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Dossier

Le serin amoureux

Sexe, reproduction et race chez Buffon
The canary in love. Sex, reproduction and race in the work of Buffon
Jens Amborg
p. 91-112

Résumés

Cet article interroge la co-construction des concepts de race, de sexe et de reproduction dans l’histoire naturelle et l’élevage des animaux au xviiie siècle. L’analyse porte sur l’article « Serin des Canaries » de l’Histoire naturelle de Buffon. Il s’agit, dans un premier temps, d’examiner la signification sociale et culturelle de l’élevage de ces oiseaux à Paris au xviiie siècle, particulièrement populaire parmi les femmes aisées. Dans un deuxième temps, l’analyse se focalise sur l’article de Buffon pour montrer comment les descriptions scientifiques des différences sexuelles chez les animaux conduisent à la naturalisation des différences humaines, à travers ce que nous appelons un « cercle anthropocentrique de naturalisation ». Dans un troisième temps, nous montrons comment les deux catégories de sexe et de race sont construites l’une par rapport à l’autre dans l’histoire naturelle de Buffon et dans l’élevage des animaux de l’époque.

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Texte intégral

  • 1 Russell 1986 ; Wood & Orel 2001 ; Terrall 2007 ; Wood 2007.
  • 2 Nelson 2010 ; Nelson 2021a ; Lettow 2015 ; Doron 2016.
  • 3 Sloan 1995 ; Smith 2015 : 18 ; Schaub & Sebastiani 2021 : 374-378.
  • 4 Doron 2012 ; Müller-Wille & Rheinberger 2012 ; Lettow 2014a ; Hopwood, Flemming & Kassell 2018 ; Ne (...)
  • 5 Doron 2016 : 2e partie.
  • 6 Hoquet 2014: 30.
  • 7 Schaub & Sebastiani 2021 : 343.
  • 8 Harvey 2010.

1L’élevage des animaux a longtemps constitué un domaine important des savoirs pratiques sur la reproduction et l’hérédité1. Au xviiie siècle, c’est la notion de « race » qui est élaborée à l’aune des savoirs sur la domestication des animaux2. La « race » prend alors un nouveau sens en histoire naturelle : elle s’appuie sur des catégories plus ou moins stables empruntées aux grandes classifications contemporaines de la nature, applicables aussi bien aux humains qu’aux animaux domestiques3. Cette vision raciale s’inscrit dans le cadre d’une transformation générale des sciences de la vie où le nouveau concept de « reproduction » – encore une notion qui s’applique sans distinction aux humains et aux animaux – introduit, dès le milieu du siècle, une perspective généalogique et une nouvelle temporalité de la nature, ce qui est particulièrement sensible dans l’œuvre du naturaliste français Georges-Louis Leclerc, comte de Buffon (1707-1788)4. Claude-Olivier Doron a montré que la race humaine pouvait dès lors être comprise comme un objet altérable et susceptible de modifications, soit par dégradation, soit par amélioration, comme les animaux domestiques dans le domaine de l’élevage5. L’idée que la notion de reproduction, la naturalisation de la race et la domestication des animaux sont historiquement imbriquées s’est ainsi progressivement imposée6. Pourtant, la plupart des études qui se sont intéressées à l’histoire des théories de la reproduction et de la généalogie reposent sur une lacune béante : ni le sexe ni le genre n’y sont thématisés, alors que, comme l’ont souligné récemment Jean-Frédéric Schaub et Silvia Sebastiani, la « généalogie est précisément ce qui rend le genre et le sexe inséparables de la race »7. Nous montrons ici qu’au xviiie siècle les trois concepts en question – race, sexe et reproduction – sont co-construits à travers l’histoire naturelle et l’élevage des animaux. Il s’agira dès lors de mettre en évidence comment, dans cette période qui a été caractérisée comme le « siècle du sexe »8, les différences sexuelles humaines sont naturalisées à travers les savoirs sur les animaux, et en quoi ces savoirs sur le sexe et la sexualité animale sont fondamentaux pour donner un nouveau sens à la notion de race.

  • 9 Spary 2005.

2L’analyse partira de l’œuvre majeure du naturaliste le plus influent en France au xviiie siècle, le comte de Buffon, dont l’autorité est due à son Histoire naturelle, générale et particulière, publiée en trente-six volumes entre 1749 et 1788 ainsi qu’à sa position d’intendant du Jardin du roi pendant cinq décennies9. Elle s’appuiera plus spécifiquement sur l’article « Serin des Canaries » (1778) de l’Histoire naturelle et portera sur la question de la reproduction de cet oiseau de cage. Dans un premier temps, nous examinerons la signification sociale et culturelle des relations entre femmes et serins des Canaries à Paris, au xviiie siècle. Considéré comme un « amusement innocent », l’élevage des serins est une activité particulièrement populaire parmi les femmes aisées, qui, bien que parfois critiquée, leur permet en certaines occasions d’établir des liens avec le monde savant. Dans un deuxième temps, l’analyse se focalisera sur l’article de Buffon et la centralité qu’il accorde aux différences sexuelles. Il s’agira de montrer comment les descriptions scientifiques d’animaux conduisent à la naturalisation des différences humaines. Dans un troisième temps, sur la base du même article de l’Histoire naturelle, nous interrogerons le croisement entre sexe et race pour montrer que ces deux catégories sont intimement liées dans l’élevage des animaux de l’époque, et qu’elles s’appliquent également à l’amélioration de l’espèce humaine.

Un « amusement innocent » de femmes

  • 10 Farber 1997 : ch. 1 et 2.
  • 11 Robbins 2002 : 124-125 ; Breittruck 2012 ; Breittruck 2014.
  • 12 Del Col 2002 : 186-190. Le traité est traduit en allemand (1712), hollandais (1712), anglais (1718) (...)
  • 13 Brisson 1760 ; Buffon 1770-1783 ; Olina & Buc’hoz 1774 ; Buc’hoz 1782a.

