« Qu’on ne s’y trompe pas : ce livre n’est pas un manuel de méthodologie. Il repose même sur la démarche inverse : au lieu de dicter des consignes, il parle de doutes, d’essais, de limites. »

1Ainsi commence la préface de Méthodes de recherche en contexte numérique. Une orientation qualitative, dans laquelle Dominique Pasquier souligne d’emblée l’originalité de cet ouvrage : la mise en avant des doutes et des tâtonnements inhérents à tout processus d’enquête mais souvent atténués. Ces réflexions méthodologiques, qui se démarquent justement ici par leur honnêteté, sont solidement ancrées dans un état de l’art consacré à la recherche en contexte numérique.

2En plus de l’originalité de la démarche, cette production collective vient combler un creux dans le domaine des études francophones sur les méthodes en milieu numérique, et plus particulièrement, comme son sous-titre l’indique, sur les méthodes qualitatives. Face à l’omniprésence du numérique dans la société et donc à l’apparition de nouveaux sujets et questionnements qu’il induit, les chercheurs sont amenés à s’interroger et à adapter les méthodes et outils existants, voire à en créer. C’est cette dynamique que les scientifiques présentent ici.

3Soulignons enfin la modernité de l’ouvrage qui s’affirme autant sur le fond que sur la forme : la clarté du style et de l’écriture fait écho à la volonté explicite des auteurs de « poursuivre la discussion au-delà de nos cercles » (p. 18) et rendent le propos accessible à un public plus large que les seuls spécialistes du domaine. S’agissant d’une des grandes forces du livre, elle mériterait selon nous d’être davantage mise en avant.

4En ce qui concerne le découpage, la première section propose une revue de la littérature autour des relations entre méthodes et contexte numérique. Le livre se divise ensuite en fonction des méthodes discutées, c’est-à-dire que chaque section va traiter à travers plusieurs chapitres de différents auteurs d’un type spécifique de méthode : ethnographiques, sur traces, et analyse d’images et de vidéos. Nous dégageons ci-dessous trois axes communs à ces réflexions éparses. L’intelligibilité du propos incarnée par le côté pas-à-pas de la réflexion et de la démarche se révèle plus particulièrement dans les deuxième et quatrième sections. Leurs auteurs y développent des réflexions autour de sujets aussi variés et originaux que les pratiques de consommation visuelle des adolescents (chapitre 7, de Christine Thoër, Florence Millerand et Nina Duque), la présence des politiciens sur les réseaux sociaux et l’utilisation politique qu’ils en font (chapitre 6, de Sandrine Roginsky) ou encore une exploration des différentes manières de capturer l’usage que font les individus interviewés de leur téléphone mobile (caméra fixée sur harnais, vidéo réalisée avec des lunettes caméra, etc.) illustrée par de nombreuses photographies (chapitre 15, de Julien Figeac et Johann Chaulet).

Les méthodes hybrides

5Tout au long de l’ouvrage, les auteurs et autrices présentent des méthodes nouvelles ou adaptées, pour répondre aux besoins qui émergent de ce nouvel environnement et outil qu’est le numérique. Toutefois, il n’est pas question de prétendre remplacer les méthodes traditionnelles. Au contraire, ils et elles prônent ce que Serge Proulx présente comme « […] l’invention de dispositifs méthodologiques hybrides et combinatoires. […] Ce développement asymétrique des méthodes laisse ainsi place à de pertinentes et astucieuses innovations en matière d’approches mixtes pour aborder le champ des pratiques numériques » (p. 301-302). C’est particulièrement prégnant dans le chapitre sept cité plus haut, dans lequel les autrices exécutent un aller-retour entre méthodes traditionnelles et numériques afin de traiter le plus d’aspects possible de leur sujet. Elles passent en revue les faiblesses et points forts de chaque méthode, puis concluent, comme le souligne Proulx, qu’elles se complètent, mais ne se supplantent en aucun cas.

Un questionnement éthique

6Avec la récolte de données en ligne se pose forcément la question de l’éthique, qui est disséminée à travers toute la publication. En effet, même si les utilisateurs publient la plupart du temps des informations de leur plein gré sur Internet, les chercheurs et chercheuses n’ont pas toujours l’occasion d’obtenir directement leur consentement. Après avoir souligné cette problématique à travers les différentes sections, le chapitre 11 notamment propose des pistes de solution. Rédigé collectivement par Nicole Gallant, Katherine Labrecque, Guillaume Latzko-Toth et Madeleine Pastinelli, il soumet une méthode que ces derniers ont nommée « la visite commentée ». Il s’agit d’une méthode sur traces développée pour contrer les difficultés pouvant être habituellement soulevées lors de la collecte de ces mêmes traces sur les réseaux sociaux : notamment le manque de « contextualisation et de compréhension » (p. 195) qu’on peut en avoir, à cause du codage fait de ces grandes quantités de sources, mais aussi de l’absence de consentement. Ainsi, lors de la visite commentée, les participants donnent leur autorisation pour l’analyse et la collecte de leurs données avant, pendant et après le processus, ce qui leur laisse un total contrôle sur ce dernier.

Un hommage à Christine Hine

7Plusieurs autrices et auteurs soulignent avec fierté la présence dans l’ouvrage d’un texte traduit de Christine Hine, et avec raison, étant donné son expertise : il s’agit d’une des pionnières en matière de recherche sur les méthodes du numérique. Ces nombreuses mentions tendent toutefois selon nous à éclipser d’autres excellents travaux présents dans le livre. En outre, dans son article, Hine passe en revue l’historique et la définition de l’ethnographie tandis que les autres qui abordent le thème font systématiquement de même, ce qui amène un aspect un peu rébarbatif à la lecture. Ces éléments semblent être les seuls défauts du livre.

Une lecture essentielle

8Méthodes de recherche en milieu numérique rassemble des textes d’une grande qualité qui s’interrogent sur un sujet d’actualité et omniprésent dans la société depuis quelques années : le numérique. Il est clairement exprimé dès le début de la publication que son but est de présenter des expériences et essais-erreurs menant à de nouvelles méthodes et réflexions, tout en prônant la pertinence des méthodes hybrides.

9Même si certains chapitres peuvent se révéler plus ardus que d’autres et que certains éléments se répètent, il s’agit d’une synthèse indispensable à lire non seulement pour les spécialistes du domaine, mais également pour un public élargi. Effectivement, comme prouvé dans Méthodes de recherche en contexte numérique, les réflexions autour du numérique, si prégnant aujourd’hui, peuvent être appliquées à des sujets et domaines très variés, allant de l’étude de la présence de personnalités politiques sur les réseaux sociaux à l’analyse des pratiques de visionnement des adolescents. Nous pourrions aisément imaginer transposer l’expérience acquise à la suite de cette lecture à d’autres terrains contemporains.