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DOSSIER

Hyperconnexion des Community Managers : injonction ou propension ?

Hyperconnection of Community Managers: injunction or propensity?
Nadia Hassani
p. 93-107

Résumés

La diversité des tâches qui incombent aux Community Managers nécessite à la fois des compétences créatives, techniques et humaines, doublées d’une grande disponibilité et d’une connexion quasi quotidienne aux dispositifs numériques. À la lumière d’une revue de la littérature scientifique, nous présentons les résultats d’une enquête quantitative et qualitative menée en ligne auprès de 291 Community Managers français inscrits sur le réseau social professionnel LinkedIn. Celle-ci vise à mesurer leur degré d’exposition au phénomène d’hyperconnexion et à étudier quelles sont les mesures mises en place par ceux-ci pour se déconnecter des TIC et tenter de préserver un certain équilibre entre leurs vies professionnelle et personnelle.

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Texte intégral

  • 1 Étude Eurostat « Households - level of internet access », 2019 : https://bit.ly/2NT8rxn
  • 2 Étude BVA pour la Fondation April, « Hyperconnexion : quel impact sur la santé des Français ? », ju (...)
  • 3 Livre blanc « Contre l’illectronisme », Syndicat de la Presse Sociale, juin 2019 : https://sps.fr/w (...)
  • 4 Étude CRÉDOC « Baromètre du numérique 2019 » : https://www.arcep.fr/uploads/tx_gspublication/rappor (...)
  • 5 Étude BVA pour la Fondation April, « Hyperconnexion : quel impact sur la santé des Français ? », ju (...)
  • 6 Étude Fafih – Sociovision « Prospective des modes de vie et de consommation, quelle relation client (...)

1En moins de deux décennies, les TIC (Technologies de l’Information et de la Communication) sont devenues omniprésentes dans les vies personnelles et professionnelles. En 2018, la part des ménages français ayant accès à Internet était de 89 % alors qu’elle n’était que de 14,3 % en 20001. Aujourd’hui, la plupart des tâches quotidiennes, qu’elles soient personnelles ou professionnelles, des plus élémentaires aux plus complexes, sont médiées par des dispositifs info-communicationnels (SMS, courriels, applications, réseaux sociaux ou objets connectés) dont l’essor fait figure de progrès technique indispensable, moteur de développement économique, social et culturel : 23 % des Français se décrivent en effet comme « totalement dépendants » aux écrans et à Internet2. À tel point que l’« illectronisme », terme ayant fait son entrée en 2018 dans le dictionnaire et désignant la difficulté à utiliser les dispositifs numériques dans la vie quotidienne, concernerait aujourd’hui 11 millions de Français, soit 23 % de la population3. Alors que cette « fracture numérique » (Rizza 2006) semble se réduire, que les réseaux « haut débit » se déploient massivement et que les Français voient leur taux d’équipement en « smartphones » atteindre 77 % en 20194, le désir de « déconnexion volontaire aux technologies de l’information et de la communication » (Jaureguiberry 2014 et 2018) semble lui aussi prendre de l’ampleur : 72 % de Français estimeraient aujourd’hui que la déconnexion serait bénéfique pour leur santé et leur bien-être5. Ce phénomène est étudié depuis le début des années 2000 (Jauréguiberry 2003) et semble lui aussi s’étendre à une large part de la population française : ce serait aujourd’hui plus d’un tiers des Français (36 %) qui estiment être « dérangés » et « ne plus arriver à se concentrer » à cause des mails, sms, alertes ou notifications de leur téléphone (contre 30 % en 2014), et 35 % d’entre eux ont déjà tenté de se déconnecter (contre 28 % en 2012)6 pour tenter de fuir cet état d’ « urgence électronique » (Bouton 2013) à l’origine de risques psychosociaux tels que le syndrome d’épuisement professionnel, le stress, ou l’agressivité au travail (Carayol 2005), de nouvelles addictions (Jaureguiberry 2019) voire de nouvelles pathologies telles que les « personnalités états limites » (Aubert 2018) ou le « syndrome du zappeur » (Jauréguiberry, 2014).

