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Lectures

Schallum PIERRE et Fehmi JAAFAR (2021), Médias sociaux : perspectives sur les défis liés à la cybersécurité, la gouvernementalité algorithmique et l’intelligence artificielle

Québec, Presses de l’Université Laval
Bertrand Mocquet
Référence(s) :

Schallum PIERRE et Fehmi JAAFAR (2021), Médias sociaux : perspectives sur les défis liés à la cybersécurité, la gouvernementalité algorithmique et l’intelligence artificielle, Québec, Presses de l’Université Laval

Texte intégral

1L’ouvrage proposé à la recension a été publié en 2021 aux Presses de l’Université Laval, à Québec, et s’intitule Médias sociaux : perspectives sur les défis liés à la cybersécurité, la gouvernementalité algorithmique et l’intelligence artificielle. Il est codirigé par deux chercheurs québécois, Schallum Pierre, aujourd’hui chargé scientifique et éthique à l’Institut intelligence et données de l’Université Laval, et Fehmi Jaafar, actuellement professeur agrégé à l’Université du Québec à Chicoutimi et professeur adjoint affilié au Département d’informatique et de génie logiciel de l’Université Concordia.

2Comptant près de 200 pages, cette publication brosse le portrait de manière interdisciplinaire des médias sociaux dans le contexte de la cybersécurité, selon trois approches : la cybersécurité, la gouvernementalité algorithmique et l’apport de l’intelligence artificielle. L’ouvrage se décompose en une introduction rédigée par les directeurs de publication (p. 1-11) et neuf chapitres confiés à des chercheurs, chapitres rédigés en langue française et anglaise. Pour reprendre un paragraphe de l’ouvrage (p. 6) et clôturer cette description informative de l’ouvrage, le livre se divise en trois parties : « dans la première partie (chapitres 1 à 4), il interroge la définition et la sécurité des médias sociaux ». « Dans la deuxième partie (chapitres 5 à 6), il s’agit de traiter de la problématique de la gouvernementalité algorithmique et de la surveillance ». Enfin, « les phénomènes de fausses rumeurs, de comportements nuisibles et de discours haineux sont analysés » (chapitres 7 à 9).

3Le premier article, « Social network cyberattacks and security issues », est rédigé par Fehmi Jaafar, codirecteur de cet ouvrage, et Jean Decian, étudiant ingénieur à l’Université de Montréal. Ils font le constat que depuis les cinq dernières années, des cyberattaques visent particulièrement les réseaux socionumériques (p. 12-15), réseaux dont les plateformes technologiques ont aussi été la cible de recommandations de corrections des experts en sécurité du système d’information (p. 15-19). Il s’agit là, selon les auteurs, d’un terrain propice à la venue de pirates informatiques. Ainsi font-ils le constat en conclusion que les sociétés qui gèrent les réseaux socionumériques ne prennent pas assez cela sérieusement, car « for the period of 2016-2019, almost all the frequently used social networks fail to put in place appropriate technical measures and controls to implement the data protection principles » (p. 19).

4Hervé Saint-Louis, professeur adjoint en médias émergents à l’Université du Québec à Montréal, propose dans le deuxième chapitre l’article « La sécurité utilisable : entre l’interaction Homme-machine et la sécurité de l’information ». Il donne d’abord trois cas d’usages de sécurité utilisable et une définition : « […] un domaine de recherche situé entre l’informatique, les sciences sociales, les sciences cognitives et le design » (p. 24), un champ d’études créé en 1999 (p. 24). Ces études reposent sur un fait que « la plus grande barrière à la sécurité de l’information est la personne en interaction avec les TIC » (p. 24). En donnant un état de l’art de ce champ d’études (p. 24-27), l’auteur fait aussi le lien avec des références académiques sur les interfaces homme-machine (IHM) (p. 27-29) pour enchaîner avec la sécurité de l’information en s’appuyant sur l’approche perceptuelle de Dourish (p. 29-35). La sécurité utilisable parait ainsi au lecteur plus compréhensible au travers des travaux collectés (p. 31-35) et de l’étude de cas, « une analyse perceptuelle » des réseaux socionumériques (p. 35-36), puis de Twitter (p. 37-38), allant jusqu’à la proposition de recommandations (p. 39).

