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Notes de lecture

La vie culturelle juive à Anvers et à Heide

Barbara Dickschen
p. 175-178
Référence(s) :

Lieven Saerens, Frans L. Van den Brande, Tussen Antwerpen en Heide : Joods cultuurleven in een bewogen tijd (1880-1944),Antwerpen, Erfgoed Antwerpen, 2009 (ISBN 9789076099002).

Texte intégral

1Ce fascicule d’une centaine de pages, richement illustré, intitulé Entre Anvers et Heide, La vie culturelle juive en une période mouvementée (1880-1944), s’inscrit dans une série de guides consacrés spé­cifi­que­ment au patrimoine anversois. L’objectif de la province d’Anvers, qui est à l’initiative de ces publications (collection Erfgoedgids), est de faire découvrir un patrimoine « oublié », et ce à chaque fois sous un angle particulier de son histoire. Ainsi la présente brochure s’attache-t-elle à éclairer les liens culturels qui unissent Anvers et sa population juive.

2L’histoire récente de cette communauté nous est ici contée à partir des nombreuses traces patrimoniales qu’elle a laissées dans le paysage urbain anversois. Une attention particulière est accordée aux syna­gogues, expression manifeste de la vie communautaire. Le lecteur découvre ainsi à quel point leur style architectural traduit l’évolution du sentiment religieux au sein même de la population juive. Le guide s’attarde également sur les nombreuses demeures cossues qui ont eu pour maîtres d’ouvrage des bourgeois juifs aisés et dont Anvers et, dans une moindre mesure, la commune de Heide s’enorgueillissent de nos jours.

3Le livre s’articule en deux parties bien distinctes : la première, de la main de l’historien Lieven Saerens, est de loin la plus volumineuse et nous révèle l’interaction parfois intense entre la communauté juive de la métropole flamande ou certains de ses membres et son environ­ne­ment direct dans la période charnière de 1880 à la Seconde Guerre mondiale. Dans la deuxième partie, plus modeste dans son approche mais non moins intéressante, le professeur émérite Frans L. Van den Brande, spécialiste de judaïstique, se penche sur l’histoire de la présence juive dans l’entité de Heide, dans la Campine anversoise.

4Nous apprenons donc avec Lieven Saerens que des Juifs anversois se sont engagés, à des degrés divers, en faveur de la cause nationaliste flamande. Même si ce phénomène est demeuré largement marginal au sein de la collectivité juive, la sympathie que témoignent d’aucuns pour le mouvement nationaliste flamand n’est pas sans susciter l’étonnement, en particulier au regard des débordements sinistres qu’il a pu occasionner par après. Les revendications émancipatoires des Flamands avaient néanmoins de quoi séduire une population elle-même en quête de reconnaissance… Nous suivons donc au fil des pages le parcours de diverses figures juives qui participèrent activement à l’éclosion d’une vie culturelle flamande. Notons que l’engagement en faveur du mouvement nationaliste flamand ne fut pas pour autant inconciliable avec une implication active dans la vie institutionnelle juive. On n’en veut pour preuve que le parcours de personnalités marquantes tel le docteur Isidore Gunzburg, le diamantaire Sam Tolkowsky ou le professeur Nico Gunzburg, qui tout en œuvrant à la flamandisation de l’institution universitaire gantoise continuera à s’investir dans les organisations caritatives juives.

5La venue massive par vagues successives de Juifs essentiellement originaires d’Europe centrale et orientale a profondément bouleversé tant la physionomie de la communauté juive “de souche” que le tissu social anversois. Toutefois, si l’arrivée de tant d’étrangers eut pour effet d’éveiller des sentiments d’inimitié au sein de la population locale, elle n’engendra pas pour autant la création de structures antisémites organisées à proprement parler, comme ce fut le cas dans les pays voisins. Saerens constate que, dans les milieux intellectuels et artistiques anversois, la vue de ces exilés, qui pour la plupart ne faisaient que transiter par la ville portuaire, n’était pas sans susciter la commisération. Pour l’historien flamand, c’est la venue par milliers de réfugiés allemands et autrichiens en Belgique à partir de 1933 qui eut un impact durable sur le regard porté par la population locale sur les Juifs. Malgré les persécutions évidentes dont sont victimes les Juifs du Reich, ces derniers n’auront pas pu compter sur la compassion des Belges et cette vague migratoire spécifique aurait fait « évoluer Anvers de ville cosmopolite en ville intolérante » (p. 56). Lieven Saerens nous indique que c’est principalement alors que diverses organisations antisémites voient le jour, essentiellement dans les sphères catholiques de la moyenne bourgeoisie et dans les milieux nationalistes, qu’ils soient belgicains ou flamands.