2Valérie Carayol définit la notion d’hyperconnexion comme un « usage massif et intensif des technologies de communication » impliqué dans l’émergence de nouvelles formes de stress (appelé « technostress » ou « stress numérique ») directement liées à l’utilisation d’outils et d’applications numériques :

« Dans la littérature scientifique, le techno stress a été mis en relation par Tarafdar (Tarafdar, 2010) avec différents phénomènes, qui peuvent se cumuler et se potentialiser :
– la surcharge informationnelle ou infobésité (Techno-overload) décrit le fait que les technologies obligent le travailleur à travailler plus et parfois plus longtemps ;
– la joignabilité permanente (Techno-invasion) décrit l’effet invasif des technologies qui engendre un effet de porosité entre sphère privée et sphère de travail ;
– la complexité et l’incertitude (Techno-complexity et Techno-uncertainty) décrivent des difficultés dans l’usage de technologies parfois compliquées à utiliser, qui nécessitent de mettre à jour en permanence ses compétences et créent un climat d’incertitude quant à l’avenir, la peur de ne pas être à la hauteur ou d’être dépassé
– l’insécurité (Techno-insecurity) est, quant à elle, liée à la peur de perdre son travail, du fait de la numérisation croissante des processus organisationnels et des restructurations associées. » (Carayol, 2016)

3L’hyperconnexion se caractérise également par l’intensification, la densification et le taux d’équipement en TIC (Felio 2013), mais aussi par des activités multitâches et fragmentées (Soubiale 2016) pouvant engendrer des risques psychosociaux. En 2012, dans un contexte de technicisation grandissante de la société et des usages, la Direction Générale du Travail (DGT) et le Centre d’Analyse Stratégique (CAS, devenu ensuite France Stratégie) ont publié un rapport intitulé « L’impact des TIC sur les conditions de travail » dans lequel cinq risques majeurs liés à une utilisation excessive et non maîtrisée des dispositifs numériques dans le cadre professionnel sont mis en avant : augmentation du rythme et de l’intensité du travail, renforcement du contrôle de l’activité pouvant réduire l’autonomie des salariés, affaiblissement des relations interpersonnelles et/ou des collectifs de travail, brouillage des frontières spatiales et temporelles entre travail et hors-travail, et surcharge informationnelle (Klein et Ratier 2012). En réaction à cette « surconsommation » des TIC génératrice de risques psychosociaux, le phénomène de déconnexion aux TIC a fait son apparition au sein des écosystèmes professionnels hyperconnectés. Ce phénomène fait depuis plusieurs années l’objet de recherches scientifiques s’inscrivant notamment dans les champs de la Sociologie et des Sciences de l’Information et de la Communication (Boudokhane-Lima et Felio 2015). Il désigne le choix individuel de s’affranchir de manière partielle et temporaire du flux d’information émanant des TIC. Ces « déconnectés volontaires » (Domenget 2014) semblent vouloir réagir à un sentiment de saturation informationnelle, à l’accélération des échanges dématérialisés, à une déshumanisation des relations, ainsi qu’à une forme d’injonction permanente à l’utilisation des dispositifs info-communicationnels numériques émanant de leur employeur ou des outils numériques eux-mêmes (sms, réseaux sociaux, newsletters, notifications, etc.). Pour tenter de répondre à la préoccupation grandissante des salariés, à l’intérêt croissant des médias et aux inquiétudes du grand public pour cette question, la loi Travail de 2016 (dite « loi El Khomri ») proposait d’inscrire dans le droit français l’obligation pour les entreprises de plus de 50 salariés de respecter le « droit à la déconnexion ». Celle-ci est entrée en vigueur depuis le 1er janvier 2017 et les conduit à mettre en place des dispositifs de régulation des outils numériques favorisant le respect des temps de repos, de congés et de la vie privée de leurs salariés. Mais à l’heure de la « transformation numérique », les salariés peuvent être encouragés (explicitement ou non) à rendre de moins en moins hermétique la frontière entre vie professionnelle et vie personnelle afin de rester « connectés » et « joignables » à tout moment.

4Thierry Venin considère cette « connexion permanente aux TIC » comme une véritable « norme sociale », une « nécessité aussi importante que la connexion au réseau électrique » (Venin, 2015).

Community Manager : une profession particulièrement exposée ?

