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Actualité de la recherche

Un débat historiographique

Genre, animaux, animalité au siècle des Lumières
A historiographical debate. Gender, animals and animality in the Enlightenment
Jens Amborg, Tomohiro Kaibara et Silvia Sebastiani
p. 209-240

Résumés

Ce bilan historiographique porte sur la nouvelle conception du sexe qui se dessine au siècle des Lumières et ses liens avec le développement d’un type inédit de rapports entre humains et animaux dans les espaces métropolitains et coloniaux. Depuis une trentaine d’années, l’histoire des émotions et l’histoire des sciences de l’homme ont contribué à éclairer les conditions historiques dans lesquelles s’est constitué le paradigme anthropologique des Lumières. L’article identifie un certain nombre de thématiques – la domestication, l’émergence de l’animal de compagnie, la pratique de l’élevage sélectif – dont l’étude a permis de reconfigurer les approches du genre. En portant une attention nouvelle aux relations entre genre et animalité, ces travaux ont apporté une contribution décisive à la compréhension des débats savants et politiques des Lumières sur les frontières de l’humain et le binôme nature-culture.

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Texte intégral

  • 1 D’Alembert & Diderot 1751-1772, art. « Animal » (Diderot & Daubenton), I, 1751 : 468.

Qu’est-ce que l’animal ? Voilà une de ces questions dont on est d’autant plus embarrassé, qu’on a plus de philosophie & plus de connoissance de l’histoire naturelle.1

  • 2 Lilti 2019 ; Schaub & Sebastiani 2021 : ch. 5 et 6.

1Depuis longtemps déjà l’historiographie a identifié le xviiiesiècle comme un tournant où sont radicalement repensées les relations entre les humains et les animaux, ainsi que les relations entre les sexes. Historiquement et historiographiquement, les Lumières constituent un espace de débats sur ces relations, caractérisé par une multitude de positions, mais aussi par des ambivalences et des tensions, tant sur le plan philosophique que scientifique2. La question de l’humain et de ses frontières internes (de race et de genre) et externes (avec les autres espèces) y est centrale. La singularité des Lumières a été envisagée dans la perspective désormais classique de la mise en œuvre de technologies de domination de la nature qui trouvent leurs terrains d’application aussi bien dans les espaces métropolitains que dans les espaces coloniaux. Le but de cet article est d’offrir une mise en perspective des études sur le genre et des études sur les animaux et l’animalité dans cette double dimension métropolitaine et impériale, afin de montrer comment elles ont reconfiguré la catégorie historiographique des « Lumières ».

  • 3 Pour la France, voir Blanckaert 2006, ainsi que le blog de la Société française pour l’histoire des (...)
  • 4 Moravia 1970 ; Gusdorf 1971-1973 ; Duchet 1995 [1971] ; Fox, Porter & Wokler 1995 ; Chappey 2002.

2La littérature scientifique qui permet aujourd’hui d’articuler ensemble études sur les Lumières, études sur le genre et études sur les animaux s’enracine principalement dans deux domaines de recherche : l’histoire des sciences de l’homme et l’histoire des émotions. Chacune a ses dynamiques propres, ses épicentres et ses temporalités. La longue histoire des sciences de l’homme, inscrite dans une encore plus longue histoire des sciences, a été structurellement associée à celle des sciences de la nature ou des sciences physico-mathématiques, institutionnalisées au xxe siècle, avant que sa mise en question, à partir des années 1980, ne conduise à en pluraliser les objets, les acteurs et les approches3. « La science de l’homme », expression usitée au singulier par les acteurs de l’époque, est devenue aujourd’hui, grâce à l’emploi du pluriel, l’un des principaux points de rencontre entre études de genre et études sur les animaux4. Dans l’Europe du xviiie siècle, et dans ses colonies, elle a été au cœur des travaux de différentes communautés savantes, médecins, naturalistes, antiquaires, philosophes ou administrateurs, au gré de configurations sociales et politiques où la question des porosités entre humanité (divisée en sexes et races) et animalité a structuré des fractures traditionnellement mises en avant par l’historiographie.

  • 5 Febvre 1941.
  • 6 Plamper 2015 [2012].
  • 7 Corbin, Courtine & Vigarello 2016-2017.
  • 8 Reddy 2019 [2001] ; Clio. FGH 2018 (voir notamment l’introduction de Boquet & Lett, 2018).
  • 9 Delon 2016.

3Le second domaine, l’histoire des émotions, a lentement pris racine en France, malgré l’invitation presque fondatrice de Lucien Febvre, dès 1941, à faire une « histoire de la vie affective »5. Alors que l’historiographie française s’est intéressée à la sensibilité plutôt qu’aux émotions, des travaux menés en Allemagne et en particulier aux États-Unis ont visé à historiciser les affects, en dialoguant avec la sociologie, l’anthropologie et la psychologie cognitive6. C’est seulement au cours des dernières années que cette entreprise a commencé à bénéficier d’une véritable attention en France, ce dont témoigne la parution, en 2016, d’un ouvrage collectif intitulé l’Histoire des émotions et dirigé par Alain Corbin, Jean-Jacques Courtine et Georges Vigarello7. On peut aussi penser à la traduction française, parue en 2019, de l’ouvrage influent de William Reddy, The Navigation of Feeling, tout comme au numéro spécial que la revue Clio a consacré au « genre des émotions » en 20188. Ces travaux s’accordent pour associer les Lumières à l’« éveil de l’âme sensible », qui valorise l’expression des sentiments contre l’ancien idéal de maîtrise des passions et voit l’avènement d’un nouveau « régime d’émotions »9.

  • 10 L’expression est empruntée à Hazard 1961 [1935].

4S’ils ont retenu l’attention des spécialistes depuis les années 1980, les faits marquants de cette période ont été abordés dans des perspectives distinctes. Or l’essor à grande échelle des animaux de compagnie et l’arrivée des grands singes dans les métropoles européennes accompagnent l’industrialisation et les améliorations agricoles, notamment celles de l’élevage, débattues dans les sociétés d’agriculture comme dans les salons philosophiques, mais aussi les expérimentations dans le domaine de l’ingénierie raciale des êtres humains. En pointant les transversalités analytiques qui rapprochent ces phénomènes, nous souhaitons montrer en quoi les études sur les animaux et sur l’animalité sont centrales pour repenser la question du genre. Dans chacun des cas, les animaux entrent dans l’espace et dans la « conscience européenne » en « crise »10 de manière distincte et nouvelle, produisant des effets dont l’étude bouleverse notre intelligibilité des Lumières.

5Dans cette perspective, il nous paraît nécessaire de nous arrêter sur deux grandes thématiques de recherche : celle de la domestication, qui s’articule à la fois à l’étude renouvelée des enjeux de l’urbanisation, à l’histoire des émotions et à l’histoire des sciences de l’homme ; celle des frontières de l’humain, qui revisite les relations entre constructions théoriques des histoires naturelles et universelles et entreprises impériales. Ces deux volets, le plus souvent travaillés dans le cadre européen, comportent cependant une importante dimension coloniale : en l’abordant en clôture de cet article, nous chercherons à saisir les recompositions analytiques qu’elle propose.

Domestications

  • 11 Digard 2009 [1989].

6La question de la domestication guide la plupart des études historiennes sur les animaux, ceux de l’espace domestique occupant le devant de la scène11. Alors que l’Europe du xviiie siècle reste massivement rurale et que veaux, vaches, cochons, pour reprendre un vers de Jean de la Fontaine, sont omniprésents dans les campagnes, en ville, les animaux de compagnie envahissent les espaces privés.

  • 12 Thomas 1985 [1983].

