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Dossier

Paradoxes de la communication numérique de recrutement, le cas des banques entre marque employeur et isomorphisme numérique

Paradoxes in digital recruitment communication, the cases of banks, between employer brand and digital isomorphism
Daniel Pélissier
p. 39-51

Résumés

La communication numérique de recrutement des banques est un construit orienté, notamment par l’usage de la marque employeur et de l’isomorphisme numérique. Cette recherche montre comment de jeunes diplômés, cibles privilégiées de ces messages, reçoivent les données consultées sur l’internet. Le cas de la BNP Paribas est étudié à travers des discours individuels recueillis au cours d’entretiens d’autoconfrontation. Les résultats montrent les paradoxes du transfert du concept marketing de marque employeur au recrutement. Par ailleurs, ils soulignent les limites de l’isomorphisme numérique. La position externaliste du chercheur est enfin questionnée.

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Texte intégral

Introduction

1Le recrutement dans le secteur bancaire ne connait pas la crise et la FBF (Fédération Bancaire Française) annonce un volume croissant des besoins pour ce secteur centré plus particulièrement sur les jeunes diplômés de l’enseignement supérieur niveau Bac + 4/5 qui représentent 54,4 % des recrutements en 2016 (FBF 2017). La communication de recrutement des banques est structurée, pour les plus grandes d’entre elles, par le concept de marque employeur (Larroche 2015). Promesse faite aux candidats d’une offre d’emploi unique et discours institutionnalisé de recrutement (Yao 2013), cette notion contribue à affirmer dans les supports de communication une identité qui serait singulière. La marque employeur a émergé avant la diffusion des technologies de l’internet (Ambler et Barrow 1996). Les sites internet institutionnels des banques ont ensuite accueilli et amplifié ces discours. La nouveauté porte plutôt sur son transfert à d’autres dispositifs comme les réseaux socionumériques (RSN) qui favoriseraient l’intervention d’acteurs différents de la direction de l’entreprise.

2La création de pages Facebook consacrées au recrutement ou de comptes Twitter faciliterait l’interaction avec les candidats. Ce transfert est cependant questionnable. En effet, en investissant des dispositifs personnels, le réseau formé par les traces numériques des organisations se confond avec celui des individus sans jamais réaliser de « saut de niveau » (Latour et al. 2013 : 203) repérable lors d’une navigation. Cet isomorphisme numérique crée ainsi une situation de communication où les frontières entre organisation et individu deviendraient poreuses.

3Ce positionnement de la communication numérique de recrutement orientée par la marque employeur et l’isomorphisme numérique est censé favoriser l’attractivité des banques par leur visibilité afin d’améliorer la sélection des talents, en particulier les jeunes diplômés. Elle renverse aussi le cadre communicationnel du recrutement dans lequel « le candidat est là pour “convaincre” le recruteur » (Galinon Mélénec 2007 : 106).

  • 1 Recherche réalisée dans le cadre d’un doctorat sous la direction de M. Corral Regourd, IDETCOM et R (...)

4Les effets de ces discours sur la recherche de profils ont été étudiés (Larroche 2013 ; Galinon-Mélénec et Monseigne 2011). Cependant, l’opinion des candidats est peu interrogée alors qu’ils sont placés par l’organisation dans une position d’acteur. Les jeunes diplômés, au cœur de notre étude et de l’attention des organisations, naviguent sur l’internet pour construire une représentation de l’organisation, fruit de ce processus de réception. Nous avons ainsi cherché à comprendre comment une des cibles privilégiées des banques, reçoit cette communication numérique de recrutement1. Cet article précisera les deux logiques structurant la communication numérique de recrutement des banques puis présentera la méthode de recherche suivie, une synthèse des principaux résultats et enfin une discussion qui fera apparaitre quelques paradoxes de cette situation de communication.

Les logiques structurantes de la communication numérique de recrutement des banques, marque et isomorphisme

  • 2 « Turning recruitment advertising into a competitive weapon ». Traduction de l’auteur.
  • 3 « Employer brand » déposée par S. Barrow à l’office anglais des brevets le 12/06/1996 (numéro UK000 (...)

