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Lectures

Christiana CONSTANTOPOULOU (dir.) (2020), Représentations sociales et discours médiatiques. La « crise » comme narration contemporaine

Paris, L’Harmattan, Coll. « Logiques sociales »
Lydie Denis
Référence(s) :

Christiana CONSTANTOPOULOU (dir.) (2020), Représentations sociales et discours médiatiques. La « crise » comme narration contemporaine, Paris, L’Harmattan, Coll. « Logiques sociales »

Texte intégral

1Les dernières décennies sont le théâtre de crises locales et mondiales. Qu’elles soient économiques, migratoires, politiques ou encore sanitaires, celles-ci impliquent la formation de récits (individuels ou collectifs) identitaires et de revendications. L’ouvrage dirigé par Christiana Constantopoulou regroupe différentes recherches autour des narrations médiatiques qui forment « les mythes dominants sous-tendant la vie de tous les jours » (p. 11) lors des crises contemporaines. Dans son introduction, Constantopoulou distingue deux types de récits médiatiques : les récits fictionnels, faisant partie de l’industrie culturelle et issus de l’imaginaire créatif, et les récits informatifs proposés par les médias d’information. L’autrice interroge la hiérarchisation des récits et leurs problématiques selon les types de médias qui les colportent et la présence de récits populaires d’opposition. Indéniablement, les récits informatifs traduisent une véracité et une acceptation publique ainsi qu’une prise en compte politique plus importante que les récits fictionnels. L’ouvrage aborde dans un premier temps les récits fictionnels de l’industrie culturelle avant de se pencher sur les récits politiques et identitaires.

2Le premier chapitre, rédigé par Bruno Péquignot, s’intéresse aux films de Jean-Luc Godard produits lors des crises plurielles des années 1960. Si Mai 68 fait partie de la mémoire collective, l’auteur, grâce à une description historique précise, retrace les éléments de contexte qui ont fait de cette décennie une période de changements sociaux. Des revendications féministes d’émancipation et de libération sexuelle à la crise de l’emploi en France, en passant par les nouveaux modes de consommation, Péquignot décrit le cinéma comme un média narrant des crises « locales » (à petite échelle) reflétant et alimentant des crises plus larges. Au travers de récits du quotidien, l’œuvre de Godard anticipe et dépeint les transformations profondes de la vie sociale ; elle est basée sur des observations du monde qui l’entoure et énumère la « multiplicité de “micro-crises” » (p. 40) qui traduisent, selon l’auteur, une crise plus globale dite dans le capitalisme.

3Dans le chapitre suivant, Arnaud Gaillard introduit son propos sur le film en tant que discours sur la base d’une triple distinction de Roland Barthes dans « l’activité structuraliste » (1963) : l’image en tant que reproduction, représentation ou simulation du réel. En effet, ce dernier décrit l’image animée comme une simulation du réel. C’est par cette description que Gaillard insiste sur la fonction d’imitation du film et du parallèle établi avec la réalité. Une distinction s’opère entre la crise en tant qu’elle est vécue et celle qui est filmée. Trois discours filmiques (sensible, informatif et promotionnel) sont repérés comme montrant les crises. On peut néanmoins débattre du caractère trop englobant de la définition de « crise » qui est utilisée.

4Le troisième chapitre s’inscrit dans les études de réception et d’usage en étudiant les régulations du contenu télévisuel au Maroc en faveur du jeune public. Mohamed Bendahan et Yassine Akhiate présentent les stratégies et l’offre des acteurs du secteur audiovisuel à la suite des nouvelles politiques publiques visant la jeunesse. L’analyse des programmations et des cahiers des charges des acteurs médiatiques montre que seule une faible proportion des émissions télévisuelles s’adresse effectivement au jeune public. En sondant les effets sur l’audience, les auteurs montrent un désintérêt de la part des jeunes pour l’offre des médias publics et le recours à une offre « de substitution » via d’autres technologies (téléphones portables, ordinateurs portables). La conclusion prospective des auteurs plaide pour une plus grande prise en compte de la jeunesse et de son hétérogénéité. Le chapitre fournit de nombreuses informations pertinentes, mais malgré la présentation approfondie de la méthodologie il aurait été bénéfique de sélectionner certains résultats afin de proposer une analyse plus centrée sur l’évolution de la réception vis-à-vis des nouvelles régulations de contenu.

5Pour clôturer cette première partie de l’ouvrage, Jan Spurk propose une réflexion sur le concept d’industrie culturelle en passant par une contextualisation et une actualisation de l’apport critique de l’école de Francfort, où la culture dite populaire ne serait donc pas culture, mais divertissement et serait, malgré les évolutions techniques, « profondément conservatrice » (p. 92). La notion de liberté, couplée à celle de fausse liberté, tout comme l’apport de Marx sont centraux dans cette réflexion théorique. Selon Spurk, l’industrie culturelle est modelée pour répondre à un manque de sens dans l’espace public, mais ne permet pas au citoyen de jouer son rôle critique pour s’opposer à ce manque. L’auteur invite à la création de contre-espaces publics d’où peut émerger une nouvelle imagination.