3Buffon publie le premier tome de l’Histoire naturelle des oiseaux en 1770, au moment où naît l’ornithologie. Cette nouvelle discipline scientifique émerge, dans la deuxième moitié du xviiie siècle, alors que les oiseaux occupent une place importante dans la culture et la société européenne10. Les oiseaux chanteurs sont très à la mode comme animaux de compagnie et le serin des Canaries est l’oiseau de cage par excellence11. Le premier ouvrage important en France sur le sujet – le Nouveau traité des serins de Canarie, écrit par Hervieux de Chanteloup (1683-1747), gouverneur des serins de la princesse de Condé, Anne de Bavière (1648-1723) – est traduit en plusieurs langues et sa première publication en 1709 est suivie de nouvelles éditions tout au long du siècle12. Le nombre d’ouvrages sur les oiseaux qui paraissent dès les années 1760 – de Brisson, Buc’hoz et Buffon parmi d’autres – atteste de l’intérêt croissant pour ces animaux13.

  • 14 Olina & Buc’hoz 1774 : 38.
  • 15 Plumb 2018 : 260-61.
  • 16 Hervieux de Chanteloup 1709 : 277, 280.
  • 17 Olina & Buc’hoz 1774 : 101.

4Le serin des Canaries est un animal ambivalent. À la fois exotique et domestique, cet oiseau jadis étranger, inconnu des Anciens, s’est, selon les mots du naturaliste Pierre-Joseph Buc’hoz (1731-1807), « naturalisé dans notre climat, ou pour mieux dire il y est devenu un oiseau domestique »14. Originaires des îles des Canaries, mais acclimatés en Europe à l’âge moderne, les serins vendus à Paris sont soit importés par des marchands oiseleurs suisses, soit élevés en France. Les marchands étrangers font venir les oiseaux d’Europe centrale où ils sont élevés et sélectionnés pour leur plumage et leur chant15. Le prix des serins varie largement selon les caractéristiques des oiseaux, et les spécimens rares s’arrachent à prix d’or. En 1709, Hervieux rapporte que le prix d’un serin gris commun (le moins cher) est de 3 livres 10 sols, tandis que « l’on voit tous les jours de Curieux aisez qui ne se font point une affaire de payer trois à quatre cens livre une paire de Serins à leur gré »16. Au cours du siècle, les oiseaux deviennent de plus en plus accessibles et leur possession se popularise. En 1774, Buc’hoz affirme que le serin des Canaries « se trouve généralement dans toutes les maisons »17.

  • 18 Robbins 2002 : 140-146.
  • 19 Buffon 1753 : IV, 84.
  • 20 Caraccioli 1768 : III, 145-146.
  • 21 Tague 2015 : 112-119.
  • 22 Steinberg 2001 : 285-291.

5Les relations entre femmes et serins des Canaries suscitent de nombreux commentaires à l’époque. D’une part, les serins sont souvent associés à une culture de consommation féminine, dépensière et inutile18. L’affection des femmes pour ces animaux provoque l’indignation des observateurs masculins. En 1753, Buffon écrit par exemple que l’amitié d’une femme pour son serin « n’a pour objet qu’un insipide amusement auquel l’âme n’a point de part »19. Dans le satirique Dictionnaire critique, pittoresque et sentencieux (1768), Louis-Antoine Caraccioli (1719-1803) affirme que le serin « fait l’amusement de je ne sais combien de femmes & de Religieuses qui aimeroient souvent mieux voir périr une personne que leur oiseau »20. La critique la plus sévère de l’affection exagérée des femmes pour les animaux de compagnie concerne la reproduction. Comme le montre Ingrid Tague, la figure de la vieille fille qui n’a pas trouvé de mari à cause de son obsession des animaux constitue la quintessence de cette critique. Elle symboliserait l’échec ultime : l’incapacité pour les femmes d’atteindre leur pleine féminité en accomplissant leur destin naturel d’épouse et de mère21. Les animaux de compagnie, associés à une culture de luxe qui défigure la nature en détournant les femmes du mariage et de la procréation, sont conséquemment liés à l’angoisse, très forte à l’époque, de la dépopulation et de la dégénération de l’espèce humaine22.

  • 23 Hervieux de Chanteloup 1709 : 326.
  • 24 Olina & Buc’hoz 1774, v.
  • 25 Buc’hoz 1782a.
  • 26 Buc’hoz 1782b ; Buc’hoz 1784.

6D’autre part, l’élevage des oiseaux est considéré par les écrivains ornithologues comme un « amusement innocent », convenable pour les femmes et les religieux. Dans son traité sur l’élevage des serins, Hervieux loue « ce doux & innocent plaisir »23. En 1774, Buc’hoz écrit dans Les amusemens innocens – une traduction libre du traité sur les serins de Giovanni Pietro Olina du xviie siècle – : « De tous les amusemens champêtres, le plus agréable, & en même-tems le plus innocent, est l’Art de l’Oiseleur ; cet Art consiste dans la chasse aux oiseaux, dans la manière de les élever & de les apprivoiser »24. Ce traité est suivi en 1782 par les Amusemens des dames dans les oiseaux de volière du même auteur25. Ce dernier ouvrage fait partie d’une trilogie, contenant également le Trésor des laboureurs dans les oiseaux de basse-cour (1782) et Les agrémens des campagnards dans la chasse des oiseaux et le plaisir des grands seigneurs dans les oiseaux de fauconnerie (1784), dont les titres soulignent la façon dont les oiseaux portent des distinctions fondées sur le genre et les catégories sociales26. Les publications sur les serins, contrairement à la vaste majorité des ouvrages d’histoire naturelle de l’époque, sont explicitement destinées à un lectorat féminin.