7Selon l’hypothèse énoncée en 1983 par Keith Thomas dans un ouvrage devenu classique et souvent repris par l’historiographie, le xviiie siècle se caractérise par un double mouvement apparemment contradictoire : tandis que la plupart des animaux domestiques sont refoulés de la vie humaine et soumis à un nouveau régime de contrôle de plus en plus rationalisé, systématique et industriel, certaines espèces « privilégiées », et plus précisément certains « individus » animaux acquièrent une personnalité et deviennent les objets d’une nouvelle sensibilité. La nature cesse de menacer les humains qui savent la dompter par un ensemble de nouveaux savoirs visant à son amélioration. Elle commence, au contraire, à susciter un certain sentiment de perte, d’aliénation, voire de nostalgie, sentiment renforcé par le processus d’urbanisation en phase d’accélération au cours du xviiie siècle. L’émergence de la nouvelle culture de l’animal de compagnie (pet) s’expliquerait comme un moyen de combler ce vide12. Il s’agit alors de comprendre comment cette double transformation du rapport entre humains et animaux reconfigure le genre au temps des Lumières.

En ville : l’animal de compagnie

  • 13 Thomas 1985 [1983] ; Serpell 1986 ; Ritvo 1987.
  • 14 Delort 1984 ; Bobis 2006 [2000] ; Baratay 2003 ; Vanneau 2013.
  • 15 Baldin 2014. Sur le concept français d’animal de compagnie, voir Labarrière 1997.

8Considéré comme un sujet frivole, sentimental et féminin lorsqu’on ne le disait pas efféminé, l’animal de compagnie a longtemps été négligé par la recherche. Ce n’est que dans les années 1980 qu’il est entré dans les livres de Keith Thomas, James Serpell et Harriet Ritvo13. En France, depuis l’ouvrage pionnier de Robert Delort, les historiens ont privilégié une approche « spécifique », centrée plutôt sur une espèce particulière14. Ils ont préféré le concept plus englobant d’« animal domestique » à celui d’« animal de compagnie », qui est en effet une expression tardive, devenue courante vers la fin du xxe siècle, à la différence du terme anglais pet, déjà répandu au xixe siècle15.

  • 16 Zelinger 2021.
  • 17 Zelinger 2021 : 425-431, 436-437.
  • 18 Haraway 2009 [1991] ; Latour 1991 ; Descola 2005.

9Dans les décennies suivantes, l’historiographie s’est tellement enrichie qu’elle a récemment fait l’objet d’un premier article-bilan, signé par Amir Zelinger, qui critique la tendance des modernistes et des contemporanéistes à faire de l’animal de compagnie l’apanage de la société moderne occidentale16. Les travaux récents des antiquisants et des médiévistes montrent, en effet, la continuité depuis l’Antiquité de la présence des animaux de compagnie en Occident et ailleurs. L’historien propose alors de repenser la définition même du terme « pet ».  Celui-ci désigne, selon l’acception proposée par K. Thomas, un animal (1) élevé dans la maison, (2) qui ne travaille pas, (3) qu’on ne mange jamais et (4) dont on reconnaît une individualité, en lui donnant un nom propre, signe de son importance affective. Pour A. Zelinger, seules sont propres à la modernité occidentale la domesticité et l’inutilité17. Il souligne l’européocentrisme latent de la conception de Thomas et invite à s’intéresser à l’histoire de sa définition moderne, développée précisément au siècle des Lumières. Cette proposition prend ses distances vis-à-vis de la thèse de la nostalgie envers une nature qui s’est éloignée, dans le sillage de la mise en discussion de la catégorie même de nature, telle qu’elle a été explorée dans les ouvrages de Donna Haraway, Bruno Latour ou Philippe Descola18.

  • 19 Robbins 2002.

10Un premier jalon de réflexion historienne sur la modernité de l’animal de compagnie a été posé par Louise Robbins, dont l’ouvrage de 2006 est consacré aux animaux exotiques en France au xviiie siècle. Elle démontre comment le développement du commerce colonial et la croissance de la consommation urbaine contribuent à la plus grande visibilité des animaux « étrangers » (pendant l’époque moderne, en français comme en anglais, l’adjectif « exotique » s’applique plutôt aux plantes, fleurs ou objets de consommation de luxe, comme la porcelaine, qu’aux animaux). Elle documente leurs itinéraires, depuis les colonies où ils sont capturés jusqu’à leur exhibition dans la ménagerie royale ou dans des spectacles de foire ; elle éclaire en particulier l’activité des marchands oiseleurs, responsables d’une rapide diffusion des serins des Canaries. En un temps marqué aussi par l’essor de l’imprimé et notamment par la vogue de l’histoire naturelle vulgarisée par l’abbé Pluche, puis développée par Buffon, les animaux exotiques suscitent de nombreux commentaires sur la société humaine. Certains textes établissent le parallèle entre leur sort et celui des esclaves ; d’autres condamnent la confusion sociale qu’ils entraînent en faisant l’objet de faveurs excessives qui les situent au-dessus des serviteurs domestiques. Les satiristes se moquent de la femme frivole, esclave de la mode et des animaux inutiles, qui, au lieu de la servir, bouleversent l’ordre domestique en détruisant meubles et immeubles19.

  • 20 Sekora 1977.
  • 21 Wyett 1999 ; Plumb 2015 ; Grigson 2016 ; Sebastiani 2017.
  • 22 Sahlins 2017. Voir aussi Serna 2017, pour le contexte de la Révolution française.

11L’analyse de L. Robbins rejoint ici celle développée par d’autres travaux d’histoire intellectuelle sur le luxe et l’association traditionnelle de la femme avec la corruption20. Elle nourrit à son tour les études qui montrent les femmes comme de nouvelles consommatrices d’un ensemble de produits culturels caractérisés par la présence animale, et qui suggèrent que leur sexualité, leur maternité, leur féminité, voir leur effémination, ont été construites en lien ou par contraste avec l’exhibition des animaux21. Son attention sur le type d’animaux exhibés alimente d’autres travaux, comme le livre de Peter Sahlins. Celui-ci montre que le choix de Louis XIV de privilégier la présence d’oiseaux élégants dans la nouvelle ménagerie de Versailles reflète une nouvelle façon d’exprimer la puissance royale : non plus par la domination des bêtes féroces, mais par le raffinement des comportements. Par opposition à Norbert Elias pour qui l’animalité n’était qu’un élément de la sauvagerie incivile, P. Sahlins suggère que les animaux à plumes ont contribué au « processus de civilisation », mais il ne pousse pas l’analyse jusqu’à y intégrer la dimension genrée22.

  • 23 Tague 2015 : 91-131 ; Tague 2018. Voir aussi Plumb 2015 : « Part IV Humour ».

12Il revient à Ingrid Tague, spécialiste du xviiie siècle anglais, d’avoir thématisé la question du genre dans l’histoire de l’animal de compagnie au temps des Lumières, dans son ouvrage de 2015, Animal Companions. Elle s’y penche sur les figures stéréotypées de la féminité, comme sur les frontières de la masculinité, à partir notamment des gravures satiriques. Nombre d’illustrations perpétuent, selon elle, l’image de la femme frivole, entourée d’animaux inutiles et accrochée à la mode mais aussi celle de la vieille fille adoratrice de son chat. Celles-ci incarnent l’échec de la régulation du désir, chacune préférant les animaux aux hommes et aux enfants, et échappant à la féminité idéale de la mère de famille. Dans d’autres estampes, l’animal de compagnie permet de dévoiler la corruption du petit maître efféminé à la française, image qui signerait la prétendue décadence de cette nation dans une lecture marquée par le chauvinisme anglais de la période. Un exemple frappant est la gravure intitulée Which is the Man, qui met en présence un bellâtre accompagné par un lap dog, animal des dames inutile et superflu, et la maîtresse d’un chien de chasse plus robuste, assise dans une posture masculine [Fig. 1]23. Associé au luxe et à la féminité, l’animal de compagnie, devient un leitmotiv de la critique du « fop », ou du fat efféminé.

Fig. 1. « Which is the Man », gravure, 23x26,5 cm, Lewis Walpole Library, Yale University, 786.05.30.06, 1786.

