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Dossier

De la « loi à la main » à la loi dans la main

La mobilisation des cathédocrates portugais en faveur de la foi catholique
Oscar Ferreira

Résumés

Le processus de laïcisation au Portugal présente deux particularités expliquant la singularité de la mobilisation de ses juristes catholiques. La première est politique : afin de rattraper un supposé retard du Portugal, où le catholicisme était religion d’État (art. 6, Charte de 1826), la sécularisation du droit et des institutions fut opérée en quelques mois par la Première République (1910-1926). La seconde est académique. Jusqu’en 1913, le Portugal dispose d’une seule faculté de droit, à Coimbra Conspuée pour son conservatisme, elle a pourtant formé plusieurs dirigeants républicains, encouragés par des étudiants radicaux. Le discrédit de la Première République entraîne toutefois un regain de conservatisme dans les rangs estudiantins dès les années 1910. Plus actifs que les avocats et les clercs, ils se réunissent au sein du Centre académique pour la démocratie chrétienne (CADC) et initient la résistance juridique. Parmi eux se trouvent de futurs professeurs qui, à l’instar de Salazar, sont surveillés, voire poursuivis par les autorités républicaines. Au pouvoir à la fin des années 1920, ils bâtissent l’Estado Novo et atténuent certains traits de la sécularisation en imaginant un nouvel homo juridicus et en repensant le droit corporatif, sans toutefois la remettre en cause.

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Notes de l’auteur

Notre titre est un clin d’œil à la thèse de Romy Sutra.

Texte intégral

1 

  • 1 Il souligne. Les traductions sont nôtres.

« […] que le Portugal, poursuivant […] son entreprise de rédemption, organise sur des bases corporatives l’économie nationale et, rechristianisant, avec la prudence recommandée, ses mœurs et sa vie publique et privée, soit, dans cette extrémité de l’Europe, le rempart invincible et l’apôtre illuminé de la civilisation occidentale, tels sont les vœux que nous, jurisconsultes catholiques et portugais, devons formuler, en mettant nos capacités plus ou moins grandes au service de l’idéal chrétien […] » (Fezas Vital, 1938, p. 23)1.

2Formulés en 1938 par le professeur Domingos Fezas Vital (1888-1953) devant l’Associação dos Jurisconsultos Católicos Portugueses (AJCP), ces propos ne sauraient être commentés sans exposer les spécificités d’un pays périphérique qui, aux yeux de nombreux Européens traditionalistes, constitua le dernier rempart de l’Occident chrétien jusqu’en 1974. L’ère de la laïcisation au Portugal présente deux particularités expliquant la singularité de la mobilisation des juristes de la belle partie de la péninsule, à l’origine de l’Estado Novo fondé par le professeur de droit António de Oliveira Salazar (1889-1970).

  • 2 En omettant le travail opéré par les libéraux dès le premier xixe s. (Clemente, 1991).

3La première est d’ordre politique : elle tient autant à la célérité du changement, destiné à rattraper un supposé retard du Portugal, où le catholicisme est encore religion d’État (article 6 de la Charte de 1826)2, qu’à son principal promoteur, le professeur de droit Afonso Costa (1871-1937). Née à la suite à la révolution du 5 octobre 1910, la Première République opère d’emblée une profonde sécularisation du droit et de la société civile. Dans ses six premiers mois d’activité, son gouvernement provisoire lance une tempête de décrets : elle met fin aux fêtes, serments, symboles et ordres religieux, intime l’expulsion des jésuites et de tout ecclésiastique étranger, interdit aux clercs de se reconvertir dans l’enseignement, ferme la faculté de théologie et la chaire, pourtant régaliste, de droit ecclésiastique, abandonne la référence à « l’ère du Christ » dans les actes publics et sécularise le mariage, défini comme un contrat et non plus comme une institution. En quelques jours, les Portugais réalisent le programme accompli par les Français en un siècle, en laïcisant l’école, la famille, l’hôpital, l’administration et l’espace public ; le 22 avril 1911, ils couronnent l’ensemble avec une prétendue loi de Séparation, certes calquée sur la loi française de 1905, mais qui rajoute tant d’incises régalistes qu’elle en devient liberticide (Ferreira, 2013-2014).

  • 3 Fonction qu’il ne put assumer en raison de son exil puis de son décès. Il s’initia en 1905, semble- (...)
  • 4 Pour un aperçu de sa pensée juridique : Ferreira, 2022. Sur la réception de Rerum Novarum : Sardica (...)
  • 5 L’expression apparaît dans les débats parlementaires (Diário da Câmara dos Deputados, nº 138, 26 ju (...)
  • 6 Entretien accordé à A Entrevista. Sem Santo nem Sanha, nº 5, 3 décembre 1913, p. 77-78.

4De 1912 jusqu’au coup d’État militaire de 1926, l’auteur de la loi de Séparation, Afonso Costa, devient la « personnification de la République » aux yeux de la presse catholique (Pereira Paiva Alves, 2012, p. 249). Une figure controversée, qui aurait prononcé le 21 mars 1911, dans le cadre du Grémio Lusitano, vitrine de la franc-maçonnerie, son intention d’éliminer « en deux générations » le catholicisme au Portugal. Inventés ou non, ces dires profitent aux catholiques et à ses anciens collègues ou élèves de la faculté de droit coïmbrienne qui en font leur cible privilégiée. Costa prête de toute façon le flanc à la critique, en raison de ses liens avec la franc-maçonnerie (il finit grand maître du Grand Orient lusitanien en 1937)3, de sa pratique autoritariste voire sectaire du pouvoir (Costa Pinto, 1998) et de son anticléricalisme acharné, typique des milieux républicain et libre-penseur (Catroga, 1988, 2001 et 2010). Il expose ce dernier dès sa thèse de doctorat soutenue en 1895, A Igreja e a questão social (« l’Église et la question sociale »), où il tente de faire barrage au discours jugé hypocrite du catholicisme social de Léon XIII4. Professeur de droit réputé pour son prosélytisme républicain dans ses leçons, ses sobriquets font frémir à dessein dans l’idée de retourner l’opinion publique contre lui : la presse catholique voit en lui un « loup-garou » (S., 1913, p. 1), les députés de l’opposition un « Torquemada séculier »5 et son premier collaborateur législatif, l’avocat José Soares da Cunha e Costa (1868-1928), un « Néron mâtiné de Chinois » doté d’une « audace véritablement démoniaque »6… Même ses collègues de l’université de Lisbonne, à en croire les mémoires de Marcello Caetano (1906-1980), successeur de Salazar au pouvoir et lui-même professeur de droit, le surnomment « l’Antéchrist » voire « Belzébuth » (Caetano, 1977, p. 5) !

5La seconde singularité est d’ordre académique. Jusqu’en 1913, le Portugal et son empire disposent d’une seule faculté de droit, sise dans une modeste ville du centre : Coimbra. Un passage obligé pour les élites administratives, politiques et juridiques, ce qui explique leurs attaques répétées contre la « marâtre », surnom d’une faculté décriée au long des xixe et xxe siècles pour son conservatisme obtus (Ferreira, 2023, p. 30-50). Cette caricature, en partie fausse du temps des professeurs républicains Afonso Costa et Guilherme Alves Moreira (1861-1922), imprègne l’imaginaire collectif : une des causes de la chute de la monarchie, indissociable du double régicide de 1908, tient à la crise académique de 1907. Menée par près de 160 étudiants nommés « les intransigeants », qui refusent de reprendre les cours après l’intervention du gouvernement, elle raille le supposé archaïsme de l’enseignement coïmbrien (Neves Leal Gonçalves, 2007). Une fois au pouvoir, les républicains, qui comptent dans leurs rangs plusieurs « intransigeants » (douze d’entre eux sont députés à la Constituante de 1911), se ravisent de raser l’université de Coimbra (Bigotte Chorão, 2011, p. 308-309). En 1913, ils entérinent toutefois la création d’une nouvelle faculté « d’études sociales et de droit », à Lisbonne, dirigée par Afonso Costa en personne. Deux « intransigeants » y prennent place en tant que professeurs : António de Abranches Ferrão (1883-1932), auteur du Manifeste des étudiants révolutionnaires de Coimbra en 1906, et Albino Vieira da Rocha (1885-1950), franc-maçon notoire qui collaborera pourtant avec l’Estado Novo (Caetano, 1961).

  • 7 Les seuls répertoriés par le catalogue de l’université de Coimbra ; la Bibliothèque nationale portu (...)
  • 8 Pour des raisons utilitaristes : Cunha e Costa voit dans le prêtre un « collaborateur nécessaire de (...)
  • 9 Francophone et francophile – même s’il dénonce les travers de la Révolution de 1789 –, Cunha e Cost (...)

6La singularité de la laïcisation portugaise opposant deux clans professoraux, le premier, progressiste, scientiste et républicain, parti fonder à Lisbonne la nouvelle faculté de droit, le second, régénéré dans un sens catholique, jusnaturaliste et traditionaliste, resté à Coimbra (Da Costa, 1991), détermine l’action des juristes. Nonobstant la formation souvent juridique des journalistes, éditorialistes et directeurs de la presse catholique de la Première République, à l’image d’Abúndio da Silva (Matos Ferreira, 2007, p. 88-92), en première ligne dans la « croisade » de rechristianisation du pays, et en dépit du travail de sape opéré par les avocats légitimistes et catholiques, en particulier dans le cadre de l’Association des avocats de Lisbonne, dirigée par l’ancien président du Conseil Francisco António da Veiga Beirão (1841-1916), ce sont surtout les professeurs qui méritent l’attention. La mobilisation bruyante, mais parfois contreproductive, des avocats, et leurs compromissions politiques (adhésions à la dictature de Sidónio Pais en 1918 ou à la Monarchie du Nord de 1919), limitent la portée de leurs actions. Certes, ils enchaînent les conférences et, pour certains, éditent des gazettes juridiques éphémères, à l’image de José de Arruella (1881-1960) et son A Voz do Direito (« La voix du droit », cinq numéros en 1912)7. L’ancien partenaire d’Afonso Costa, l’avocat Cunha e Costa, à l’origine des premiers projets de loi républicains en droit de la famille, en est le plus marquant en vertu de son parcours : ce républicain repenti, dénonçant dès 1911 les travers d’une loi de Séparation irrespectueuse pour le clergé8, signe deux essais juridiques fustigeant l’état d’exception permanent et appuyant la réécriture de la loi de Séparation sous Sidónio Pais (Soares da Cunha e Costa, 1921a et 1921b)9 ; il finit par épouser la cause monarchiste en 1921 (Bigotte Chorão, 2011, p. 7-18).

  • 10 Voir son entrée dans Figueiroa Rego, 2017, vol. I.
  • 11 Toutefois, il est permis de penser que l’AJCP joue un rôle contre les cathédocrates à la fin de l’E (...)

7Une piste mérite néanmoins approfondissement, elle mène à l’AJCP. Proche du comité Mackau en termes d’objectifs, elle est fondée le 28 février 1934 par l’avocat et futur bâtonnier de Lisbonne Domingos Pinto Coelho (1855-1944)10. En plus de promouvoir les bonnes mœurs, ses statuts, publiés en 1939, proposent de fournir conseil juridique et aide juridictionnelle aux clercs, aux associations et aux congrégations religieuses. Ses membres fondateurs sont des avocats de renom (Abel Andrade, Carlos Zeferino Pinto Coelho, José de Almeida Eusébio, António de Sousa Madeira Pinto, António Bourbon, Alberto Pinheiro Torres, Luís Maria Lopes da Fonseca...), non sans liens avec les milieux légitimistes ou professoraux. Sa naissance tardive et son manque de notoriété – la localisation de ses archives et de ses bulletins reste à déterminer et peu de chercheurs en font mention – lui confèrent, a priori, moins d’importance que l’action menée par les futurs cathédocrates, sauf à y voir un de leurs moyens d’action11.

  • 12 Amis depuis leur passage au petit séminaire de Viseu.
  • 13 Réalité décrite par Júlio Augusto Martins dans la Revista dos Tribunais (nº 745, 15 juin 1913). En (...)
  • 14 L’historien Manuel Braga da Cruz est le fils de l’historien du droit Guilherme Braga da Cruz et le (...)