5Dans ce contexte, une profession peut sembler particulièrement exposée aux risques psychosociaux afférents au phénomène d’hyperconnexion : les « Community Managers », également appelés gestionnaires de réseaux socionumériques, modérateurs (Smyrnaios et Marty 2017), ou encore animateurs de communautés virtuelles. Qu’elles soient publiques, privées, politiques ou associatives, les organisations diffusent leurs contenus sur les réseaux sociaux numériques afin d’y prendre la parole et y promouvoir leurs actualités, produits, services ou valeurs. Fruits de cette instrumentalisation marketing d’Internet (Galibert 2014), les Community Managers sont devenus en quelques années une profession centrale dans toute stratégie de communication de par leur capacité à pouvoir interagir avec les audiences sociales et mesurer leurs évolutions. Veille médiatique, rédaction des messages, création de visuels ou de vidéos, programmation et diffusion des publications, gestion des plannings éditoriaux, modération des avis, paramétrage et suivi de campagnes publicitaires, relations avec les bloggeurs et influenceurs, surveillance de l’e-réputation, analyse des résultats et reporting à la hiérarchie ou aux clients : la diversité des missions qui incombent aux Community Managers nécessite une grande polyvalence impliquant de réelles compétences rédactionnelles, techniques (logiciels de PAO, outils de gestion des réseaux sociaux et d’analyse statistique) et humaines (créativité, réactivité, capacité d’organisation, esprit d’équipe et d’analyse). Urgence, flexibilité, réactivité, créativité : la multi-activité (Datchary et Licoppe 2007) inhérente à cette profession implique que les Community Managers sont amenés à effectuer plusieurs actions pertinentes en même temps. À tel point que ces animateurs de communautés sur les réseaux sociaux sont souvent présentés de manière caricaturale comme de véritables « digital addicts ». Si la reconnaissance professionnelle revêt une dimension éminemment relationnelle et interactionnelle (Lépine 2009), celle des Community Managers est de facto dépendante des performances de leurs publications auprès de leurs communautés sur les réseaux sociaux numériques tels que Facebook, Twitter, Instagram, YouTube ou encore LinkedIn, au regard du temps passé et des budgets consacrés dans une logique de « retour sur investissement ». Le suivi d’indicateurs tels que la portée de leurs publications, le taux d’engagement, le nombre de réactions, de partages ou de commentaires rythme leur quotidien sur les dispositifs nomades que sont les smartphones, tablettes et ordinateurs portables. Si ces derniers leur permettent de suivre en temps réel les réactions et les émotions (Galli 2018) se matérialisant tant textuellement que visuellement grâce à l’utilisation d’une palette d’émoticônes, ils peuvent également créer une « pression sociale » quasi constante, y compris en dehors de leur temps de travail, weekends et congés inclus.

6Alors que ces professionnels des réseaux sociaux pourraient sembler particulièrement exposés à une surcharge informationnelle, l’étude des phénomènes de stress au travail ou d’hyperconnexion des Community Managers reste un sujet encore peu étudié dans le champ des Sciences de l’Information et de la Communication. Sont-ils plus sujets à l’hyperconnexion que les cadres, et quelles stratégies mettent-ils en œuvre pour tenter de réguler leurs usages des TIC ? Pour tenter de répondre à cette question qui nous a animés tout au long de ce travail de recherche, nous présentons les résultats d’une enquête quantitative et qualitative menée en ligne auprès de 291 Community Managers français. Celle-ci s’intéresse aux dispositifs numériques de gestion, de mesure et d’analyse des réseaux sociaux numériques les plus utilisés par ces professionnels, et étudie quels sont leurs usages en termes de fréquence et d’intensité. Nous cherchons également à évaluer si ces dispositifs représentent à leurs yeux une source de satisfaction stimulant leur propension « naturelle » à l’hyperconnexion, ou si au contraire ceux-ci génèrent un « stress numérique » les incitant à vouloir se déconnecter volontairement des technologies de communication.