Fig. 1. « Which is the Man », gravure, 23x26,5 cm, Lewis Walpole Library, Yale University, 786.05.30.06, 1786.
  • 24 Voir l’article de Tomohiro Kaibara dans ce dossier, qui propose une autre chronologie.
  • 25 Tague 2015 : 174-228.

13Une autre contribution d’I. Tague est de montrer que l’attachement affectif aux animaux est un sentiment socialement construit, toujours sujet aux conventions culturelles et impossible à exprimer, voire à ressentir, de façon naturelle et anhistorique. Des égo-documents lui permettent d’esquisser l’évolution du régime d’émotions de la société anglaise : l’amour des animaux était tellement illégitime au début du xviiie siècle qu’une femme de qualité comme Lady Isabella Wentworth, éprise de ses « bêtes » (dumbs), devait en parler avec discrétion et faire face à l’incompréhension moqueuse de ses voisins et de sa propre famille. En revanche, dans le demi-siècle suivant, il devient légitime d’en parler y compris pour les hommes24. D’une part, dans un registre savant, les naturalistes comme William Cowper peuvent discuter de leurs animaux en les transformant en des échantillons représentant l’espèce. D’autre part, les romans sentimentaux comme The man of feeling (1771) de Henry Mackenzie font leur place au langage sensible. La correspondance d’Horace Walpole illustre ce processus : alors que dans les années 1740, l’homme de lettres camouflait son affection pour son chien, à partir de la fin des années 1760, il se répandait sur ses sentiments pour ses chiens car il pouvait désormais s’approprier le vocabulaire de l’homme sensible25.

  • 26 Milne 2008.
  • 27 Mattfeld 2017.

14À travers une approche d’histoire des émotions attentive à l’historicité de la vie affective, le livre d’I. Tague éclaire la question de la légitimité de l’attachement pour un animal, sentiment longtemps lié à la sensibilité féminine. Ce n’est sans doute pas un hasard si cette approche intéresse beaucoup plus les historiennes que les historiens, surtout aux États-Unis, où les animal studies dialoguent avec les gender studies, et où l’histoire des émotions est bien développée. L’élargissement de la perspective ainsi ouverte invite à regarder d’autres pays et régions, mais aussi d’autres milieux sociaux moins privilégiés en s’appuyant sur des sources différentes : Anne Milne, par exemple, étudie la place des animaux dans des poèmes écrits par des femmes britanniques issues des classes populaires dans la seconde moitié du xviiie siècle26. Une prise en compte des animaux de compagnie « utiles » comme le cheval peut concourir à complexifier l’analyse, comme dans le cas de l’ouvrage de Monica Mattfeld, étudiant la masculinité au prisme de l’équitation27. Son travail montre comment le genre et la masculinité sont construits à travers la relation de domination instaurée avec le cheval, mais aussi dans la dissolution de la frontière entre l’humain et sa monture.

Aux champs : élevage, amélioration, reproduction

15Au xviiie siècle, l’essentiel des relations entre humains et animaux se déroule dans le monde rural où vit la majeure partie de la population européenne attachée à l’agriculture : c’est pourquoi l’histoire des campagnes a longtemps été le cadre privilégié des recherches sur les animaux. Ces rapports, plus difficiles à saisir pour l’historien que ceux avec les « espèces privilégiées », n’en faisaient cependant pas moins partie de la vie affective, sociale ou économique des sociétés rurales. C’est cette dernière dimension qui a été privilégiée par l’historiographie jusqu’à récemment, au détriment des émotions, considérées comme secondaires voire non pertinentes. Il a donc fallu faire des animaux un objet d’histoire à parts égales avec les humains pour que les questionnaires se redéploient, comme le montre une étude récente d’Erica Fudge, l’une des représentantes les plus actives des animal studies en Grande-Bretagne. Elle enquête sur les testaments des paysans anglais du xviie siècle, pour y chercher des indices des rapports entre humains et animaux. Même si les traces sont maigres, E. Fudge parvient à montrer la densité de ces relations dans le monde rural : l’agriculteur (et sans doute aussi l’agricultrice souvent éclipsée par son mari dans les sources) pouvait passer bien plus de temps avec ses animaux qu’avec sa famille. L’historienne montre comment ces rapports sont structurés aussi bien par un pragmatisme économique (envoyer à l’abattage une vache improductive) que par des affects. Car, écrit-elle :

  • 28 Fudge 2018 : 13. Traduction des auteurs. Il en va de même pour les autres.

« [Les animaux] n’étaient pas seulement pesés, évalués, comptés ; ils étaient soignés, caressés, tués, on leur parlait, et certains étaient même désignés par un nom. […] La façon dont les gens vivaient avec leurs animaux nous en dit beaucoup sur ces animaux, sur ces gens et sur les mondes sociaux et émotionnels qu’ils partageaient »28.

  • 29 Fudge 2018 : ch. 3.

16E. Fudge souligne qu’il serait anachronique d’opposer le pragmatisme à l’affection vis-à-vis des animaux, comme s’ils étaient nécessairement contradictoires. Elle montre au contraire que l’individualisation des animaux (par exemple par l’usage des noms propres) et la connaissance de leurs traits de caractère « personnels » sont nécessaires pour une « collaboration » réussie entre les agriculteurs et leurs « partenaires » animaux29.

  • 30 Bourde 1967 : vol. 2.
  • 31 Thomas 1985 [1983] ; Ritvo 1987 ; Raber 2011.
  • 32 Wood & Orel 2001 ; Serna 2017. Voir aussi le travail pionnier de Russell 1986.

17Cependant, l’historiographie sur les animaux dits « utiles » souligne depuis longtemps les nouvelles formes de domination qui émergent à l’époque des Lumières. L’histoire de l’agriculture européenne s’est concentrée sur le renouvellement des pratiques d’élevage au xviiie siècle, notamment par l’introduction de nouvelles méthodes de sélection30. Pour Keith Thomas, Harriet Ritvo et dans leur sillage Karen Raber, la science et l’industrialisation agricole soumettent alors davantage toutes les phases de la vie animale au contrôle humain31. Plus récemment, l’historiographie a suggéré qu’à l’époque des Lumières, l’amélioration équine, bovine et ovine devient un projet aussi politique que scientifique32. Dans ce riche champ d’études, la question du genre est rarement évoquée. Pourtant, l’intérêt porté au contrôle de la procréation des animaux invite à lier l’histoire des animaux domestiques à l’histoire du genre.

  • 33 Rosenberg 2017.
  • 34 Lettow 2014 : 2.
  • 35 Foucault 2004. Voir aussi Lettow 2015 et Rusnock 2018.
  • 36 Shukin 2009 ; Chrulew & Wadiwel 2017.

18Ainsi, Gabriel N. Rosenberg a mis en évidence les implications de l’élevage sélectif des animaux pour les questions de reproduction, de généalogie et de sexualité33. Dès le milieu du xviiie siècle, le terme « reproduction » se substitue à « génération », pour devenir un nouveau concept de l’histoire naturelle des Lumières, que Buffon utilise pour définir l’« espèce » en la fondant sur la fécondité de la descendance. La « reproduction » s’applique à l’être humain, comme au cheval ou au mouton ; elle met en évidence la temporalité et la malléabilité de la procréation. Si les études buffoniennes ont identifié de longue date cet apport du naturaliste, l’historiographie ne s’est intéressée que récemment aux implications profondes de son utilisation dans l’élaboration des techniques d’« amélioration » de la population et dans la régulation de son accroissement, en réponse aux exigences de l’économie politique34. La « reproduction » mobilise les trois piliers – population, race et sexe – que Michel Foucault associe à la naissance de la biopolitique35. Mais alors que le philosophe néglige la relation aux animaux, la catégorie de biopouvoir peut leur être utilement appliquée, comme plusieurs travaux le soulignent36.

  • 37 Ritvo 1997 : 106 ; Ritvo 2010 : 6.
  • 38 Ritvo 1995.