8En effet, la stratégie patiente des professeurs coïmbriens, en particulier ceux issus, telle la paire Salazar/Mário de Figueiredo (1890-1969)12, des mouvements associatifs de la jeunesse catholique, obtient de meilleurs résultats. Adhérant à la politique de ralliement de Léon XIII, ils profitent de l’inertie de la société civile, à 98 % catholique et étrangère aux disputes de Lisbonne, qui rend presque lettre morte la loi de Séparation dans la majeure partie du pays13. En eux se perçoit tout un cheminement de pensée, depuis la résistance estudiantine à la sécularisation forcée décrétée par Afonso Costa, jusqu’à la confection du concordat de 1940, négocié par Figueiredo (dit « père Mário »), qui entérine le « catholaïcisme ». Ce néologisme, un temps péjoratif, mais désormais d’usage scientifique depuis les travaux de Manuel Braga da Cruz, caractérise l’existence d’un État aconfessionnel qui, nonobstant la séparation marquée entre le spirituel et le temporel, préserve une collaboration étroite avec les catholiques, notamment au regard de la morale (Braga da Cruz, 1999, p. 15)14. Le cas portugais déroute : il est peut-être le seul exemple mondial d’un triomphe politique des juristes catholiques intransigeants, pour une bonne part anciens séminaristes. L’un de leurs opposants, le directeur des presses universitaires de Coimbra Joaquim de Carvalho (1892-1958), ose même parler d’un « national séminarisme » (Peixoto, 1976)… Nous avons affaire à un régime singulier : une « cathédocratie ». Ce terme popularisé au Portugal a été forgé à partir des mots grecs kathèdra (καθέδρα : siège ou, de façon plus précise, chaire – celle de l’évêque comme du professeur, une ambivalence cultivée à dessein faisant allusion au passé de séminariste de Figueiredo et de Salazar, ce qui valut à ce dernier le sobriquet de « moine dictateur ») et kratein, dérivé de kratos (κράτος), qui implique l’idée d’un pouvoir qui a sa source en lui-même et détenu en conséquence de façon absolue. Un moyen de dire que le pouvoir souverain est remis à une classe à la fois savante et sage, qui offre comme gages de garantie sa profession, celle de professeur d’université, et son grade, celui de docteur, le plus souvent en droit.

9Au rebours de Saleilles qui « renonce à vivre dans un monde globalement unifié » (Rolland, 2008, p. 291), les cathédocrates caressent jusqu’au bout l’espoir de préserver le quasi-monopole du catholicisme au Portugal. Renouant avec la mission première de la Sainte Inquisition, leur mobilisation durant leurs années d’étudiants puis de maîtres assistants permettent de mesurer leur tentative de rechristianiser l’Université, en la protégeant des réformateurs laïcards (I). Devenus professeurs, ils imaginent et conçoivent un droit à même de préserver les spécificités lusitaines, propageant urbi et orbi le corporatisme spiritualiste grâce à leur réseau universitaire (II).

I – « Au service de Dieu et de Minerve » : une défense de l’identité catholique de la faculté de droit de Coimbra

10Adossée à la liberté de conscience dans la pensée républicaine, la liberté de l’enseignement représente, de longue date, un cheval de bataille contre l’Église (Catroga, 2000, p. 237-255). Le gouvernement provisoire donne le ton : le décret du 22 octobre 1910, prônant l’enseignement laïc et obligatoire, la lutte contre les écoles confessionnelles, avec expulsion autoritaire de religieux qui se réfugient notamment au Brésil et en Espagne et la surveillance des cours des séminaires, dans la lignée du régalisme, en sont les illustrations les plus commentées (Brito Moura, 2010, p. 497-542).

  • 15 En France, des attaques similaires, menées par le parti radical, ont visé le « cléricalisme univers (...)

11Pourtant, l’unique faculté de droit est aussi ciblée. Lors de la crise universitaire de 1907-1908, João Chagas, qui deviendra le premier chef de gouvernement républicain, affirme déjà : « Les cours de droit ont un je-ne-sais-quoi de cloître et de sacristie. Ils sentent vaguement l’encens et tout en eux rappelle les litanies, les prêtres et la tonsure » (Chagas, 1908, p. 180-181)15. Le propos flétrit malicieusement la méthode exégétique et l’esprit supposé conservateur ou docile des juristes, pourtant tempérés par les évolutions de la fin de la période monarchique. Ces griefs présentent toutefois un fond de vérité dans une université où serments et prières restent de rigueur (Carvalho Prata, 2002, p. 178). La promesse de défendre le dogme de l’Immaculée Conception en constitue le symbole : imposé à tout étudiant par Dom João IV en 1646, il copiait celui existant depuis le xve siècle à l’université de Paris. Dans le discours de rentrée du 16 octobre 1908, le professeur Sidónio Pais (1872-1918) rappelle encore la doctrine officielle de l’université coïmbrienne, en voyant en elle un « mélange de service de Dieu et de service de Minerve » (Ferreira Gomes, 1991).

12Dans ces conditions, la mobilisation des étudiants catholiques de la faculté de droit ne saurait surprendre. Dès le début de l’année 1912, la lutte de l’Église a même été conduite par le mouvement estudiantin, nommément par le Centro Académico de Democracia Cristã (CADC) de Coimbra et les Jeunesses catholiques (Juventudes Católicas) (Madureira, 2003, p. 63 ; Brito Moura, 2010, p. 449-457), esquissant l’alliance qui se consolidera sous l’Estado Novo : celle entre les juristes, déjà représentés par Salazar, et les prélats, en la personne du futur cardinal Cerejeira. La mobilisation des juristes contre la laïcisation à marche forcée du Portugal présente ainsi son originalité : elle se perçoit avant tout sous un angle militant, inscrit dans le cadre précis des associations d’étudiants catholiques, qui éditent leurs propres revues et où les futurs cathédocrates fourbissent leurs armes (A). Surveillés voire inquiétés et poursuivis par les autorités étatiques, les professeurs préfèrent faire profil bas dans leurs cours, étant de surcroît privés légalement de leur meilleure tribune : la chaire de philosophie du droit (B).

A. « À l’ombre de la croix » : la hardiesse anonyme des étudiants en droit

  • 16 En particulier le décret-loi du 18 avril 1901 (Fonseca, 1951). Sur le terrain politique, les répons (...)
  • 17 « O nosso quinto anno », Estudos Sociaes, anno V, nº 1, janv. 1909, p. 5.
  • 18 Sur la réception de cette encyclique, mais sans étude dédiée au Portugal : Arnold et Vian, 2017.

13Parmi les cibles des républicains figurent les étudiants en droit, à commencer par ceux du CADC de Coimbra. Fondée en 1901 en réaction aux attaques contre les ordres religieux lancées par le gouvernement Hintze Ribeiro16, cette association est démantelée et son siège fermé en février 1911, après avoir subi les assauts physiques de républicains qui saccagent leurs locaux. Aux bâtons, le CADC préfère les plumes. Sa première revue, Estudos Sociaes. Revista Catholica Mensal, éditée entre 1905 et 1911 par les presses universitaires de Coimbra, présente deux objectifs : consolider la pratique du catholicisme social et diffuser les idées de la démocratie chrétienne afin de résoudre la question sociale (Silva, 2009). Leur publication débute à dessein avec la traduction d’un texte de l’abbé Hippolyte Gayraud sur les doctrines de la démocratie chrétienne (Gayraud, 1905). En célébrant son cinquième anniversaire, la revue peut ainsi affirmer dans son éditorial : « Pour être catholiques, nous devons être sociaux »17. Accusée de modernisme et favorable à la séparation, la revue finit par basculer du côté de l’antimodernisme en prenant pour phare l’encyclique Pascendi Dominici gregis de Pie X (1907) (Silva, 2009, p. 203-206)18.

  • 19 La revue devient l’organe officiel de l’Unidade da Mocidade Católica Portuguesa comme annoncé dans (...)
  • 20 Du 29 juin 1934 au 4 décembre 1962, ce ministère est dirigé par un docteur de l’université de Coimb (...)
  • 21 Voir les conférences du jeune Salazar en qualité de séminariste où il affiche son admiration pour « (...)
  • 22 Descamps conçut un triptyque : La sociologie expérimentale (1933), Le Portugal. La vie sociale actu (...)

14Le 8 décembre 1912, le CADC renaît sous l’impulsion de Salazar et de Cerejeira. Ils souhaitent conserver la revue Estudos Sociaes, avant d’y renoncer en raison du refus de son secrétaire de rédaction, Alvaro Diniz da Fonseca, qui nourrit d’autres ambitions (Silva, 2009, p. 178)19. L’objectif éducatif reste d’actualité dans un pays où le culturel a pris l’ascendant sur le cultuel, les Portugais se complaisant dans un catholicisme paganisé, où même les prêtres sont parfois mariés et pères de famille (Brito Moura, 2010, p. 32-33)… Le désir de rechristianiser le pays par la base devient une constante des jeunesses catholiques, ce qui se traduit d’abord par la fondation d’un nouveau périodique du CADC puis, du temps de l’Estado Novo, par le quasi-monopole des docteurs de Coimbra sur le ministère de l’Instruction publique20. Encore faut-il mesurer l’étendue de leur inspiration leplaysienne qui, si elle n’est pas absente des débuts du CADC, tend à se renforcer. En effet, Salazar et les Coïmbriens y sont sensibles, en particulier les anciens séminaristes qui ont reçu et approuvé la pédagogie de l’école des Roches fondée par Edmond Demolins en 189921. Une fois étudiants, Salazar et Cerejeira (lui aussi inscrit en droit à deux reprises, en 1911-1912 et en 1913-1914, avant de bifurquer vers la faculté de lettres) cherchent à approfondir les leçons leplaysiennes, ce qu’ils ont pu faire grâce au professeur de médecine Serras e Silva, qui les initie à son domicile (Cabral de Moncada, 1992, p. 155). Dans ce cadre feutré du catholicisme social, ils adoptent une lecture leplaysienne de la sociologie, qui en fait une science thérapeutique de la société, marquée par le refus de dissocier la science de l’action politique. Leurs faveurs se portent sur trois disciples de Le Play : Demolins, Henri de Tourville et Paul Descamps. Une spécificité maintenue du temps de leurs années professorales : c’est au sein du Boletim da Faculdade de Direito que sont publiées les conférences de méthode en sciences sociales de Descamps, celles-là mêmes qu’il professe à la faculté de droit coïmbrienne en 1930 (Descamps, 1918-1920 et 1930-1931). En guise de récompense, il bénéficie d’une chaire de sciences sociales dans les facultés de droit de Coimbra et de Lisbonne et a pu finir paisiblement ses jours au Portugal après y avoir rédigé ses derniers livres à l’invitation de Salazar (Kalaora et Savoye, 1985, p. 263-265)22.

  • 23 Futur administrateur de la Compagnie des diamants de l’Angola (Diamang) et plusieurs fois sous-secr (...)

15Le CADC compte, parmi ses dirigeants, des juristes qui auront une carrière brillante dans l’administration et la politique, à l’instar de Joaquim Diniz da Fonseca (1887-1958)23, ainsi que plusieurs futurs professeurs de droit : le fiscaliste Salazar (premier secrétaire du CADC en 1912), le commercialiste Mário de Figueiredo (un temps directeur du CADC et négociateur principal du concordat de 1940) ou encore l’historien du droit Guilherme Braga da Cruz (vice-président du CADC en 1936-1937). Mais est-ce si surprenant au regard des statistiques ? Le nombre d’adhérents explose en effet. En 1904, ils ne sont que 21, régulièrement conspués par leurs camarades acquis aux thèses républicaines et positivistes et prêts à soutenir les positions anticléricales d’Afonso Costa exposées dans ses cours ; la proclamation de la République en fait des parias, avant la dissolution de l’association. Pourtant, en 1927, le revirement est total puisque la moitié des étudiants inscrits à l’université adhèrent au CADC ! Le tournant a lieu en 1913, après le discrédit massif des républicains, dû tant à l’instabilité politique, sociale et économique qu’à leurs attaques contre l’Église (Carvalho Prata, 2002, p. 400). Certes, des pamphlets virulents, à l’image de l’anonyme Delenda est Carthago. A Academia republicana perante a Universidade de Coimbra, peuvent, encore en 1930, attaquer les professeurs des facultés de droit et de lettres en raison de leur conservatisme, de leur nationalisme et de leur catholicisme. Pour autant, dans leur majorité, les (apprentis) juristes ont pris fait et cause pour la défense de la foi catholique et forment bientôt l’armature administrative de l’Estado Novo. Salazar, qui prit l’habitude de solliciter d’anciens étudiants de Coimbra pour constituer son gouvernement, y puise naturellement : retenons par exemple Mário Pais de Sousa, membre notoire du CADC et ministre de l’Intérieur entre 1931 et 1932 puis entre 1936 et 1944.