  • 27 Barry 1998.
  • 28 Brisson 1760 : III, 131, 218, 318.
  • 29 Spary 1999a : 125-126.
  • 30 Brisson 1760 : III, 454, 457, 538, 638. Cf. Carlyle 2016.
  • 31 Seguin 2004 : 342.
  • 32 Remy 1787 : iv-v. Pour son cabinet, voir aussi Jèze 1760 : III, 42.

7Au xviiie siècle, beaucoup de femmes sont impliquées dans le commerce global des oiseaux exotiques qui est fondamental pour la pratique de l’ornithologie. Les spécimens d’oiseaux rares et exotiques qui se trouvent dans les cabinets d’histoire naturelle – appartenant à des institutions aussi bien qu’à des particuliers savants – proviennent souvent d’éleveurs privés, et fréquemment d’éleveuses (bien qu’elles soient minoritaires). L’Ornithologie de Mathurin Jacques Brisson (1723-1806) en laisse de nombreuses traces. Brisson y décrit, par exemple, plusieurs oiseaux de différentes races exotiques qui avaient été importés en 1754 des côtes d’Afrique (où se trouvent à l’époque les principaux sites de la traite des esclaves)27 pour le compte de Madame de Pompadour (1721-1764), qui les a transmis, après leur mort, au Cabinet du roi28. Comme Emma Spary l’a observé, alors que les oiseaux vivants sont associés aux femmes et à la féminité, les oiseaux morts étudiés en tant que spécimens d’histoire naturelle appartiennent à un monde masculin29. Brisson se réfère à plusieurs reprises au cabinet de Madame la présidente de Bandeville († 1787), qui fait partie des femmes qui aménagent leur propre cabinet d’histoire naturelle au xviiie siècle30. Les contributions des femmes sont pourtant rarement reconnues comme étant scientifiques31. À l’occasion de la vente de ce cabinet réputé en 1787, on reconnaît que Madame de Bandeville « connoissoit très-bien tous les différens objets qui composent cette belle Collection » et qu’elle « s’est amusée pendant ces trente-cinq ans à […] former un Cabinet d’Histoire Naturelle », en même temps que l’on souligne qu’elle l’a fait « sans aucune prétention à la Science »32.

  • 33 Brisson 1760 : III, 188-89. Pour la collection de Réaumur et l’ouvrage de Brisson, voir Farber 1997 (...)
  • 34 Brisson 1760 : III, 322.
  • 35 Roger 1989 : 279-80.
  • 36 Voir par exemple Buffon 1778 : XIX, 12, 19-20.

8Des éleveuses créent également de nouvelles variétés curieuses par des croisements reproductifs. Par exemple, un serin mulet (croisement entre le chardonneret et le serin des Canaries) décrit par Brisson est né et a vécu cinq ou six ans chez une certaine Madame de Cangé avant d’être donné au naturaliste René-Antoine Ferchault de Réaumur (1683-1757) pour son cabinet33. La collection de Réaumur, qui constitue la source principale de Brisson, profite également d’autres spécimens donnés par des femmes34. Quant au projet de Buffon, c’est Madame de Buffon (1732-1769) qui s’occupe des oiseaux dans la volière installée à Montbard dans les années 1750 pour préparer l’Histoire naturelle des oiseaux35. Mais quand il écrit l’article sur le serin, publié après la mort de sa femme, Buffon se fonde sur les savoirs pratiques de son ami et confesseur à Montbard, le père révérend Ignace Bougot, dont les expériences et observations en tant qu’éleveur de serins sont citées dans son ouvrage36. Les savoirs pratiques des amateurs ont ainsi une grande importance pour le projet naturaliste de Buffon.

  • 37 Mornet 1910.
  • 38 Levacher 2011 : 163.
  • 39 Cité dans Levacher 2011 : 195-196.
  • 40 Levacher 2011 : 197-202

9L’Histoire naturelle de Buffon est sans doute l’un des ouvrages les plus lus durant cette période : en dépit de son immense étendue et de son prix élevé, il est, selon l’enquête quantitative de Daniel Mornet, le troisième ouvrage le plus fréquemment trouvé dans les bibliothèques privées vers la fin du siècle37. Dans son étude des lecteurs de Buffon, Maëlle Levacher affirme que, même si l’Histoire naturelle s’adresse à un public hétérogène composé de lecteurs savants aussi bien que de lecteurs mondains, on peut en général identifier un public spécifique auquel « il destine en priorité tel ou tel article ».38 Le naturaliste est même critiqué pour sa façon d’attirer des lectrices par certains de ses articles. Dans Les Helviennes, ou lettres provinciales philosophiques (1781), l’ouvrage antiphilosophique du jésuite Augustin Barruel (1741-1820), le personnage d’une baronne se plonge dans l’Histoire naturelle de Buffon pour satisfaire son envie de lire de la philosophie. Dans sa correspondance avec son éducateur, elle écrit : « Que j’étais enchantée de ses descriptions ! Avec quel plaisir je revenais à celle de mon serin, de mon perroquet, de mon épagneul, et de tant d’autres jolis animaux ! Mais peut-être n’était-ce pas là ce qu’on appelle de la philosophie »39. Il s’agit d’une critique satirique de l’Histoire naturelle de Buffon, mais aussi de ses lectrices qui n’y chercheraient que les descriptions de leurs animaux de compagnie préférés. Elle illustre néanmoins la manière dont l’article sur les serins a rencontré un large lectorat féminin et, pour cette raison, il semble pertinent de poser la question du genre. Ce n’est sans doute pas la seule partie de l’Histoire naturelle qui se prête à une telle analyse – le comportement des mères est, par exemple, un thème récurrent40 –, mais l’article sur le serin nous paraît particulièrement intéressant à ce titre, en raison du contexte précédemment décrit.