5La marque employeur est évoquée dans les discours des communicants de certaines banques (BNP Paribas, Crédit Agricole, Société Générale, notamment) pour fonder les messages de la communication de recrutement. Nous aborderons ce concept de façon critique dans la lignée des travaux de N. Yao (2013). Cette chercheuse du champ des SIC a centré son travail sur les limites du transfert du concept de marque au recrutement dans un cheminement différent des sciences de gestion plus focalisées sur l’attractivité de l’organisation. Elle a montré avec des entretiens qualitatifs de responsables d’entreprise que la marque employeur ne pouvait être considérée comme une marque. Ce concept est alors une illusion discursive fruit d’un passage questionnable d’une problématique marketing à la GRH. La marque employeur est en effet imprégnée par le marketing depuis sa création. Le titre d’une des premières conférences sur ce concept datée de 1990 est évocateur : « Transformer la publicité de recrutement en arme concurrentielle »2. Son fondement parait plus commercial que scientifique, la marque employeur étant aussi une marque déposée3. Pourtant, d’autres recherches du domaine des sciences de gestion ont montré que la marque employeur n’était pas un élément de différenciation (Guillot-Soulez et Soulez 2015).

6Au-delà de ce transfert critiquable du marketing au recrutement, la construction même de la marque employeur par T. Ambler et S. Barrow (1996) présente certaines limites importantes (échantillon limité, approche universaliste, non indépendance des chercheurs). Par ailleurs, le professionnalisme induit par l’adoption de ce concept dans un service RH porte des enjeux de pouvoir (Fondeur 2014) qui peuvent expliquer une part de son succès. Enfin, la marque employeur née avant la diffusion de l’internet ne suffit pas à comprendre la logique d’ensemble de la communication numérique de recrutement.

  • 4 Le secteur bancaire français comprend une soixantaine de banques. Sa concentration met en évidence (...)

7L’isomorphisme numérique complète le raisonnement et renvoie au phénomène d’usage de dispositifs au départ personnel comme Facebook par les banques. Les usages de ces organisations sont alors isomorphes à ceux des individus. Au-delà de ces choix d’outils, les organisations partagent avec les individus des enjeux et problématiques communes : une identité numérique multiple et dynamique, des risques liés aux traces involontaires, une influence des dispositifs numériques sur les usages et des jeux d’acteurs, des enjeux de dévoilement et de visibilité, etc. Cependant, cet isomorphisme est plus une ressemblance qu’une égalité au sens mathématique. Le réseau internet de certaines petites banques4 ressemble à celui de certains individus et certaines personnalités ont une présence sur l’internet comparable à certaines grandes organisations. Les causes de cette situation sont multiples. La convergence numérique est une première explication. Les phénomènes d’imitation entre organisations soulignés par les travaux de Di Maggio et Powel (1983) peuvent aussi fonder ces logiques communicationnelles (Carayol 2004). Enfin, dans certains cas, des croyances partagées comme l’existence imaginée de digital natives (Prensky 2001) favorisent l’adoption de dispositifs marqués socialement comme Facebook.

8Notre recherche centrée sur le regard de récepteurs extérieurs à l’organisation a favorisé cette approche globale de la communication numérique des banques. Si les logiques de la marque employeur et de l’isomorphisme numérique ne prétendent pas expliquer toute la complexité du phénomène étudié, elles forment deux éléments essentiels organisant la communication numérique de recrutement de ces organisations. Dans ce cadre, la compréhension de la réception a exigé certains choix méthodologiques.

Mise en situation et autoconfrontation

9Notre questionnement large a exigé une délimitation pour permettre des observations profondes. La méthodologie retenue est qualitative pour comprendre les trajectoires et motivations des jeunes diplômés rencontrés.