  • 24 Sous le pseudonyme Soa, initiales de son nom. Il ne dénombre que deux quotidiens catholiques, dénon (...)
  • 25 L’opposition bonne/mauvaise presse devient un poncif au sein de la Curie romaine (Agostino, 1991, p (...)

16Ce résultat inespéré tient à la patiente propagande des étudiants juristes des années 1910, en particulier de ceux embrassant la bure universitaire. Leur action militante forme un maillon d’une presse catholique longtemps moribonde que le séminariste Salazar fustigeait dès 1908 (Oliveira Salazar, 1908/1997, p. 47-49)24 en vertu de son incapacité à mener la « guerre contre la mauvaise presse » impie, athée, jacobine (sic) et républicaine (Oliveira Salazar, 1909a/1997, p. 66-67). Des éléments de langage qui ne produisent d’effet qu’au lendemain de la proclamation de la loi sur la presse du 28 octobre 1910, une des premières mesures du gouvernement provisoire républicain. Motivée à contretemps par le mot d’ordre livré pour l’Italie par Léon XIII dans plusieurs encycliques, dont Etsi Nos (15 février 1882) et Dell’Alto Dell’Apostolico Seggio (15 octobre 1890), la presse catholique portugaise s’aguerrit et se multiplie dès 1911, dans l’espoir de rechristianiser les foules et de lutter contre la « mauvaise presse » : l’expression vise les publications non approuvées par le Saint-Siège, à savoir les presses libérale, socialiste, républicaine et anarchiste (Pereira Paiva Alves, 2012, p. 21-22)25. Bon nombre de plumes voire de dirigeants de ces publications ont été formées au droit. L’essor de cette presse protéiforme (pas moins de 217 nouveaux titres catholiques naissent entre 1911 et 1926), mue par un « esprit de croisade », alerte vite les républicains (Pereira Paiva Alves, 2012, p. 23, 26 et 121). En effet, leur loi sur la presse a vocation à libérer la pensée et l’opinion portugaises, enserrées par la censure préalable et par les clercs ; il ne s’agit pas d’armer l’ennemi. Les termes sont choisis : la Première République a entrepris une « guerre religieuse » dirigée aussi contre la presse catholique, y compris estudiantine. Ainsi, si le nouveau régime tempère rapidement la liberté de la presse au nom d’une conjoncture difficile, d’abord en 1911-1912 en réaction aux incursions monarchiques dirigées par Henrique Mitchell de Paiva Couceiro, ensuite en 1916, avec la déclaration de guerre de l’Allemagne contre le Portugal, qui entraîne le rétablissement de la censure préalable, les catholiques demeurent constamment surveillés (Franco, 1993, p. 35-64).

  • 26 Sur les trois revues éditées par le CADC (la dernière, Estudos, active entre 1922 et 1970, a repris (...)

17La prudence est ainsi de mise de la part des étudiants en droit. En témoignent les articles publiés en 1913 dans la nouvelle revue du CADC, active entre 1912 et 1919 et dirigée par Cerejeira : O Imparcial. Semanário dos Estudantes de Coimbra26. Salazar, sous couvert d’un pseudonyme (Alves da Silva) éventé par le cardinal Cerejeira en 1943 (Gonçalves Cerejeira, 1943, p. 221), y verse dans l’ironie en « dénonçant », dans une lettre ouverte au ministre de l’Intérieur Rodrigo José Rodrigues, la plupart de ses enseignants (Guilherme Alves Moreira, José Alberto dos Reis, José Caeiro da Mata, Lobo d’Ávila), dont une partie rejoindra la cause salazariste dans les années 1920-1930 (Oliveira Salazar, 1913/1997, p. 139-146). L’objet de ses « accusations » ? Les cours de ces professeurs ne respectent pas le mot d’ordre des dirigeants, puisqu’ils prônent, contre le droit positif et la politique du gouvernement, l’indépendance de la magistrature, les principes de non-rétroactivité de la loi et de légalité des délits et des peines, et de façon générale un véritable droit constitutionnel et des libertés…

  • 27 Mendes Lopes rappelle qu’Afonso Costa se prononça contre l’indépendance de la magistrature lors de (...)

18Prudence, certes, mais aussi irrévérence. Les deux vont de pair, poussent à la témérité à mesure des désillusions républicaines (leurs atteintes à la magistrature et aux libertés publiques furent réelles, y compris au sein du Tribunal das Trinas, une juridiction d’exception destinée à juger les crimes des monarchistes ou des catholiques contre la République)27 et permettent d’identifier une constante des juristes catholiques coïmbriens : leur hardiesse s’affiche surtout durant leurs années d’études. Deux exemples retiennent ici notre attention.

  • 28 « Je voulais juste prouver à la Chambre des députés que ceci n’est pas une loi de Séparation, mais (...)
  • 29 En 1912-1913, alors en 3e année, Salazar a eu la note inédite de 19 en droit administratif ; résult (...)

19Le premier nous mène, une nouvelle fois, vers Alves da Silva, autant dire Salazar, alors en cinquième année de droit. De façon grinçante, il fait valoir que la prétendue loi de Séparation portugaise est en vérité une loi de sujétion, la traduction de la loi française ayant été tronquée à dessein28. De façon plus posée, quoique tout aussi polémique, Salazar présente aussi la meilleure défense juridique des biens de l’Église face aux spoliations opérées par la loi de 1911. Dans une série d’articles publiés en 1914 dans O Imparcial sous forme de lettres ouvertes au ministre de la Justice, Salazar se présente comme « Portugais et catholique, étudiant le droit dans cette vieille université de Coimbra » (Oliveira Salazar, 1914d/1997, p. 164). La loi à la main et démontrant sa maîtrise du droit administratif – n’est-il pas surnommé le « disciple portugais de Hauriou » par l’historien du droit Hespanha (2005, p. 149), même si son vrai maître est « l’intransigeant » Rocha Saraiva (Otero, 2013, p. 49-52 et 109-111)29 ? – il fait pièce au projet de nationalisation de l’église São João de Almedina, l’une des plus emblématiques de Coimbra. Le projet ministériel consiste à transformer cette église en annexe du musée d’art sacré Machado de Castro, ouvert en 1913. L’article de Salazar offre donc une argumentation juridique aux Coïmbriens, offusqués d’une telle annonce ; une tendance de fond : dans sa majorité, le monde rural se révolta et, les armes à la main, prit la défense des biens et des membres du clergé, notamment lors des inventaires (Brito Moura, 2010, p. 339-365). Nonobstant son statut de ville du centre et son rejet parfois marqué du catholicisme du temps des années professorales d’Afonso Costa, Coimbra n’en demeure pas moins de taille modeste (environ 20 000 habitants, d’après les mémoires du professeur d’histoire du droit Cabral de Moncada, alors étudiant) (Cabral de Moncada, 1992, p. 231) et sa campagne environnante s’enflammait comme ailleurs. Sa seule singularité provient de cette réponse conçue « la loi à la main », qui parvient à faire reculer le gouvernement (Amaro, 1993, notamment p. 105 et s.).

  • 30 Publié en 1914, le livre de Barrès conclut un travail de mobilisation de l’opinion publique entrepr (...)
  • 31 Aucune source n’est citée, mais il prend probablement appui sur les Estatutos da Sancta Irmandade d (...)
  • 32 « […] l’Irmandade dos Clérigos Pobres est réellement une corporation dotée de la personnalité jurid (...)

20L’argument ministériel repose en effet sur deux erreurs. L’une d’analyse : l’église en question n’est pas en ruine, bien que l’état des édifices religieux portugais chagrine autant qu’en France, en se référant au « livre d’or de Maurice Barrès » (Oliveira Salazar, 1914d/1997, p. 165), La grande pitié des églises de France30. Salazar esquisse à demi-mot un programme identique à celui qui a conduit à la loi française du 31 décembre 1913 sur les monuments historiques, chargée d’amender la loi de 1905 (Bady, 2013) : pas de musée pour l’art sacré, comme s’il s’agissait de momifier un passé pourtant bien présent, mais une défense, une valorisation et un entretien du patrimoine ecclésiastique in situ. L’autre de droit : au rebours des dires du ministre, l’église coïmbrienne ne peut pas appartenir à l’État, en ce qu’elle ne remplit pas les conditions fixées par la propre loi de 1911, pourtant peu avare en nationalisations des biens du clergé. L’argumentation déployée se fonde sur les articles 32 et 39 de la loi de Séparation : dans la mesure où cette église appartient de longue date à une confrérie religieuse identifiée (l’Irmandade dos Clérigos Pobres) (Oliveira Salazar, 1914d/1997, p. 167)31, bénéficiant de la personnalité juridique conformément aux conditions posées par la loi de 191132, il ne saurait en être autrement. Étant respecté, l’article 39, précisant les causes de dissolution forcée des corporations religieuses et des cultuelles au même titre que les articles 40 et 41, la protège ; et quand bien même ce ne serait pas le cas, les biens appartenant à cette confrérie ne peuvent alors revenir qu’au conseil paroissial jusqu’à la désignation d’une entité légale habilitée à les administrer. Enfin, dans la mesure où cette église est toujours fréquentée, elle échappe à l’article 90 de la loi de Séparation qui permet à l’État d’affecter à une autre fin d’intérêt social les édifices non nécessaires au culte catholique. Salazar formule même un moyen surabondant, en rappelant la promesse de l’edital (arrêté) du ministre de la Justice du 6 février 1912, en réponse aux réticences du clergé à suivre les dispositions de la loi de 1911 : l’État ne fermera aucune église où des confréries, par droit ou usage ancien, sont installées (Oliveira Salazar, 1914d/1997, p. 168-169).

  • 33 Notons la pique implicite contre Afonso Costa quand il évoque « la persécution féroce de ceux qui, (...)
  • 34 « Main douce et ferme » en français dans le texte (p. 151).
  • 35 Pour saisir ce concept grec signifiant autant éducation que civilisation : Jaeger, 1964.
  • 36 « Relatório » (rapport du 16 octobre 1940), Anuário da Universidade de Coimbra, 1941-1942, p. 7.

21Cette défense suscite les moqueries de Joaquim Martins Teixeira de Carvalho (1861-1921), professeur de philosophie et administrateur des presses universitaires de Coimbra, exposées dans un article publié dans A Província le 8 mai 1914. Il qualifie les opposants au projet ministériel de « catoliqueiros », sobriquet guère traduisible, mais proche dans l’esprit de celui de « grenouille de bénitier ». Si Salazar lui retourne le compliment, en concevant un néologisme péjoratif (« libre-pensadeiro ») fondé sur l’expression « libre-penseur », l’essentiel de l’argumentation est ailleurs : elle tend à démasquer les républicains qui, incapables de fournir une réponse juridique argumentée, clabaudent et en appellent aux restrictions des libertés qu’ils prétendent pourtant concéder (Oliveira Salazar, 1914e/1997, p. 171)33. La solution de repli esquissée par le ministère, à savoir l’expropriation pour cause d’utilité publique, ne saurait jouer en l’espèce ; Salazar s’amuse à le démontrer, en concluant qu’à moins d’invoquer l’utilité « privée » (sic) (Oliveira Salazar, 1914e/1997, p. 172-173), le gouvernement est tenu en échec et ses thuriféraires réduits à multiplier les rodomontades. Sa démonstration tient donc autant au droit administratif des biens qu’à une réflexion générale sur les notions de loi et de législateur, exposée en longueur dans une précédente livraison de la revue O Imparcial. Adoptant une approche libérale sensible aux mœurs et à l’esprit des siècles, Salazar estime que la loi n’a pas pour fonction de punir, mais de coordonner les actions des hommes dans le but d’assurer l’harmonie de leur vie collective. Le législateur, en conséquence, est l’éducateur d’un peuple : il se contente d’un nombre réduit de règles, qu’il fait respecter d’une « main douce et ferme » (Oliveira Salazar, 1914a/1997, p. 149-152)34. Ce discours, qui emprunte autant à la réponse du clergé français face à la laïcisation qu’à la christianisation antique de la paideia (Jaeger, 1980)35, esquisse la voie empruntée par les juristes catholiques coïmbriens de la fin des années 1920 : l’éducation par la loi, ce qui passe par la prise du pouvoir politique et par leur mainmise sur le ministère de l’Éducation. En 1940, au plus fort de l’emprise politique des cathédocrates, le recteur de l’université de Coimbra, António Luís de Morais Sarmento, peut l’annoncer : « Les étudiants du Portugal, du Portugal restauré, doivent être éduqués à l’école de la tradition et à l’ombre de la Croix »36.