Le cercle anthropomorphique de naturalisation

  • 41 Robbins 2002 : ch. 5 ; Tague 2015 : ch. 3.

10La plupart des études historiques qui traitent du genre et des animaux de compagnie le font à travers une analyse des publications moralistes ou des gravures satiriques41, plus rarement à travers celle du domaine savant de l’histoire naturelle des animaux domestiques. Dans l’article de Buffon sur le serin des Canaries, des réflexions sur la nature fondamentale des sexes et leur rôle dans la nature et la société sont au centre des analyses sur la reproduction, de façon peut-être plus approfondie que dans tout autre passage de l’Histoire naturelle. Sans spéculer sur les intentions spécifiques de Buffon, on peut noter qu’il est certainement conscient que son article sur les serins est celui qui attirera le plus les lectrices. Loin de ne traiter que de faits naturalistes, les descriptions de Buffon contiennent également des jugements moraux.

  • 42 Schiebinger 1993 : particulièrement ch. 1 ; Terrall 1996 : 222-223 ; Müller-Wille 2018.
  • 43 Daston & Vidal 2004.
  • 44 Milam 2012.
  • 45 Une observation similaire se trouve dans Spencer 2020 : 125-126 (voir le compte rendu dans ce volum (...)
  • 46 Spary 1999b : 296. Voir aussi Hoquet 2005 : ch. 13.
  • 47 Rosenberg 2017 : 231 ; Milam 2010.
  • 48 Sebastiani 2021 : 67.
  • 49 Spencer 2012 : 435.

11Dans sa théorisation de la reproduction, Buffon développe son argumentaire à travers ce que nous proposons de nommer un cercle anthropomorphique de naturalisation, qui naturalise les différences humaines à travers les animaux. Plusieurs historien·nes ont souligné combien les naturalistes au xviiie siècle imposent des anthropomorphismes sur la vie sexuelle et reproductive des plantes et des animaux42. D’autres ont montré que la nature est souvent considérée comme possédant une autorité morale et normative ; à travers les descriptions de la nature, on définit ce qui est, justement, naturel43. Ces deux tendances – l’une qui anthropomorphise et l’autre qui naturalise – opèrent souvent ensemble. Le plus souvent, ce cercle anthropomorphique sert à naturaliser des différences genrées et raciales chez les humains44. Il s’agit d’un mouvement circulaire dans lequel des caractéristiques humaines sont attribuées aux plantes et aux animaux, et ces descriptions sont ensuite mobilisées comme preuves du caractère naturel de l’ordre du monde45. Comme Emma Spary l’a remarqué, le modèle normatif et moral qu’offre la nature pour la société humaine est très présent dans toute l’œuvre de Buffon46. Depuis Aristote jusqu’aux sciences modernes, les « modèles animaux » ont joué un rôle central pour comprendre la reproduction humaine47. Ce geste devient particulièrement fort au xviiie siècle chez des naturalistes tels que Buffon, qui traite l’humain comme un animal parmi d’autres (même s’il est supérieur) dans l’histoire naturelle, et qui ambitionne de construire une théorie générale sur la reproduction48. Quant au genre, Jane Spencer suggère que « la tendance au sein de l’histoire naturelle à étudier l’humanité comme l’un des animaux conduit à un nouvel accent sur la nature de la femme comme définie par son rôle sexuel et reproductif »49. L’association entre l’histoire naturelle des animaux et la vie humaine devient très marquée au xviiie siècle quand la « science de l’homme » se développe à l’intérieur de (et en dialogue avec) l’histoire naturelle des animaux.

12Sous ce regard anthropomorphique, les serins sont souvent vus comme un idéal pour ce qui concerne les relations maritales au xviiie siècle. Cette idée s’avère particulièrement explicite dans une strophe d’un poème inséré dans le Nouveau traité des serins de Canarie de Hervieux :

  • 50 Cette strophe se trouve dans un poème intitulé « Stances sur le livre des serins » et signé d’un ce (...)

Vous voit-on faire un Nid, pondre, couver, nourrir,
Porter & dégorger, vous aimer, vous chérir ;
Ce ménage accompli, quand bien on le contemple,
Aux Femmes, aux Maris, pourroit servir d’exemple50.

  • 51 Buffon 1778 : XIX, 3.
  • 52 Hervieux de Chanteloup 1713 : 232.
  • 53 Buffon 1778 : XIX, 40.

13Le double mouvement du cercle anthropomorphique de naturalisation est clair : les serins sont anthropomorphisés et décrits à travers la culture humaine, mais ils constituent en même temps un modèle pour celle-ci. Au xviiie siècle, on trouve fréquemment de tels parallèles entre les « amours » des humains et des animaux, particulièrement dans l’histoire naturelle des oiseaux. Sur le serin, Buffon écrit que « ses petites amours, qu’on peut considérer de près en le faisant nicher, ont rappelé mille & mille fois à la tendresse des cœurs sacrifiés »51. Depuis Hervieux, on avait observé que la serine privée de son « petit mari » risquait de périr si elle pouvait entendre le chant des mâles et tombait « en amour »52. De même, Buffon explique que si le mâle d’un couple de serins périt, il faut le remplacer par un autre ressemblant au premier pour satisfaire la femelle. Il faut surtout s’assurer que le nouveau « ne soit point un novice en amour »53. Les « amours » des serins sont ainsi décrits d’une manière fortement anthropomorphique.

  • 54 Buffon 1778 : XIX, 38.
  • 55 Buffon 1778 : XIX, 13.

