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No 30/2026 – Le temps de la justice aux époques moderne et contemporaine (Europe et Amériques)

Coordination

  • Alice Bonzom, Université Lumière Lyon 2, Triangle UMR 5206

  • Simon Castanié, Centre Roland Mousnier UMR 8596

  • Nicolas Picard, Centre d’histoire du xixe siècle UR 3550

  • Benoît Saint-Cast, LARHRA UMR 5190

  • Verónica Vallejo Flores, Mondes Américains UMR 8168

Argumentaire

Le temps de la justice reste un domaine relativement peu exploré en histoire et en histoire du droit. Paradoxalement, les archives judiciaires ont plus souvent été utilisées pour saisir les rythmes des sociétés anciennes et les temporalités des pratiques sociales [Voth, 2000] que pour comprendre les rapports de la justice au temps. Pourtant, le temps de la justice n’est pas un temps social et politique ordinaire [Garapon, 1997]. Au-delà des symboles et des rituels qui donnent majesté et autorité aux jugements, la justice en tant qu’activité sociale a ses propres temporalités réglées par le droit et l’organisation du travail judiciaire. La procédure donne aux actions un ordre temporel, avec des délais et des durées variables en fonction du type d’affaire ou de la qualité des parties [Cerutti, 2020]. La dimension pratique de ce temps s’observe dans toutes les opérations quotidiennement réalisées dans les tribunaux : ouvrir, instruire, ajourner, réassigner et clore des dossiers. Si le droit impose une temporalité au règlement des conflits, l’institution judiciaire reste perméable aux pressions extérieures et attentive aux besoins des justiciables. Loin d’être figées, les règles procédurales sont mises en pratique et utilisées par les acteurs (juges, auxiliaires, justiciables), qui n’ont pas les mêmes intérêts et disposent de différentes marges de manœuvre. Le temps de la justice est ainsi au cœur d’un dialogue entre l’institution judiciaire, la société et l’État. Or, si l’abréviation des procédures est un leitmotiv des réformes judiciaires depuis l’affirmation de la justice étatique à l’époque moderne, on sait encore peu de quoi est fait le temps de la justice.

Dans le prolongement d’un colloque organisé à Lyon en octobre 2023, ce dossier thématique de Clio@Themis vise à interroger, dans une perspective historique, la manière dont la justice construit ses temporalités et comment celles-ci s’articulent aux autres temps sociaux. Il s’agira non seulement d’interroger la dimension juridique et procédurale du temps judiciaire, mais également d’en saisir les dimensions sociale, économique, politique ou encore sensible. En plus de la diversité des juridictions (civile, pénale, commerciale, militaire, ecclésiastique, etc.), le cadrage chronologique (les époques moderne et contemporaine) et géographique (l’Europe et les Amériques) permet d’envisager des contextes spatiaux, temporels et culturels variés de part et d’autre de l’Atlantique, de mettre en perspective le phénomène colonial et de comparer pays de common law et de tradition romano-civiliste.

Les propositions d’articles pourront s’inscrire dans un ou plusieurs des axes suivants, qui n’épuisent pas le champ des possibles. Une attention particulière sera accordée aux propositions qui mettront en avant la dimension à la fois sociale et juridique de leur objet, les acteurs et actrices, les pratiques et leur inscription dans l’espace.

1. Les temps de la justice, discours et mesures

Il s’agit d’abord d’interroger les manières dont le temps judiciaire est mesuré et évalué, tant par les historiennes et historiens que les contemporains. Comment l’institution mesure-t-elle la temporalité de sa propre action ? Quels sont les effets produits par les discours sur les représentations sociales, les réformes politiques, et les pratiques institutionnelles ? De tels questionnements invitent aussi les chercheuses et chercheurs à confronter ces mesures à leurs propres analyses. Réfléchir aux temps de la justice nécessite la construction de données empiriques mais aussi une réflexion méthodologique sur la manière d’appréhender ces temporalités. Comment compter les temps des procédures ? Quels outils pour appréhender la multiplicité des temporalités (celle des justiciables, de la procédure, de l’institution) ? Quelles méthodes pour qualifier ces durées (comparer à la moyenne, à la médiane, aux attentes des parties) ?

2. Diversité des temps judiciaires et usage de la procédure

Comprendre le temps judiciaire suppose de rentrer dans les mécanismes procéduraux. Si la juridiction civile ou pénale, la nature des litiges et la qualité des justiciables (corps, classe, genre, race) déterminent la forme de la procédure et, de ce fait, les délais qui lui sont liés, les justiciables, les professionnels du droit et auxiliaires de justice disposent toutefois de marges de manœuvre pour moduler le temps en fonction de leurs intérêts. Quel rôle jouent l’oralité, l’écriture, le coût de la justice ou encore les professionnels du droit dans la construction des temporalités judiciaires ? Quelle place le temps occupe-t-il dans les pratiques et les stratégies mises en œuvre par les acteurs ? Quel est le poids du temps judiciaire dans la réticence à faire appel à la justice et la préférence pour des démarches extérieures à l’institution judiciaire ?

