- 1 Le déni, la dilution/réduction de la responsabilité, la réduction de l’offense, l’action corrective (...)
1Ce numéro collectif de Langage & société se propose d’ouvrir au champ des sciences du langage la notion de réparation d’image, entendue comme l’entreprise d’une instance (individuelle ou collective) en vue de rehausser son image publique pour contrer une mauvaise opinion d’elle. Le dossier prend ainsi pour point de départ les travaux de William L. Benoit (1995, 2015), spécialiste de communication, consacrés aux différentes modalités de la réhabilitation ; c’est en effet l’un des objectifs annoncés du dossier que de tester le modèle établi par l’auteur, qui distingue plusieurs stratégies communicationnelles1 fréquemment adoptées par les instances tenues pour responsables — et donc portant le blâme — d’un « acte indésirable » nuisant fortement à leur crédibilité.
2On comprend aisément l’intérêt de convoquer cette notion dans le cadre de l’étude du discours électoral, genre exemplaire en ce que l’efficacité persuasive des candidats est au centre des enjeux de campagne. L’ouvrage regroupe ainsi, en plus de l’introduction de Ruth Amossy qui retrace le champ et la problématique qui se pose dans le dossier, six contributions qui toutes interrogent la rentabilité du modèle communicationnel de Benoit au travers l’étude de réparations d’image issues de différents genres de discours électoral (élections présidentielles étatsuniennes et françaises et élections européennes ; débats télévisés, allocution, meetings, etc.), dont plusieurs cas particuliers sont alors passés au crible.
3L’un des premiers apports de ce dossier consiste alors à repenser la nature même de ce qui déclenche l’entreprise de réhabilitation en contexte de campagne : si les candidats sont amenés à devoir se réhabiliter après des paroles malheureuses ou offensantes (cas Berlusconi dans l’étude de Paola Paissa et Françoise Rigat, p. 57-73) ou à la suite d’actions condamnables (cas Fillon dans l’étude de Magali Guaresi et Damon Mayaffre, p. 39-56), c’est parfois une image dont ils gagneraient à se défaire que les candidats tentent de « réparer » (cas Macron chez Keren Sadoun-Kerber, p. 75-95 ; cas Mélenchon chez Ruth Amossy, Roselyn Koren et Maria Saltytov, p. 117-135 ; cas de la droite israélienne chez Eithan Orkibi, p. 87-116). Ainsi la réparation d’image peut-elle aussi bien concerner le faire et le dire que l’être, comme le synthétise Amossy dans l’introduction, et partant, engager différents modes de réhabilitation.
4Cet élargissement de la notion de réparation à toute entreprise visant à « déjouer les accusations de toutes natures dirigées contre le candidat dans l’arène politique » (p. 13) — et non plus limitée à la réparation d’une offense commise qui aurait déclenché la crise, comme défini dans la théorie de Benoit — ouvre alors la porte à la notion d’ethos telle que travaillée en analyse du discours et en théorie de l’argumentation (Maingueneau, 2002 ; Amossy, 1999 et 2010). L’entreprise de réparation peut tout particulièrement être rapprochée de la notion de retravail d’ethos développée par Amossy (2012/2000), retravail toutefois ici restreint au cadre particulier du « remodelage » d’image résultant de la volonté d’une instance de se défaire d’accusations ou de soupçons qui risquent d’entraver ses projets.
5Mais la notion gagne encore ici à être éclairée à la lumière de la micro-sociologie goffmanienne (notions de face, figuration et échange réparateur, 1967), et de là, à être reliée à la théorie de la politesse telle que développée dans le champ de l’analyse des interactions verbales (étude pragmatique des actes d’excuses notamment [Brown et Levinson, 1987/1978 ; Kerbrat-Orecchioni, 1992 et 2005]). Il est ainsi intéressant de penser l’activité réparatrice en ce qu’elle intervient dans un cadre interactionnel particulier : dans le discours de campagne, en effet, du fait que l’enjeu principal pour les candidats consiste à se montrer davantage « éligibles » aux yeux des électeurs que leurs concurrents, il est attendu que les candidats se mettent en avant au détriment de leurs opposants (en une sorte de « facework inversé » comme détaillé dans Kerbrat-Orecchioni, 2017). Les réparations d’image s’avèrent ainsi corrélatives du genre, dans la mesure où la promotion de soi passe pour beaucoup par l’attaque de l’opposant, et de là, en retour, par leur propre défense. Si les entreprises de réparation d’image tiennent alors pour grande part à la singularité de ce cadre contextuel, il en résulte également qu’elles se singularisent, dans le discours de campagne, en ce qu’elles ne visent pas à garantir l’harmonie de la relation entre les participants et qu’elles ne servent qu’à restaurer une image positive de soi-même.