5Le troisième article, « Protéger autant nos données que les fondements de la démocratie en privilégiant les logiciels libres », est rédigé par Mathieu Gauthier-Pilote, membre, administrateur et président du conseil de FACIL, un organisme sans but lucratif dont le mandat est de promouvoir l’adoption, l’usage et la démocratisation de l’informatique libre. Il fait le constat en introduction (p. 47-48) du rôle des GAFAM dans la sécurité des données, rôle « en conflit d’intérêt lorsqu’il est question des données des internautes » (p. 46). Ainsi, l’article propose de focaliser l’attention du lecteur sur quatre points : la mise en œuvre de logiciels libres pour améliorer la sécurité (p. 46-51), le problème de la centralisation d’Internet (p. 52-55), des nouveaux modèles distribués ou décentralisés, comme Mastodon (p. 55-59), et quelques « batailles » à relever dans ce domaine (p. 59-67). Cette dernière partie montre aussi le volet sociopolitique de l’enjeu (p. 66-67). L’article conclut sur cette phrase : « Pour gagner, nous devrons relever de grands défis en menant des batailles sur les terrains politique, social, économique et culturel » (p. 67).

6En quatrième article de l’ouvrage, une communication internationale venant du Québec et du Liban en langue anglaise, « Access control in cybersecurity and social media », de Nadine Kashmar, Mehdi Adda, Mirna Atieh et Hussein Ibrahim, attire notre attention sur le contrôle d’accès dans les réseaux socionumériques. Après avoir contextualisé les réseaux socionumériques selon le nombre et les types d’usages (p. 72), les auteurs proposent une catégorisation des usages (tableau 1, p. 73) leur permettant de construire autant de cas de risques et vulnérabilités liés (tableau 4, p. 79). Pour eux, il est important que des méthodes de contrôle d’accès évoluent, voire soient renforcées (p. 81). En conséquence, l’article propose, avec précisions, plusieurs nouveaux modèles de contrôle d’accès (p. 87-101) basés sur des modèles de contrôle d’accès conventionnels comme le contrôle d’accès discrétionnaire (DAC), le contrôle d’accès obligatoire (MAC), le contrôle d’accès basé sur les rôles (Role Based Access Control) (RBAC) et le contrôle d’accès basé sur l’organisation (OrBAC).

7Ramón Reichert est l’auteur du cinquième article : « Social media surveillance: between digital governmentality, big data and computional social science ». Il est professeur adjoint à l’Institute of Art and Education (University of Art and Design Linz), en Autriche. Il amorce son propos en citant l’épistème de Michel Foucault « to refer to the archeology of knowledge that is asserted in different periods of science history » (p. 108). Ainsi s’interroge-t-il sur ce qui caractérise l’épistème numérique des réseaux socionumériques aujourd’hui, qui deviennent un « dominant media channel for participatory engagement » (p. 108), et ce, en citant à la fois des exemples et des références théoriques. Les médias sociaux et les plateformes en ligne sont ainsi devenus pour lui une base de données importante pour les enquêtes statistiques de masse et ont généré de nouvelles connaissances socioéconomiques par le biais de méthodes numériques fondées sur les données. (p. 108-113). Et ces données nourrissent la gouvernementalité algorithmique (p. 113-114) ainsi que la bio-surveillance numérique (p. 115-117) dont les effets doivent être observés par la recherche. En conclusion, l’auteur conseille « to develop a substantial data-critical perspective » (p. 118) au sujet des médias sociaux.

8Le sixième article, « Technique, Société et cyberespace : la gouvernementalité algorithmique », est rédigé par Marc Ménard et André Mondoux, tous deux professeurs à l’École des médias de l’Université du Québec à Montréal. Ils proposent sur ce sujet de réintroduire la dimension politique dans la sécurité des réseaux socionumériques à partir de l’adjectif cyber, « une prétendue séparation entre le monde (traditionnel) physique et le (nouveau monde) de l’immatériel et du virtuel » (p. 122), mais aussi un hyperindividualisme et une hégémonie technique fortement présents (p. 122-125). Il y a pour les auteurs dans ce contexte une forte présence du concept de gouvernementalité foucaldienne (p. 125-126), qu’ils proposent de saisir « en invoquant deux notions de Simondon : la transduction et le milieu associé » (p. 126-127). Pour l’illustrer, les auteurs proposent une analyse de la circulation marchande des données et de la façon dont la gouvernementalité algorithmique s’en saisit (p. 128-131) pour produire un nouveau sujet, « un double numérique », issu des données et de l’algorithmie associée. Bien entendu, il est selon eux essentiel de rester rationnel par rapport à l’exploitation de ces doubles numériques, en s’en saisissant sur le terrain politique, notamment sur « le mode de régulation associé à la gouvernementalité algorithmique » (p. 133), la crainte d’un monde sous (cyber ?) surveillance étant présente.