Terrain de recherche et méthodologie d’enquête

7Pour tenter de répondre à cette problématique, nous avons initié un travail de recherche en mars 2019 en constituant dans un premier temps un corpus composé d’articles scientifiques, de sites web de référence, d’interviews, de dossiers thématiques, ou encore de vidéos qui nous ont permis de nous familiariser avec cette profession. Une étude approfondie de ce premier corpus nous a permis de découvrir à quel point les Community Managers occupent une position stratégique dans les entreprises à l’heure où les réseaux sociaux sont devenus des leviers incontournables pour toucher les publics, quels qu’ils soient et de manière plus ou moins ciblée. Afin d’étudier plus concrètement notre objet de recherche, nous avons adopté une démarche empirique dans le but de faire émerger des éléments de réflexion se basant sur l’analyse quantitative et qualitative des résultats d’une enquête en ligne et anonyme réalisée sur le réseau social professionnel LinkedIn. Créé en 2003, LinkedIn est un réseau social à visée professionnelle qualifié également de « site de réseautage » (Stenger et Coutant, 2013). De par ses dernières évolutions, ce dispositif sociotechnique peut désormais être considéré comme une véritable plateforme de production de contenus numériques textuels (articles, messages privés, commentaires) et d’interactions sociales (invitations, recommandations, réactions aux publications, « félicitations », etc.) dont la diffusion peut être aussi bien publique que restreinte comme dans le cas des groupes privés par exemple. Au début de notre enquête le moteur de recherche LinkedIn référençait plus de 420 000 profils de Community Managers dans le monde, et plus de 67 000 en France.

8Pour constituer notre échantillon, nous avons utilisé les fonctionnalités « se connecter » et « ajouter une note » du réseau social afin d’adresser des invitations à rejoindre notre réseau LinkedIn à 1073 Community Managers identifiés grâce au moteur de recherche de la plateforme, tout en prenant soin d’ajouter une courte note de moins de 300 caractères dans laquelle ils ont été invités à répondre à un questionnaire en ligne réalisé avec l’application Google Form. Ont été exclus de notre échantillon les personnes en recherche d’emploi, en stage ou en formation, ainsi que les profils incomplets, non-renseignés, ou « suspects » (c’est-à-dire n’ayant pas de formation ou d’expérience correspondant à l’intitulé du poste présenté sur leur profil). Notre questionnaire en ligne intitulé « Enquête sur les usages numériques des Community Managers » a été diffusé entre le 6 avril 2019 et le 9 juin 2019. Il visait à recueillir des données qualitatives et quantitatives produites par les Community Managers eux-mêmes telles que leurs origines sociodémographiques, leurs usages professionnels des outils numériques, leur stress au travail et l’impact des TIC sur leurs vies professionnelles et personnelles. Le choix du questionnaire en ligne et anonyme est justifié ici par le fait qu’il permet de toucher un large public. Bien que ce dispositif nécessite un temps et un investissement importants pour constituer un corpus significatif, il est considéré comme « un mode des plus efficients de collecte de données primaires. Il offre également la possibilité d’une standardisation et d’une comparabilité de la mesure. Enfin, il permet de préserver l’anonymat des sources et des données » (Girod-Séville et Perret, 1999). C’est ainsi que 291 réponses ont été recueillies : ce taux de participation limité de 27,1 % s’explique notamment par le fait que les répondants étaient contraints de se connecter à leur compte Gmail, fonctionnalité qui permet de limiter la participation à une seule réponse par personne. Ces 291 formulaires remplis par les Community Managers constituent un corpus de 43 697 mots au total sur lequel un travail d’analyse quantitative et qualitative a été réalisé. Les questions ouvertes ont fait l’objet d’une analyse lexicométrique des données subjectives : la quantité et la diversité des réponses obtenues nécessitaient dans un premier temps d’élaborer un dictionnaire des thèmes empirique permettant d’analyser les contenus thématiques émergeant de chaque verbatim. Pour élaborer cette codification, les fragments signifiants (mots, concepts, expressions) présents dans chacune des réponses produites par les répondants ont été quantifiés manuellement avant d’être classés ensuite dans différents thèmes empiriques afin d’obtenir une distribution significative des éléments de discours obtenus. Utilisées conjointement, les démarches quantitatives et qualitatives permettent ainsi d’analyser les réponses apportées au questionnaire. L’intérêt d’une telle analyse de contenu réside dans le fait qu’elle permet de répondre « aux exigences de la rigueur méthodologique et de la profondeur inventive qui ne sont pas toujours facilement conciliables » (Van Campenhoudt, Raymond et Quivy 2011).

