1En 2005, des débats parlementaires ont abouti à la promulgation de la loi portant sur la discrimination dont sont victimes les personnes en situation de handicap, loi qui contraint quiconque à appliquer la notion de « non-discrimination » à l’égard de ces personnes. Cette loi est à l’origine de l’ouverture d’un guichet unique matérialisé par la mise en place de structures intitulées Maison Départementale des Personnes Handicapées (MDPH). Depuis, des carences en matière d’accompagnement des situations de handicap ont été soulignées. En effet, en 2009 et 2010, le Conseil d’État a prononcé deux arrêts de jugement rejetant l’argument avancé par les institutions justifiant cette carence par le nombre insuffisant de structures d’accueil (Piveteau 2014 : 7). La MDPH en tant que « guichet unique » a très vite été submergée, de fait, elle a catalysé tous les types de demandes ; ceci met en visibilité l’erreur d’appréciation de la mission de la MDPH de la part des autres institutions ainsi qu’une perception altérée des enjeux de la part des institutions, et des organismes affiliés voire des usagers eux-mêmes quand ils en connaissent l’existence.
- 1 Ce travail s’inscrit dans le cadre d’un projet intitulé ACAPELHA (Accès et Continuité de l’Accompag (...)
2Ce travail1 se propose d’analyser le processus d’accompagnement au sein de l’organisation institutionnelle en amont de la demande de l’usager. L’objectif de cet article est de montrer l’épaisseur de cet accompagnement à travers des formes de médiations info-communicationnelles différenciées selon les territoires, et interroge par là-même la question de l’équité dans les modalités d’accompagnement.
3Lors de la demande de dossier d’accompagnement intitulé « dossier usager », trois documents administratifs doivent être remplis. Dans l’un d’eux2 se trouve une section intitulée « expression des attentes et besoins de la personne concernée (projet de vie) » qui propose à la personne en situation de handicap de décrire ce dont elle a besoin et la manière dont elle souhaite construire son projet social, professionnel, ou de formation.
4Les différentes facettes de la vie humaine (communication, santé, scolarité, formation, travail, logement, vie quotidienne, familiale, loisirs, etc.) y sont évoquées. Cependant, il est noté que cette section du formulaire est facultative et il est également proposé de se faire aider pour remplir le formulaire.
5Plusieurs problèmes ont été émis concernant le remplissage des formulaires sur les besoins. En effet, l’expression projet de vie n’est pas claire sémantiquement pour les individus en situation de handicap (Barreyre 2009 : 124) et la plupart du temps, les attentes ont été exprimées lors d’un entretien oral. Ainsi, la pertinence d’une modalité info-communicationnelle à travers un écrit argumenté est loin d’être une compétence partagée par des publics connaissant des difficultés diverses (acte d’écriture, acte de parole, se faire comprendre, comprendre des informations, etc.).
6Orienter, accompagner, aider repose sur un même principe, celui d’échanger et de délivrer de l’information à la personne ; cela suppose aussi d’être en mesure de comprendre les besoins de celle-ci. Divers rapports sur le sujet (Schmitt 2007 : 21) (Piveteau 2014 : 21) soulignent ce point et s’interrogent sur la manière dont la personne en situation de handicap ou sa famille s’informe sur sa situation, ses droits, etc. Même si les MDPH ont permis de jouer un rôle clé à travers des services d’information et d’accompagnement de proximité, elles restent une organisation perfectible (Campion et Debré 2012 : 25). Cela provient, pour certains cas, de l’absence de coordination des réponses ou de solutions apportées restant bien souvent tardives (Piveteau 2014 : 39).
7Les professionnels du secteur médico-social expriment leur insatisfaction dans un rapport (CNSA 2009 : 88) quant à la pertinence des outils d’évaluation utilisés dans leur travail, pour répondre aux besoins des usagers. Cet exemple souligne la complexité des modalités d’accompagnement pour améliorer les conditions de vie de ces personnes en situation de vulnérabilité. De fait, l’usager intègre un processus institutionnel de demande d’aide le confrontant à des interactions avec l’institution - à travers ses procédures, ses règles, etc. Il est aussi confronté à d’autres acteurs de l’institution (informateur de droits, instructeur de dossier, médecin-évaluateur, etc.). Il s’avère ainsi pertinent de s’interroger sur la médiation info-communicationnelle matérialisée par un formulaire de demande censé permettre l’évaluation d’une situation complexe.
