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Comptes rendus

Scaldaferri Nicola & Feld Steven (eds.), 2019, When the Trees Resound. Collaborative Media Research on an Italian Festival, Nota, 2019, 150 p.

Dimitris Gianniodis
p. 235-238

Texte intégral

1Cet ouvrage1 collaboratif dirigé par Nicola Scaldaferri et Steven Feld se présente au lecteur comme un redéploiement visuel et sonore du festival du Maggio dans le village d’Accettura tel qu’il fut expérimenté en 2005 par une équipe pluridisciplinaire composée d’ethnomusicologues, de musiciens et de photographes. Comme l’indique Lorenzo Ferrarini dans la note d’édition, ce livre comprenant une cinquantaine de photographies et accompagné de deux CD est fondé sur le principe de la polyphonie : il offre une pluralité de vues partielles sur l’objet complexe que constitue la « fête de l’arbre », ces différentes perspectives contribuant non pas à la constitution d’un portrait fidèle du festival mais visant plutôt à amplifier le pouvoir d’évocation des différents médias utilisés auprès d’un lecteur n’y ayant pas directement participé. Celui‑ci n’a donc pas affaire à un ouvrage classique où le texte convoque le son et l’image afin de le guider vers une compréhension souhaitée et préétablie par les auteurs, mais devra au contraire se frayer une voie propre dans les échos et jeux de perspectives qui se répondent sans correspondre. Ce format innovant et volontairement déconcertant n’en est pas pour autant gratuit : il s’inscrit dans la lignée des travaux de Steven Feld relatifs à l’acoustémologie, entendue dans le cas présent comme une forme de recherche par la composition des modes d’écoute situés et de la relation entre ces modes d’écoute et l’espace‑temps physique et social dans lesquels ils se développent. When the Trees Resound propose donc de réinterroger le Maggio en partant du principe que sa dimension sonore, largement sous‑estimée dans les travaux qui lui sont consacrés alors qu’elle en est un « puissant principe organisateur », peut s’appréhender par elle‑même, et constitue un point d’entrée de premier ordre dans la compréhension du festival.

2Le Maggio désigne un ensemble de pratiques ayant trait à l’union physique et symbolique de deux arbres et gravitant autour du culte de San Giuliano, le saint patron d’Accettura, un village d’un peu moins de deux mille habitants de la province de Matera, en Italie méridionale. Il se déroule entre le premier dimanche de mars et le dimanche de Corpus Domini ayant lieu soixante jours après Pâques, l’activité la plus intense se concentrant entre le Jeudi de l’Ascension et le Mardi de la Pentecôte. Durant cette période marquée par les messes et processions, les cris et les échos des fanfares, un chêne chevelu (Quercus cerris) et un houx commun (Ilex aquifolium), respectivement nommés maggio et cima, sont choisis dans deux bois situés au nord et au sud du village avant d’être abattus. Le chêne est tracté par des bœufs élevés uniquement à cette fin et guidés par les maggiaioli tandis que le houx est porté par les hommes du village nommés cimaioli. Ils sont joints ensemble, le houx constituant la cîme du chêne, décorés et chargés de prix avant d’être élevés sur la place du village à l’occasion de la fête patronale du saint. Par la suite, les chasseurs tentent par leurs tirs de toucher les prix et les habitants les plus courageux grimpent au sommet de l’arbre, observés par une foule avide de bravades acrobatiques. Le festival s’achève par la chute du Maggio et la vente aux enchères du bois dont on dit qu’il apporte bonne fortune à ses acquéreurs.

3Les différentes phases du rituel sont traitées de manière complémentaire par le travail des photographes Stefano Vaja et Lorenzo Ferrarini. Les très belles photographies de Vaja adoptent un point de vue légèrement distancié et proposent au lecteur une vue d’ensemble des événements tantôt en couleur, tantôt en noir et blanc, afin d’évoquer l’interpénétration du passé et du présent dans le festival. Par contraste, les clichés de Ferrarini placent le lecteur au coeur de l’action et abordent les phases du rituel par diverses formes de suggestions visuelles, donnant à voir l’intensité du mouvement et l’effort collectif notamment par des effets de flou et un jeu sur la convergence des lignes dans la composition.