14Dans sa description de la nature des serins, Buffon souligne notamment la passivité sexuelle des femelles, qu’il étend à toute la nature. Il saisit l’occasion pour suggérer qu’en général, chez les animaux, l’ardeur du désir d’amour « n’est pas à beaucoup près aussi grande, aussi vive dans la femelle que dans le mâle »54. Selon le naturaliste, il est prouvé que « la femelle est moins déterminée par la Nature au sentiment d’amour que par les désirs & les émotions que lui communique le mâle »55. La reproduction repose ainsi sur l’activité sexuelle des mâles qui réveille le « sentiment d’amour » des femelles. L’activité mâle est toujours dominante.

15De plus, les mâles représentent, selon Buffon, la véritable nature de l’espèce. Dans sa description de la reproduction des serins, il suggère que les serines femelles s’accouplent plus aisément et plus volontairement avec d’autres variétés et espèces d’oiseaux que les mâles. Cela prouve, à son sens, que c’est le mâle qui est « le vrai modèle » de l’espèce :

  • 56 Buffon 1778 : XIX, 14.

La Nature est donc plus ambiguë & moins constante, & le type de l’espèce moins ferme dans la femelle que dans le mâle ; celui-ci en est le vrai modèle, la trempe en est beaucoup plus forte que celle de la femelle qui se prête à des modifications diverses & même subit des altérations par le mélange des espèces étrangères56.

16Nous avons vu que les éleveurs et éleveuses des serins pratiquaient l’hybridation des races et espèces diverses à la même époque. Selon une structure sexuelle, la possibilité des croisements dépend, selon Buffon, moins de la nature que de la volonté, ou d’un défaut de volonté, des mâles et des femelles :

  • 57 Buffon 1778 : XIX, 15.

Il est bien évident que la serine approche beaucoup plus que le serin de l’espèce du bruant, de la linotte, du pinçon & du moineau, puisqu’elle s’unit & produit avec tous, tandis que son mâle ne veut s’unir ni produire avec aucune femelle de ces mêmes espèces. Je dis ne veut, car ici la volonté peut faire beaucoup plus qu’on ne pense, & peut-être n’est-ce que faute d’une volonté ferme que les femelles se laissent subjuguer & souffrent des recherches étrangères & des unions disparates57.

  • 58 Buffon 1778 : XIX, 15.
  • 59 Buffon 1778 : XIX, 14-15.

17Buffon ne relève pas le paradoxe évident de son raisonnement : les mâles d’autres espèces qui s’accouplent avec les serines acceptent volontiers des unions hors de leur propre espèce. Au contraire, il soutient que la même conclusion – que les mâles, contrairement aux femelles, refusent de s’accoupler avec des espèces « inférieures » – est généralement valable pour les quadrupèdes. Il assure que la brebis se reproduit aisément avec le bouc, tandis que le bélier ne se reproduit pas avec la chèvre, et que « la jument produit plus aisément avec l’âne que le cheval avec l’ânesse » 58. Buffon suggère même que le cerf peut se reproduire avec la vache, alors que le taureau refuse l’union avec la biche59. Il insinue donc que l’ambiguïté de la nature et l’inconsistance des femelles est une loi générale dans la nature.

  • 60 Schiebinger 1993 : 95-98 ; Wells 2017 : 125-130 ; Sebastiani 2021 : 65-66.
  • 61 Buffon 1766 : XIV, 31.
  • 62 Sebastiani 2021.

18Cette conclusion trouve à cette période ses parallèles, autant sexualisés que racialisés, dans les savoirs sur les humains. À l’époque, l’union entre femmes noires et singes mâles est un mythe courant, tandis qu’on ne trouve que très peu d’exemples de mentions d’unions entre hommes noirs et singes femelles60. Buffon se réfère lui aussi, en 1766, aux « mélanges forcés ou volontaires des Négresses aux singes »61. À travers ce type de discours, comme le montre Silvia Sebastiani, l’humanisation des singes se développe au xviiie siècle parallèlement à une déshumanisation des populations africaines62. Les frontières floues et les analogies entre hommes et animaux ont ainsi principalement des effets négatifs pour les femmes et les populations colonisées, qui sont associées à la nature brute.

  • 63 Aubert 2004.

19À la même époque, les mésalliances sont une préoccupation majeure pour les administrateurs coloniaux français qui cherchent à défendre la « pureté du sang » dans les sociétés esclavagistes des Caraïbes en interdisant les mariages interraciaux63. Néanmoins, comme nous le verrons ci-dessous, le croisement des races constitue pour Buffon le moyen qui rend le perfectionnement racial possible. Les croisements reproductifs se trouvent au sein de la dynamique évoluant entre dégradation et amélioration.

Sexe, race et perfectionnement

  • 64 Roger 1993 ; Jacob 1970.
  • 65 Doron 2016.
  • 66 Lettow 2014a ; Franklin 2018.
  • 67 Doron 2011 : 96-102 ; Doron 2018 : 483.
  • 68 Lettow 2014b ; Schaub & Sebastiani 2021 : 343-347.
  • 69 Dorlin 2009 : 184.

