, Paris, Gallimard, 1975, p. 181, ci (...)

2C’est dans ce contexte que l’ouvrage collectif Routines punitives. Les sanctions du quotidien : XIXe-XXe siècle, publié à la fin de l’année 2023 aux éditions CNRS, se révèle particulièrement pertinent et novateur. Codirigé par Elsa Génard, récemment élue maîtresse de conférences en histoire contemporaine à l’université Sorbonne-Paris-Nord et Mathilde Rossigneux-Méheust, maîtresse de conférences en histoire contemporaine à l’université Lumière Lyon 2, le texte est le fruit d’un chantier long de plusieurs années, qui a rassemblé 18 auteurs et autrices autour de l’histoire sociale comparée des phénomènes punitifs et, plus particulièrement, de la question de la « micropénalité » en institutions en Europe du XIXe au XXe siècle. Cette notion, inspirée par les travaux de Michel Foucault, désigne les petites sanctions administrées quotidiennement dans les institutions pour « transformer, corriger et dresser les corps et les esprits »1. Micropénalités qui, bien que « anodines », jouent un rôle crucial dans la construction des relations d’autorité et la normalisation des comportements au sein de ces institutions.

  • 2 « Encadrer et punir, avec Elsa Génard et Mathilde Rossigneux-Méheust », sur Paroles d’histoire, d (...)

3En mobilisant à la fois une « jeune génération » d’historiens et d’historiennes2, qui ont clôturé leur thèse sur des institutions disciplinaires, ainsi que des spécialistes de l’histoire du travail, Routines punitives se distingue ici par une approche historiographique et méthodologique innovante autour d’une question cruciale : les établissements étudiés partagent-ils une capacité à dispenser des « micropénalités » et ce, dans quelle mesure ? Malgré une décentralisation évidente des sujets de recherche des auteurs et autrices de l’ouvrage, le croisement de leurs sources respectives montre une ampleur et une similitude frappantes, qui légitiment l’ambition de faire de la « micropénalité » une perspective de recherche en soi.

  • 3 Elsa Génard et Mathilde Rossigneux-Méheust, Routines punitives. Les sanctions du quotidien. XIXe- (...)

4La première partie de l’ouvrage, qui traite de l’administration des punitions, explore les sources de l’enregistrement de la « micropunition » dans diverses institutions. Dans le premier chapitre, Elsa Génard, Mathieu Marly, Pierre Porcher-Ancelle et Mathilde Rossigneux-Méheust examinent l’évolution de l’enregistrement des punitions dans les établissements militaires, scolaires, carcérales et d’assistance en France du XIXe au XXe siècle. Les auteurs et autrices mettent notamment en évidence la bureaucratisation de certaines pratiques disciplinaires pour normaliser la punition. Avec le deuxième chapitre, Marie Derrien et Anne Jusseaume se penchent quant à elles sur les phénomènes de « micropénalité » dans des couvents et des asiles d’aliénés en France entre les années 1830 et 1960. Elles y révèlent les méthodes répressives souvent masquées par l’administration de « soins », le terme « punition » étant rarement employé dans ces cadres3. Enfin, au sein du troisième chapitre, Elsa Génard et Mathilde Rossigneux-Méheust comparent les rythmes punitifs en prison et en maison de retraite au XXe siècle. Elles mettent en lumière comment la routine et le cadre institutionnel influencent la nature et la fréquence des sanctions et, par conséquent, le quotidien des institués.

  • 4 Ibid., p. 185.

5La deuxième partie de l’ouvrage s’intéresse aux répertoires punitifs. Elle s’interroge sur la manière de punir et dans quelle mesures ces répertoires peuvent être partagés entre différents milieux institutionnels. Le quatrième chapitre, rédigé par Benoit Majerus et Nicolas Picard, change de focale en proposant ici une étude centrée sur un objet de la pénalité – la camisole de force – dans des cas aussi variés que pertinents qui démontrent la multiplicité de son utilisation : hôpitaux bruxellois, police urbaine, condamnés à mort, … en Belgique et en France des XIXe et XXe siècles. Dans le cinquième chapitre, Marie Derrien et Elsa Génard examinent l’évolution de la punition cellulaire, depuis le cachot jusqu’à la chambre d’isolement, dans les établissements pénitentiaires et psychiatriques. Les autrices mettent en évidence le phénomène anachronique et dégradant de ces pratiques au sein de certaines institutions, alors même que les débats de société sur la pertinence de l’isoloir poussent de plus en plus à une réforme et une modernisation de son utilisation dans les méthodes punitives institutionnelles4. Enfin, le sixième chapitre, proposé par Irène Gimenez et Fanny Le Bonhomme, élargit la perspective en étudiant les rituels punitifs dégradants dans les contextes carcéraux et psychiatriques de l’Espagne franquiste et de la République démocratique allemande des années 1960 et 1970. À l’aune du régime politique autoritaire qui les pratique, ces mesures punitives exercent un contrôle strict sur les institués à travers trois types d’action distincts : l’isolement (par déplacement ou séparation de l’individu), la privation (de nourriture, de sortie, de traitement) et la contrainte (du corps, par violence, blessure ou restriction).

  • 5 Ibid., p. 273.
  • 6 Ibid., p. 317 et 321.