4Cette complémentarité des regards photographiques fait écho à la méthode employée dans la constitution des deux CD accompagnant l’ouvrage et dont les implications sont détaillées dans un entretien entre Steven Feld et Nicola Scaldaferri. Le premier CD contient la composition d’un « soundscape » réalisée par Feld et conçue comme un « film pour les oreilles » permettant à l’auditeur d’expérimenter le « sens mouvant et changeant du lieu et du temps » qui caractérise le rituel tandis que le second réunit un vaste répertoire profane et religieux permettant d’apprécier dans leur globalité les pratiques musicales associées au Maggio. Selon Scaldaferri, ces pratiques musicales qui participent au « flot ininterrompu de sons » caractérisant le festival peuvent être divisées en deux catégories. Il y aurait d’une part l’ensemble des « sons organisés et organisationnels », prescrit par le rituel et pris en charge par des professionnels et, d’autre part, les « sons spontanés » qui constituent un moyen pour le public de locaux et étrangers d’attester de sa présence. L’auteur classe dans la première catégorie les performances des fanfares de cuivre et des groupes plus restreints de bassa musica. Si les premiers marquent les temps officiels du rituel tels que l’arrivée des arbres au village à la veille de la Pentecôte et les diverses processions dont celle de San Giuliano, la « véritable bande‑son du festival » est exécutée par les seconds qui, par un répertoire allant des scasciatammorr aux tarentelle en passant par des valses et des marches, donnent une existence spatiale élargie au rituel et accompagnent toutes ses phases importantes. La catégorie des « sons spontanés » comprend quant à elle l’activité informelle mais non moins importante des chanteurs et musiciens d’Accettura et des villages alentours qui se mêlent aux groupes de bassa musica. Parmi les instruments emblématiques de ces « communautés musicales temporaires » qui participent au Maggio comme à d’autres festivals de la région, on compte l’organetto (accordéon diatonique), le tamburello (tambour sur cadre) et la zampogna (cornemuse) qui est particulièrement prisée dans l’accompagnement des chants improvisés.

5Les vingt‑cinq pistes du second CD rassemblent des exemples de ces diverses manifestations musicales et sont accompagnées d’informations de contexte ainsi que de belles traductions. Le soundscape est quant à lui composé de six pistes qui réintègrent ces formes musicales au lieu et au temps du rituel sous forme de narration chronologique allant du samedi au mardi de la Pentecôte, c’est‑à‑dire du transport du Maggio à son érection sur la place d’Accettura lors des célébrations du martyr de San Giuliano. Il est à noter que Feld utilise ici le système DSM dont les microphones sont portés sur la tête et font du corps « l’instrument de l’enregistrement », ce qui implique une écoute engagée et le partage d’un « point d’ouïe » à l’effet immersif indéniable.

6En proposant une nouvelle forme de narration du Maggio qui minore le rôle du texte, When the Trees Resound ne prétend pas épuiser son sujet. Le lecteur désireux d’en savoir plus est d’ailleurs renvoyé à une abondante bibliographie et aux travaux précédents des chercheurs italiens impliqués dans sa réalisation. Son principal mérite est de mettre en évidence la multiplicité des expériences subjectives possibles d’un même objet complexe tout en nous poussant à nous interroger sur notre expérience sensorielle du monde en général. Qu’écoutons‑nous ? Comment l’écoutons‑nous ? Comment faire sens de notre condition de sujet entendant en quasi‑permanence ? Comment faire sens de notre biographie acoustique, de notre habitus d’écoute ? Que cette expérience esthétique soit une première rencontre ou un voyage au sein d’un monde familier, elle démontre qu’une anthropologie par le son et qu’une ethnographie sous forme sonore est possible et fructueuse.

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Notes

1 Accessible en format numérique à l’adresse suivante : http://leavlab.com/portfolio/when-the-trees-resound-2019/.

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Pour citer cet article

Référence papier

Dimitris Gianniodis, « Scaldaferri Nicola & Feld Steven (eds.), 2019, When the Trees Resound. Collaborative Media Research on an Italian Festival, Nota, 2019, 150 p. »Cahiers de littérature orale, 87 | 2020, 235-238.

Référence électronique

Dimitris Gianniodis, « Scaldaferri Nicola & Feld Steven (eds.), 2019, When the Trees Resound. Collaborative Media Research on an Italian Festival, Nota, 2019, 150 p. »Cahiers de littérature orale [En ligne], 87 | 2020, mis en ligne le 16 septembre 2021, consulté le 16 avril 2024. URL : http://journals.openedition.org/clo/8749 ; DOI : https://doi.org/10.4000/clo.8749

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Auteur

Dimitris Gianniodis

Université Paris Nanterre, CREM-LESC (UMR 7186)

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Droits d’auteur

CC-BY-NC-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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