Présentation des résultats

9Grâce à une série de questions à choix multiples où une seule réponse était possible, la première rubrique du questionnaire intitulée « votre profil » a permis d’obtenir des statistiques sociodémographiques et d’esquisser portrait type du Community Manager français. Premier enseignement, la grande majorité des répondants est représentée par des femmes, à hauteur de 62,2 % (contre 37,8% pour les hommes). Cette profession est représentée dans près de 74 % des cas par des jeunes de moins de 30 ans :

Tableau 1. Répartition des tranches d’âge des répondants

Moins de 20 ans

4,1 %

20 – 24 ans

31,3 %

25 – 29 ans

38,5 %

30 – 34 ans

13,7 %

35 – 40 ans

7,9 %

40 ans et plus

3,8 %

10Concernant leur niveau d’études, près de la moitié des répondants (49,1 %) sont titulaires d’un diplôme de niveau Bac + 5, plus d’un tiers d’entre eux (35,1 %) ont un niveau Bac + 3 ou Bac + 4, et 15,8 % des Community Managers interrogés ont un niveau Bac à Bac + 2. Le tableau ci-dessous présente quant à lui le nombre d’années d’expérience des répondants :

Tableau 2. Nombre d’années d’expérience

0 à 1 an

6,9 %

1 à 2 ans

28,9 %

2 à 4 ans

34 %

5 à 9 ans

26,1 %

10 ans et plus

4,1 %

11Les résultats obtenus sont cohérents avec la répartition des tranches d’âge, puisque 69,8 % des Community Managers ayant répondu au questionnaire ont moins de 5 ans d’expérience : cela illustre le fait que ce poste est majoritairement occupé par des profils « juniors ». Concernant leurs statuts, ceux-ci travaillent à 84,8% en tant que salariés (60,8 % en CDI, 24 % en CDD), les 15,2 % restant exercent en tant qu’indépendants ou freelance. Les statistiques présentées dans le tableau ci-dessous détaillent les différents profils d’organisations dans lesquelles évoluent les répondants. Dans 80 % des cas, il s’agit d’entreprises ou d’agences du secteur privé :

Tableau 3. Types d’organisations salariant les Community Managers

Entreprise du secteur privé (hors agence)

49,1 %

Agence de communication, marketing ou publicité

30,9 %

Institution publique

12,1 %

Association / ONG

7,9 %

12La deuxième rubrique du questionnaire s’intitule « Vos usages des outils numériques dans le cadre professionnel ». L’utilisation de la fonctionnalité « cases à cocher » (avec l’option « Autre » disposant d’un champ prévu pour que le répondant puisse saisir librement une réponse courte) a permis d’étudier les principaux dispositifs numériques utilisés par les Community Managers interrogés. Le tableau suivant présente un classement des réponses obtenues à la question « Quels réseaux sociaux utilisez-vous le plus au quotidien ? » ; les pourcentages indiquent le nombre de fois où le réseau social a été mentionné dans les réponses :

Tableau 4. Les réseaux sociaux les plus utilisés par les Community Managers

Facebook

91,1 %

Instagram

73,5 %

Twitter

64,8 %

LinkedIn

58,3 %

Youtube

53,1 %

Pinterest

10,5 %

Snapchat

8,4 %

13Facebook et Instagram arrivent très largement en tête de ce classement, mais il serait quelque peu réducteur de limiter les missions des Community Managers à la gestion des réseaux sociaux. C’est pourquoi les répondants ont eu à lister les principaux outils numériques (sites, logiciels, applications, services, etc.) qu’ils estiment utiliser le plus au quotidien. Les réponses obtenues à cette question ouverte ont fait l’objet de tris à plat et d’un classement présenté dans le tableau ci-dessous. Celui-ci est illustré avec quelques exemples d’outils les plus fréquemment cités dans chacune des 10 catégories suivantes :

Tableau 5. Écosystème numérique des Community Managers

Outils Facebook (Business Manager, Application gestionnaire de pages)

82,3 %

Plateformes de programmation tierces (Hootsuite, AgroaPulse, Buffer)

76,5 %

Logiciels de création visuelle (Photoshop, Illustrator, InDesign)