10Nous avons inscrit notre recherche dans le cadre des représentations sociales (Moscovici 1976) qui sont « des structures cognitives. Et parce qu’elles sont sociales, ce sont des structures cognitives partagées » (Moliner et Guimelli 2015 : 17). Elles portent sur des objets dits sociaux, sources de débats, d’échanges et favorisent plus largement la compréhension de la communication organisationnelle (d’Almeida et Andonova 2006). Nous avons plus précisément investi le courant sociodynamique qui s’attache à comprendre la construction des représentations sociales par des méthodes qualitatives. Dans la situation de communication étudiée, plusieurs représentations sociales peuvent intervenir. Celle de l’entreprise liée notamment à la notion de profit a été repérée (Moliner 2008). Les banques sont aussi des objets de représentation sociale plus associés à l’argent qu’à un idéal (Vergès 2001). Les RSN sont aussi de possibles objets de représentation sociale par l’existence de pratiques dans le temps et d’échanges entre les jeunes diplômés. À partir de cette approche, nous avons conçu une mise en situation cohérente avec l’analyse de notre problématique.

11Un premier choix a concerné l’organisation étudiée. La BNP Paribas a été plus particulièrement analysée en raison de la richesse et de la variété de sa communication numérique. Un deuxième choix concernait les dispositifs observés par les jeunes diplômés. Ces derniers ont été le site internet de recrutement de la BNP Paribas5 et la page Facebook de recrutement6. En effet, ces dispositifs renvoient aux deux moteurs de la communication numérique de recrutement que nous avons repérés, la marque employeur et l’isomorphisme numérique.

  • 7 IAE de Toulouse (TSM) et école d’ingénieur 3IL.

12Le recueil des discours de réception des jeunes diplômés de cette communication numérique de recrutement a été réalisé par des entretiens d’autoconfrontation (Boubée 2010). Ils consistent à filmer la navigation de l’internaute puis à lui demander de la commenter. Cette mise en situation limite les déclarations décontextualisées en ancrant l’analyse dans un réel observé afin de mieux comprendre le sens de la navigation (Pélissier 2017). Nous avons ainsi interrogé vingt-et-un jeunes diplômés de niveau Bac + 5 issus de deux formations universitaires7 sur leur navigation pendant une heure et demie. Le traitement de ces données a été réalisé par une analyse thématique qualitative croisée avec une approche lexicométrique, par souci de réflexivité, à l’aide du logiciel Iramuteq (Ratinaud 2009). Les principaux résultats montrent des mécanismes cognitifs impliquant plusieurs représentations sociales.

Réception de la communication numérique de recrutement et représentations sociales

13Deux représentations sociales expliquent la réception de la communication numérique de recrutement des banques dans notre recherche, celles de la taille de la banque et des RSN.

L’influence de la taille de l’organisation sur la construction de sens

  • 8 Les termes en italiques sont des citations des entretiens.

14La représentation sociale des entreprises de grande taille est apparue dans ces discours avec des connaissances partagées sur les moyens importants de ce type d’entreprises, une mobilité à la fois favorisée par la taille mais limitée par la concurrence interne et enfin une stabilité sécurisante qui peut aussi dériver en inertie organisationnelle. Plus particulièrement, ces jeunes diplômés ont insisté sur le lien entre l’ambiance de travail et la taille de la BNP Paribas. Selon notre échantillon, les grandes organisations ne sont pas associées à une bonne ambiance de travail. Le manque de considération, sa place dans l’organisation ou l’impersonnalité de la structure entachent la représentation de la grande entreprise dont l’ambiance n’apparaît ni conviviale ni humaine. Un autre élément valorise par contre dans ces entretiens les grosses8 structures. En effet, grâce à leurs ressources importantes associées à une forme de culture, elles ont pu développer des compétences en communication qui impressionnent ces locuteurs. Cette forme de réception validerait ainsi la stratégie d’extension de la présence numérique des banques qui est interprétée comme un indicateur de puissance. Ce lien est cependant limité à un cas particulier qui ne permet pas de généraliser l’interprétation.

Le rejet de Facebook comme dispositif de recrutement

15Le site internet n’est pas associé à une représentation sociale dans notre échantillon et avec cette méthode. Sa réception s’explique surtout par les représentations partagées de la taille. Comprendre les discours de ces jeunes diplômés sur la page Facebook nécessite par contre un détour par la représentation sociale des RSN.