8La question de l’évaluation du handicap s’inscrit dans une dimension de la complexité à la fois médicale, sociale, civique et institutionnelle. L’enjeu principal paraît être, dans ce dispositif, la collecte des informations à destination des acteurs impliqués dans le processus d’accompagnement. Dès lors, dans quelle mesure une organisation est-elle à même de gérer les interactions info-communicationnelles avec ses demandeurs ?
9Certains travaux (Guyot 2006 : 15) (Salaün 2008 : 42) ont mis en évidence l’importance de la prise en compte du rôle stratégique de l’information dans les organisations. Aucun processus d’information ne pourrait exister sans le soutien d’un dispositif ; ce dernier sert de lien entre les sources d’information, les acteurs, les producteurs, et ceux qui reçoivent l’information. (Guyot 2013 : 199) pointe ainsi du doigt la dimension complexe que revêt l’information. De fait, une organisation est une dynamique de réseau qui inclue la circulation de l’information. Ces travaux montrent l’existence d’un lien direct entre information et dispositif, car le dispositif d’information matérialise et rend possible les interactions à travers les interfaces.
10(Crozier et Friedberg 1977 : 41) ont mis en évidence une dynamique concrète des organisations renvoyant à une double analyse : stratégique et systémique. Ils proposent une réflexion conceptualisée de l’action humaine, à la fois individuelle et collective. Les auteurs s’opposent ainsi au modèle taylorien et structuro-fonctionnaliste de l’organisation. Pour ces auteurs, l’organisation est avant tout un construit humain contingent et résultant des interactions sociales. Cette structuration est en permanence actualisée par les comportements individuels et les relations de pouvoir. Les sources du pouvoir sont nombreuses dans une organisation. Le pouvoir n’est pas lié à la personne de l’acteur, mais plutôt aux ressources dont il dispose et à sa place dans l’organisation. Ces auteurs distinguent quatre grandes sources de pouvoir générées par les actions suivantes : détenir une certaine compétence ; maîtriser l’information dans l’environnement de l’organisation notamment à travers les sources ou cibles d’information ; contrôler la communication et les informations internes (celui qui connaît le mieux l’organisation a un pouvoir de rétention, de sélection et de déformation de l’information) ; connaître les règles de fonctionnement de l’organisation (pouvoir de changer les règles, d’arbitrer entre les règles, de les créer). En conséquence, l’organisation est en permanence un lieu de tensions pouvant provoquer des points de blocage. Aussi, une régulation est-elle nécessaire pour parvenir à mettre en place un minimum de coopération au sein de l’organisation.
- 3 Un tableau synthétique des trois générations de la médiation est disponible dans l’article : Laguec (...)