73,7 %

Logiciels de montage vidéo (After Effect, iMovie, Adobe Premiere)

61,3 %

Banques images et vidéo (Getty, iStock, Shutterstock)

55,8 %

Outils de gestion de projet collaboratifs (Google Drive, Slack, Trello)

34,7 %

Outils de veille informationnelle (Google Alerts, Feedly, Mention)

28,9 %

Envoi de newsletters (Mailchimp, Sendinblue, Mailjet)

22,8 %

 Outils de veille sociale (SocialBaker, Linkfluence, Digimind)

17,8 %

Applications de jeux-concours (Social Shaker)

12,5 %

14Ces résultats illustrent la grande diversité d’outils numériques utilisés par les Community Managers et confirment la polyvalence inhérente à cette profession. Une fois dépeint cet écosystème numérique, la troisième rubrique du questionnaire s’intéresse au lien éventuel entre l’usage des TIC par les Community Managers et leur stress au travail dans cet environnement hyperconnecté. À la question « Quelles sont vos principales sources de stress numérique ? », les réponses obtenues ont été les suivantes :

Tableau 6. Principales sources de « stress numérique » des Community Managers

Hyperconnexion (trop de mails et de notifications, interruptions incessantes)

61,5 %

Mauvaise publication des contenus (orthographe, lien erroné, problème de visuel, non publication)

58,4 %

Problèmes de modération (messages ou avis négatifs, «Bad buzz»)

56,1 %

Performances des publications (baisse du nombre de réactions, de partages ou de commentaires)

43,9 %

Gestion des campagnes publicitaires sur les réseaux sociaux

40,2 %

Gestion du temps (calendriers, délais)

36,3 %

Panne Internet / Bugs logiciels

21,7 %

Reporting / Analyse / Bilan statistiques

20,4 %

Suivi des nouvelles fonctionnalités / mises à jour / actualité des réseaux sociaux et logiciels

11,8 %

15Alors que 70 % des cadres affirment que les TIC les font travailler dans l’urgence (Carayol 2016), que 59 % d’entre eux déclarent que leur vie professionnelle est plus stressante avec les outils numériques et que 69 % affirment que l’usage des TIC est pour eux une source de débordement temporel et/ou d’empêchement, de déconcentration, d’activités multitâches et d’urgence au travail (Soubiale 2016), les manifestations de surcharge informationnelle regroupées ici sous l’appellation « Hyperconnexion » sont identifiées par les répondants comme étant les principales sources de stress au travail dans 61,5 % des réponses analysées, devant des difficultés liées aux problèmes de publication (58,4 %) ou de modération (56,1 %).

16En pointant massivement du doigt l’hyperconnexion aux TIC comme un facteur majeur de stress au travail, les Community Managers interrogés ont, sans le savoir, ainsi légitimé la quatrième et dernière rubrique de notre questionnaire en ligne. Celle-ci est en effet dédiée à l’impact des TIC sur les équilibres entre vie professionnelle et personnelle, et la première question visait à découvrir la fréquence à laquelle les Community Managers interrogés se connectent à leurs outils numériques professionnels sur leur temps personnel :