  • 37 Anecdote contée par plusieurs historiens du droit, dont Cabral de Moncada (2003, p. 118-119 note 10 (...)

22Le second exemple que nous souhaitons exposer, dévoilant le programme éducatif des juristes coïmbriens, a trait à un futur historien du droit, fort discret une fois professeur : Paulo Merêa. En dépit des tentatives, opérées par ses disciples (la fine fleur des historiens du droit portugais du xxe siècle), de le dissocier du régime salazariste (Hespanha, 1981), Merêa conserve toujours les mêmes amitiés catholiques, y compris à l’échelle européenne ; l’historien du droit toulousain Paul Ourliac (chef de cabinet du secrétaire d’État Jérôme Carcopino sous Vichy) en est l’ami, et lui rendra un hommage appuyé dans la tombe (Ourliac, 1982). De surcroît, Merêa est celui qui, sur le terrain de la philosophie du droit, orpheline de sa chaire, a lancé la première pierre. La réaction antipositiviste (ou, plutôt, hostile au « faux positivisme ») débute en effet avec lui : en 1910, lors d’une conférence intitulée Idealismo e Direito, Merêa réagit aux propos qu’aurait tenu le recteur de l’université Manuel de Arriaga. Peu après la chute de la monarchie, ce dernier, futur président de la République, aurait affirmé qu’après la chute des rois viendra la fin du dernier « croque-mitaine » (papão) de l’humanité, à savoir Dieu37 ; une façon de prolonger le programme de déchristianisation du Portugal conçu par Afonso Costa. Qu’ils aient ou non été dits, ces mots du supposé « recteur de la pacification » (Reis Torgal, 2011, p. 42), censé réconcilier républicains et catholiques, vont revigorer l’antipositivisme, en réaffirmant ses postulats méthodologiques. Merêa dénonce ainsi « les prétentions dogmatiques du positivisme, lequel, après s’être présenté comme l’adversaire de tout esprit de système, a fini par se laisser contaminer par le même mal » (Merêa, 1913/2004, p. 40). Renaît ainsi l’antipositivisme, jusqu’à présent moribond, qui ne survit alors que dans le cadre restreint de la revue Dionysios où collaborent de nombreux professeurs de droit, en place ou en devenir, tous catholiques ou traditionalistes militants tels Caeiro da Mata, Magalhães Collaço, Marnoco e Sousa, Merêa et Cabral de Moncada (Hespanha, 1981, p. 428-431). Le rejet du positivisme qui « réduit l’homme en esclavage en le soumettant aux choses » trouve ainsi pour corollaire « l’idéalisme moderne [qui] réhabilite l’homme, ressuscitant, sous une nouvelle forme, l’idéal anthropocentrique » (Merêa, 1913/2004, p. 44). La défense des postulats chrétiens s’articule ainsi autour d’exposés de philosophie ou de philosophie du droit, voilant les intentions des futurs cathédocrates.

B. Des chaires en forme de sellette : la tribune périlleuse de l’enseignement

23En apparence, les professeurs coïmbriens se contentent de dénoncer les restrictions à la liberté d’enseigner dans le primaire et le secondaire, visant pour l’essentiel les congrégations catholiques, mais ayant néanmoins pour résultat d’inquiéter certains enseignants pour leurs prises de position favorables au catholicisme voire au dû respect de la liberté des cultes (Brito Moura, 2010, p. 497-542). Pour autant, l’enseignement supérieur n’a su échapper à cette lame de fond. En arrivant au pouvoir en 1910, les positivistes républicains renversent deux chaires à Coimbra : celle de droit ecclésiastique (Oliva, 1997) et celle de sociologie générale et de philosophie du droit. Décision guère anecdotique : depuis la réforme de l’enseignement juridique du 24 décembre 1901, la seconde citée modernise la chaire de droit naturel, instituée par le marquis de Pombal en 1772. Tirant les leçons de la crise académique de 1907, les positivistes espèrent, grâce à ces suppressions, saper les fondements moraux et religieux du droit, en tant que soutiens de la monarchie. Pour eux, la chaire de philosophie du droit renferme un enseignement non scientifique et traditionaliste, encensant l’ordre établi : ils l’assimilent à un reliquat du stade métaphysique décrit par Auguste Comte. Dans l’esprit de ses promoteurs, la suppression de cette chaire accompagne la consécration de la séparation des Églises et de l’État, suivant une lecture anticléricale inspirée par Émile Combes. Il s’agit aussi de mettre un point final à la querelle entre positivisme et jusnaturalisme, qui envenime encore la doctrine française des années 1920 (Piot, 1930 ; Sené, 2018, p. 432-441). Ainsi, la résistance du jusnaturalisme chrétien, et en particulier thomiste, a perdu précocement au Portugal. La vengeance n’en sera que plus belle dès les années 1920 et plus encore du temps de l’Estado Novo.

  • 38 Thème récurrent de son action économique : il faut revenir à une production vraiment collectiviste, (...)
  • 39 Rarement déposées soit aux archives nationales (hors Salazar et Caetano), soit dans des archives un (...)
  • 40 Nous remercions Louis-Marie Gaudemet de nous avoir appris l’existence d’universités d’été à Coimbra (...)
  • 41 En 1934-1935, Perroux remplaça Lumbrales, appelé au gouvernement, à la chaire d’économie politique (...)
  • 42 Sicart, 2000, p. 26.

24Ce mouvement se prépare en coulisses, en constituant un réseau professoral qui ne devient visible que sous l’Estado Novo. Certes, ce réseau déborde du cadre chrétien ; il n’en participe pas moins de cette conviction de devoir s’unir face à un monde en crise, car en voie de sécularisation. Privée de ses repères moraux, la société est en effet livrée à l’individualisme exacerbé du surhomme nietzschéen « libéré de l’obéissance aux règles morales auxquelles les hommes doivent se soumettre » (Fezas Vital, 1943, p. 16), et à la surconsommation matérielle, éloignée des leçons de saint François d’Assise, tous deux dénoncés par Salazar et les doyens coïmbriens comme Fezas Vital (Oliveira Salazar, 1928)38. De façon méconnue et qui reste à éclaircir en raison de la nature privée de plusieurs archives39, les professeurs coïmbriens ont tissé un réseau européen et mondial avec leurs collègues de la même mouvance catholique (par exemple avec Jean Brèthe de La Gressaye, Gabriel Lepointe ou encore Louis Le Fur, fondateur des Archives de philosophie du droit) ou ayant des affinités voire des idées communes (Giorgio Del Vecchio, Carl Schmitt…) ; une tendance féconde en droit corporatif, ce qui explique l’omniprésence des auteurs portugais dans les bibliographies des auteurs français traitant du corporatisme et l’attrait exercé par Salazar et ses pairs dans les pays attirés par le modèle portugais des corporations. Les cathédocrates invitent les professeurs de même mouvance ou simplement curieux à donner des conférences à Coimbra (parfois lors d’universités d’été)40, à remplacer des chaires vacantes (François Perroux)41, leur délivrent des doctorats honoris causa (Léon Duguit, alors dans sa dernière phase thomiste42, fut surnommé le « nouvel Aristote » lors de ces cérémonies en 1923), publient ou traduisent leurs articles relatifs au droit naturel et à la philosophie du droit dans le Boletim da Faculdade de Direito – un procédé évitant aussi de trop se dévoiler à l’orée des années 1920. Comme en France, nous observons « des efforts convergents de juristes au service de certains projets de société », soit autant de « mobilisations collectives intéressées à un certain type d’organisation sociale » (Audren, 2008, p. 234) : celui du corporatisme, comme nous le verrons.

  • 43 L’enquête interne le blanchit, ce qui lui permet de devenir recteur de l’université en 1913.
  • 44 Décret annulé en 1915. Il n’obtient sa réintégration qu’en 1918, à Lisbonne de surcroît (Braga da C (...)

25Le contexte et la perte de la tribune de philosophie du droit, la seule chaire dont l’objet permet d’explorer des positions métaphysiques, expliquent les réticences des professeurs traditionalistes à exposer leur foi pendant et en dehors des cours. Les Coïmbriens catholiques doivent en effet faire profil bas dans leurs leçons des années 1910-1920, se sachant surveillés par des étudiants hostiles. Une paranoïa généralisée : si deux professeurs de droit, par trop liés au régime monarchiste et refusant de prêter serment aux nouvelles institutions, sont vite renvoyés (António José Teixeira de Abreu s’exile au Brésil et ne revient qu’en 1927 et José Tavares, qui réintègre l’université dès 1914 en faisant jouer ses relations amicales avec Afonso Costa), les professeurs républicains jugés trop timorés sont eux aussi dénoncés par leurs élèves. Guilherme Alves Moreira fait ainsi l’objet d’une enquête interne, en raison de critiques prétendument formulées dans son cours à l’encontre des réformes du droit de la famille du gouvernement provisoire (Ferreira Gomes, 1990)43. La chasse aux sorcières continue : le franc-maçon José Caetano Lobo de Ávila da Silva Lima (1885-1956) est révoqué par le décret du 28 octobre 1913 pour sa supposée participation à un complot monarchiste44.

26Au demeurant, le décret-loi du 19 avril 1911, posant les « bases d’une nouvelle constitution universitaire », impose la laïcité des universités (article 14) et interdit le recours à des supports écrits pour faire cours (article 52). Le ministère espère gagner en popularité, en mettant un terme à l’achat obligatoire de compendiums, imprimés par les presses universitaires, qui parfois ne correspondent plus au programme du cours au grand dam des étudiants. En réaction, un genre littéraire, essentiellement pratiqué par les étudiants en droit, se développa dès le xixe siècle : les sebentas. Il s’agit de notes de cours du professeur, recopiées de façon manuscrite ou dactylographiée avant d’être lithographiées ou imprimées par un ou plusieurs étudiants ; ces derniers les publient ensuite à l’échelle locale pour leur bénéfice personnel. Prenant à rebours l’émergent droit de la propriété intellectuelle, le procédé entra dans les mœurs et fut encouragé voire complété par les enseignants eux-mêmes, à l’image du krausiste Vicente Ferrer Neto Paiva. Afonso Costa s’en fit une spécialité, transcripteur d’au moins cinq sebentas, finançant ainsi ses études (Ferreira, 2022, p. 395) ; devenu professeur, il laissa faire des sebentas reproduisant ses notes de cours au début du xxe siècle. Littérature bon marché, mal reliée voire de qualité douteuse, les sebentas n’ont jamais eu vocation à intégrer les rayonnages et ne se trouvent qu’au hasard des catalogues de bibliothèques municipales ou de ventes en ligne ; ils n’en demeurent pas moins essentiels, pour les étudiants comme pour le chercheur, dans la mesure où les compendiums officiels ne correspondaient généralement plus aux cours délivrés… L’article 52 précité semble dicter leur fin d’après l’étudiant en droit Salazar, qui ne regrette pas ce passé au rebours du doyen Guimarães Pedrosa : compendiums et sebentas doivent être rangés dans le vestiaire juridique portugais dans la mesure où ils ne correspondent plus aux habitudes des étudiants (Oliveira Salazar, 1914b/1997, p. 154-155). Ceux-ci, nous dit-il, ne veulent ni ne savent plus étudier en bibliothèque : l’apprentissage du droit se limite de plus en plus à une technique juridique hors sol, ce qui signifie que le droit n’est ni connu, ni compris, faute de propédeutique (Oliveira Salazar, 1914b/1997, p. 155). Les sebentas sont donc des monstruosités, faites par des étudiants qui découvrent la matière en écoutant un professeur dont ils retranscrivent, sans rien comprendre, les leçons (Oliveira Salazar, 1914b/1997, p. 157). Il en appelle ainsi à la responsabilité des professeurs : disposant de plus de recul, il leur revient de concevoir leurs propres manuels. Le propos vise aussi, de façon plus implicite, à contextualiser le droit, en sollicitant l’histoire du droit, la philosophie et la science sociale ; un mot d’ordre qui trouvera vite son application.

  • 45 Sebenta de son cours de 1917-1918 (Coimbra, J. Bizarro, 1918, 270 p.) assurée par les étudiants A.  (...)
  • 46 Lisboa, s. d. [1924 ?], 104 p. Publiée par M. Pereira de Oliveira et Adelino da Palma Carlos (1905- (...)
  • 47 Sebenta de son cours de 1915-1916 (Coimbra, Luitana, 1915) assurée par A. Matta da Silva Oliveira. (...)