11La théorie de l’activité regroupe en fait un ensemble de principes de base constituant un système conceptuel qui peut être utilisé comme un fondement pour des théories plus spécifiques et des activités de travail diverses (Bannon et Bodker 1991 : 5). Les activités humaines sont motivées par certains besoins pour lesquels les gens souhaitent atteindre un certain but. L’activité est habituellement médiatisée par un ou plusieurs instruments ou outils, le concept de médiation est au centre de l’ensemble de la théorie. Ainsi, l’activité humaine est médiatisée par des outils physiques, symboliques et cognitifs (Engeström 2005 :19) (Rabardel et Beguin 2005 : 430). Les individus et les outils interagissent avec un environnement physique, social et historique. L’activité est menée soit de manière individuelle soit de manière collective, elle est orientée vers un objectif commun (Leontiev 1978 : 172). Le concept de médiation développé par (Vygotsky 1997) (approche historico-culturelle) et évoqué par les auteurs cités supra est de fait le fondement de la théorie de l’activité. (Laguecir et al. 2010 : 49) a repris le travail de synthèse d’Engeström3 qui distingue trois générations de cadre de la médiation en correspondance avec le niveau d’activité. La première dite « médiation individuelle » initiée par Vygotsky, traite de la dynamique de médiation de l’activité par des artefacts (outils) qui, selon (Venturini 2012 : 128), fait le lien entre l’individu et la société. La deuxième génération de la théorie de l’activité est basée sur les travaux de Leontiev qui insiste sur la dimension collective de l’activité et non plus uniquement la dimension individuelle (Laguecir et al. 2010 : 49). Dans ce cadre, l’individu est positionné dans une communauté, faisant de ce cadre un système de médiation plus large et renvoyant ainsi à un système d’activité basé sur un modèle tripolaire : elle unit une activité (générée par un motif ou une finalité), une action (qui vise un objet ou objectif immédiat) et des opérations (les modalités instrumentales d’exécution de l’activité). Ces trois pôles sont indissociables. La troisième génération (Engeström 2000 : 966 ; 2005 : 59) s’étend encore plus dans l’espace collectif, à travers un type de médiation qui s’élève à un niveau méta dans les activités de travail en collaboration. Cette approche permet à la fois d’analyser et de décrire des situations complexes d’activité, mais aussi les interactions entre les différentes entités constituant les situations de travail.
Figure 1. Structure de l’activité humaine (Engeström 1987 : 94)
12Comme nous pouvons le voir, dans ce schéma ci-dessus, le sujet renvoie à l’acteur (voire au groupe d’acteurs) impliqué dans l’activité et travaillant sur le même objet (cible) pour produire ensemble et parvenir à un résultat (« outcome »). Afin d’arriver à ce résultat, l’acteur dispose d’instruments tels qu’artefacts matériels ou symboliques, comme le langage. Ce processus de transformation de l’objet de l’activité, est la raison d’être de l’activité elle-même. Ainsi, l’acteur ne peut réaliser seul cette activité, il est membre d’une communauté, d’un collectif d’acteurs poursuivant un même but. Cette modalité d’analyse de l’activité permet de se situer au niveau de l’individu ou de l’organisation (niveau collectif) ; dans le même temps, elle amène à identifier les interactions et les objectifs de celles-ci. Ce modèle reflète bien un système d’activités complexe. Comme l’expliquent (Laguecir et al. 2010 : 50) « l’étude des systèmes de médiation étendue présente un réel intérêt du point de vue des situations d’activité collective ou de situations de coopération ». Il nous paraît pertinent, dans notre cas, de retenir les cadres de deuxième et troisième générations dans la mesure où la deuxième génération concerne le cadre d’analyse au niveau collectif correspondant ainsi aux contextes des acteurs de l’accompagnement. La troisième génération nous semble pertinente également dans l’analyse du processus global d’accompagnement reposant sur une mise en relation de plusieurs activités et permettant de mieux appréhender les activités complexes du secteur médico-social.
- 4 Cette étude s’inscrit dans le cadre du projet « Accès et Continuité de l’Accompagnement des Personn (...)
13L’objectif de cette étude de terrain est de comprendre à travers l’activité des agents sociaux la manière dont est accompagnée la personne en situation de handicap4. Pour ce faire, l’approche qualitative par entretien individuel avec des assistantes sociales nous a paru pertinente. L’entretien a été préparé en amont avec l’élaboration d’une grille de collecte construite sur des axes clés de l’activité de l’agent social à savoir :
|
Identification de l’assistante sociale
|
Lieu d’exercice, population ciblée, caractérisation du déclenchement de la demande,
|
|
Document de travail
|
Type de document de collecte, statuts des informations collectées, cadre de références du processus d’entretien (formulaire institutionnel, etc.)
|
|
Modalités de l’entretien de l’agent
|
Procédure d’évaluation des informations collectées, nombre et durée des entretiens, fréquence, type d’informations non institutionnel à demander à l’usager
|
|
Organisation du travail
|
Participation à la commission pluridisciplinaire, caractérisation des sources d’information décisives pour l’activité, méthode employée pour échanger avec les usagers, etc.
|
|
Aide à la rédaction, orientation
|
Modalités d’aide à l’expression du besoin de la personne, modalité d’accompagnement dans la rédaction de la section projet de vie du formulaire institutionnel, modalités d’archivage des dossiers rédigés, etc.
|
|
Expérience-métier dans le secteur du handicap
|
Développement d’une expertise dans l’accompagnement des personnes en situation de handicap, modalités de capitalisation de l’expérience
|
- 5 Les assistantes sociales, contactées dans le Rhône étaient à l’époque, « submergées » par l’applica (...)