3. Décision, sanction, exécution des jugements

Les décisions judiciaires prennent du temps et comprennent souvent des dispositions temporelles, que ce soit en matière commerciale, familiale ou encore pénale. La rapidité ou la lenteur de la décision est-elle corrélée à sa qualité et à son efficacité ? En particulier à l’époque contemporaine, la question de la durée de la peine s’est imposée comme le principal instrument de réponse aux infractions, au niveau des codes comme dans les verdicts effectivement rendus. Dans quelle mesure le temps est au cœur de l’expérience pénale et/ou pénitentiaire ? Dans quels espaces et selon quelles modalités le temps de la peine est-il découpé ? Quels aménagements et ajustements temporels affectent l’exécution des décisions de justice ?

4. Réformes et crises de la justice : le temps judiciaire, entre ordinaire et extraordinaire

Le dernier axe vise à interroger la dimension politique des temporalités judiciaires. Dans quelle mesure la codification du droit et l’unification des procédures permettent-elles de réduire les lenteurs du système judiciaire ? Comment la modulation du maillage judiciaire permet-elle de réguler le temps des procédures et des appels ? Comment la justice adapte-t-elle son fonctionnement face à l’urgence ou à des situations extraordinaires ? En retour, peut-on voir dans l’inaptitude de la justice à s’adapter aux temporalités sociales ordinaires le symptôme d’une crise de la justice ? Ou, au contraire, la discordance des temps sociaux et judiciaires est-elle une contradiction inhérente à l’exercice de la justice ?

Modalités de soumission

Les propositions d’article (en français, en anglais ou en espagnol) sont à envoyer, avant le 15 octobre 2024 à l’adresse suivante : temps.justice.2023@gmail.com.

D’une longueur d’environ 500 mots (hors bibliographie), les propositions devront détailler l’argumentaire de l’article envisagé en insistant sur la problématique, l’apport historiographique, la méthode et les sources utilisées. Une attention particulière sera portée à la manière dont l’auteur ou l’autrice s’insère dans les axes du dossier thématique et dans l’esprit de la revue. Les propositions devront être accompagnées d’une courte bio-bibliographie et d’une bibliographie sommaire.

Calendrier de publication

  1. Remise des propositions d’article le 15 octobre 2024.

  2. Sélection des propositions et retour des coordinateur-rices le 1er novembre 2024.

  3. Remise des articles définitifs le 1er avril 2025 (les normes de la revue, à respecter pour la soumission, sont disponibles ici : https://journals.openedition.org/cliothemis/2104)

  4. Première évaluation des articles lors du comité de rédaction de juin 2025.

  5. Remise des articles corrigés au 1er décembre 2025.

  6. Seconde évaluation des articles lors du comité de rédaction de janvier 2026.

  7. Remise définitive des articles au 15 avril 2026.

  8. Parution en juin 2026 dans le no 30/2026 de Clio@Themis.

Bibliographie

  1. B. Bastard, D. Delvaux, C. Mouhanna et F. Schoenaers, Justice ou précipitation : l’accélération du temps dans les tribunaux, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2016.

  2. B. Bastard et C. Mouhanna, Une justice dans l’urgence, Paris, Presses universitaires de France, 2007.

  3. S. Cerutti, Justice sommaire. Pratiques et idéaux de justice dans une société d’Ancien Régime (Turin, XVIIIe siècle), trad. G. Calafat, Paris, Editions de l’EHESS, 2020.

  4. J. A. Dickinson, Justice et justiciables : la procédure civile à la Prévôté de Québec (1667-1759), Laval (Québec), Presses de l’université Laval, 1982.

  5. « Droit, justices et temporalités », dir. C. Reveillere, L. Prauthois, J. Pélisse, Droit & société, 2, 111, 2022.

  6. Entre justice et justiciables : les auxiliaires de la justice du Moyen Âge au XXe siècle. Actes du colloque, Québec, 15-17 septembre 2004, dir. C. Dolan, Sainte-Foy (Québec), Presses de l’Université de Laval, 2005.

  7. A. Garapon, Bien juger : essai sur le rituel judiciaire, Paris, Odile Jacob, 1997.

  8. Les justices locales et les justiciables: la proximité judiciaire en France du Moyen âge à l’époque moderne, dir. M. Houllemare et D. Roussel Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2015.

  9. C. Lemercier, Un modèle français de justice des pairs. Les tribunaux de commerce, 1790-1880, thèse d’habilitation à diriger des recherches, Université Paris 8 Vincennes-Saint-Denis, Paris, 2012.

  10. H. Piant, Une justice ordinaire. Justice civile et criminelle dans la prévôté royale de Vaucouleurs sous l’Ancien Régime, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2006.

  11. A. Provost, Une accélération sans précipitation. Le traitement immédiat des affaires pénales à Berlin, thèse de doctorat, Université Paris-Saclay, Paris, 2022.

  12. C. Vigour, B. Cappellina, V. Gautron et L. Dumoulin, La justice en examen: attentes et expériences citoyennes, Paris, Presses universitaires de France, 2022.

  13. H.-J. Voth, Time and Work in England (1750-1830), Oxford, Oxford University Press, 2000.

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