19La présence massive de métaphores en lien avec la sexualité humaine a été relevée par H. Ritvo dès les années 1990. L’historienne étasunienne a mis en lumière l’entremêlement des réflexions sur les sexualités animale et humaine dans les discours sur l’élevage. Selon elle, non seulement la parole des éleveurs était souvent caractérisée par ces métaphores et comparaisons, mais celles-ci renvoyaient directement à la sexualité féminine37. Plus important, analysant les méthodes de sélection développées dans la période, particulièrement par l’éleveur britannique Robert Bakewell, H. Ritvo note qu’un nouveau « capital génétique » commence à être attribué à certains individus distingués pour leurs qualités de reproducteurs dans le but de former une nouvelle lignée d’animaux supérieurs, ressemblant à leur souche38. Les animaux reproducteurs ne sont donc plus simplement des individus, ils deviennent plutôt des modèles pour les générations futures.

  • 39 Franklin 2007a et 2007b.
  • 40 Voir l’article de Jens Amborg dans ce dossier.

20L’anthropologue féministe Sarah Franklin a également prêté attention à l’histoire de cette notion de « capital génétique » pour lire le développement contemporain de la recherche autour de la brebis Dolly, premier mammifère cloné en 199639. Elle souligne la double situation de Dolly, à la fois représentante d’une technologie radicalement nouvelle qui reconfigure les termes même de la reproduction, et inscrite dans une longue histoire de domestication enracinée dans les processus d’industrialisation de l’agriculture à partir du xviiie siècle. Dans sa lecture, le contrôle et la capitalisation de la reproduction des animaux domestiques, des Lumières à nos jours, renouvellent les termes des rapports entre humains et animaux aussi bien que les questions de généalogie, reproduction et sexualité40.

Frontières de l’humain

  • 41 Schaub & Sebastiani 2021 : 371-378.

21Le tournant anthropologique des Lumières tient en deux opérations : inscrire « l’homme » dans l’ordre naturel à partir de grandes entreprises de classifications naturalistes ; lier la variété des peuples aux différentes étapes du progrès humain dans le cadre d’une réflexion historique. L’être humain est, dans un même mouvement, naturalisé et historicisé, placé parmi les animaux et au-dessus d’eux. L’historiographie des Lumières, de Voltaire à Adam Smith, dessine une trajectoire universelle depuis l’état sauvage vers la société civile, décrite par le néologisme « civilisation », au cours de laquelle les peuples passent d’une condition presque animale à la pleine humanité en domestiquant autant les animaux qu’eux-mêmes41.

  • 42 Jordanova 1989.
  • 43 Tomaselli 1991.
  • 44 Jordanova 1995.

22Dans cette grande tradition d’étude que représente l’anthropologie des Lumières, la problématique du genre a émergé dès lors qu’on a mis en question l’universalité de « l’homme » et qu’on s’est interrogé sur le cas « particulier » de la femme. Car la « femme » n’est pas simplement intégrée dans la catégorie « homme » : elle y est incluse en même temps qu’elle en est exclue. D’un côté, la « science de la femme » se trouve hors de portée de la « science de l’homme », notamment avec le développement de la gynécologie à partir du début du xixe siècle42. De l’autre, le nouveau genre de « l’histoire des femmes » inscrit le parcours de leur émancipation dans un schéma progressif, à l’intérieur de (et en tension avec) l’histoire universelle de l’humanité : assignées à une position d’esclaves dans les sociétés sauvages, elles incarnent l’ethos de la société commerciale moderne. Dans cette perspective, leur fonction n’est pas seulement alternative à celle des hommes ; elle est aussi concurrentielle et met en question le rôle moteur de ces derniers43. Enfin, l’inclusion de l’humanité à l’intérieur de l’histoire naturelle des animaux accorde une nouvelle importance à la nature de la femme dans son rôle sexuel et reproductif. La femme devient centrale lorsque la question de la population – un type de production spécifiquement féminin – est abordée44.

Nature et histoire

  • 45 Gerbi 1983 [1955].
  • 46 Buffon 1761 : IX, 103-104 ; Duchet 1995 [1971]. Voir aussi Dorlin 2006.
  • 47 Cañizares-Esguerra 2001 ; Sebastiani 2013.

23Dans son analyse de l’anthropologie des Lumières, Michèle Duchet montre, dès les années 1970, les ambivalences de la théorie du progrès, qui fixe en termes biologiques les distances historiquement déterminées entre les peuples. Dans sa lecture, l’opposition entre le « sauvage » et le « civilisé » correspond à la distance entre l’animalité et la pleine humanité, qui se manifeste à travers des sexualités différentes. Par exemple, elle attire l’attention sur le fait que les philosophes décrivent l’Africain comme ayant une sexualité excessive et bestiale, et condamnent l’Amérindien à la sauvagerie perpétuelle, en l’associant autant à l’animalité qu’à la féminité, à partir du constat prétendument ethnographique de son impuissance sexuelle. La « querelle du Nouveau Monde »45 se construit autour de ce nœud, doublement lié à l’obsession des Lumières pour le populationnisme : resté sur le seuil de l’histoire, l’Amérindien est jugé incapable de domestiquer la nature et les animaux, tout comme il parvient mal à se reproduire. Il est, selon les mots de Buffon, « un être sans conséquence, une espèce d’automate impuissant », à l’égal de l’Africain, qui laisse son continent improductif et inculte46. C’est donc la capacité de l’homme à transformer la nature qui définit, au xviiie siècle, les stades de la sauvagerie, de la barbarie ou de la civilisation – comme le montre M. Duchet et comme le confirme une partie de l’historiographie récente plus systématiquement attentive aux espaces atlantiques et impériaux47.

  • 48 Merchant 2021 [1980] : 21.
  • 49 Braidotti 2013 :  46‑48 ; Collard 2017 :  8.

24Cette relation utilitaire avec le monde naturel a fait des Lumières une cible historiographique privilégiée de la critique écoféministe dans la décennie suivante. D’après le livre de Carolyn Merchant, très récemment traduit en français, quarante-deux ans après sa première édition en 1980, les philosophes des Lumières, héritiers de la révolution scientifique, auraient contribué à « la mort de la nature » ainsi qu’à une nouvelle objectification des femmes. Selon un schéma dichotomique, « l’homme des Lumières » incarne la « culture » (rationnelle et destructive), tandis que la femme, anciennement associée à la « nature », reste liée à l’animalité et, avec « les noirs et les ouvriers », elle est réduite à la catégorie des « ressources “naturelles” »48. Aujourd’hui plus que jamais, alors que la crise climatique interroge la face sombre de la modernité, l’invitation de C. Merchant à s’engager dans « la déconstruction postmoderne de l’optimisme et du progrès des Lumières » constitue l’un des principaux carrefours où études de genre et études sur les animaux se ressourcent réciproquement. « L’Homme des Lumières » continue ainsi à être l’objet des critiques des post-humanistes féministes qui, comme Rosi Braidotti par exemple, suggèrent que ce sujet historique, fondé sur le cogito cartésien et teinté d’un exceptionnalisme européen, constitue à la fois le fondement de l’exclusion de l’histoire des femmes, des populations colonisées et de toute vie non-humaine49.

  • 50 Tomaselli 1985.

25Pourtant, depuis ses origines, le débat sur les modalités de l’association des femmes à la nature ne fait pas consensus parmi les historiennes féministes spécialistes des Lumières. Intervenant dans les pages de la revue britannique History Workshop Journal qui, en 1982 élargissait son sous-titre de « a journal of socialist historians » à « a journal of socialist and feminist historians », Sylvana Tomaselli s’est vivement opposée à ce qu’elle considère comme « l’alignement facile de l’opposition conceptuelle de la femme à l’homme dans le cadre de l’éternelle dichotomie nature-culture »50. Dans le but de « remettre les femmes à leur place dans l’histoire », elle inverse la proposition de C. Merchant en considérant les femmes comme doublement centrales dans le processus de formation de la société civile, à partir d’une analyse approfondie des Histoires universelles des Lumières : dans ces textes, non seulement les femmes sortent des limites de la nature pour entrer dans le domaine de la culture, mais elles façonnent les valeurs mêmes des sociétés avancées. La femme y devient ainsi paradigmatique de la modernité elle-même, au point que le processus de « civilisation » peut être lu comme un processus de « féminisation », dont on retrouve des échos dans les travaux évoqués plus haut sur les animaux domestiques et la construction des identités genrées.