27Au rebours des dires de Salazar, les sebentas continuent pourtant d’exister. Nous en trouvons pour le seul cours intéressant notre sujet, placé en troisième année du cursus de droit : celui de confessions religieuses dans leurs relations avec l’État, ouvert en 1911 par la réforme universitaire dans le dessein d’accompagner la loi de Séparation. Cet enseignement s’éteint en 1918, victime du décret nº 3856 (dit Moura Pinto) qui, en modifiant la loi de 1911, entérine une véritable séparation, de surcroît respectueuse. Le cours de droit des cultes le remplace jusqu’en 1928, pour lequel nous trouvons aussi des sebentas ; la suite de l’histoire de l’enseignement du droit des religions au Portugal se perd ensuite dans les limbes, même si nous savons qu’un cours complémentaire de 6e année de droit concordataire portugais a existé à Coimbra, professé notamment par Sebastião Cruz (1918-1996), bien qu’il semble tardif (fin des années 1960 ?). Quoi qu’il en soit, le cours de confessions religieuses est en général confié à de jeunes assistants, dans l’espoir d’y trouver des soutiens de la cause républicaine éloignés des sphères catholiques ou monarchistes. Calcul erroné, dans la mesure où le mouvement estudiantin traditionaliste fait vite son œuvre : sur la période, les deux principaux enseignants chargés du cours, João Maria Tello de Magalhães Collaço (1893-1931) à Coimbra45, dont on trouve aussi une sebenta pour son cours de droit des cultes de 1923-192446, et Martinho Nobre de Mello (1891-1985) à Lisbonne47, embrasseront la cause salazariste. Le second est pourtant franc-maçon avant sa conversion monarchiste, étant même devenu ministre de la Justice du dictateur Sidónio Pais en 1918. Dans les deux cas, et nonobstant une glose de la loi de Séparation qui constitue l’essentiel de ces leçons, des piques feutrées sont adressées aux gouvernants républicains : elles condamnent les « fluctuations du moment » et invitent à codifier le droit des cultes, stabilité nécessaire selon eux à la garantie de la liberté religieuse sous tous ses angles.

  • 48 Le décret-loi du 18 avril 1911 portant réforme des études juridiques crée la catégorie des assistan (...)
  • 49 « Manqués » en français dans le texte. Il souligne.

28Une attaque frontale aurait-elle été opportune ? Sans doute pas : l’acmé de la lutte républicaine contre les libertés universitaires a lieu en 1919, lors de la réaction postsidoniste, lorsque les jeunes professeurs Salazar, Carneiro Pacheco, Fezas Vital et Magalhães Collaço, principaux bénéficiaires du décret offrant le grade de professeur à des impétrants n’ayant pas soutenu de thèse48, sont suspendus et poursuivis pour offense à la République et aux institutions démocratiques (Pedro Vicente, 1991). Si cette procédure vise au premier chef les monarchistes, tel Magalhães Collaço (déjà emprisonné en 1913, alors étudiant en 5e année, pour sa participation présumée à la fuite du chef du mouvement royaliste) (Freitas do Amaral, 1994), les témoignages recueillis par l’accusation contre Salazar dévoilent un autre cheval de bataille : le catholicisme. Tel est le grief formulé par l’étudiant en droit José Rodrigues da Costa, le seul à témoigner contre lui de façon défavorable en ce qu’il fustige « ses conférences de propagande catholique et monarchiste » (extérieures à l’université et de notoriété publique, en tant que candidat du Centro Católico Português aux législatives), liant ainsi deux causes que Salazar dissocie toujours en bon disciple de Léon XIII. Vengeance banale : les deux hommes se sont côtoyés auparavant dans le même séminaire. Ceci explique la réponse pleine de morgue de Salazar : « la formation intellectuelle d’un professeur de droit est trop complexe pour être abordée dans des articles de journaux par des étudiants en échec et par des candidats manqués » (Oliveira Salazar, 1919/1997, p. 247)49.

  • 50 Renaissance due à la liberté d’organisation des cours universitaires, offerte par l’article 4 du dé (...)

29Dans ces conditions, la restauration de la chaire de philosophie du droit en juillet 193650 devient l’emblème de l’état d’esprit des nouveaux dirigeants et du triomphe du néothomisme : le titulaire de cette chaire, l’historien du droit Cabral de Moncada, ose affirmer que « tout Portugais […] a en lui, sans même le savoir, un petit Thomas d’Aquin » (Cabral de Moncada, 2003, p. 290). Ainsi renaît l’âme du droit portugais, enfin apte à réaffirmer son catholicisme et à renouer sincèrement avec l’Église par le biais d’une union scellée par un concordat (Ferreira, 2025a). Le philosophe du droit António Braz Teixeira le réaffirme en 1959 : les attaques républicaines ont été vaines. L’ancienne pensée juridique empreinte de thomisme, certes entrée en crise au xixe siècle à la suite de la polémique opposant les professeurs de philosophie du droit Ferrer Neto Paiva et Rodrigues de Brito, renaît de ses cendres (Braz Teixeira, 1959, p. 13-14). Dans tous les cas, la fin des années 1920 permet aux professeurs catholiques d’exposer leur doctrine sans crainte, avant de saisir la loi pour leur propre cause. L’heure n’est plus à la défense, mais à la contre-attaque.

II – La trahison des clercs : l’instrumentalisation des conceptions juridiques catholiques

  • 51 Une attitude qui les éloigne des professeurs catholiques libéraux comme Saleilles, défavorables à c (...)
  • 52 Ce livre serait, d’après Reis Torgal, un des trois livres de chevet des cathédocrates, en compagnie (...)
  • 53 Sur ses combats en qualité d’avocat de l’archidiocèse de Braga : Braga da Cruz, 2004, p. 94-111.

30L’action politique des cathédocrates doit être signalée en amont de leur production doctrinale dans la mesure où elle accompagne leurs premiers pas d’universitaires. Salazar et Figueiredo militent au sein du Centro Católico Português (CCP), qui affiche l’ambition de défendre les droits des catholiques sur la scène politique, tout en entreprenant une rechristianisation des lois et de la société civile (Alves, 1996)51. Ils y côtoient des clercs, mais aussi d’autres juristes, à l’instar de José Maria Braga da Cruz, le père de l’historien du droit Guilherme Braga da Cruz (Braga da Cruz, 2004) et seul autre député élu du CCP avec Salazar en 1921 – une fonction que ce dernier quitte presque immédiatement. Cette précision dévoile la porosité des frontières entre leur activité doctrinale et leur idéologie. Ainsi, les conférences de Salazar du début des années 1920, où le professeur et le politique tendent à se confondre, au même titre que ses discours politico-constitutionnels des années 1930, nourrissent les gloses juridiques jusqu’à la fin du régime. Dégagés par Salazar dans le programme du CCP qu’il propose en 1922, les trois préceptes du droit politique chrétien (origine divine du pouvoir, fondement chrétien du droit, relativité des régimes politiques) leur servent de phare (Oliveira Salazar, 1922/1997, p. 255 et 259). D’aucuns y voient une trahison des clercs, en référence au livre de Julien Benda (Benda, 1927), œuvre prisée des cathédocrates (Reis Torgal, 2009, I, p. 126 et passim)52 qui l’emploient pourtant, dans leur jeunesse, pour flétrir le prosélytisme des professeurs républicains. Un mal nécessaire, selon le constat opéré par le professeur Salazar en 1923 : obtenir et garantir les droits inhérents à l’exercice du culte passe par la maîtrise du pouvoir législatif (Oliveira Salazar, 1923/1997, p. 311-312) et par l’élaboration d’une doctrine d’État respectueuse des principes chrétiens (accueil du surnaturel, base sociale sise sur la thèse de l’animal politique, reconnaissance du pouvoir spirituel) (Oliveira Salazar, 1925a/1997, p. 371-374). Pourtant, leurs bonnes dispositions à l’égard de l’Église ne sauraient voiler l’âpreté des luttes juridiques destinées à lui rétrocéder ses biens confisqués en 1910 ; même leur ami de longue date José Maria Braga da Cruz dut batailler ferme, en tant qu’avocat de l’archidiocèse de Braga, pour récupérer le séminaire de São Tiago, ce qui ne se concrétise qu’entre 1948 et 196653. De même, les cathédocrates essuyèrent des échecs, du moins durant la phase de transition entre la dictature militaire et l’Estado Novo : l’annulation en Conseil des ministres de « l’arrêté sur la sonnerie des cloches » (portaria dos sinos) en juillet 1929, pourtant conçu par Figueiredo, alors ministre de la Justice et des Cultes, est le cas le plus connu, la crise politique qu’elle engendre ayant fait miroiter la fin de la collaboration entre professeurs et militaires (Almeida de Carvalho et Araújo, 2005).

31La doctrine juridique des cathédocrates ne saurait être abordée en quelques pages : étalée sur près de 50 ans et engendrant directement de la norme, elle a déjà été analysée en profondeur, du moins pour le versant coïmbrien (Ferreira, 2003). Contentons-nous de sélectionner deux thèmes porteurs pour évaluer leur capacité à enrégimenter la foi catholique dans le cadre de leurs constructions dogmatiques puis de leurs réformes. D’une part, les sujets prônant l’alliance du droit et de la morale qui s’épanouissent dans un cadre associatif structuré par le chef des juristes catholiques, le professeur Fezas Vital (A). De l’autre, le droit corporatif : au rebours de ses homologues européens, en particulier fasciste, il présente au Portugal une vocation spiritualiste visant à réorganiser l’ensemble de la société civile et pas uniquement le secteur de l’économie, dans l’espoir de la rechristianiser (B).

A. Le droit à la remorque de la morale catholique : les limites de l’homo juridicus

32À l’instar des congrès scientifiques internationaux des catholiques (Audren, 2008, p. 254), les thématiques traitées par les cathédocrates dans leurs revues et conférences ont souvent trait au droit naturel (de nature thomiste), au droit de la famille (avec un accent placé sur la puissance paternelle et la liberté testamentaire), à la personnalité morale et à la législation sociale, ces deux dernières en raison du poids occupé par le corporatisme. En dehors du droit corporatif, de la défense d’un jus cogens d’inspiration chrétienne en droit international (préconisée au sortir de la seconde guerre mondiale) et d’un droit colonial secondant l’effort d’évangélisation, la seule thématique novatrice de ces professeurs catholiques tient au droit constitutionnel : ils renouent avec une hétérolimitation divine, que l’on croyait révolue avec la fin du « constitutionnalisme octroyé » (Ferreira, 2019b et 2021b). L’État est ainsi assujetti à la morale, sous-entendue catholique, tenu autant de la respecter que de la promouvoir dans les écoles (articles 4, 6, 8 et 43 de la Constitution de 1933, rédigée principalement par Salazar et Fezas Vital) ; en même temps, il plie face à l’idée de droit et aux libertés « de racine chrétienne » (Caetano, 1972, I, p. 314). Une synthèse entre hétérolimitation religieuse et autolimitation juridique héritée de Jellinek est volontairement opérée. Les politiques sont les premiers visés par ces rappels, le parlementarisme étant dénoncé pour son immoralité et sa corruption, inhérentes au désenchantement du monde.

33Paradoxalement, les autres branches du droit ne présentent pas des traits catholiques aussi saillants, ce qui tient aussi à la répartition effectuée en amont. À Lisbonne, comme à Coimbra, les revues fonctionnent en effet par paire : à un périodique pratique déjà ancien (Revista de Legislação e de Jurisprudência pour Coimbra  et O Direito pour Lisbonne sont tous deux nés en 1868), que les enseignants ont su conquérir au premier xxe siècle sans en modifier les traits, correspond une revue dédiée à la recherche fondamentale et à la vie de leur faculté de droit (Boletim da Faculdade de Direito de Coimbra, créée en 1914 ; Revista da Faculdade de Direito da Universidade de Lisboa, née en 1917). La méthode casuistique des premières limite notre champ d’investigation aux secondes.