Tableau 7. Fréquence de connexion en dehors du temps de travail

Plusieurs fois par semaine

34,7 %

Au moins une fois par semaine

27,1 %

Au moins une fois par mois

21,6 %

Tous les jours ouvrés

11,2 %

Au moins une fois par an

2,8 %

Tous les jours de la semaine

1,7 %

Jamais

0,9 %

17Alors que 59 % des cadres déclarent répondre à leurs mails le soir tard et 45 % pendant leurs congés (Carayol, 2016), il est intéressant de constater que près de 3 Community Managers interrogés sur 4 (74,7 %) utilisent au moins une fois par semaine les dispositifs numériques cités précédemment en dehors de leur temps de travail, ce qui peut expliquer au moins en partie le fait que l’hyperconnexion soit la source de stress au travail la plus citée par les répondants. À la question « Vous êtes-vous déjà déconnecté.e volontairement des outils numériques ? », 40,2 % Community Managers ont répondu « Non » : les verbatims obtenus dans les réponses à la question consécutive « Précisez pourquoi » font état du fait que ceux-ci n’ont tout simplement « pas besoin » (29,5 %) ou « pas envie » (24,8 %) de se déconnecter, et « apprécient » au contraire être connectés (30,2%). Fait intéressant, 8,4 % d’entre eux abordent la déconnexion comme un concept négatif : les termes « incompatibilité », « risque », « paradoxal », ou encore « non-sens » figurent parmi les éléments de langage recueillis. Toutefois, 59,8 % des Community Managers interrogés ont répondu en faveur du « Oui », signe que la « déconnexion volontaire » (Jauréguiberry 2014) aux TIC est une pratique pour une large majorité des professionnels interrogés. Et c’est ici leur principale différence avec les cadres qui se dessine : si ces deux catégories de travailleurs semblent souffrir d’hyperconnexion dans des proportions comparables, seulement 28 % des cadres se sont déjà passés de l’ordinateur et/ou du téléphone portable, dont 69% pour moins d’une semaine et 22% pour une durée pouvant excéder une semaine (Soubiale, 2016). Les Community Managers ont ensuite eu à répondre consécutivement à deux dernières questions : « De quelle manière ? » et « À quel moment ? ». Les analyses des réponses obtenues sont présentées dans les deux tableaux ci-dessous :

Tableau 8. Principaux leviers de déconnexion aux TIC des Community Managers

Limitation des connexions à titre professionnel en dehors des horaires de travail

38,80 %

Coupure du téléphone ou de l’ordinateur

34,30 %

Suppression des applications, déconnexion messagerie électronique, arrêt des notifications

29,70 %

Déconnexion au domicile

4,50 %

Usage d’outils de mesure ou de limitation du temps passé sur Internet ou sur les applications

1,10 %

Tableau 9. Moments privilégiés par les Community Managers pour se déconnecter

Pendant les congés

42,20 %

Le weekend

37,10 %

Pendant les tranports en commun, trajets domicile-travail

27,70 %

Le soir

22,70 %

La journée

17,00 %

Plages réservées à la déconnexion pendant le travail

9,10 %

Conclusion, apports et limites de la recherche

18L’injonction à l’hyperconnexion inhérente à la profession de Community Manager (y compris en dehors du cadre professionnel) semble rendre plus poreuse la frontière entre vie professionnelle et vie personnelle, et représenter chez ces professionnels une menace réelle sur leur bien-être au travail. Les résultats obtenus permettent de découvrir que 61,5 % des Community Managers déclarent souffrir d’hyperconnexion, un taux comparable aux études portant sur des échantillons de cadres (Carayol, Soubiale, Felio 2016). Fait intéressant, ils sont presque autant à s’imposer une discipline pour tenter de se déconnecter – plus ou moins régulièrement – aux TIC : en effet, pour tenter de préserver un équilibre vie personnelle et vie professionnelle, près de 60 % d’entre eux ont déjà pratiqué la déconnexion volontaire (en grande majorité sur leur temps personnel) : ceci représente une proportion 2,1 fois plus importante que les 28% des cadres qui se sont déjà passés de l’ordinateur et/ou du téléphone. En réaction à leur environnement de travail « hyper TICisé » (Venin 2015), les Community Managers mettent en place des « régulations individuelles » telles que le filtrage ou la préservation (Boudokhane-Lima et Felio 2015). La déconnexion est aujourd’hui considérée comme un « privilège rare » (Venin 2015), et les stratégies de déconnexion sont envisagées comme des « formes de résistance à l’urgence » (Jauréguiberry 2006) pouvant être vécues comme un moyen de reprendre son souffle et de la distance, à retrouver son rythme et un temps à soi (Jaureguiberry 2019). Cependant, les analyses des verbatims obtenus ont permis de faire émerger le fait que plus d’un répondant sur cinq (21,9 %) a exprimé des difficultés pour y parvenir.