  • 51 Barker-Benfield 1992 : 138-141.
  • 52 Smith 1976 [1776] : 96 ; Sebastiani 2013 : ch. 5.

26C’est dans la comparaison, explicite ou implicite, entre humains et animaux que se trouvent les arguments des nouveaux débats du xviiie siècle : contrairement aux femelles des espèces animales caractérisées par une reproduction régulière, les femmes se démarquent par l’inconstance ; leur capacité d’engendrement dépend de nombreux facteurs, tels que les manières de penser, les passions, les fantaisies, la peur de perdre leur beauté, ou leurs caprices. Les angoisses face à la dépopulation sont pointées dans l’étude sur la culture de la sensibilité de G. J. Barker-Benfield à partir des craintes exprimées par les penseurs des Lumières sur les effets de la propagation du luxe dans les sociétés avancées. Détourner les femmes du mariage et de la procréation devient un risque d’autant plus élevé que commence à s’opérer la distinction – dangereuse pour les intellectuels des Lumières – entre plaisir sexuel et procréation51. Pour Adam Smith, alors que la descendance des classes pauvres répond aux lois du marché, comme pour n’importe quelle autre marchandise, celle des femmes des classes supérieures (il parle de « pampered fine lady » et « women of fashion ») échappe à la règle générale, mettant ainsi en danger le progrès historique, indissociable de la croissance démographique, et l’humanité elle-même. Le rapport des femmes à la civilisation reste donc ambivalent dans ces textes : si elles permettent à l’humanité de s’affranchir de l’état animal, elles peuvent toujours engendrer le retour à l’animalité52. Les limites du modèle des Lumières sont atteintes dans ce domaine aussi.

Anatomies et histoires naturelles

  • 53 Schiebinger 1991 : 190 ; Jordanova 1989 : 2.
  • 54 Ritvo 1997 : 162‑174 ; Fend 2011 [2003].

27Londa Schiebinger est l’une des premières historiennes des sciences à avoir articulé systématiquement l’anatomie animale et la sexualité dans le débat des Lumières, en constituant l’animalité comme le troisième pôle indispensable d’une triangulation qui fait éclater le binôme homme-femme. Chemin faisant, ses travaux, parmi les premiers à avoir abordé la naturalisation des différences entre les sexes, se sont engagés dans une perspective impériale qui a permis de faire émerger la centralité de la question de l’esclavage dans la construction de la science elle-même. Elle appartient à cette génération qui, depuis les années 1990, s’est attachée à étudier les modalités selon lesquelles l’anatomie et l’histoire naturelle se sont nourries réciproquement. En considérant l’anatomie des Lumières en tant que moment crucial pour la construction des différences sexuelles et la « résexualisation » du corps humain, ce filon de recherche a mis en évidence les processus de durcissement des anciennes dichotomies « femme-homme », « nature-culture », « privé-public », « corps-esprit »53. Il a aussi montré comment ce processus a attiré l’attention des contemporains sur les cas d’« hermaphrodisme », tant humains qu’animaux, dont la multiplication a contribué à troubler la grille des différences sexuelles54.

  • 55 Guerrini 2015 :  5.
  • 56 Todd 1995 ; Daston & Park 1998 ; Arnaud 2014.

28L’exposition croissante des animaux, que ce soit par leur monstration devant des publics curieux, par la diffusion de la pratique de la dissection et des multiples dispositifs d’objectification des corps animaux, a intensifié ce trouble – comme Anita Guerrini l’a bien montré55. Suivant des directions de recherche distinctes, d’autres travaux aboutissent à la même conclusion : du côté des maladies non seulement corporelles mais aussi mentales, au-delà des monstres, le xviiie siècle s’est abondamment penché sur les possessions, l’imagination maternelle et l’hystérie. Ces configurations ont consolidé le répertoire de l’animalité féminine56.

  • 57 Sebastiani 2015 : 113-114.

29La pratique parallèle de l’anatomie comparée a complexifié les analyses et les représentations, en transférant vers le monde animal la continuité entre masculin et féminin. On a pu noter, en particulier, que la comparaison avec les grands singes, désignés à l’époque par le terme générique d’« orang-outan » (littéralement, en langue malaise, « homme des bois »), a eu une grande importance. Même pour les naturalistes qui, comme Buffon, affirmaient la discontinuité et la distance de l’être humain vis-à-vis des autres animaux, les similitudes des organes génitaux, du comportement reproductif, des menstruations et de la lactation ont constitué des sujets importants de débats et d’interprétations contradictoires57.

  • 58 Schiebinger 1994 : 40-74 (« Why mammals are called mammals ») ; Pomata 1998.

30Le système de Carl Linné, avec sa nouvelle nomenclature et classification, en est l’emblème. Dans la dixième édition du Systema naturæ (1758), le naturaliste suédois classe l’homme parmi les animaux en introduisant le néologisme « mammifère », en même temps qu’il le distingue par un autre néologisme : homo sapiens. Ce double mouvement d’inclusion et de distinction a attiré l’attention des historiens des sciences, tout comme son choix de faire d’un organe féminin – la mamelle allaitante – le marqueur de la classe à laquelle appartient « l’homo ». Londa Schiebinger l’explique dans le cadre situé de la campagne en faveur de l’allaitement maternel à laquelle Linné a participé, ainsi que des débats contemporains sur la croissance des populations. En soulignant le caractère naturel de l’allaitement par les femelles – humaines et non-humaines –, l’histoire naturelle de Linné contribue à naturaliser le rôle des femmes dans la culture moderne. Pour sa part, l’historienne de la médecine Gianna Pomata lit la taxinomie linnéenne comme l’expression du « basculement d’une vision masculine de la physiologie humaine à une nouvelle volonté de conférer un caractère paradigmatique à un organe féminin »58. Des deux analyses, aussi distinctes soient-elles, ressort la nouvelle importance acquise par les femmes en tant que procréatrices de l’espèce : dans ce rôle, elles intéressent aussi bien les sciences de la nature que l’économie politique et ses expériences en vue d’améliorer les populations.

  • 59 Sebastiani 2017 et 2021.

31La découverte et la circulation des grands singes peuvent aussi être interprétées comme autant d’occasion de réfléchir sur les frontières de l’humain et du non-humain, de la masculinité et de la féminité. Si les grands singes témoignent de l’essor de la circulation des animaux à l’échelle globale et de leur spectacularisation, au même titre que les autres animaux exotiques, leur statut demeure néanmoins unique, au moins pour deux raisons principales : leur proximité physique avec les humains, qui en fait un sujet de prédilection de l’anatomie comparée, puis des Histoires naturelles des Lumières, comme on l’a vu ; leurs liens directs avec les esclaves dans le cadre d’un marché devenu global59. En ce sens, « l’orang-outan » cristallise la construction des relations de genre, à travers les débats sur les frontières de l’humanité, aux plans politique, scientifique ou juridique, comme dans leurs croisements.

  • 60 Schiebinger 1994 : 74-114 (« The gendered ape ») ; Rousseau 1991 : 198-209 (« Madame Chimpanzee »)  (...)
  • 61 Sebastiani 2017 et Sebastiani 2021.
  • 62 Daston & Vidal 2004.