20L’historiographie autour de la reproduction au xviiie siècle a rarement abordé le croisement entre sexe, race et animaux dans la reproduction. Dans les ouvrages classiques de Jacques Roger et François Jacob sur les sciences de la vie et l’hérédité, peu de ces aspects sont présents64. Certains ouvrages plus récents ont cependant commencé à explorer ces questions. Dans L’homme altéré, Claude-Olivier Doron analyse l’émergence au xviiie siècle d’un discours de l’altération raciale de l’homme, dans lequel l’espèce humaine devient l’objet d’une nouvelle forme de gouvernance selon les principes de la zootechnie65. Son livre constitue une contribution très importante à l’historiographie croisée des animaux et de la race humaine. Pourtant, la question du genre y occupe une position étonnamment marginale eu égard à l’omniprésence de la problématique qui lie sexe, genre et sexualité dans la pensée sur la reproduction66. De fait, Claude-Olivier Doron exprime ses réserves envers des analyses qui lieraient la race au genre et à d’autres formes de domination, et qui pourraient, selon lui, s’écarter de l’ambition de « prendre la race au sérieux » ; c’est-à-dire d’étudier la spécificité et la complexité de la formation historique de la « race »67. Bien qu’on puisse lui concéder que le risque de sur-relativiser le sens historique de la race existe, il existe également un risque à ne pas prendre en compte la façon dont la race se lie avec d’autres formes de domination et d’exclusion. Il y a bien une co-construction du genre, de la race et de la reproduction, tant dans les sciences de la vie que dans la vie sociale et politique du xviiie siècle68. Pour autant, les auteurs qui ont pris en compte les croisements entre la race et le genre ont souvent négligé les animaux. Elsa Dorlin soutient par exemple dans La matrice de la race, à l’inverse de ce qu’a écrit depuis Claude-Olivier Doron, qu’« il n’est pas pertinent que la zootechnie ait précédé l’eugénisme »69. Par conséquent, genre, race, reproduction et animaux demeurent le plus souvent séparés malgré leurs connexions multiples dans l’histoire des sciences de la vie.

  • 70 Doron 2012.
  • 71 Nelson 2021b : ch. 4.
  • 72 Sloan 1973.
  • 73 Buffon 1766 : XIV, 317.
  • 74 Buffon 1743 : IV, 216-217 ; Mulliez 2004 : 2e partie.

21Chez Buffon, le concept de race est construit en lien étroit avec celui de « reproduction », terme introduit dans l’Histoire naturelle dès 1749. Son analyse se fonde sur un raisonnement de type généalogique, contrairement à l’approche taxonomique du naturaliste suédois Carl von Linné70. Buffon développe une conception historique selon laquelle les animaux, humains inclus, se transforment au fil du temps à travers la reproduction71. La race est le résultat d’un processus d’altération et de dégénération ; elle peut soit se dégrader, soit se perfectionner, sous l’influence du climat, de la nourriture et de la domestication72. Le naturaliste explique que ce sont ces causes qui éloignent les animaux de leur forme naturelle et originale73. Suivant les idées dominantes dans les haras nationaux de l’époque, Buffon suggère, dès le quatrième tome de l’Histoire naturelle de 1753, qu’il faut « croiser les races » pour éviter leur dégradation et pour les perfectionner74. La reproduction et la sélection reproductive se trouvent donc au cœur de sa réflexion sur la race et la dégénération, et les caractéristiques propres à chaque sexe deviennent une problématique centrale de son travail.

  • 75 Buffon 1749 : II, 295-296.
  • 76 Roger 1989 : ch. 9.
  • 77 Lettow 2014a : 4.
  • 78 Buffon 1753 : IV, 216.
  • 79 Nelson 2010 : 1380-1381.
  • 80 Buffon 1778 : XIX, 23.
  • 81 Buffon 1789 : XXXVI (suppl. VII), 181-182.
  • 82 Buffon 1778 : XIX, 14-15.
  • 83 Buffon 1778 : XIX, 21.

22Dans les premiers volumes de l’Histoire naturelle, Buffon insiste sur l’idée que les mâles aussi bien que les femelles contribuent avec des « liqueurs séminales » à la procréation et il affirme qu’il faut nécessairement les mélanger pour créer de nouveaux êtres75. En ce qui concerne la génération, il se positionne fermement contre les théories de la préformation et de la préexistence des germes (oviste ou animalculiste) qui avaient été paradigmatiques depuis la fin du xviie siècle, et qui, dans cette période, sont soutenues par Réaumur parmi d’autres76. Buffon souligne conséquemment, comme son ami et inspirateur Pierre Louis Moreau de Maupertuis (1698-1759) avant lui, que la contribution héréditaire des deux parents dans la procréation est plus ou moins égale77. En 1753, il suggère symétriquement qu’il « faut donner aux femelles du pays des mâles étrangers, & réciproquement aux mâles du pays des femelles étrangères » – c’est-à-dire croiser les races sans distinctions sexuelles – pour éviter leur dégénération78. Cependant, quelques décennies plus tard, il commence à distinguer de plus en plus nettement l’influence de la mère de celle du père. Dans son article sur les serins des Canaries, après avoir souligné leur passivité sexuelle, Buffon insiste sur la passivité héréditaire des femelles. L’idée que les mâles transmettent leurs caractéristiques aux enfants plus activement que les femelles est courante durant cette période (elle est liée à la théorie aristotélicienne selon laquelle la femelle donne la matière et le mâle la forme, ainsi qu’à la structure du lignage dans la noblesse de l’époque)79. Buffon note d’abord qu’il semble que les femelles transmettent les caractéristiques qui appartiennent au centre du corps, tandis que toutes les extrémités du corps viennent du mâle. Les influences du mâle « surmontent & enveloppent celles de la femelle »80. Une dizaine d’années plus tard, il précisera que « la mère donne la grandeur & la forme du corps, tandis que le père donne celle des parties extérieures & des membres »81. Dans sa discussion sur les serins, Buffon accentue en fin de compte la prééminence masculine dans la transmission des traits ; conclusion qu’il juge également valable pour tous les animaux domestiques. Comme nous l’avons vu, le mâle est pour Buffon « le vrai modèle » de l’espèce et il assure que « les races tiennent toujours plus du mâle que de la femelle »82. Il en conclut qu’« en général le mâle influe plus que la femelle sur la force & la qualité des races »83.

  • 84 Buffon 1778 : XIX, 24.