6La dernière partie se centre sur la question de l’empreinte punitive à hauteur de l’institution, tant sur les individus punis que sur ceux ou celles qui les administrent. Se pose alors la question de la conséquence, la circulation entre établissements et la mémoire de certaines pratiques de « micropénalité ». Avec le septième chapitre, Claire Barillé et Paul Marquis discutent comment la sanction est devenue un levier de professionnalisation pour le personnel hospitalier en France et en Algérie entre les années 1920 et 1950, dans une période marquée par une pression disciplinaire croissante sur le personnel dit « intermédiaire » des hôpitaux civils et psychiatriques, dans le cadre d’une modernisation et d’une laïcisation plus larges5. Le huitième chapitre, rédigé par Marie Derrien, Anne Jusseaume, Nicolas Picard et Mathilde Rossigneux-Méheust, se concentre sur la circulation des informations disciplinaires entre plusieurs établissements en France du XIXe au XXe siècle, expliquant les défis rencontrés par les administrations pour gérer et utiliser le parcours punitif de ces individus. Enfin, dans le neuvième et dernier chapitre, Irène Gimenez, Fanny Le Bonhomme et Amélie Nuq étudient la mémoire des petites punitions dans les contextes post-dictatoriaux en Espagne et en Allemagne de l’Est. Les autrices mettent en lumière comment ces expériences de punitions quotidiennes, bien que souvent éclipsées par les récits de répression politique plus larges6, jouent un rôle significatif dans la mémoire collective des individus institués.

  • 7 « Encadrer et punir, avec Elsa Génard et Mathilde Rossigneux-Méheust », sur Paroles d’histoire, d (...)

7Au-delà d’une lecture classique et problématisée de ces routines punitives, l’ouvrage se réinvente et propose une autre manière de parcourir l’histoire de la « micropénalité » en mettant l’accent sur des concepts clés mobilisés dans le texte : les « focus ». Ceux-ci, soigneusement sélectionnés et développés en fonction des chapitres, permettent une lecture d’autant plus accessible et instructive. Ils enrichissent la compréhension des pratiques punitives à travers des exemples concrets et bien documentés, notamment autour de la matérialité punitive et du savoir-faire institutionnel qui l’entoure7.

8En conclusion, Elsa Génard et Mathilde Rossigneux-Méheust proposent ici une contribution cruciale pour comprendre les mécanismes de la discipline dans les institutions fermées européennes des XIXe et XXe siècles. Cet ouvrage offre une analyse riche, nuancée et comparative des sources des pratiques punitives et de la « micropénalité », tout évitant minutieusement de tomber dans le piège de la surinterprétation des résultats de recherche. En comblant un vide historiographique significatif, les directrices de Routines punitives proposent une avancée majeure dans l’étude des sanctions quotidiennes, ouvrant ainsi des perspectives de recherche prometteuses. Les limites du projet sont d’emblée identifiées et justifiées. Elsa Génard et Mathilde Rossigneux-Méheust soulignent notamment les difficultés liées à la nécessité d’un réseau de chercheurs et chercheuses adéquat et prêt à investir autant de temps dans ce projet scientifique.

9Cependant, bien que raisonnable et raisonnée, l’absence d’une conclusion générale laisse un goût de trop-peu après la lecture de ce chantier considérable. Si les contraintes matérielles – imposant d’office une restriction des cas d’étude – sont manifestes, celles-ci piquent d’autant plus notre intérêt et nous poussent à nous interroger sur d’autres milieux qui auraient le mérite de contribuer à l’histoire de la « micropénalité », comme les espaces concentrationnaires, les camps de prisonniers et de travailleurs, ou encore la sphère coloniale. Autant de cas d’étude dont l’historiographie aura tôt fait – de toute évidence – de s’emparer dans les années à venir à la suite de cette ambitieuse recherche.

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Notes

1 Michel Foucault , Surveiller et punir. Naissance de la prison, Paris, Gallimard, 1975, p. 181, cité dans Elsa Génard et Mathilde Rossigneux-Méheust, Routines punitives. Les sanctions du quotidien. XIXe-XXe siècle, Paris, CNRS éditions, 2023, p. 8.

2 « Encadrer et punir, avec Elsa Génard et Mathilde Rossigneux-Méheust », sur Paroles d’histoire, disponible en ligne, consulté le 03/06/2024.

3 Elsa Génard et Mathilde Rossigneux-Méheust, Routines punitives. Les sanctions du quotidien. XIXe-XXe siècle, Paris, CNRS éditions, 2023, p. 73.

4 Ibid., p. 185.

5 Ibid., p. 273.

6 Ibid., p. 317 et 321.

7 « Encadrer et punir, avec Elsa Génard et Mathilde Rossigneux-Méheust », sur Paroles d’histoire, disponible en ligne, consulté pour la dernière fois le 03/06/2024.

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Pour citer cet article

Référence papier

Vincent Mazy, « Elsa Génard, Mathilde Rossigneux-Méheust (dir.), Routines punitives. Les sanctions du quotidien. XIXe-XXe siècle »Crime, Histoire & Sociétés / Crime, History & Societies, vol. 28, n°2 | 2025, 145-148.

Référence électronique

Vincent Mazy, « Elsa Génard, Mathilde Rossigneux-Méheust (dir.), Routines punitives. Les sanctions du quotidien. XIXe-XXe siècle »Crime, Histoire & Sociétés / Crime, History & Societies [En ligne], vol. 28, n°2 | 2025, mis en ligne le 19 mars 2025, consulté le 17 avril 2025. URL : http://journals.openedition.org/chs/3685 ; DOI : https://doi.org/10.4000/13im6

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Auteur

Vincent Mazy

UCLouvain, Larhis/CHDJ

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Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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