34Premier constat : du temps de la Première République, les incursions en droit des cultes et des libertés de la foi sont plutôt rares, sans doute par crainte des poursuites. Le titulaire du cours de confessions religieuses puis de droit des cultes, Magalhães Collaço, souvent inquiété par les autorités républicaines, est ainsi le principal auteur des articles relatifs à la loi de Séparation, fruits de la maturation de ses leçons (Tello de Magalhães Collaço, 1917-1918 et 1923). Pétris de références françaises et italiennes, ses travaux sont irréprochables sur le plan scientifique, se permettant même de critiquer Maurice Hauriou et Paul Hinschius pour l’emploi de formules politiques dans leurs études abordant le droit des religions (Tello de Magalhães Collaço, 1917-1918, p. 685-686). Sans revenir sur la question du meilleur rapport entre Église(s) et État, n’y voyant qu’un sujet politique et non un problème de technique juridique (p. 657), Magalhães Collaço est formel : en droit, le régime de séparation ne peut signifier que deux choses. D’un côté, l’abandon de toute finalité spirituelle poursuivie par l’État ; de l’autre, en conséquence de la première idée, la privatisation du service public des cultes (p. 685-686). En dehors d’une définition de la religion, inspirée de Morris Jastrow et du prêtre jésuite Léonce de Grandmaison (p. 654), et d’une clarification opportune du sens à donner à la « liberté religieuse » (« la faculté offerte de conformer son attitude et ses actions à sa pensée en matière religieuse », offrant ainsi un débouché concret à la liberté de conscience) (p. 660), son originalité est réduite. Partisan d’une vraie séparation, sa défense de la foi catholique ne pouvait qu’être tacite : seule la connaissance du contexte permet de saisir les piques adressées au gouvernement républicain, lorsqu’il estime qu’une véritable séparation implique la liberté religieuse, mais aussi l’égalité des cultes devant la loi et la soumission des associations cultuelles au droit commun. La loi et le règlement ne sont pas des armes de combat (p. 662)… Une phase de transition est parfois nécessaire, pour éviter d’offrir trop d’avantages à la religion « sortante », ce qui ne justifie pas pour autant les attaques contre elle (p. 669-671). Ses principaux travaux, publiés à dessein après le décret Moura Pinto, lui permettent de louer « l’esprit de justice et d’apaisement » de ce texte avançant dans le bon sens (p. 683).

  • 54 Encore faut-il être attentif aux traductions, opérées par Cabral de Moncada.
  • 55 Ses archives contiennent des documents résumant la difficulté des négociations (Ms. MF 608) et les (...)

35Second constat : les études abordant les rapports entre la religion et les autres branches du droit sont tout aussi rares, y compris sous l’Estado Novo. Les références au catholicisme s’y projettent par touches, même pour expliciter les célèbres passages de la Constitution de 1933. Les travaux d’étrangers, tels ceux de Del Vecchio et de Le Fur, n’échappent pas à ce constat, nonobstant l’interprétation évidente à donner à leurs plaidoyers en faveur d’un « droit véritable, le droit traditionnel à fondement moral » (Le Fur, 1938-1939, p. 264), l’homo juridicus ne pouvant vivre que de textes de loi (Del Vecchio, 1939-1940)54. La période postérieure au concordat de 1940 ne se traduit pas par une profusion d’études sur ce thème, en dehors de recensements (Pires de Lima, 1946) et de travaux exégétiques dont le principal fut conçu par Figueiredo, négociateur de cet accord auprès du Saint-Siège (Figueiredo, 1940)55 – ce qui lui vaut le surnom de « Talleyrand du président du Conseil [Salazar] » (Cabral de Moncada, 1992, p. 177). En dehors de la présence polémique du membre de l’Opus Dei, Francisco Xavier de Ayala, dans les pages du Boletim da Faculdade de Direito, défendant l’efficacité du mariage canonique (Ayala, 1950), le seul article critique intervient en 1946, signé par un opposant discret du régime. Visage alternatif des juristes catholiques (le faire-part de décès en témoigne, placé en annexe), Manuel de Andrade étudie l’évolution récente du droit privé, se permettant de contester la supposée indissolubilité du mariage religieux « rétabli » par le décret nº 30615 du 25 juillet 1940. Même pour les 85 % d’unions religieuses, le divorce devrait être permis puisque chacun est libre de changer de religion et que nul n’est tenu par un engagement perpétuel (Andrade, 1946, p. 327).

36Ce bref état des lieux ne peut surprendre : les cathédocrates aspirent à la reconnaissance scientifique de leurs pairs européens, redoutant de voir leurs travaux être mis au pilori (voire au pilon), à l’instar du premier manuel de droit politique portugais, publié en 1841 par João de Sande Magalhães Mexia Salema, objet de moquerie pour l’alliance opérée entre science constitutionnelle et dogme catholique. Même quand la charité chrétienne s’expose, comme dans les écrits du doyen José Beleza dos Santos en droits pénal et pénitentiaire avec cette volonté de « récupérer » un homme en « rachetant » un délinquant, une séparation du juridique et du religieux s’observe scrupuleusement : le maintien de l’abolition de la peine de mort (une fierté pour les cathédocrates) et le concept de faute dans la conduite de vie ne sauraient donc s’expliquer par la religiosité des cadres portugais.

  • 56 Plusieurs professeurs de droit les rejoindront, à l’image de Marcel Prélot, de Maurice Deslandres e (...)

37Pour autant, le ton scientifique et l’audience restreinte de ces travaux ne correspondent pas aux aspirations des professeurs catholiques, soucieux de diffuser le discours juridique chrétien auprès d’un public profane. Trois tribunes, ciblant respectivement les étudiants, les praticiens et les croyants, servent leur propos. Le CADC, d’abord, continue de diffuser la bonne parole auprès des élèves dans sa nouvelle revue sobrement nommée Estudos ; elle organise même, dans les années 1950, des Journées catholiques du droit, publiant ensuite ses actes dans son périodique. Les deuxièmes journées de ce genre, organisées en 1957, offrent l’occasion au dernier doyen de Coimbra avant la révolution des Œillets, Afonso Rodrigues Queiró, figure du droit administratif, d’aborder le thème de l’autorité, où s’exposent, en un langage mêlant thomisme et augustinisme, l’origine divine du pouvoir, la primauté de la fin spirituelle de l’homme ou encore le besoin d’une collaboration entre Église et État, aussi éloignée du régalisme que de l’ultramontanisme (Rodrigues Queiró, 1957). L’AJCP, ensuite, permet de préserver un auditoire auprès des praticiens : Fezas Vital peut ainsi y professer l’origine divine du pouvoir, le précepte de bien commun contre le mythe de la volonté générale, ou encore louer les vertus cardinales catholiques, les seules à pouvoir protéger le pays de « la conception païenne, conception antichrétienne » d’Hitler et de Ribbentrop divinisant la nation ou la race (Fezas Vital, 1938). Enfin, les Semaines sociales portugaises s’adressent aux croyants. Lancées en 1940, et donnant naissance à cinq actes de colloques sur des thèmes comme la doctrine sociale catholique (abordant ici les droits colonial, corporatif et de la famille), le travail ou encore l’éducation, les Semaines sociales portugaises se définissent comme des universités ambulantes du catholicisme social bâties selon le modèle français initié par Marius Gonin et Adéodat Boissard par suite de la réception de Rerum Novarum (Durand, 2006)56. Fezas Vital assume la fonction de président de la commission permanente des Semaines sociales portugaises, ce qui facilite les invitations de plusieurs collègues jusqu’aux années 1950 : Mário de Figueiredo, Abel de Andrade, José Gabriel Pinto Coelho, Guilherme Braga da Cruz, João Antunes Varela ou encore Afonso Rodrigues Queiró.

38Quels que soient le support et le thème abordé, leur christianisme s’érige en rempart à l’évolution diabolique du monde, qu’elle provienne des « démocraties totalitaires » du xxe siècle (bloc de l’Est, puissances de l’Axe) ou des régimes « démo-libéraux ». Dans les deux cas, nonobstant des différences de méthode et de degré d’avilissement, l’homme y est réduit à l’état de machine, un homme-masse privé de sa personnalité et mû par son matérialisme ; un homme perdu, aveugle envers Dieu, comme placé au sein d’une « forme tératologique de démocratie, ou démocratie mutilée, dégénérée » refusant de donner à l’esprit la place qui lui revient (Cabral de Moncada, 1962/2004, I, p. 298). Dans les années 1930 et 1940, le pouvoir politique, délesté de tout fondement moral, a pu développer sans frein son « ethos démoniaque » (sic), se plaçant ainsi au service des intérêts matérialistes (mais aussi parfois raciaux ou biosociaux), ce qui a conduit à « une hypertrophie de la forme politique de la vie et à une exaltation de l’homo œconomicus dans toute sa nudité » (Cabral de Moncada, 1945/2004, II, p. 130-131). L’Occident sottement triomphant de l’après-guerre n’offre guère plus d’espoir. Face à l’absence de perspective eschatologique, le juriste n’a qu’une mission : renouer avec la foi, pour proposer une autre vision de l’homme, celle d’un homo juridicus sachant accepter la part de vérité contenue dans le Verbe divin. Comme le dit Cabral de Moncada :

« En d’autres termes : où allons-nous ? Vers une suppression totale de l’esprit, avec l’affaiblissement progressif de ses meilleures énergies intellectuelles, réduites tous les jours un peu plus à de simples instruments d’un homo faber qui s’autodétruit […] ? Ou vers une authentique révolution de l’esprit, suivant la ligne tracée par la Grèce antique, la Renaissance et les Lumières, où la raison, sans jamais oublier ses limites naturelles grâce à une foi chrétienne rénovée et équilibrée, récupère sa place et où l’homme reprend conscience de ses infinies possibilités d’être spirituel ? » (Cabral de Moncada, 1962/2004, I, p. 310).

39Leur solution ? La confection d’un droit corporatif d’essence spiritualiste, nous permettant d’échapper à l’enfer vide de sens de la société de consommation qui s’annonce. Fezas Vital peut ainsi ériger l’homo œconomicus en « incarnation parfaite de l’égoïsme » (Fezas Vital, 1940, p. IV), laissant à ses pairs le soin de défendre l’homo corporativus, cet individu cherchant, à travers la corporation, à atteindre et réaliser ses fins spirituelles.

B. Un instrument de rechristianisation : droit corporatif et « technocatholicisme »

40Le concept de « catholaïcisme » et la concrétisation du modèle portugais de corporatisme prennent appui sur des conférences que livre Salazar dans l’optique de surmonter la question religieuse envenimant la Première République. Au rebours de ses collègues Lumbrales, Figueiredo et Fezas Vital, qui mêlent les causes monarchistes et catholiques, Salazar respecte toujours la politique de ralliement de Léon XIII, refusant toute restauration royale. Pour autant, au nom de la théorie des climats, il souligne dès ses années d’étudiant une contradiction institutionnelle : la République a installé une superstructure politique anticléricale hostile à l’infrastructure sociale restée catholique (Oliveira Salazar, 1914f/1997, p. 217 et 226). Selon lui, la démocratie ne peut être que catholique afin de garantir la liberté, l’égalité et la fraternité en leur sens véritable et ainsi repousser le darwinisme social, le culte païen de l’État et le spectre de l’ochlocratie armée de sa cohorte de démagogues (Oliveira Salazar, 1914f/1997, p. 227-229 et 1912/1997, p. 193). S’avère donc nécessaire la confection d’un « réseau d’organisations sociales, où le principe associatif, lié à l’élément religieux, ouvre la voie à une copieuse source de biens matériels et moraux » (Oliveira Salazar, 1922/1997, p. 282).

41Cette conviction, propre à la démocratie chrétienne qu’il contribue à fonder et à théoriser au Portugal, le pousse à institutionnaliser l’intervention de l’Église. Comme en France, le problème tient à l’obéissance des associations cultuelles à la hiérarchie catholique, elles qui sont censées servir d’intermédiaire entre le clergé et l’État pour toutes les affaires matérielles de l’Église. Pour éviter toute association cultuelle aux mains d’athées et afin de satisfaire une revendication de l’épiscopat, la dictature militaire, via son ministre de la Justice et des Cultes, le professeur de droit Manuel Rodrigues Jr, reconnaît la liberté d’organisation de l’Église : elle concède la personnalité juridique « aux corporations et instituts chargés du culte » par le décret nº 11 887 du 6 juillet 1926. Le 24 juillet, le professeur Salazar publie une glose de ce décret dans la presse généraliste, se disant déçu. Certes, il avance dans le bon sens en offrant des garanties et en concrétisant le principe hiérarchique inhérent au catholicisme grâce aux pouvoirs reconnus aux évêques (Oliveira Salazar, 1926/1997, p. 425-426) ; mais il reste trop complexe : Salazar préférerait donner la personnalité juridique aux paroisses et aux diocèses, afin d’éviter une « excroissance inutile » où se lovent tracas administratifs et comptables (Oliveira Salazar, 1926/1997, p. 426-428). Cette simplification anime le concordat de 1940, qui consacre la personnalité juridique de l’Église (article I) et celle des associations et corporations qu’elle juge bon de créer (article III), sans altérer pour autant le principe de séparation.