19Ces enseignements sont toutefois à pondérer car le risque interprétatif inhérent à tout travail de recherche demeure réel. En effet, en tentant d’interpréter les concepts évoqués par les répondants afin de les catégoriser, nous avons pu (au moins à la marge) modifier le sens que ceux-ci souhaitaient donner à certaines expressions ou notions. Deux réponses perçues comme identiques peuvent en effet renvoyer à des réalités vécues très différentes : le sentiment d’hyperconnexion est par exemple un concept teinté de subjectivité qui peut connaître des variations en termes de fréquence et d’intensité d’un individu à l’autre. Par ailleurs, nous avons fait le choix d’effectuer un tri à plat des réponses à chaque question, sans réaliser de tableau croisé dynamique. Dans une future recherche, un tel traitement statistique pourrait nous permettre de faire émerger des corrélations entre les différentes données récoltées, telles que le lien entre l’âge ou le nombre d’années d’expérience et la propension à vouloir se déconnecter. Par ailleurs, les résultats présentés doivent également tenir compte du biais de sélection inhérent à la méthodologie que nous avons adoptée. En effet, suite à notre requête dans le moteur de recherche de la plateforme, LinkedIn a pu privilégier des profils ayant des niveaux de relations plus élevés ou une proximité géographique avec le nôtre. Ses limites prises en compte, nos analyses permettent néanmoins de dresser un portrait plus nuancé du profil type des Community Managers qui, loin de la caricature d’ « accros au numérique » semblent majoritairement conscients des risques inhérents à un usage excessif des TIC et aspirent, à la lumière des résultats obtenus dans le cadre de ce travail de recherche, à une meilleure maîtrise de leur temps de connexion ainsi qu’à un plus grand respect de leur vie personnelle.

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Bibliographie

AUBERT Nicole, 2018, « Accélération et hyperconnexion à l’ère du capitalisme financier : accomplissement de soi ou dépossession de soi ? », dans N. Aubert, Individus hyperconnectés, société accélérée : tensions et transformations, Toulouse, ERES, 9-23.

BOUDOKHANE-LIMA Feirouz, FELIO Cindy, 2015, « Les usages professionnels des TIC : des régulations à construire », Communication & Organisation, 48 : 2. 139-150.

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Notes

1 Étude Eurostat « Households - level of internet access », 2019 : https://bit.ly/2NT8rxn

2 Étude BVA pour la Fondation April, « Hyperconnexion : quel impact sur la santé des Français ? », juin 2019 : https://staticswww.bva-group.com/wp-content/uploads/2019/06/BVA-pour-la-Fondation-April-Hyperconnexion-et-sant%C3%A9-juin-2019.pdf

3 Livre blanc « Contre l’illectronisme », Syndicat de la Presse Sociale, juin 2019 : https://sps.fr/wp-content/uploads/2019/07/SPS_Livre_Blanc_Contre_Illectronisme_Juin2019.pdf

4 Étude CRÉDOC « Baromètre du numérique 2019 » : https://www.arcep.fr/uploads/tx_gspublication/rapport-barometre-num-2019.pdf

5 Étude BVA pour la Fondation April, « Hyperconnexion : quel impact sur la santé des Français ? », juin 2019 : https://staticswww.bva-group.com/wp-content/uploads/2019/06/BVA-pour-la-Fondation-April-Hyperconnexion-et-sant%C3%A9-juin-2019.pdf

6 Étude Fafih – Sociovision « Prospective des modes de vie et de consommation, quelle relation client en 2025 ? », 2018 : https://www.fafih.com/sites/default/files/fichiers/new/etudes_statistiques/fafih-etude-sociovision-2018.pdf

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Pour citer cet article

Référence papier

Nadia Hassani, « Hyperconnexion des Community Managers : injonction ou propension ? »Communication et organisation, 56 | 2019, 93-107.

Référence électronique

Nadia Hassani, « Hyperconnexion des Community Managers : injonction ou propension ? »Communication et organisation [En ligne], 56 | 2019, mis en ligne le 01 janvier 2023, consulté le 18 mai 2025. URL : http://journals.openedition.org/communicationorganisation/8425 ; DOI : https://doi.org/10.4000/communicationorganisation.8425

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Auteur

Nadia Hassani

Nadia Hassani est docteur en Sciences de l’Information et de la Communication et qualifiée aux fonctions de Maître de Conférences dans la 71e section du CNU. Chercheur au laboratoire LERASS-CERIC à Montpellier, ses travaux de recherche portent sur la communication des organisations, la conduite du changement, les réseaux socionumériques, le big data et l’évaluation du bonheur au travail.

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