32Les travaux de George Rousseau, et plus tard de Laura Brown, ont développé une lecture du grand singe en termes genrés : le « gendered ape », selon l’heureuse formule de L. Schiebinger inspirée par le travail de Donna Haraway, naturalise les attributs du genre féminin. Aux métropoles européennes, le grand singe offre un répertoire de signes prescriptifs qui sont susceptibles de stabiliser les caractéristiques de la lady sensible, modeste et polie60. Aux espaces coloniaux, il fournit l’argumentaire comparatif entre femmes esclaves et grands singes sur les possibilités de la reproduction. Au chapitre des spectacles scientifiques dont les villes des Lumières sont friandes, « Madame Chimpanzé », buvant du thé et s’habillant à la « mode française », est l’illustration la plus aboutie de la mise en scène de l’humanité, voire de la féminité du grand singe. Amenée à Londres en 1738 par le marchand d’esclaves Henry Flower, elle devient rapidement l’une des célébrités de la capitale. Installée dans un coffee house populaire, puis aristocratique, elle est visitée par tous les milieux londoniens, depuis les nouveaux consommateurs urbains de spectacles d’animaux jusqu’à la plus haute société aristocratique et savante. Les écrits qu’elle suscite dans les imprimés, qui vont de la feuille publicitaire à l’article de journal savant, assurent sa célébrité. Elle est l’expression paradigmatique du brouillage des frontières, en tant qu’elle combine civilisation et nature. Ses traits prétendument naturels de modestie, de pudeur, de sensibilité, d’affabilité et de bonnes manières reflètent les idéaux émergents de la femme européenne de la classe moyenne et aristocratique, en même temps qu’ils contribuent, à travers la naturalisation de ces caractéristiques, à créer un modèle prescriptif de féminité61. L’autorité morale de la nature a d’ailleurs été bien mise en évidence par l’historiographie62.

  • 63 Schiebinger 1994 : 5 ; Sebastiani 2021.

33Mais l’époque est celle où le binôme femme/grand singe s’adosse au binôme grand singe/esclave et les acquis récents de la recherche invitent à fonder la lecture des sources dans le cadre d’un comparatisme tripolaire. Ainsi, dans leurs « descriptions », les naturalistes des Lumières soulignent souvent « le caractère humain des singes tout en insistant sur les prétendues qualités simiesques des Africains63 ». Ces pratiques ont contribué à légitimer et à perpétuer l’esclavage et le colonialisme en réduisant l’écart entre les animaux et les humains d’origine africaine.

Déclinaisons impériales et coloniales

  • 64 Schiebinger 1994 et 2017
  • 65 Curran 2011 ; Schaub & Sebastiani 2021 ; Seth 2018.

34La lecture des Lumières au prisme de l’histoire impériale et de l’histoire coloniale a mis en évidence de multiples configurations dans lesquelles genre et animalité se sont co-construits. Une partie de ces recherches a permis de montrer que la traite, qui a connu son acmé au milieu du xviiie siècle, n’a pas été une coïncidence malheureuse des Lumières. Les économies d’empire ont généré des logiques de production de savoirs, depuis l’anatomie jusqu’à l’histoire naturelle, marquées par l’étroitesse du lien entre genre et animalité64. D’autres travaux, portant sur l’esclavage ou la race, ont contribué à la recomposition de l’historiographie des Lumières, désormais attentive à la nécessité de penser ce mouvement et ses contradictions en prenant à la fois en compte les espaces métropolitains et coloniaux65.

  • 66 Schiebinger 1993 : 158-159 (« Theories of gender and race ») ; Nussbaum 1995 ; Morgan 2004.
  • 67 Brown 1993 ; Nussbaum 1995 et 2003 ; Wilson 2003.

35Les historiens qui ont étudié les descriptions de différentes parties du monde ont mis l’accent sur le hiatus qui existe entre femmes européennes et femmes amérindiennes ou africaines : ces dernières, loin d’être considérées comme de chastes anges gardiens du foyer, étaient comparées à des bêtes de somme, forcées à travailler aux champs66. Les premiers travaux de Felicity Nussbaum et de Laura Brown portant sur l’empire, le genre, la sexualité et la maternité, ont été rapidement suivis par l’étude de Kathleen Wilson, The Island Race: Englishness, empire and gender in the eighteenth century67.

  • 68 Morgan 2004 : 40.

36Le thème de la reproduction, déjà évoqué plus haut, a pu être approfondi : dès lors que la reproduction s’inscrit dans l’espace colonial, elle se configure autrement, dans le cadre du système esclavagiste et de sa justification. Ainsi, Jennifer Morgan attire l’attention sur la dimension raciale, au sein de l’ordre colonial, de la norme de la femme délicate et fragile, « membre de communautés chrétiennes68 ». La souffrance qui accompagne l’accouchement fournit, a contrario, une puissante justification de l’esclavage. La double signification du terme « travail » (« labour », en anglais), qui s’applique aussi bien à la production qu’à la reproduction, s’exprime dans l’appréhension du corps des femmes africaines, dont l’animalisation a, depuis longtemps, été abordée par l’historiographie de l’esclavage.

  • 69 Jordan 1968 : 28.
  • 70 Jacoby 1994.
  • 71 White 1985 : 68-69, 98-105, 177-178.

37Dès 1968, Winthrop Jordan observait dans son ouvrage fondateur White over Black que : « Les trafiquants d’esclaves en Afrique traitaient les Noirs de la même manière que les Anglais traitaient les bêtes, lorsqu’ils les élevaient, examinaient et achetaient »69. Les comparaisons avec les animaux domestiques comme modes de légitimation de l’esclavage humain et de déshumanisation des populations africaines sont au cœur de nombreux travaux70. Ces analyses ont fini par croiser l’historiographie sur la reproduction et la sexualité des femmes asservies. Dans l’ouvrage classique de 1985, Ain’t I a Woman, Deborah Gray White montre comment la procréation est une tâche centrale pour les femmes esclaves dont la valeur marchande est souvent déterminée par leur fécondité71.

  • 72 Nelson 2010. Voir aussi Doron 2016 : « Les racines animales de la biopolitique ».

38L’historiographie plus récente a continué à analyser le gouvernement de la reproduction centré sur les principes de l’élevage auxquels certains administrateurs coloniaux accordaient une importance croissante. Dans un article pionnier sur le sujet, William Max Nelson a pointé l’existence, dès les années 1770, de projets d’ingénierie raciale dans la colonie française de Saint-Domingue, directement issus des dernières expériences d’amélioration de l’élevage en France métropolitaine. Ainsi, Gabriel de Bory, gouverneur-général de Saint-Domingue, s’est-il inspiré, dans l’Essai sur la population des colonies à sucre (1776), des expériences sur les moutons faites par Daubenton (l’assistant de Buffon) : il voyait dans la sélection reproductive un mode de régulation des sociétés coloniales et un outil d’utilité publique. Cet exemple montre la « circularité dynamique entre la formation des hommes et la formation de la race »72.

  • 73 Smithers 2012.
  • 74 Sublette & Sublette 2015.
  • 75 Bergad 2007 : 106.
  • 76 Sheldon 2019 : 746-747.

39Au tournant du xixe siècle, y compris là où la traite a été interdite, les débats et les expérimentations se prolongent. Dans les nouveaux États-Unis d’Amérique, la reproduction et la multiplication des esclaves devenant essentielles pour le maintien du système esclavagiste, l’expansion de cette population a continué à être contrôlée à partir des techniques d’élevage des animaux73. Ned et Constance Sublette ont, par exemple, suggéré qu’une « industrie d’élevage d’esclaves », fondée sur « la capitalisation de l’utérus », s’est formée dans le sillage de l’abolition de la traite transatlantique74. La question reste cependant débattue et plusieurs historiens ont réfuté la comparaison avec les pratiques appliquées à l’élevage, tout comme l’existence d’une telle « industrie »75. A minima, et ainsi que Myrna Perez Sheldon l’a récemment fait remarquer, l’usage est courant, dans cette période, d’un langage qui réduit à des marchandises les fonctions reproductives des femmes asservies, toujours comparées à du bétail76.

  • 77 Seth 2018 : 180-182 ; Sebastiani 2021 : 76‑77. Voir aussi Morgan 2004 : ch. 1 ; Dorlin 2006 : ch. 1 (...)