23Sexe et race se croisent ici, car l’amélioration raciale dépend de la transmission héréditaire des parents dans la reproduction. L’enjeu est de connaître l’influence que les sexes exercent dans la procréation afin de pouvoir faire de bonnes sélections reproductives pour ainsi améliorer les animaux, et potentiellement les humains. Les conclusions qu’on peut tirer des expériences sur les serins sont, d’après Buffon, valables pour les chevaux et les moutons – les deux espèces les plus importantes dans les projets d’amélioration agricoles au xviiie siècle –, ainsi que pour les humains. Il finit donc par énoncer la loi naturelle suivante : « ce n’est que par les mâles qu’on peut ennoblir ou relever les races dans l’homme & dans les animaux »84. Il suggère que l’élevage des serins, cet « amusement innocent », pourrait servir de modèle expérimental pour arriver à des conclusions générales qui soient plus exactes sur l’influence des sexes et l’amélioration raciale :

  • 85 Buffon 1778 : XIX, 24-25.

Comme beaucoup de gens s’occupent ou s’amusent de la multiplication des serins & qu’elle se fait en peu de temps, on peut aisément tenter un grand nombre d’expériences sur leurs mélanges avec des oiseaux différens, ainsi que sur les produits ultérieurs de ces mélanges ; je suis persuadé que par la réunion de toutes ces observations & leur comparaison avec celles qui ont été faites sur les animaux & sur l’homme, on parviendroit à déterminer peut-être assez précisément, l’influence, la puissance effective du mâle dans la génération relativement à celle de la femelle, & par conséquent désigner les rapports généraux par lesquels on pourroit présumer que tel mâle convient ou disconvient à telle ou telle femelle, &c.85.

  • 86 Buffon 1753 : IV, 216-217.
  • 87 Vandermonde 1756 ; Faiguet de Villeneuve 1763.
  • 88 Buffon 1776 : XXXII (suppl. III), 15.

24Ce passage montre très clairement à quel point les questions du sexe, de la reproduction des animaux et de l’amélioration raciale de l’homme s’articulent ensemble. Dans l’article sur les serins, ce naturaliste maintient son idée – déjà proposée dans l’article sur le cheval en 1753 (le premier animal à être décrit, après l’homme) – selon laquelle il faut croiser les races pour éviter leur dégénération et les perfectionner86. Du fait qu’il ne mentionne pas les humains dans ses premières discussions sur le sujet, la comparaison anthropomorphique apparaît d’autant plus explicitement dans ses écrits plus tardifs. Buffon se rapproche alors des thèses d’auteurs tels que le médecin Charles-Augustin Vandermonde (1727-1762) et l’économiste Joachim Faiguet de Villeneuve (1703-1781) qui, fortement influencés par les théories de Buffon sur les animaux domestiques, avaient proposé en 1756 et en 1763 respectivement, d’assortir les mariages et croiser les races pour perfectionner l’espèce humaine87. Dans les années 1770, lorsqu’il publie l’Histoire naturelle des oiseaux, l’amélioration et la dégénération des races humaines deviennent également des enjeux explicites pour Buffon. Dans le supplément à l’article sur les mulets publié en 1776, il écrit par exemple que l’« on sait, par des expériences mille fois répétées, qu’en croisant les races au lieu de les réunir, soit dans les animaux, soit dans l’homme on ennoblit l’espèce, & que ce moyen seul peut la maintenir belle & même la perfectionner »88. Dans ce contexte, les savoirs sur les différences entre les sexes dans la reproduction ne sont plus seulement une considération théorique de l’histoire naturelle, mais ils deviennent, comme l’illustre l’article de Buffon sur les serins, une condition préalable pour l’amélioration des races, tant animales qu’humaines.

25Les relations affectives que beaucoup de femmes entretiennent avec des oiseaux de cage au xviiie siècle constituent un sujet ambivalent, entre amusement innocent, menace sociale et pratique savante. Ces relations permettent à certaines femmes de participer à la construction des savoirs naturalistes, tandis que certains savants, comme Buffon, profitent de cet intérêt féminin pour renforcer une vision naturaliste des différences sociales entre les sexes. Cette vision est souvent construite à travers ce que nous avons appelé un cercle anthropomorphique de naturalisation: c’est-à-dire un double mouvement dans lequel l’usage des anthropomorphismes dans la description des animaux crée un cercle où ces descriptions, dites naturelles, sont prises comme des modèles pour les humains. L’anthropomorphisation du comportement des animaux permet ainsi de naturaliser les différences humaines. De plus, nous avons voulu montrer comment race et genre se croisent dans l’élevage des animaux du xviiie siècle ; ces deux catégories sont très impliquées dans le projet d’amélioration des animaux domestiques et de l’espèce humaine. De tels projets réunissent deux des plus importantes caractéristiques des Lumières : l’ambition de contrôler la nature et l’ambition progressiste de perfectionner la société. L’amélioration raciale des animaux aussi bien que des humains – réalisée à travers la connaissance et le contrôle des rôles sexuels dans la reproduction – se trouve précisément dans ce croisement biopolitique entre le naturel et le social.

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Notes

1 Russell 1986 ; Wood & Orel 2001 ; Terrall 2007 ; Wood 2007.

2 Nelson 2010 ; Nelson 2021a ; Lettow 2015 ; Doron 2016.

3 Sloan 1995 ; Smith 2015 : 18 ; Schaub & Sebastiani 2021 : 374-378.

4 Doron 2012 ; Müller-Wille & Rheinberger 2012 ; Lettow 2014a ; Hopwood, Flemming & Kassell 2018 ; Nelson 2021b.

5 Doron 2016 : 2e partie.

6 Hoquet 2014: 30.

7 Schaub & Sebastiani 2021 : 343.

8 Harvey 2010.

9 Spary 2005.

10 Farber 1997 : ch. 1 et 2.

11 Robbins 2002 : 124-125 ; Breittruck 2012 ; Breittruck 2014.

12 Del Col 2002 : 186-190. Le traité est traduit en allemand (1712), hollandais (1712), anglais (1718) et italien (1724). Nouvelles éditions françaises en : 1713, 1734, 1740, 1745, 1766 et 1785.