- 6 La répartition temporelle des entretiens est la suivante : durée respectivement de 1 h et 1 h 30 po (...)
14Il est important de préciser qu’il s’agit ici d’une exploration du sujet sur la base de trois situations personnelles d’agents sociaux dans la région Rhône-Alpes. Ce nombre restreint d’entretiens n’est pas un choix de départ, mais résulte de conjonctures liées aux réformes du secteur pendant le déroulement du projet5. Nous avons ainsi pu nous entretenir avec trois assistantes sociales, dont une dans le Rhône et deux autres dans l’Isère. Ces entretiens sont d’une durée totale de 4h306 et ont été intégralement retranscrits afin de permettre l’approfondissement des analyses et faire ressortir les points clés de leur activité. Ils ont été réalisés à un an d’intervalle, du fait de la disponibilité des assistantes sociales de l’Isère qui travaillent en mobilité territoriale.
15Pour mettre en perspective les activités de ces professionnels, nous avons focalisé notre analyse sur une partie de leur activité (accueil et échanges avec l’usager). Nous nous sommes basés sur le modèle d’Engeström pour interpréter l’activité à partir des synthèses des entretiens.
16Nous ne pouvons que confirmer la dimension complexe de cet univers qui entoure la personne en situation de handicap ainsi que les professionnels du secteur. Les assistantes sociales, quelles qu’elles soient, ont un vrai rôle de médiation, dans l’accueil et l’échange. Toutefois, des distinctions se font jour, notamment le cadre dans lequel se jouent ces échanges. Le premier cadre est celui de l’établissement, le second est hors établissement et correspond au territoire.
17Le premier cadre renvoie à des formes de médiation inscrites dans une temporalité plus longue du fait des statuts des usagers, en majorité des résidents, jeunes adultes en devenir. L’assistante sociale du Rhône explique qu’elle travaille en collaboration avec d’autres assistantes sociales, en maisons départementales du Rhône (MDR), dans des établissements scolaires. Toutefois, elle précise que ce n’est pas la même activité, bien qu’il s’agisse de la même profession, car l’environnement influence les modalités d’activité d’accompagnement. Ainsi, l’organisation de type institut médico-éducatif (IME) régit les modalités d’intervention (accueil des familles pour visiter l’établissement, placement de ces jeunes adultes à la fin de la période de « résidence » c’est-à-dire à 20 ans, etc.). L’activité de l’assistante sociale au sein de l’établissement est plus complexe, l’accompagnement est intense ; le suivi des jeunes ayant atteint l’âge limite de résidence est en effet critique du fait du manque de place ailleurs (foyer de vie, ESAT, etc.), mais aussi du degré de maturité du projet du jeune. Elle met en avant la spécificité de son lieu de travail, de l’importance d’un accompagnement global et contextuel pour répondre aux besoins et à l’orientation des personnes.