6Contrairement aux études menées dans le champ de la communication, les contributions du dossier s’intéressent moins à la question de l’évaluation de la réussite ou de l’échec des opérations de réparation qu’elles cherchent à en expliquer l’efficacité en interrogeant leur matérialité linguistique (étude des actes discursifs et des logiques sémantico-argumentatives en jeu). Si ce n’est alors la contribution de Benoit lui-même (p. 25-38), qui mobilise ici son propre modèle dans une perspective d’étude de genre (étude quantitative des stratégies de réparation utilisées lors des débats des présidentielles étatsuniennes de 2016), les autres études réunies dans l’ouvrage mettent toutes ce modèle à l’épreuve de cas sensiblement différents (pluralité des formats, des types d’accusations et des enjeux précis de la réparation) pour étudier dans « le grain du texte » les modalités discursives des opérations de réparation d’image propres au discours électoral.
7La grande richesse du dossier tient alors à la cohérence et à la complémentarité des cas envisagés et des approches convoquées ainsi qu’à la finesse des analyses menées ; résolument ancrées dans les sciences du langage, les différentes contributions mettent en effet au jour de nouvelles perspectives d’étude, en soulevant notamment des enjeux liés :
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à la stabilité des profils éthotiques, que cette stabilité dépende de la cohérence de l’action réparatrice — « condition de félicité » pour Guaresi et Mayaffre, qui montrent comment, sur le plan logico-sémantique, peuvent s’opérer quelques contradictions implicites dont résulte un brouillage délétère de l’ethos revendiqué par le candidat — ou du type d’écart pouvant exister entre l’ethos préalable d’un candidat (ou ethos précédemment revendiqué) et la stratégie de réparation adoptée : plus l’écart apparaît important, plus l’entreprise de réparation semble désespérée (et réciproquement) (Guaresi et Mayaffre ; Paissa et Rigat) ;
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à la dynamique de l’entreprise de réhabilitation, d’une part parce que cette dynamique témoigne de l’influence directe du format communicationnel sur les opérations de réparation d’image — ainsi le cadre électoral détermine-t-il la nature des attentes touchant aux qualités éthotiques d’un candidat, et de là, la nature des atteintes nécessitant réparation (au titre de dommage pour une face) et celle du nécessaire « retravail de l’image » qu’elles engendrent (Sadoun) —, d’autre part parce que, dans une perspective dialogique, cette dynamique témoigne aussi des « modes de dire, de penser, de sentir » (p. 132) caractéristiques du contexte politique et social dans lequel s’opère la réhabilitation, laquelle repose de fait sur la convocation d’un certain imaginaire social et d’un ensemble de valeurs renvoyant à un certain modèle entériné (Amossy) ;
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à la nature de l’instance à réhabiliter, partant du principe qu’il se joue dans les opérations de réhabilitation d’instance collective, contrairement aux cas de réparation d’image d’une instance individuelle, des enjeux visant moins à restaurer une crédibilité auprès des autres qu’à réhabiliter et à renforcer, par une dichotomisation des positions et une polarisation des divisions sociales entre camps et protagonistes, sa propre perception par ses membres (Orkibi).
8En somme, on le voit, l’ambition annoncée dès le départ de vouloir « relancer ainsi les travaux sur la réparation d’image et les inscrire dans les sciences du langage » (p. 10) est déjà ici bien concrétisée ; on saluera de fait l’important travail de défrichage déjà réalisé et les nombreuses avancées établies au fil des études aux perspectives fécondes qui composent ce dossier.