6Dès l’accession d’Hitler au pouvoir, on observe une radicalisation nette dans les programmes des organisations nationalistes flamandes, et notamment dans leur attitude envers les Juifs. Ce mouvement ira croissant et contribuera à créer un climat de vive hostilité envers les Juifs, avec pour fait le plus marquant avant-guerre l’éviction des avocats juifs du barreau anversois en mai 1939. L’auteur souligne que même les Juifs qui s’étaient engagés en faveur de la cause nationaliste flamande ne pourront bénéficier d’un traitement d’exception. Pourtant, malgré la tournure peu encourageante que prennent les événements, certains Juifs – plus que minoritaires, il est vrai – persistent dans la voie du nationalisme flamand. C’est le cas par exemple du peintre Léo Lewi, qui ne renie pas sa foi dans le mouvement et se fait membre de la section flamande de Rex. Saerens évoque également le destin de la fameuse actrice flamande d’origine juive Ida Wasserman, dont le mari Joris Diels, homme de théâtre, choisira la voie de la collaboration culturelle sous l’Occupation.

7Dans la partie consacrée à Heide, Van den Brande nous explique qu’en raison de diverses circonstances, cette petite commune a depuis plus d’un siècle des liens plus étroits avec la ville d’Anvers qu’avec Kalmthout, dont elle dépend pourtant administrativement. À la Belle Époque, à l’instar de ce qui se passe dans les principales villes de Belgique, Anvers voit sa bourgeoisie fortunée s’exiler dans la périphérie, fuyant la ville et ses fumées malsaines. Ainsi, grâce notamment au développement de la voie ferrée, Heide devint un lieu de villégiature privilégié pour les citadins, s’enrichissant de la sorte de nombreuses villas d’agrément essentiellement de style pittoresque. On trouve parmi les grands bourgeois qui s’y installent quelques familles de riches diamantaires juifs. L’arrivée par après de Juifs plus pieux dans la commune eut des implications d’ordre pratique : les préceptes alimentaires avaient ainsi des conséquences au niveau des commerces locaux. Plusieurs pensions juives répondant aux besoins spécifiques de ces vacanciers s’ouvrirent alors.

8En 1928, une petite synagogue de style néo-mauresque est érigée sur le territoire de Heide, et ce au grand dam du curé local, dont la construction de l’église paroissiale se faisait encore attendre ! Dans le sillage de cette synagogue, unique lieu de culte juif de campagne dans notre pays, une yechivah, école talmudique, vit le jour en 1929. Près d’une décennie plus tard, cette école accueillait environ 140 étudiants, qui outre les matières strictement religieuses y apprenaient le métier d’ouvrier-diamantaire. En 1938, Heide vit même une harcharah, une ferme-école formant les jeunes au travail agricole en vue de leur émigration vers la Palestine, s’établir sur ses terres.

9La Seconde Guerre mondiale s’avéra particulièrement meurtrière pour la communauté juive de Heide, dont la majorité des membres fut exterminée. Il n’est d’ailleurs pas sans intérêt de rappeler que Heide est la commune avec le plus fort taux de déportés du pays…

10Seuls quelques rares survivants revinrent après-guerre, à peine assez nombreux pour former un minyan, le nombre minimum d’hommes majeurs nécessaire à l’office religieux. Orpheline de sa population, la synagogue ferma définitivement ses portes. Bien que classé comme monument d’intérêt historique et architectural, le bâtiment est de nos jours totalement à l’abandon. Ce lieu de prière, envahi par la végétation, et quelques villas Belle Époque sont à présent les uniques témoins tangibles de cette vie juive dans le village de Heide.

11Tussen Antwerpen en Heide : Joods cultuurleven in een bewogen tijd (1880-1944) a pour principal mérite d’éclairer quelques facettes méconnues de la communauté juive anversoise. Destiné à tout public, que celui-ci soit au fait des particularités de cette histoire ou non, ce guide se distingue également par de très belles illustrations, dont certaines inédites, et une mise en page de qualité.

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Pour citer cet article

Référence papier

Barbara Dickschen, « La vie culturelle juive à Anvers et à Heide »Les Cahiers de la Mémoire Contemporaine, 9 | 2010, 175-178.

Référence électronique

Barbara Dickschen, « La vie culturelle juive à Anvers et à Heide »Les Cahiers de la Mémoire Contemporaine [En ligne], 9 | 2010, mis en ligne le 01 février 2020, consulté le 16 novembre 2025. URL : http://journals.openedition.org/cmc/612 ; DOI : https://doi.org/10.4000/cmc.612

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Auteur

Barbara Dickschen

Barbara Dickschen, licencié en langues romanes, est chercheuse à la Fondation de la Mémoire contemporaine (Centre interdisciplinaire d’Étude des Religions et de la Laïcité – CIERL, Université libre de Bruxelles).

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