6La deuxième partie de l’ouvrage commence avec un chapitre traitant de la construction de l’identité nationale grecque au travers de feuilletons télévisés turcs à la suite de la crise économique de 2008. La recherche empirique de Dimitra Laurence Larochelle s’inscrit dans les études de réception et est complétée par une contextualisation historique approfondie. Se basant sur l’idée d’une construction identitaire en constante transformation (Hall, 1990), l’étude interroge le rôle des productions audiovisuelles transnationales face au besoin de redéfinition identitaire en temps de crise. La Turquie exporte depuis plusieurs années des feuilletons locaux aux valeurs traditionnelles, encouragée par des stratégies gouvernementales de valorisation de l’image à l’international. La crise économique ayant interrompu les productions locales grecques, une grande place dans les programmations a été attribuée aux feuilletons turcs. Les valeurs représentées font écho à celles héritées de l’Empire ottoman, alors même que les pays européens du Nord rejetaient, dans des récits médiatiques polarisants de la crise économique, les pays européens du Sud. Ce chapitre explore avec complétude et clarté les influences culturelles de récits porteurs de nostalgie, sans négliger les liens entre contexte sociohistorique et identité nationale.

7Le sixième chapitre traite de la dimension de genre dans la campagne électorale de la mairie de Bucarest en 2016. La recherche de Daniela Rovenţa-Frumuşani s’intéresse plus particulièrement à l’usage des réseaux socionumériques (RSN) par les femmes politiques, partant du postulat selon lequel les RSN permettent un plus grand contrôle du message que les médias traditionnels. En lien avec la personnalisation, voire de peopolisation du politique à travers de « nouvelles formes de performativité et de théâtralité » (p. 149), l’étude s’intéresse à l’aspect visuel des publications de Gabriela Firea, élue maire de Bucarest, et montre une réappropriation et une transformation des codes masculins en politique qui ne débouchent pas sur un rejet des valeurs dites féminines. L’identité politique sur les RSN permet le déploiement d’une stratégie qui exploite, utilise ou transforme les codes liés au genre.

8Le chapitre d’Oksana Lychkovska-Nebot décrit l’évolution narrative du postmodernisme politique au moyen de l’analyse socioanthropologique de la popularité de l’actuel président ukrainien Volodymyr Zelensky lors de sa montée au pouvoir. Ancien acteur et humoriste, il était connu pour son rôle dans la série télévisée satirique (et prémonitoire) Serviteur du peuple. Dans ce chapitre, écrit avant l’offensive russe en Ukraine, l’autrice interroge le pouvoir des récits du quotidien comportant humour, critique et satire, sur base de la théorie du carnaval de Mikhaïl Bakhtine (1990). Le parallèle entre la série et l’ascension politique de Zelensky rend compte de la redéfinition des frontières séparant possible et impossible, réalité et récit. Rattrapé par l’actualité et par cette nouvelle image de héros de guerre, Zelensky, au travers des récits qu’il propose, fait l’objet de nombreuses recherches pour lesquelles ce chapitre offre un excellent tremplin.

9Le huitième chapitre s’intéresse aux RSN en tant qu’espaces alternatifs de rencontre et de débat public. Selon Nacer Aoudia et Aïssa Mearh, les RSN permettent à d’autres voix d’émerger en temps de crise et font intégralement partie des mobilisations sociales. L’aspect audiovisuel et interactif de ces plateformes crée un attrait particulier chez les jeunes. Les auteurs proposent une analyse filmique des codes visuels et discursifs d’une vidéo du youtubeur algérien Anes Tina. En reprenant les catégories de l’analyse filmique, ils décortiquent le récit engagé et incitatif de la vidéo en parallèle à une analyse de commentaires de citoyens.

10Le dernier chapitre, qui fait office de conclusion, aborde le discours médiatique de crise du point de vue de la sémiotique en s’intéressant à la « culture de ‘replay’ » (p. 209). Eline Mitropoulou distingue le contenu montré de la crise dans les médias et la mise en circulation de celui-ci par des dispositifs technologiques. Au travers de la rediffusion et du replay d’un documentaire ARTE, on assiste à une re-sémiotisation de la crise économique en Grèce, qui en assure sa pérennité. Les crises sont donc sauvegardées et stockées par la technologie et la mémoire. L’autrice évoque des degrés d’implication variés du récepteur, selon qu’il est face à un direct, une rediffusion ou un replay, et élabore l’idée d’une « liberté de réception » (p. 217). À cheval entre une perception du discours médiatique comme constitutif de la crise et comme relais de celle-ci, Mitropoulou conclut l’ouvrage en réaffirmant le lien entre fonctionnalités du numérique et valeur communicationnelle et culturelle de la crise.

11En toile de fond, il ressort des différents chapitres que les « représentations sociales » de la crise ont lieu par une narration du quotidien. La diversité des narrations et des crises permet à l’ouvrage dirigé par Constantopoulou de brasser un large panel d’analyses, rattachées à des domaines d’étude variés, au détriment parfois d’une cohésion générale. Jouant la carte de la diversité, intégrer des études qui s’inscrivent dans des méthodes davantage développées dans le monde anglo-saxon telles que l’analyse critique de discours permettrait d’ajouter un volet supplémentaire intéressant aux recherches proposées.

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Bibliographie

BARTHES Roland (1963), « L’activité structuraliste », Lettres nouvelles, 32, février, p. 71-81.

HALL Stuart (1990), « Cultural identity and diaspora », dans Jonathan RUTHERFORD, Identity: Community, Culture, Difference, Londres, Lawrence and Wishart, p. 222-237.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Lydie Denis, « Christiana CONSTANTOPOULOU (dir.) (2020), Représentations sociales et discours médiatiques. La « crise » comme narration contemporaine »Communication [En ligne], Vol. 40/1 | 2023, mis en ligne le 28 août 2023, consulté le 03 octobre 2023. URL : http://journals.openedition.org/communication/17518 ; DOI : https://doi.org/10.4000/communication.17518

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Auteur

Lydie Denis

Lydie Denis est doctorante au sein du centre de recherche Engage, UCLouvain Saint-Louis – Bruxelles (UCL). Courriel : lydie.denis@uclouvain.be

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Droits d’auteur

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