13 Brisson 1760 ; Buffon 1770-1783 ; Olina & Buc’hoz 1774 ; Buc’hoz 1782a.

14 Olina & Buc’hoz 1774 : 38.

15 Plumb 2018 : 260-61.

16 Hervieux de Chanteloup 1709 : 277, 280.

17 Olina & Buc’hoz 1774 : 101.

18 Robbins 2002 : 140-146.

19 Buffon 1753 : IV, 84.

20 Caraccioli 1768 : III, 145-146.

21 Tague 2015 : 112-119.

22 Steinberg 2001 : 285-291.

23 Hervieux de Chanteloup 1709 : 326.

24 Olina & Buc’hoz 1774, v.

25 Buc’hoz 1782a.

26 Buc’hoz 1782b ; Buc’hoz 1784.

27 Barry 1998.

28 Brisson 1760 : III, 131, 218, 318.

29 Spary 1999a : 125-126.

30 Brisson 1760 : III, 454, 457, 538, 638. Cf. Carlyle 2016.

31 Seguin 2004 : 342.

32 Remy 1787 : iv-v. Pour son cabinet, voir aussi Jèze 1760 : III, 42.

33 Brisson 1760 : III, 188-89. Pour la collection de Réaumur et l’ouvrage de Brisson, voir Farber 1997 : 7-17 ; Spary 1999a : 107-114.

34 Brisson 1760 : III, 322.

35 Roger 1989 : 279-80.

36 Voir par exemple Buffon 1778 : XIX, 12, 19-20.

37 Mornet 1910.

38 Levacher 2011 : 163.

39 Cité dans Levacher 2011 : 195-196.

40 Levacher 2011 : 197-202

41 Robbins 2002 : ch. 5 ; Tague 2015 : ch. 3.

42 Schiebinger 1993 : particulièrement ch. 1 ; Terrall 1996 : 222-223 ; Müller-Wille 2018.

43 Daston & Vidal 2004.

44 Milam 2012.

45 Une observation similaire se trouve dans Spencer 2020 : 125-126 (voir le compte rendu dans ce volume).

46 Spary 1999b : 296. Voir aussi Hoquet 2005 : ch. 13.

47 Rosenberg 2017 : 231 ; Milam 2010.

48 Sebastiani 2021 : 67.

49 Spencer 2012 : 435.

50 Cette strophe se trouve dans un poème intitulé « Stances sur le livre des serins » et signé d’un certain Philemon Trotet, imprimé directement après l’Avertissement : Hervieux de Chanteloup 1709.

51 Buffon 1778 : XIX, 3.

52 Hervieux de Chanteloup 1713 : 232.

53 Buffon 1778 : XIX, 40.

54 Buffon 1778 : XIX, 38.

55 Buffon 1778 : XIX, 13.

56 Buffon 1778 : XIX, 14.

57 Buffon 1778 : XIX, 15.

58 Buffon 1778 : XIX, 15.

59 Buffon 1778 : XIX, 14-15.

60 Schiebinger 1993 : 95-98 ; Wells 2017 : 125-130 ; Sebastiani 2021 : 65-66.

61 Buffon 1766 : XIV, 31.

62 Sebastiani 2021.

63 Aubert 2004.

64 Roger 1993 ; Jacob 1970.

65 Doron 2016.

66 Lettow 2014a ; Franklin 2018.

67 Doron 2011 : 96-102 ; Doron 2018 : 483.

68 Lettow 2014b ; Schaub & Sebastiani 2021 : 343-347.

69 Dorlin 2009 : 184.

70 Doron 2012.

71 Nelson 2021b : ch. 4.

72 Sloan 1973.

73 Buffon 1766 : XIV, 317.

74 Buffon 1743 : IV, 216-217 ; Mulliez 2004 : 2e partie.

75 Buffon 1749 : II, 295-296.

76 Roger 1989 : ch. 9.

77 Lettow 2014a : 4.

78 Buffon 1753 : IV, 216.

79 Nelson 2010 : 1380-1381.

80 Buffon 1778 : XIX, 23.

81 Buffon 1789 : XXXVI (suppl. VII), 181-182.

82 Buffon 1778 : XIX, 14-15.

83 Buffon 1778 : XIX, 21.

84 Buffon 1778 : XIX, 24.

85 Buffon 1778 : XIX, 24-25.

86 Buffon 1753 : IV, 216-217.

87 Vandermonde 1756 ; Faiguet de Villeneuve 1763.

88 Buffon 1776 : XXXII (suppl. III), 15.

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Pour citer cet article

Référence papier

Jens Amborg, « Le serin amoureux »Clio, 55 | 2022, 91-112.

Référence électronique

Jens Amborg, « Le serin amoureux »Clio [En ligne], 55 | 2022, mis en ligne le 01 janvier 2025, consulté le 17 mars 2025. URL : http://journals.openedition.org/clio/21494 ; DOI : https://doi.org/10.4000/clio.21494

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Auteur

Jens Amborg

Jens Amborg est doctorant à l’université d’Uppsala où il enseigne l’histoire des sciences, des savoirs et de la médecine. Il s’intéresse particulièrement à l’élevage des animaux et à la construction des théories de la reproduction et de la race dans la France du xviiie siècle. jens.amborg@idehist.uu.se

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    Genre, animaux, animalité au siècle des Lumières
    A historiographical debate. Gender, animals and animality in the Enlightenment
    Paru dans Clio, 55 | 2022
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