16La page Facebook de la BNP est associée à une catégorie plus large, les
réseaux sociaux. Même quand le jeune diplômé est un usager des RSN, l’usage de Facebook pour le recrutement parait étrange. De nombreux discours partagent cette vision d’un dispositif personnel dont l’usage professionnel est questionné alors que d’autres outils comme Linkedin sont jugés plus adaptés. Facebook est un dispositif ancien et sa pratique a eu le temps de construire des représentations affirmées. Certains y voient un risque d’exploitation des données personnelles. Le contraste entre une pratique personnelle dans laquelle le moindre changement de photographie de profil provoque une avalanche de commentaires et les interactions plus rares observées pour cette banque n’est pas non plus favorable à l’évaluation de ce dispositif.

17Facebook est ainsi considéré, selon ces entretiens, comme un réseau social. Il est associé à la vie privée pour ces jeunes diplômés mais certains conçoivent qu’il puisse constituer un outil de communication pour l’entreprise. Les usages prescrits vont du refus catégorique à un usage imaginé pour les vrais jeunes ou encore un détournement car Facebook sert parfois à évaluer la communication de BNP Paribas. Ainsi, les jugements exprimés sont négatifs par rapport à la nature même de Facebook. Si tous les locuteurs n’ont pas exprimé cette position, aucun n’a non plus émis une évaluation positive.

18Après cette synthèse des principales analyses, nous montrerons dans les prochaines sections en quoi ces résultats mettent en évidence des paradoxes des deux facteurs structurant de la communication numérique de recrutement des banques, la marque employeur et l’isomorphisme numérique.

Paradoxes d’un transfert, une critique du marketing appliqué au recrutement

19L’analyse de la réception de la communication marque employeur de cette banque a montré plusieurs paradoxes.

20D’abord, la marque employeur est une promesse faite au candidat. Si la promesse est nécessaire à l’organisation pour la mise en relation (d’Almeida 2012), ces jeunes diplômés se méfient de cette technique et y voient plus un espoir factice qu’un avenir de confiance. L’évolution d’un recrutement gestionnaire ou administratif à un processus commercial n’a pas gommé le contexte politique de ce passage du monde universitaire au monde de l’entreprise. En effet, ces jeunes diplômés ne lisent pas la promesse comme unique mais reçoivent plutôt l’organisation comme une représentante d’une catégorie plus large liée à la taille. La différenciation marketing qui imprègne les discours de certains communicants ne passe pas le filtre de ces récepteurs qui préfèrent rattacher l’organisation à des références communes plutôt qu’isoler une image dont ils mesurent les effets de construction. Si la marque employeur souhaite créer une image unique de l’organisation, les jeunes diplômés rencontrés reçoivent cette communication au filtre de la représentation sociale de la taille de l’organisation.

21Alors que le renversement du cadre communicationnel transforme le candidat en consommateur qui choisirait un service, ces recrutés potentiels se comportent plutôt comme des naturalistes qui classent l’organisation selon sa taille dans un ensemble large.

22Cette influence de la taille sur le discours des jeunes diplômés forme ainsi une critique du transfert de la notion marketing de marque au recrutement. Pour autant, les employeurs sont présentés sur l’internet comme des services concurrentiels. Des classements employeurs sont établis selon des enquêtes (Potential Park, Great Place to Work, etc.), des témoignages de salariés (Glassdoor, Meilleures-entreprises, etc.) ou des certificats comme celui de Top Employers. Ces éléments sont autant de formes d’institution de la confiance permettant au client-candidat d’investir les promesses de l’employeur (d’Almeida 2012).

23La marque employeur cache alors la nature politique de la relation de recrutement et créée une forme d’« illusion émancipatrice » (Bernard 2015 : 92). L’autonomie des candidats est en effet mise en avant implicitement alors que l’influence du recruteur reste forte. Ce paradoxe place les candidats dans une situation étrange oscillant entre identification souhaitée et forcée.