18Le cadre hors établissement s’inscrit quant à lui dans un accompagnement particulier avec une temporalité moins longue. L’objectif de la rencontre est motivé par une demande d’information et de conseils sur les droits dès le départ par les personnes en situation de handicap. Ainsi, les assistantes sociales de l’Isère rencontrées ont à faire à 80 % de primo-demandants, et citent différents profils de demandeurs face à leur situation de handicap :
-
ignorance de la réalité de la situation et incapacité à formuler leur parcours ;
-
position d’attente et en demande importante d’assistance, déjà pris en charge sur des dimensions sociales par ailleurs par l’institution : la question du handicap et de la reconnaissance de la maladie se greffent sur ces premières problématiques ;
-
forme de déni : ce sont les personnes qui ont le plus de difficulté à formuler leurs besoins, à décrire leur parcours et à réaliser le degré de gravité de leur situation ;
19Cette situation a amené les professionnels à adopter une approche écologique et pragmatique lors des rendez-vous. Ainsi, elles font preuve d’adaptation et d’écoute attentive afin de pouvoir capter toutes les informations mises à leur disposition. Leur activité sur un territoire étendu, leur a permis d’acquérir des connaissances spécialisées sur le handicap au fur et à mesure des années alors que la formation d’assistante est plutôt généraliste au départ. L’approche systémique qu’elles ont mise en pratique les amène à trouver des solutions provisoires, elles adoptent de fait plus un rôle de guide et de conseil ponctuel. N’ayant pas de bureau fixe, elles ne peuvent s’inscrire dans une approche d’accompagnement au long cours, et ne font ni centralisation de dossiers à traiter, ni conservation de traces des dossiers ou des éléments de projet des usagers. L’assistante sociale du Rhône partage la même pratique, en s’appuyant sur une méthodologie d’analyse de la situation de la personne et des dispositifs et des structures de proximité pouvant être sollicitées. Cette double démarche permet de faire une évaluation des solutions possibles afin de les proposer à la personne ou à sa famille. Ainsi, chaque agent rencontré a développé des stratégies lui permettant d’agir et de mener sa démarche d’accompagnement de telle sorte à ne pas laisser l’usager sans solutions.
- 7 Le projet d’accueil individualisé ou PAI est un document contractuel entre l’usager, la famille et (...)
20L’accompagnement individualisé repose sur le travail d’une équipe pluridisciplinaire (médecin, éducateur spécialisé, psychologue, infirmière, assistante sociale, etc.). Le travail, entrepris tout au long de leur prise en charge au sein de l’IME, offre aux jeunes une continuité dans leur orientation et leur projet de vie. Cette prise en charge globale s’appuie sur l’identification de différents types de besoins (transports, vie quotidienne, gestion administrative, orientation professionnelle, etc.) en fonction des possibilités et des conditions de vie de chaque usager et va s’inscrire bien évidemment dans le projet de vie. L’assistante sociale dispose pour cela d’indicateurs découlant d’attentes administratives précises. Le projet de vie, ainsi décrit obéit donc avant tout, pour l’assistante sociale, à une formulation administrative. Pour elle, il s’agit de décrire le besoin qui se manifeste au moment de la demande, tout en tenant compte des modalités du discours devant être présentes dans le formulaire pour guider la commission d’évaluation. L’intentionnalité des projets, notamment, doit être explicitée comme les expressions du type « j’aimerais travailler », « je souhaiterais passer mon permis » « je souhaiterais intégrer l’ESAT x, car le domaine m’intéresse », etc.) à inclure dans le document. Cette explicitation de l’intentionnalité de l’usager, dans le discours, met en avant le caractère argumentatif de la demande et ainsi sa justification ou légitimation appuyée par un complément de documents (projet d’accueil individualisé (PAI)7). Les parents peuvent s’opposer via le formulaire au projet de vie par rapport au projet PAI. Cela peut s’expliquer par l’évolution de la situation de l’enfant par rapport à ce qui aurait été défini au départ dans le projet PAI. Cette contradiction des avis, dans le dossier, est acceptée par l’assistante sociale, reconnaissant de fait à la MPDH son rôle de médiateur. Ainsi, dans la rédaction du projet, les outils et méthodes sont variables en fonction du terrain professionnel et du territoire où les professionnels exercent. L’une des assistantes consultées va guider la rédaction (même si elle utilise une grille informelle) tout en prenant des précautions pour que la rédaction ne paraisse pas « artificielle ». En fait, l’entretien – souvent unique – va servir à évaluer si la situation de la personne correspond réellement aux critères demandés dans le formulaire de demande d’aide… C’est un travail de mise en correspondance des informations. Leur grille de collecte de données est informelle et calquée sur les grands thèmes du formulaire pour faire état de la situation de la personne et des conséquences du handicap. Les assistantes précisent également qu’elles ne sont pas là pour faciliter l’accès direct de l’usager à une compensation, mais plutôt pour retracer le plus clairement possible la situation de la personne afin de compléter les rubriques médicales du formulaire. De même, la catégorisation des profils par ces agents de l’Isère permet à ces derniers de moduler un discours quasi pédagogique en rédigeant un écrit correspondant à leur situation, et donc d’œuvrer pour une médiation info-communicationnelle adaptative. Les risques inhérents à une telle action sont, en fait, d’enfermer les usagers dans une situation en fonction de catégories préexistantes, et de leur appliquer un « modèle » ne correspondant pas forcément en tous points à leurs aspirations.