9Nicolas Garneau, doctorant à l’Université Laval, est l’auteur du septième article : « The case of fake news ant automatic content generation in the era of big data and machine learning ». Les médias sociaux étant très utilisés, ils le sont aussi à mauvais escient, quand sont mises à profit les technologies numériques pour produire du contenu faux ou fake news. L’auteur fait un panorama de ces nouvelles technologies numériques utilisant le machine learning, les big data et l’automatisation. Il classifie en différents types ces générateurs de fake : génération automatique de faux contenus (p. 141), génération automatique de contenu visuel (p. 141) et génération automatique de langage naturel par texte (p. 142).

10Dans le huitième article, « Protecting online communities from harmful behaviors », sept auteurs explorent le sujet de la nuisance en ligne des communautés « harmful » (p. 150) et les défis de protection des autres communautés, les « healthy » (p. 151), heureusement plus nombreuses. Les algorithmes peuvent aisément aider à détecter les contenus nuisibles en s’appuyant sur des listes de mots (p. 152). Encore faut-il distinguer cyberagression, pénalement condamnable, et cyberintimidation (p. 155), ce qui est proposé au moyen d’une succession de références théoriques. Pour ces chercheurs, le défi est de tester automatiquement le langage employé dans les médias sociaux en vue de permettre cette distinction pour aider à la recherche de méfaits en ligne. Les systèmes d’analyse utilisent des datas sets récoltés sur les réseaux socionumériques (p. 155-156). Ils proposent deux types de détection « single-harm detection » (p. 156-157) et « conversation harm prediction » (p. 158-160), les outils de machine learning d’aujourd’hui permettant aujourd’hui cela. Pour protéger la communauté saine, les auteurs reconnaissent qu’il faut juxtaposer plusieurs algorithmes, algorithmes qu’il faut encore entraîner avec des jeux de données (p. 161).

11Le dernier et neuvième article est signé par Shallum Pierre, codirecteur de l’ouvrage et s’intitule « Extrémisme violent de droite et médias sociaux : caractéristiques, idéologies, médiatisations et gestions ». Il illustre le chapitre précédent en contextualisant sur une communauté « harmful », l’extrême droite violente sur les réseaux socionumériques. Il en définit les caractéristiques (p. 169) et leur objectif, « toucher à l’intégrité physique ou psychologique d’une personne ou d’une communauté via des protocoles de communication […] » (p. 169), en rappelant leur fondement idéologique (p. 169-171). Mais ce qui retient notre attention est bien que l’auteur assiste à une banalisation de ce type de comportement, voire à une médiatisation (p. 172-173). Comment y remédier ? Par une action de gestion selon Pierre, gestion pouvant s’appuyer sur des détections automatiques par intelligence artificielle (p. 175), par une décentralisation par blockchain des plateformes de médias sociaux (p. 176) ou bien par la prévention (p. 177).

12Nous avons apprécié la diversité des propositions disciplinaires (de l’informatique à la communication, en passant par les sciences de l’information et le droit associé) autour du sujet de la sécurité dans le contexte des réseaux socionumériques. Pour autant, cette spécificité pourrait décontenancer le lecteur peu au fait de la problématique générale de l’ouvrage ; le fait que l’ouvrage est rédigé en français et en anglais, l’absence de résumés dans trois articles et le caractère technique de certains passages peuvent aussi représenter des obstacles à la lecture. C’est pourquoi nous conseillons cet ouvrage à un public de chercheurs, débutants ou non, avertis et curieux de ce traitement pluridisciplinaire, qui leur donnera accès à plusieurs références scientifiques ainsi qu’à des études de cas très concrètes.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Bertrand Mocquet, « Schallum PIERRE et Fehmi JAAFAR (2021), Médias sociaux : perspectives sur les défis liés à la cybersécurité, la gouvernementalité algorithmique et l’intelligence artificielle »Communication [En ligne], Vol. 40/1 | 2023, mis en ligne le 28 août 2023, consulté le 01 novembre 2024. URL : http://journals.openedition.org/communication/17600 ; DOI : https://doi.org/10.4000/communication.17600

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Auteur

Bertrand Mocquet

Bertrand Mocquet est ingénieur en génie électrique, professeur certifié en technologie et docteur qualifié en sciences de l’Information et communication et en sciences de l’éducation et de la formation. Ancien vice-président d’université, il est aujourd’hui expert numérique à l’Agence de mutualisation des universités et établissements et chercheur associé au Laboratoire MICA (Médiations, Informations, Communication, Arts) de l’Université Bordeaux Montaigne. Courriel : bertrand.mocquet@amue.fr

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