  • 57 Cette filiation, flattant la doctrine sociale de l’Église, est un poncif de la littérature juridiqu (...)
  • 58 Bien que séduits, les Français ne proposent pas d’équivalent officiel. Toutefois, le cours de matiè (...)

42Sous couvert d’aborder scientifiquement le droit des cultes et les nouvelles relations entre l’Église et l’État, Salazar adopte une antienne des juristes catholiques, au Portugal comme ailleurs : le corporatisme d’essence spiritualiste, organiciste, mais non autoritaire, laissant la part belle aux initiatives de la base, ce qui démarque(rait) le modèle portugais de celui pratiqué en Italie, nonobstant quelques emprunts assumés de terminologie juridique (Fezas Vital, 1940, p. 45-46)57. Le corporatisme portugais s’inspire pour l’essentiel de prédécesseurs catholiques du xixe siècle, à savoir Pinheiro Ferreira et les professeurs de droit krausistes (Ferreira, 2019a et 2021a), ainsi que de la doctrine sociale de l’Église, synthétisée par l’Union internationale d’études sociales de Malines dans son Code social de 1927, traduit en portugais en 1945 (Caetano, 1957, p. 14). Introduit dans les études juridiques dès le décret-loi nº 23 382 du 20 décembre 1933, l’enseignement du droit corporatif au Portugal devance de près de deux ans celui instauré par les Italiens (décret nº 2044 du 28 novembre 1935)58. Conçu dans le sillage du droit constitutionnel (à moins que cela ne soit l’inverse), le corporatisme désire structurer la population, en lui laissant cependant l’initiative du processus, afin de la conduire sur le droit chemin et l’unir pour surmonter les fractures sociales. Guère limitée à une annexe de l’économie politique comme dans le reste de l’Europe, cette branche du droit se conçoit au Portugal comme un droit de la régulation du social apte à révolutionner les sources du droit.

  • 59 João Manuel Cortez Pinto (1955, p. 141) parlera d’une « certaine hésitation ou désorientation génér (...)
  • 60 Le professeur Lumbrales, en qualité de ministre des Finances, dut coordonner et gérer ces fonds, no (...)

43Fezas Vital le définit comme « le complexe de normes juridiques qui instituent, organisent ou structurent les organismes corporatifs (droit corporatif instrumental, structurel ou organique) et en disciplinent l’activité ou celle d’entités représentées par eux, et seulement à ce titre (droit corporatif matériel ou substantiel) » (Fezas Vital, 1940, p. 101). Ce choix définitionnel, maltraitant à dessein la frontière droit public/droit privé (Fezas Vital, 1940, p. 104-112), s’impose en raison de leur vision de la société. Présentée comme un corps organique et solidaire, comprenant d’autres organismes de moindre taille comme la famille, les corporations, les universités ou encore les établissements religieux, la société trouve dans la figure de l’État son pendant politique et régulateur, à même de discuter, sans intermédiaire, avec les représentants naturels des organismes dont elle se compose (père de famille, patron, maire, évêque, etc.). Cette lecture intégrale du corporatisme reste de mode dans les facultés de droit, alors que son versant limité à l’économie s’estompe après 1945 : comme leurs homologues français, suivant la trajectoire de François Perroux (Cohen 2006), les économistes portugais s’en détournent59 pour s’en remettre au keynésianisme, motivés par la manne financière du plan Marshall60 et par l’éclipse de la propagande de l’Estado Novo, passée à autre chose (Bastien, 2012, p. 125). Seul le droit corporatif résiste à la lame de fond que représente la fin de la seconde guerre mondiale, dévoilant le visage de « l’école corporative portugaise » (Pires Cardoso, 1949). D’aucuns le qualifient aujourd’hui de « technocatholicisme » (sic), un mélange déroutant entre technocratie et christianisme qui trouve son point d’orgue (et son dernier souffle) dans les années 1960, sous l’égide du ministère des Corporations (Costa Alho, 2008) actant ainsi l’échec du corporatisme spontané.

  • 61 Bien que le changement s’opère avant, au gré des mutations et des recrutements. Par exemple, le pro (...)
  • 62 Arquivo Marcello Caetano, CX.28, Correspondência/Gressaye, Jean Brèthe de La, nº 2. La lettre nº 1 (...)

44Ces choix expliquent l’aura conférée par les catholiques français aux professeurs portugais. Le sujet est connu pour le public profane, en tant que marqueur du « philosalazarisme » (Dard et Sardinha-Desvignes, 2018, p. 90-96). Séduisant économistes (Louis Baudin), catholiques sociaux (Georges Coquelle) et chefs d’entreprise (ceux du Comité central de l’organisation professionnelle), le corporatisme portugais devient un modèle en France pendant les années 1930, ne pâlissant que sous le régime de Vichy, qui prétend mettre en place son propre modèle corporatiste fondé sur des réalités nationales. Moins connu, le thème séduit aussi les juristes catholiques : les professeurs français prennent abondamment appui sur les cathédocrates, occupant la partie la plus féconde de leur bibliographie. Le phénomène surprend, dans la mesure où le Portugal n’a que rarement été un producteur d’idées, sa science étant souvent marginalisée. Pourtant, les attentions mutuelles sont conséquentes : en plus d’invitations réciproques dans des colloques, qui bénéficient aussi aux professeurs de la faculté de droit de Lisbonne, « épurée » sous l’Estado Novo61, une correspondance s’établit. Les archives de Marcello Caetano renferment ainsi une lettre de Jean Brèthe de La Gressaye, datée du 7 février 1938 et reproduite en annexe, où il le remercie d’avoir répondu à sa demande d’envoi de son cours de droit corporatif, faisant même l’effort de « déchiffrer tant bien que mal le portugais » pour en prendre connaissance62 ! Nonobstant les accointances idéologiques et la communauté de principes, d’ailleurs revendiquées (Fezas Vital établit expressément la filiation avec l’institutionnalisme des professeurs catholiques Maurice Hauriou et Georges Renard) (Fezas Vital, 1940, p. 94), l’insuccès pratique du corporatisme « spontané » portugais, évident dès les années 1940, effraie les juristes français. À l’image des communistes sincères, déçus par l’évolution autoritaire des régimes marxistes du xxe siècle, les corporatistes tels Renard ou Brèthe de La Gressaye tendent à se désolidariser de l’expérience portugaise en prévision du revers du régime salazariste et afin de préserver les chances de leur vision du corporatisme (Ravaux, 2021, p. 781, 1487 et 1490), qui n’aboutira pourtant jamais.

45Que penser du bilan de la mobilisation des professeurs catholiques au Portugal ? À première vue, il n’est guère flatteur : leur corporatisme a échoué comme ailleurs, ne parvenant ni à résoudre la question religieuse, ni à surmonter l’opposition socialisme/capitalisme en incarnant une troisième voie. Leur droit constitutionnel éclectique, qui a pourtant longtemps repoussé une référence expresse à Dieu dans la Constitution, est tombé dans l’oubli. Leur droit de la famille est dépassé, en vertu de l’évolution fulgurante des mœurs. Difficile enfin de savoir si leur défense avant-gardiste et chrétienne du jus cogens a eu un impact sur sa réception et sa concrétisation en droit international, des recherches restant à mener. De façon plus certaine, il est notable de constater que les défenseurs autoproclamés de la foi ont entériné le processus contemporain (mais surtout occidental) de sécularisation du droit et de la société, reléguant le christianisme à un sédiment de leur idéologie et de leur législation. Telle Marie sur la Croix, Cabral de Moncada pouvait donc se lamenter en actant l’impossibilité du réenchantement du monde du droit :

« Il y a même, en dépit de tout ce processus de sécularisation des sociétés modernes depuis la Renaissance, à laquelle nous assistons encore de nos jours, un fond religieux en granit qui, vaille que vaille, continue de programmer notre système d’idées morales et, à travers lui, notre système juridique. […] Les sédiments de la morale religieuse chrétienne, déposés dans la vie sociale au long des siècles, continuent, malgré tout, à agir tel un écho lointain dans la formation de notre conscience juridique contemporaine » (Cabral de Moncada, 1966, II, p. 142).

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Annexe

Annexe 1

Faire-part de décès de Manuel Augusto Domingues de Andrade.

Faire-part de décès de Domingos Fezas Vital.

Faire-part de décès de José Alberto dos Reis.

Annexe 2

Lettre de Jean Brèthe de La Gressaye adressée à Marcello Caetano (recto).

Lettre de Jean Brèthe de La Gressaye adressée à Marcello Caetano (verso).

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Notes

1 Il souligne. Les traductions sont nôtres.

2 En omettant le travail opéré par les libéraux dès le premier xixe s. (Clemente, 1991).

3 Fonction qu’il ne put assumer en raison de son exil puis de son décès. Il s’initia en 1905, semble-t-il, au sein de la loge O Futuro (« Le Futur ») sous le pseudonyme Platon (Oliveira Marques, 1986, vol. I, p. 419-421).

4 Pour un aperçu de sa pensée juridique : Ferreira, 2022. Sur la réception de Rerum Novarum : Sardica, 2004.

5 L’expression apparaît dans les débats parlementaires (Diário da Câmara dos Deputados, nº 138, 26 juin 1913, p. 24), sans viser directement Afonso Costa (la référence citée cible le député Alexandre de Barros), au rebours des affirmations de plusieurs historiens.

6 Entretien accordé à A Entrevista. Sem Santo nem Sanha, nº 5, 3 décembre 1913, p. 77-78.

7 Les seuls répertoriés par le catalogue de l’université de Coimbra ; la Bibliothèque nationale portugaise n’en possède aucun. Étonnamment, cette gazette dirigée par un monarchiste se place sous l’égide d’une citation de Léon Bourgeois : « L’idéal de la société c’est la Justice pour tous ».

8 Pour des raisons utilitaristes : Cunha e Costa voit dans le prêtre un « collaborateur nécessaire des institutions », en ce qu’il inculque aux masses analphabètes, et par conséquent insensibles à la « morale scientifique » des républicains, une « morale révélée » (Soares da Cunha e Costa, 1911).

9 Francophone et francophile – même s’il dénonce les travers de la Révolution de 1789 –, Cunha e Costa a aussi publié en 1918 un éloge de l’internationaliste et commercialiste Louis Renault (1843-1918).

10 Voir son entrée dans Figueiroa Rego, 2017, vol. I.

11 Toutefois, il est permis de penser que l’AJCP joue un rôle contre les cathédocrates à la fin de l’Estado Novo. Les archives de Guilherme Braga da Cruz, déposées comme celles de son père à l’université catholique portugaise (PT-UCP/CEHR/AGBC/G/G), dévoilent une curieuse affaire : adhérant à l’AJCP en 1960, il la quitte avec fracas le 28 décembre 1969, en raison d’un rapport, publié dans le bulletin de l’AJCP, colportant de fausses informations sur la crise frappant alors la faculté de droit de Coimbra.

12 Amis depuis leur passage au petit séminaire de Viseu.

13 Réalité décrite par Júlio Augusto Martins dans la Revista dos Tribunais (nº 745, 15 juin 1913). En 1918, sept ans après la loi de Séparation, seules 255 associations cultuelles ont été constituées, couvrant moins de 10 % des paroisses. La proportion de prêtres pensionnés est à peine plus élevée (Neto, 1998, p. 291). Compte tenu des chiffres officiels (5 416 204 catholiques sur 5 423 123 habitants), était-il possible de séculariser un pays voire de poser la neutralité religieuse d’un État où seul 1,28 % de la population professe une autre religion ?

14 L’historien Manuel Braga da Cruz est le fils de l’historien du droit Guilherme Braga da Cruz et le petit-fils de l’avocat et député catholique José Maria Braga da Cruz.

15 En France, des attaques similaires, menées par le parti radical, ont visé le « cléricalisme universitaire » : voir la mise au point dans l’article « Les radicaux et l’université » du Journal des débats du 10 mai 1901.

16 En particulier le décret-loi du 18 avril 1901 (Fonseca, 1951). Sur le terrain politique, les réponses catholiques débutent plus tôt en réaction aux attaques libérales (Carvalho da Silva, 2022).

17 « O nosso quinto anno », Estudos Sociaes, anno V, nº 1, janv. 1909, p. 5.

18 Sur la réception de cette encyclique, mais sans étude dédiée au Portugal : Arnold et Vian, 2017.

19 La revue devient l’organe officiel de l’Unidade da Mocidade Católica Portuguesa comme annoncé dans l’éditorial « Continuando » (vol. VI, nº 3, avril 1910, p. 1-2) et dans son nouveau titre : Estudos Sociaes. Revista Catholica Mensal. Orgão da Mocidade Catholica Portuguesa. Fonseca espère placer toutes les associations estudiantines du pays sous la tutelle coïmbrienne afin de constituer un front commun faisant barrage au socialisme et à l’anarchisme.