21Ainsi, les difficultés soulevées par les agents sociaux rencontrés, sont l’absence de la prise en compte multidimensionnelle du parcours de vie de la personne, de fait pour répondre aux besoins réels des usagers, il faut pouvoir inscrire ces besoins dans une trajectoire de vie et non simplement limiter la demande faite à un moment particulier pour répondre à un besoin ponctuel… Mais la prise en compte des trajectoires de vie et l’anticipation des besoins au vu des situations des usagers ne peuvent être indiquées aujourd’hui dans le formulaire qui, faut-il le rappeler, sert de filtre dans le traitement de la demande. Ce point pourrait permettre de concevoir un projet personnalisé de compensation le plus adapté possible aux attentes et besoins de la personne. L’approche adoptée par ces agents sociaux, à savoir renforcer l’écoute, analyser les situations, aller jusqu’au détail parfois pour mieux appréhender la situation de la personne, les inscrit dans la logique institutionnelle. Il est important ici de souligner l’importance de l’espace de négociation qui se joue à la fois dans la médiation des agents, mais aussi dans le filtrage implicite du document technique qu’est le dossier MDPH. Cela permet de mettre en perspective la manière dont est conçue la dynamique informationnelle pour l’institution simplement en amont dans le formulaire. Les limites de ce système sont de mettre l’agent dans une posture éthiquement difficile à tenir –partagée entre son empathie envers l’usager et les critères institutionnels conditionnant l’accès aux demandes de compensation. Ainsi (Bureau 2013 : 180) donne un exemple de pratique différente : une référente sociale, en charge du second rendez-vous à la MDPH explique qu’elle adopte une posture fortement prescriptive en demandant aux usagers de cocher les cases évaluées comme pouvant leur permettre d’obtenir une compensation au regard de leur situation. (Bureau 2009 : 180) souligne cette mise en tension dans laquelle se trouvent les agents sociaux par l’injonction paradoxale du cadre législatif qui permet : « […] de formuler des préconisations singulières en réponse aux besoins des personnes et la réalité d’un traitement de masse, en grande partie standardisé. ». Est-ce pour autant ce traitement de masse qui conditionne l’inégalité des modalités de médiation info-communicationnelle des agents sociaux ? Nous estimons que cela relève de l’éthique sociale et informationnelle de la profession. Sinon que signifie alors accompagner ? (Châtel 2009 : 127) met l’accent sur le fait qu’aujourd’hui le mot accompagnement s’est banalisé. Il explique ainsi que l’accompagnement se déploie tout au long de la vie, de la naissance jusqu’à la mort et concerne différentes dimensions de la vie de la personne (vie personnelle et affective, vie professionnelle, vie scolaire, etc.). La question de l’accompagnement en situation de vulnérabilité, selon les circonstances, va osciller entre le « vers » et le « avec » (Châtel 2009 : 132). Cet auteur insiste sur le fait que ce soutien n’est pas d’emblée un but à atteindre, il est davantage un mode d’accompagnement spécifique de la personne vulnérable. La recherche sur la manière d’appliquer des modèles de médiation info-communicationnelle dans les organisations, notamment dans les secteurs de la santé, social et médico-social mérite d’être approfondie. (Delor 2010 : 157) explique que « dans le travail social, l’éthique est avant tout un mouvement de déconstruction et reconstruction […] ». Cette réflexion devrait inclure un questionnement sur l’accompagnement pour reconfigurer la médiation dans une forme d’éthique à spectre large (éthique de l’accompagnement, éthique de l’information et de la communication, etc.).
Flux RSS