Paradoxes de l’isomorphisme numérique, les usages sociaux des dispositifs

24Dans ce monde numérique où le réseau mélange allègrement des entités aussi différentes qu’une banque et un individu, la réception pourrait être confuse. Dans cette étude, elle est plutôt critique. Celle-ci porte sur l’idée implicite de l’isomorphisme numérique : les dispositifs numériques se distingueraient seulement par leurs potentialités techniques perçues par les utilisateurs.

25Nos résultats montrent au contraire, pour Facebook, que les récepteurs distinguent aussi des contextes d’utilisation. Si des usages braconniers sont apparus comme l’évaluation de la relation commerciale de la banque par l’observation des interactions, l’analyse a surtout mis en évidence un non usage. Pour ces locuteurs, potentiels candidats à un recrutement, les dispositifs ne se définissent pas seulement par leurs usages potentiels déterminés ou détournés mais aussi par le monde auquel ils sont rattachés.

26Les dispositifs sont sociaux et pas seulement technologiques. En effet, nos résultats ont montré une représentation sociale de Facebook ancrée dans celle des RSN personnels. Cet ancrage de Facebook suppose la prise en compte de l’épaisseur du temps (Domenget et al. 2017) comme pour tout objet de représentation sociale. Le numérique qui est entré dans nos vies a aussi hérité de ses caractéristiques sociales et une analyse techno centrée, en l’oubliant, risque de ne pas voir l’essentiel. Dans nos résultats, l’essentiel ou le sens commun est que Facebook est un outil personnel. Ainsi, son transfert dans la vie professionnelle interroge et ce qui est questionné est plus le contexte social de ce dispositif que ses possibilités techniques.

  • 9 Bring Your Own Device.

27Le cadre théorique des représentations sociales a ainsi permis de regarder la technologie avec les yeux du social. En effet, ces jeunes diplômés ont construit par leurs usages un contexte social dans lequel baigne cet outil. Le transfert dans une autre situation ne peut que poser problème. Pourtant cette approche qui gomme les frontières entre vie privée et professionnelle existe par ailleurs comme le montre la mouvance du BYOD9 qui consiste à utiliser son propre matériel pour son activité professionnelle. Cette injonction contradictoire transposée aux dispositifs numériques pourrait expliquer la véhémence de certaines prises de position.

28L’approche par l’isomorphisme numérique met en évidence l’importance du contexte social pour comprendre les usages des dispositifs numériques. La prise en compte des échanges et des pratiques antérieures par les représentations sociales ajoute une profondeur historique à cette logique (Coutant et Domenget 2014). Les dispositifs ne sont pas seulement, pour les jeunes diplômés que nous avons rencontrés, des outils technologiques mais des objets sociaux et pour certains comme Facebook, des objets sociaux avant tout. La problématique du transfert posée en ces termes revêt alors une autre dimension où la technologie parait secondaire. Analyser un transfert de technologie numérique sur la seule base de l’analyse technique est, selon ces résultats, un pari risqué. Les mondes sociaux existent encore et l’internet avec son imaginaire maritime de la navigation sans contrainte n’a pas aboli toutes les frontières.

Enjeux et limites de l’approche externaliste de la communication organisationnelle

29Les résultats présentés et analysés dans cet article comportent plusieurs limites à souligner.

30D’abord, le choix des banques et l’échantillon ont pu orienter certaines données. D’autres candidats, plus expérimentés notamment, auraient pu avoir des discours sensiblement différents et ne pas partager les mêmes représentations sociales. Par ailleurs, la communication de la marque employeur ne se limite pas à l’internet et une vision plus globale intégrant aussi les stages, les partenariats, les salons, etc. fournirait une approche complémentaire de cette réception. De même, une étude d’un secteur différent permettrait d’approcher ce qui relève des spécificités du secteur bancaire.