20 Du 29 juin 1934 au 4 décembre 1962, ce ministère est dirigé par un docteur de l’université de Coimbra, à une exception près : Leite Pinto (Reis Torgal, 1999, p. 97-98).

21 Voir les conférences du jeune Salazar en qualité de séminariste où il affiche son admiration pour « l’éducation nouvelle » de Demolins, alors que le sujet traité devait être… la Restauration portugaise de 1640 (Oliveira Salazar, 1909b/1997, p. 72 et 77). Il le répète dans sa défense de 1919, alors poursuivi pour atteinte à la République (Oliveira Salazar, 1919/1997, p. 243).

22 Descamps conçut un triptyque : La sociologie expérimentale (1933), Le Portugal. La vie sociale actuelle (1935) et Histoire sociale du Portugal (1959 – posthume).

23 Futur administrateur de la Compagnie des diamants de l’Angola (Diamang) et plusieurs fois sous-secrétaire d’État aux Finances et à l’Assistance sociale sous l’Estado Novo.

24 Sous le pseudonyme Soa, initiales de son nom. Il ne dénombre que deux quotidiens catholiques, dénonçant ces prétendus fidèles qui préfèrent s’abonner aux « mauvais » journaux. La thèse précitée de Paiva Alves dénombre 51 titres de presse catholiques au sortir de la monarchie, la plupart étrangers aux actualités, ne diffusant que la doctrine religieuse.

25 L’opposition bonne/mauvaise presse devient un poncif au sein de la Curie romaine (Agostino, 1991, p. 54-66). Elle inspire aussi au Brésil les évêques locaux qui lancent des périodiques (Ferreira, 2025b).

26 Sur les trois revues éditées par le CADC (la dernière, Estudos, active entre 1922 et 1970, a repris depuis 2003), voir Braga da Cruz, 1980, p. 154-160 et surtout Seabra et al., 1993.

27 Mendes Lopes rappelle qu’Afonso Costa se prononça contre l’indépendance de la magistrature lors de la Constituante de 1911, redoutant la création d’une caste formant un État dans l’État (Mendes Lopes, 2011, p. 8 et 35-39). Voir aussi Brito Moura qui expose les réactions populaires violentes contre les magistrats prononçant des relaxes de prêtres et contre leurs avocats (Brito Moura, 2010, p. 561-570).

28 « Je voulais juste prouver à la Chambre des députés que ceci n’est pas une loi de Séparation, mais de sujétion de l’Église envers l’État, une sujétion trop vexatoire pour pouvoir se maintenir. Ils affirment avoir commencé leur travail par la traduction de l’art. 1er de la loi française, établissant la liberté de conscience. Que vaut ceci ? Nul n’attaquerait le fond d’une conscience. Ce qu’ils ont oublié de traduire, a été la partie où il est dit que la République garantit le libre exercice des cultes… » (Oliveira Salazar, 1914c/1997, p. 162).

29 En 1912-1913, alors en 3e année, Salazar a eu la note inédite de 19 en droit administratif ; résultat obtenu sans complaisance, puisque son enseignant, Rocha Saraiva fait partie des 160 « intransigeants » de la crise académique de 1907.

30 Publié en 1914, le livre de Barrès conclut un travail de mobilisation de l’opinion publique entrepris dès 1910 et destiné à modifier la loi de 1905 aux fins de préserver le patrimoine ecclésiastique national.

31 Aucune source n’est citée, mais il prend probablement appui sur les Estatutos da Sancta Irmandade dos Clerigos, Coimbra, Imprensa da Universidade, 1872.

32 « […] l’Irmandade dos Clérigos Pobres est réellement une corporation dotée de la personnalité juridique. Quelle que soit sa nature à la date de publication du décret, fut-elle-même une corporation exclusivement destinée au culte ou seulement à la charité, elle avait un moyen de ne pas perdre sa personnalité juridique, perte menacée par l’art. 169 du décret : il consistait à réformer ses statuts jusqu’au 31 décembre 1911. Or, cette confrérie a réformé ses statuts ; et l’autorité civile a approuvé ces nouveaux statuts » (Oliveira Salazar, 1914c/1997, p. 168).

33 Notons la pique implicite contre Afonso Costa quand il évoque « la persécution féroce de ceux qui, au Portugal, se sont donné pour mission d’en finir avec le catholicisme en deux générations ».

34 « Main douce et ferme » en français dans le texte (p. 151).

35 Pour saisir ce concept grec signifiant autant éducation que civilisation : Jaeger, 1964.

36 « Relatório » (rapport du 16 octobre 1940), Anuário da Universidade de Coimbra, 1941-1942, p. 7.

37 Anecdote contée par plusieurs historiens du droit, dont Cabral de Moncada (2003, p. 118-119 note 10), avec le risque d’être inventée et de servir leur propagande.

38 Thème récurrent de son action économique : il faut revenir à une production vraiment collectiviste, au rebours du communisme, et parcimonieuse, en respectant les ressources naturelles, au contraire du capitalisme (Oliveira Salazar, 1925b/1997, p. 387-405).

39 Rarement déposées soit aux archives nationales (hors Salazar et Caetano), soit dans des archives universitaires (Figueiredo, G. Braga da Cruz, pour les principaux). Celles de Cabral de Moncada, restées familiales, ont été explorées par Erik Jayme, qui a publié sa correspondance avec Carl Schmitt en 1997.

40 Nous remercions Louis-Marie Gaudemet de nous avoir appris l’existence d’universités d’été à Coimbra dans les années 1960, auxquelles participa son père, Paul-Marie. Nous n’en avons pas retrouvé trace sur place, ce qui empêche d’en connaître l’objectif – sauf à dévoiler la volonté de maintenir des liens avec les enseignants étrangers au plus fort de la période d’ostracisme de l’Estado Novo.

41 En 1934-1935, Perroux remplaça Lumbrales, appelé au gouvernement, à la chaire d’économie politique de la faculté de droit de Coimbra. La collaboration lui vaut un doctorat honoris causa, récupéré en 1954. Teixeira Ribeiro lui succède par défaut. Les archives Figueiredo (Ms. MF 703) contiennent en effet la copie d’une invitation sans doute adressée en 1935 à un professeur français non identifié afin de remplacer Perroux, tombé malade ; il précise que Maurice Byé fut aussi sollicité, en vain, suivant la recommandation de René Gonnard.

42 Sicart, 2000, p. 26.

43 L’enquête interne le blanchit, ce qui lui permet de devenir recteur de l’université en 1913.

44 Décret annulé en 1915. Il n’obtient sa réintégration qu’en 1918, à Lisbonne de surcroît (Braga da Cruz, 1975, vol. I, note 1166).

45 Sebenta de son cours de 1917-1918 (Coimbra, J. Bizarro, 1918, 270 p.) assurée par les étudiants A. de Amorim Girão et J. Barros da Rocha Carneiro.

46 Lisboa, s. d. [1924 ?], 104 p. Publiée par M. Pereira de Oliveira et Adelino da Palma Carlos (1905-1992), qui aura une carrière politique et universitaire contrastée, en raison de son opposition à l’Estado Novo.

47 Sebenta de son cours de 1915-1916 (Coimbra, Luitana, 1915) assurée par A. Matta da Silva Oliveira. Ce professeur fut reçu en 1914.

48 Le décret-loi du 18 avril 1911 portant réforme des études juridiques crée la catégorie des assistants : ces postes, désormais porte d’entrée de la carrière universitaire, peuvent être disputés par de simples bacheliers en droit (quatre ans d’études) ayant publié des travaux scientifiques ; il suffit ensuite de réussir un concours comprenant la défense d’une dissertation imprimée, une épreuve écrite et enfin une leçon orale en préparation libre. Six enseignants en droit de Coimbra en bénéficient entre 1912 et 1917 : Rocha Saraiva, Carneiro Pacheco, Merêa, Fezas Vital, Magalhães Collaço et Salazar. Seul le premier refusera de servir l’Estado Novo, les autres étant plus ou moins liés aux milieux catholiques. Les six recevront le titre de docteur des années plus tard, sans produire de thèse : en effet, l’article 16 de la loi nº 616 du 19 juin 1916 et l’article 92 du décret nº 3370-C du 15 septembre 1917 autorisent la faculté de droit à procéder de la sorte, afin de récompenser les professeurs ayant accompli trois années de service (Fernandes Alves, 2012, p. 197-198).

49 « Manqués » en français dans le texte. Il souligne.

50 Renaissance due à la liberté d’organisation des cours universitaires, offerte par l’article 4 du décret nº 16 044 du 13 octobre 1928.

51 Une attitude qui les éloigne des professeurs catholiques libéraux comme Saleilles, défavorables à ce type d’engagement (Rolland, 2008, p. 278-279).

52 Ce livre serait, d’après Reis Torgal, un des trois livres de chevet des cathédocrates, en compagnie du Stupide xixe siècle de Léon Daudet et des Jeunes gens d’aujourd’hui d’Agathon. Cette opinion doit être nuancée ; néanmoins, le titre de l’œuvre de Benda va vite devenir une expression sous leur plume.

53 Sur ses combats en qualité d’avocat de l’archidiocèse de Braga : Braga da Cruz, 2004, p. 94-111.

54 Encore faut-il être attentif aux traductions, opérées par Cabral de Moncada.

55 Ses archives contiennent des documents résumant la difficulté des négociations (Ms. MF 608) et les minutes des projets de concordat (Ms. MF 609, 625, 699 à 702). Voir aussi Braga da Cruz, 1997. La base des négociations est la sixième version du projet de concordat conçu par un groupe de travail constitué des professeurs de droit Figueiredo, Fezas Vital et Rodrigues Jr, et du diplomate Teixeira de Sampaio.

56 Plusieurs professeurs de droit les rejoindront, à l’image de Marcel Prélot, de Maurice Deslandres et d’Émile Chénon (Fouilloux, 2006). Pour le cas portugais, faute de mieux : Pinharanda Gomes, 1984.

57 Cette filiation, flattant la doctrine sociale de l’Église, est un poncif de la littérature juridique (Cunha, 2016).

58 Bien que séduits, les Français ne proposent pas d’équivalent officiel. Toutefois, le cours de matières administratives, fondé à Paris dans les années 1930, dissimule un enseignement de droit public économique qui s’inspire du corporatisme (Richard, 2017).

59 João Manuel Cortez Pinto (1955, p. 141) parlera d’une « certaine hésitation ou désorientation générale » intervenue après 1945 – noyant un système corporatif peu développé avant 1939, de son propre aveu.

60 Le professeur Lumbrales, en qualité de ministre des Finances, dut coordonner et gérer ces fonds, non sans avoir repoussé l’aide étatsunienne dans un premier temps (Aboim Pires, 2016, p. 405-406).

61 Bien que le changement s’opère avant, au gré des mutations et des recrutements. Par exemple, le professeur et vice-président de la Banque du Portugal, Fernando Emygdio da Silva (1886-1972), souvent convié en France, obtient son doctorat à Coimbra en 1911 et est le pendant de Salazar à Lisbonne en y fondant le groupe des sciences économiques (finances publiques, droit fiscal, économie politique). Les épurations universitaires, qui débutent avec le décret-loi nº 25317 du 13 mai 1935, ont eu peu d’incidence sur les facultés de droit – même les professeurs les plus gênants pour le régime (Rocha Saraiva et Jaime de Gouveia) n’ont pas été renvoyés (Otero, 2013, p. 255-262).

62 Arquivo Marcello Caetano, CX.28, Correspondência/Gressaye, Jean Brèthe de La, nº 2. La lettre nº 1 est une invitation au Congrès international de politique sociale (Paris, 26-27 juillet 1937), Brèthe de La Gressaye précisant : « sera notamment étudiée la question du corporatisme. Votre présence et votre participation au Congrès sont vivement souhaitées ».

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Pour citer cet article

Référence électronique

Oscar Ferreira, « De la « loi à la main » à la loi dans la main »Cahiers Jean Moulin [En ligne], 10 | 2024, mis en ligne le 30 décembre 2024, consulté le 20 mai 2025. URL : http://journals.openedition.org/cjm/2736 ; DOI : https://doi.org/10.4000/13d03

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Auteur

Oscar Ferreira

CREDESPO - Université Bourgogne Europe

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Droits d’auteur

CC-BY-NC-SA-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-SA 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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