40Dans un registre différent mais complémentaire, la bestialisation des femmes en régime colonial est repérable dans le discours sur la gestation et l’accouchement des femmes non-européennes, tel qu’il a été mis au jour par Suman Seth. Ève étant devenue la figure maternelle non plus de l’humanité mais de l’Europe, ces femmes « autres », que la douleur ne liait pas à la procréation du mythe biblique, se trouvaient ainsi rejetées dans l’univers des non-humaines et étaient assimilées à des brutes77. On mesure ici comment la fixation, déjà évoquée, de l’image de la femme européenne fragile, telle qu’elle s’est développée dans le monde occidental du progrès et du raffinement des Lumières, se fait sur fond d’une construction impériale où parler de l’Europe revient à parler de la métropole.

  • 78 Carey 2020.
  • 79 Singer 2012 ; Kniess 2018.

41Études de genre et études animales se croisent également dans le cadre de cette nouvelle histoire impériale sur la question des droits. Si l’histoire politique des Lumières a traditionnellement été celle des « droits de l’homme », nombre de travaux ont attiré l’attention sur le fait que le traitement de cette question laissait de côté les droits des femmes et les droits des animaux, suggérant qu’il ne s’agissait pas simplement d’histoires parallèles, mais bien de dynamiques croisées. Dans un article récent, Brycchan Carey invite à lier la défense des droits des animaux au cours du xviiie siècle avec le développement de l’antiesclavagisme : ces deux causes rassemblent de multiples écrivains qui partagent une même compassion pour la souffrance de deux catégories78. On s’inscrit ici dans le prolongement de la réflexion de Peter Singer, souvent considéré comme le père fondateur des animal studies, qui a été inspiré par la formule de Jeremy Bentham en 1781 – « La question n’est pas “peuvent-ils raisonner ?”, ni “peuvent-ils parler ?”, mais “peuvent-ils souffrir ?” »79.

  • 80 Hunt 2013 [2007] ; Garrett 2007 ; Perkins 2007.
  • 81 Ferguson 1998.

42C’est ainsi que plusieurs historiens ont associé les dernières décennies du xviiie siècle à la naissance d’une pensée sur les droits des animaux, coïncidant avec « l’invention des droits de l’homme », selon l’expression de Lynn Hunt80. Moira Fergusson a soutenu que dans l’Angleterre de cette période, la cause animale a permis à des voix de femmes d’exprimer sur le plan politique une indignation morale vis-à-vis de la maltraitance des animaux, mais que celle-ci allait bien au-delà et visait, entre autres, l’esclavage81.

  • 82 Spencer 2012.
  • 83 Spencer 2020 : 113-114 (voir le compte rendu dans ce volume).
  • 84 Spencer 2020 : 143 ; Sebastiani 2021.

43D’autres travaux attirent l’attention sur l’ambivalence des mouvements féministes et abolitionnistes envers les animaux au temps des Lumières. Dans Writing about Animals in the Age of Revolution, Jane Spencer révèle l’existence d’un féminisme des années 1790, marqué par une empathie envers les animaux qui repose sur l’universalité des souffrances imposées par l’oppression des hommes. Mais elle souligne surtout la difficulté, pour les personnes opprimées, de défendre les droits des animaux en même temps que les leurs. Le risque est celui de leur assignation à la catégorie de bête82. Par exemple, en réponse à la publication de A Vindication of the Rights of Woman (1792) de Mary Wollstonecraft, le néoplatonicien Thomas Taylor publie un ouvrage moqueur et satirique – mais non dénué d’une réelle sympathie pour les animaux – visant à ridiculiser les prétentions des femmes, dont le titre est éloquent, A Vindication of the Right of Brutes (1794)83. Plus important encore, les abolitionnistes britanniques se sentent tenus de renforcer les frontières séparant humains et animaux pour affirmer et défendre l’humanité des Africains réduits en esclavage : c’est ce point qu’exprime l’abolitionniste William Dickson évoquant la nécessité de renverser « the orang outang system »84.

44Reprendre le dossier de l’anthropologie des Lumières sous l’angle des relations entre genre, race et animalité nous oblige à le repenser au-delà de l’héritage humaniste anthropocentré. La mise en question de la centralité de « l’homme » invite à une désanthropologisation de l’anthropologie et à un retour critique sur les conditions de son élaboration historique : l’expression de l’universalisme de la pensée de l’homme a eu pour prix la mise à l’écart de ce qui en définissait les contours, de la femme aux animaux, mais aussi aux végétaux que l’affirmation contemporaine d’ontologies alternatives invitent à remettre au centre de nos analyses.

45Pour le xviiie siècle et l’analyse de ces processus de mises à l’écart, on retiendra trois éléments saillants. En premier lieu et en termes spatiaux, la ville apparaît comme l’espace privilégié de la renégociation de la relation entre le féminin, le masculin et l’animal en tant qu’elle est le point de connexion entre animaux de compagnie, commerce des animaux exotiques et nouvelle définition de la civilisation. Carrefour où confluent les dynamiques impériales et coloniales, c’est là que les « plaisirs de l’imagination » et la douceur de l’affection envers les animaux de compagnie se confrontent avec la brutalité coloniale fondée sur l’esclavage. Cependant, l’attention portée à la domestication permet de contourner la dichotomie entre ville et campagne telle qu’elle avait été construite dans les études des années1980 et de souligner combien les relations affectives avec les animaux caractérisent également le monde agricole.

46En second lieu, d’un point de vue biopolitique, le concept-clé de reproduction a trouvé à s’appliquer aussi bien aux humains qu’aux animaux, en prenant le plus souvent appui sur la référence au corps féminin et à son utilisation. La pratique de l’élevage sélectif a, en outre, fourni un modèle et des outils pour les expériences d’ingénierie raciale des humains, où le rôle reproductif des femmes est encore central. La domestication des champs et le gouvernement des colonies apparaissent alors comme deux phénomènes liés par leur centrage commun sur l’accroissement de la population.

47En troisième lieu, d’un point de vue anthropologique, les controverses des Lumières ont contribué moins à résoudre l’interrogation sur l’être humain qu’à mettre celui-ci en question – et tant la relation avec les animaux que celle entre les sexes y ont participé. Ce n’est pas le moindre des paradoxes de ce mouvement qui a placé la « science de l’homme » au centre de la carte des savoirs que d’avoir légué aux sciences humaines et sociales modernes un doute épistémologique sur la définition de l’humanité et de ses frontières, qui est inextricablement lié aux relations de genre.

48Tout comme l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert reflète cette ambivalence dans ses doutes sur ce qu’est l’animal, sa concurrente britannique, l’Encyclopaedia Britannica, dévoile la difficulté de reconnaitre la spécificité de la femme. Au fil de ses trois éditions parues entre 1768 et 1797 qui en font croître la taille de trois à dix-huit volumes, les articles consacrés à la définition et classification de l’homo, à la relation entre l’homme et l’animal, à la différence entre les sexes se multiplient. Seule l’entrée « Woman » fait exception par son invariable brièveté. Alors que la première édition se compose de la définition suivante: « Woman: female of man. See Homo », la troisième précise : « Woman: the female of the human species. See Homo ». Au terme d’un long xviiie siècle où les débats se sont développés sur les scènes de la vie politique, savante et culturelle des métropoles et des colonies, c’est la nature de femelle, dans sa fonction sexuelle et reproductive, qui définit la femme.

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Notes

1 D’Alembert & Diderot 1751-1772, art. « Animal » (Diderot & Daubenton), I, 1751 : 468.

2 Lilti 2019 ; Schaub & Sebastiani 2021 : ch. 5 et 6.

3 Pour la France, voir Blanckaert 2006, ainsi que le blog de la Société française pour l’histoire des sciences de l’homme (SFHSH), fondée en 1986 (https://sfhsh.hypotheses.org/).