31Enfin, notre approche de la communication organisationnelle est externaliste et étudie, à partir du regard de jeunes diplômés non encore recrutés, les effets du positionnement communicationnel des banques. Cette perspective permet de penser un système de relations (d’Almeida et Carayol 2014) entre l’organisation et la société. En effet, les discours de ces jeunes diplômés interrogent les relations entre la banque et son environnement. Ils favorisent la compréhension des effets des promesses de la communication (d’Almeida 2012) sur les candidats et facilite une approche holistique. Le regard extérieur des locuteurs observés par le chercheur place ce dernier non pas en surplomb mais dans une distanciation raisonnée propice à l’analyse critique. Cependant, le retour aux professionnels, écartés de la construction des résultats, pose alors question. La liberté critique du chercheur externaliste en communication des organisations est appréciable mais la réflexivité de l’entreprise semble moins naturelle que dans une approche internaliste, parfois commanditée par l’organisation. Pour autant, nous pensons que cette phase de retour est nécessaire pour mieux contextualiser les résultats et asseoir leur validité. Nous avons ainsi débuté un travail de confrontation des résultats de cette recherche aux analyses de professionnels du recrutement.

32Les deux facteurs influençant la digitalisation de la communication de recrutement des banques posent enfin la question de la vision de l’identité pour ces organisations. La marque employeur renvoie à une approche fonctionnaliste de l’identité (Albert et Whetten 1985) dans laquelle cette dernière serait unique, stable et gérable. L’investissement dans les RSN questionne ce postulat. En effet, les commentaires des internautes sur Facebook ou ailleurs font intervenir une autre partie prenante de la banque, différente de sa direction, et participent à la formation d’une identité multiple, dynamique, polyphonique. La construction identitaire est ainsi mise en exergue et contredit implicitement une communication souhaitant maitriser l’identité (Tassel 2013). Le phénomène plus récent des témoignages de salariés sur des plateformes comme Glassdoor appuie cette tendance. La digitalisation du recrutement soulève ainsi certains enjeux qui dépassent la mise en œuvre techniciste d’une forme de communication organisationnelle pour concerner non seulement l’organisation mais aussi la société avec laquelle elle interagit par le biais de ce processus de mise en relation.

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Notes

1 Recherche réalisée dans le cadre d’un doctorat sous la direction de M. Corral Regourd, IDETCOM et R. Boure, université de Toulouse et accompagnée par L. Leveneur, MCF IDETCOM, IUT de Rodez et I. Vidalenc, MCF IDETCOM, IUT de Rodez, université Toulouse 1 Capitole.

2 « Turning recruitment advertising into a competitive weapon ». Traduction de l’auteur.

3 « Employer brand » déposée par S. Barrow à l’office anglais des brevets le 12/06/1996 (numéro UK00002102360) et « marque employeur » déclarée à l’INPI le 6/11/1998 par D. Pitelet (numéro national 98 758 177).

4 Le secteur bancaire français comprend une soixantaine de banques. Sa concentration met en évidence certaines grandes banques connues mais d’autres sont plus petites comme les banques Marze ou Pouyanne qui comptent moins de cent salariés.

5 Site BNP de recrutement : https://group.bnpparibas/emploi-carriere. Consulté le 11/10/17.

6 Page Facebook de recrutement : www.facebook.com/bnpparibascareers/. Consultée le 11/10/17.

7 IAE de Toulouse (TSM) et école d’ingénieur 3IL.

8 Les termes en italiques sont des citations des entretiens.

9 Bring Your Own Device.

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Pour citer cet article

Référence papier

Daniel Pélissier, « Paradoxes de la communication numérique de recrutement, le cas des banques entre marque employeur et isomorphisme numérique »Communication et organisation, 53 | 2018, 39-51.

Référence électronique

Daniel Pélissier, « Paradoxes de la communication numérique de recrutement, le cas des banques entre marque employeur et isomorphisme numérique »Communication et organisation [En ligne], 53 | 2018, mis en ligne le 01 juin 2021, consulté le 14 juin 2025. URL : http://journals.openedition.org/communicationorganisation/5993 ; DOI : https://doi.org/10.4000/communicationorganisation.5993

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Auteur

Daniel Pélissier

Daniel Pélissier a soutenu une thèse en Sciences de l’Information et de la Communication sur les paradoxes communicationnels du recrutement sous la direction de Martine Corral-Regourd et Robert Boure. Il est rattaché au laboratoire IDETCOM, université Toulouse 1 Capitole ; daniel2.pelissier@ut-capitole.fr

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