4 Moravia 1970 ; Gusdorf 1971-1973 ; Duchet 1995 [1971] ; Fox, Porter & Wokler 1995 ; Chappey 2002.

5 Febvre 1941.

6 Plamper 2015 [2012].

7 Corbin, Courtine & Vigarello 2016-2017.

8 Reddy 2019 [2001] ; Clio. FGH 2018 (voir notamment l’introduction de Boquet & Lett, 2018).

9 Delon 2016.

10 L’expression est empruntée à Hazard 1961 [1935].

11 Digard 2009 [1989].

12 Thomas 1985 [1983].

13 Thomas 1985 [1983] ; Serpell 1986 ; Ritvo 1987.

14 Delort 1984 ; Bobis 2006 [2000] ; Baratay 2003 ; Vanneau 2013.

15 Baldin 2014. Sur le concept français d’animal de compagnie, voir Labarrière 1997.

16 Zelinger 2021.

17 Zelinger 2021 : 425-431, 436-437.

18 Haraway 2009 [1991] ; Latour 1991 ; Descola 2005.

19 Robbins 2002.

20 Sekora 1977.

21 Wyett 1999 ; Plumb 2015 ; Grigson 2016 ; Sebastiani 2017.

22 Sahlins 2017. Voir aussi Serna 2017, pour le contexte de la Révolution française.

23 Tague 2015 : 91-131 ; Tague 2018. Voir aussi Plumb 2015 : « Part IV Humour ».

24 Voir l’article de Tomohiro Kaibara dans ce dossier, qui propose une autre chronologie.

25 Tague 2015 : 174-228.

26 Milne 2008.

27 Mattfeld 2017.

28 Fudge 2018 : 13. Traduction des auteurs. Il en va de même pour les autres.

29 Fudge 2018 : ch. 3.

30 Bourde 1967 : vol. 2.

31 Thomas 1985 [1983] ; Ritvo 1987 ; Raber 2011.

32 Wood & Orel 2001 ; Serna 2017. Voir aussi le travail pionnier de Russell 1986.

33 Rosenberg 2017.

34 Lettow 2014 : 2.

35 Foucault 2004. Voir aussi Lettow 2015 et Rusnock 2018.

36 Shukin 2009 ; Chrulew & Wadiwel 2017.

37 Ritvo 1997 : 106 ; Ritvo 2010 : 6.

38 Ritvo 1995.

39 Franklin 2007a et 2007b.

40 Voir l’article de Jens Amborg dans ce dossier.

41 Schaub & Sebastiani 2021 : 371-378.

42 Jordanova 1989.

43 Tomaselli 1991.

44 Jordanova 1995.

45 Gerbi 1983 [1955].

46 Buffon 1761 : IX, 103-104 ; Duchet 1995 [1971]. Voir aussi Dorlin 2006.

47 Cañizares-Esguerra 2001 ; Sebastiani 2013.

48 Merchant 2021 [1980] : 21.

49 Braidotti 2013 :  46‑48 ; Collard 2017 :  8.

50 Tomaselli 1985.

51 Barker-Benfield 1992 : 138-141.

52 Smith 1976 [1776] : 96 ; Sebastiani 2013 : ch. 5.

53 Schiebinger 1991 : 190 ; Jordanova 1989 : 2.

54 Ritvo 1997 : 162‑174 ; Fend 2011 [2003].

55 Guerrini 2015 :  5.

56 Todd 1995 ; Daston & Park 1998 ; Arnaud 2014.

57 Sebastiani 2015 : 113-114.

58 Schiebinger 1994 : 40-74 (« Why mammals are called mammals ») ; Pomata 1998.

59 Sebastiani 2017 et 2021.

60 Schiebinger 1994 : 74-114 (« The gendered ape ») ; Rousseau 1991 : 198-209 (« Madame Chimpanzee ») ; Brown 2010 : 27-63.

61 Sebastiani 2017 et Sebastiani 2021.

62 Daston & Vidal 2004.

63 Schiebinger 1994 : 5 ; Sebastiani 2021.

64 Schiebinger 1994 et 2017

65 Curran 2011 ; Schaub & Sebastiani 2021 ; Seth 2018.

66 Schiebinger 1993 : 158-159 (« Theories of gender and race ») ; Nussbaum 1995 ; Morgan 2004.

67 Brown 1993 ; Nussbaum 1995 et 2003 ; Wilson 2003.

68 Morgan 2004 : 40.

69 Jordan 1968 : 28.

70 Jacoby 1994.

71 White 1985 : 68-69, 98-105, 177-178.

72 Nelson 2010. Voir aussi Doron 2016 : « Les racines animales de la biopolitique ».

73 Smithers 2012.

74 Sublette & Sublette 2015.

75 Bergad 2007 : 106.

76 Sheldon 2019 : 746-747.

77 Seth 2018 : 180-182 ; Sebastiani 2021 : 76‑77. Voir aussi Morgan 2004 : ch. 1 ; Dorlin 2006 : ch. 10.

78 Carey 2020.

79 Singer 2012 ; Kniess 2018.

80 Hunt 2013 [2007] ; Garrett 2007 ; Perkins 2007.

81 Ferguson 1998.

82 Spencer 2012.

83 Spencer 2020 : 113-114 (voir le compte rendu dans ce volume).

84 Spencer 2020 : 143 ; Sebastiani 2021.

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Table des illustrations

Titre Fig. 1. « Which is the Man », gravure, 23x26,5 cm, Lewis Walpole Library, Yale University, 786.05.30.06, 1786.
URL http://journals.openedition.org/clio/docannexe/image/21885/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 699k
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Pour citer cet article

Référence papier

Jens Amborg, Tomohiro Kaibara et Silvia Sebastiani, « Un débat historiographique »Clio, 55 | 2022, 209-240.

Référence électronique

Jens Amborg, Tomohiro Kaibara et Silvia Sebastiani, « Un débat historiographique »Clio [En ligne], 55 | 2022, mis en ligne le 01 janvier 2025, consulté le 20 avril 2025. URL : http://journals.openedition.org/clio/21885 ; DOI : https://doi.org/10.4000/clio.21885

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Auteurs

Jens Amborg

Jens Amborg est doctorant à l’université d’Uppsala où il enseigne l’histoire des sciences, des savoirs et de la médecine. Il s’intéresse particulièrement à l’élevage des animaux et à la construction des théories de la reproduction et de la race dans la France du xviiie siècle. jens.amborg@idehist.uu.se

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    Sexe, reproduction et race chez Buffon
    The canary in love. Sex, reproduction and race in the work of Buffon
    Paru dans Clio, 55 | 2022

Tomohiro Kaibara

Tomohiro Kaibara est titulaire d’un master en études françaises de l’Université de Tokyo, doctorant contractuel au CRH (CNRS/Ehess). Il prépare une thèse intitulée « Le grand sacre des chats. L’invention d’un animal de compagnie en France (1670-1830) » sous la direction d’Antoine Lilti. Outre ses articles en japonais, il a publié « “Tout Paris pleure en sot” : émotions, larmes et public de théâtre dans la querelle d’Inès de Castro », Dix-Huitième Siècle, 53, 2021, p. 461-478. tomohiro.kaibara@ehess.fr

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Silvia Sebastiani

Silvia Sebastiani est directrice d’études de l’Ehess. Spécialiste des Lumières, elle s’intéresse aux questions de race, de genre, d’animalité et d’écriture de l’histoire. Elle est notamment l’auteure de The Scottish Enlightenment : race, gender, and the limits of progress (Palgrave-Macmillan, 2013 – traduction remaniée du livre italien publié chez Il Mulino en 2008) et co-auteure, avec Jean-–Frédéric Schaub, de Race et histoire dans les sociétés occidentales (xve-xviiie siècle) (Albin Michel, 2021). Elle termine un livre sur les frontières de l’humanité au xviiie siècle, en se concentrant sur les grands singes dans l’élaboration des sciences humaines et sociales. silvia.sebastiani@ehess.fr

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