1Ma participation à la Rencontre Enseignement-Défense, qui tisse un lien ténu entre l’enseignement supérieur et les Armées, a été le déclencheur de ma participation à cette session de formation IHEDN de la 236ème session "Politique de défense" en région Grand Est, du 16 janvier 2024 au 16 février 2024. Ce sont en effet les instances militaires avec lesquelles je suis en relation pour l’Université de Lorraine qui m’ont incitées à suivre cette session, ce que j’ai très vite accepté avec grand intérêt.

2Les sessions en région se déroulent sur 4 semaines, du mardi au vendredi, avec une semaine de césure entre la deuxième et la troisième semaine. Elles représentent au total 16 jours de formation, soit environ 121 heures. Elles sont organisées sur quatre territoires distincts de la région concernée à partir de quatre villes différentes, chaque région métropolitaine et ultramarine étant visitée. Les missions de l’IHEDN consistent notamment à promouvoir la culture de défense nationale et créer un réseau de réflexion sur ce thème, au-delà de la seule défense militaire souvent identifiée de prime abord, incluant les enjeux économique, industriel et de sécurité nationale et internationale. L’objectif est en effet de bien ancrer la formation dans la diversité des territoires et de se rendre au plus près des environnements des auditeurs, composés, d’une part, de cadres, de civils et de militaires, du public et du privé, et d’autre part, des autorités civiles et militaires de l’État.

Semaine 1

3Le 16 janvier, fébrile, je suis reçue à la Préfecture de la Moselle à Metz pour débuter ce mois de formation en compagnie de mes différents collègues, tous d’horizons très différents. Je suis enseignant-chercheur et je suis entourée de collègues du Secondaire et du Supérieur, et aussi de militaires des Armées de Terre, de Mer, de l’Air et de l’Espace, de fonctionnaires, d’élus, de chefs et cadres d’entreprise, le tout dans un savant équilibre de représentation. Ce panel d’acteurs issus d’univers très différents fait la richesse de cette expérience, vectrice de rencontres intellectuelles de qualité. Ainsi, nous serons durant ce mois, 43 auditeurs studieux et assidus, réunis ensuite en cinq comités de huit à dix personnes devant travailler sur une thématique imposée pour chaque groupe, sous la houlette des généraux, organisateurs de cette session. Cette période de quatre semaines, denses, intenses, solliciteront toutes nos ressources intellectuelles afin de suivre à la fois toutes les conférences qui nous ont été dispensées (19), ainsi que les visites de terrains militaires et les visites d’entreprises (15 au total) qui coopèrent avec l’Armée et également les centres de sécurité civile ou politique.

4Le Comité 3 auquel j’appartiens s’est emparé du sujet suivant : « dans un contexte international menacé par l’enchevêtrement de crises et alors que les intérêts européens semblent subsidiaires par rapport aux intérêts nationaux, comment préserver la coopération franco-allemande comme moteur de l’intégration européenne ? » afin de remettre un rapport d’une quinzaine de pages à l’issu de différents travaux de comité, qui ont pour objet de développer une réflexion collégiale sur un thème d’actualité, clôturé par une présentation orale de 40 minutes.

5Après les formalités d’accueil, nous assistons aux premières présentations du Préfet de Moselle, qui nous explique son rôle et ses principales actions au sein du département et nous facilite la compréhension des rouages entre le département dont il a la charge et les administrations centrales, comme être responsable de l’ordre public, être en étroite relation avec les élus, diriger les équipes de l’État, être médiateur en cas de conflits et être le gestionnaire des crises départementales ; viennent ensuite la présentation de la session régionale par les deux généraux et surtout le « Panorama de la Défense nationale et ses institutions ». Cette première conférence nous permet d’appréhender d’emblée le fonctionnement de l’État et la défense, les stratégies de défense et de sécurité nationale, les moyens humains et financiers, l’organisation du ministère des Armées au niveau central, l’organisation au niveau territorial et les différentes missions intérieures et extérieures. Je réalise dès cet instant que je ne maîtrise pas complètement le caractère global de la défense nationale et que cette immersion ne pourra être que bénéfique et instructive pour l’enseignante que je suis. Si j’avais encore un doute concernant ma place à cette session, en moins de deux heures, le doute était maintenant dissipé. Mes intérêts précis à suivre cette session devenaient limpides : comprendre l’aspect militaire et la géopolitique de notre monde actuel, cerner les enjeux géostratégiques, et également découvrir les choix de programmation militaire, la dissuasion, les conduites des Opérations intérieures, OPINT et Opérations extérieures, OPEX, sans oublier de planifier des réponses aux crises majeures et la lutte contre le terrorisme grandissant. Nous étions tous présents pour développer l’esprit de défense, nous sensibiliser plus encore aux questions internationales et mener des études et des réflexions en travaux de comité. Tout cela dans un contexte de fragilisation des démocraties et de la croissance des mouvements populistes, nationalistes et extrémistes, ainsi que de la montée de la menace terroriste dans le cadre de l’Union européenne.

6Les moyens humains du Ministère des Armées, effectifs civils et militaires cumulés, avoisinent les 270 000 personnes (à hauteur de plus de 76 % pour les militaires, dont 16% de femmes, et 23,5 % de civils, dont 39 % de femmes). Ce sont les militaires du rang qui dominent, suivis des sous-officiers, des officiers, et, des administratifs et des ouvriers pour le personnel civil. La répartition nationale montre la suprématie de l’Île-de-France, puis dans l’ordre décroissant, de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, la région Grand Est, la Nouvelle-Aquitaine et la Bretagne. Ces 5 régions regroupent à elles seules 67,50 % du total. (Figure 1). Les moins bien dotées sont les Départements et régions d’Outre-mer, DROM, et la moins bien dotée en métropole est la Corse, suivie de la Normandie, des Hauts-de-France et des Pays de la Loire. La région Grand Est est donc la troisième région française en termes de personnels militaires et civils. Cela s’explique à la fois par le passé historique de la région, très impliquée dans la Guerre de 1870, puis la Première et la Seconde Guerre mondiale ainsi que par sa position frontalière avec la Belgique, le Luxembourg, l’Allemagne et la Suisse. Si les frontières de l’est de la France étaient autrefois fermées du fait des conflits franco-allemands (cf. la Ligne Maginot), elles sont aujourd’hui perméables et même au centre des coopérations transfrontalières. Elles ont changé de statut, passant de répulsives à attractives et il convient tout de même d’en assurer le contrôle et la sécurité. Cependant, les zones de défense ne sont pas directement calquées sur les régions administratives mais elles sont au nombre de 7 pour le territoire métropolitain. En effet, depuis 2011, les Zones de défense et de sécurité, ZDS, sont placées sous le commandement d’un Officier général de zone de défense et de sécurité, OG-ZDS, relevant du Chef d’État-major des Armées, CEMA, Thierry Burkhard depuis le 07 juillet 2021. (Figure 2)

7Cette Organisation territoriale interarmées de défense, OTIAD, connait une organisation miroir pour l’organisation civile afin de coordonner les efforts civils et militaires. La région devient alors un cadre géographique aux intérêts communs. Le délégué militaire départemental représente l’OG-ZDS auprès des autorités civiles et des forces armées du département. Il conseille le préfet de région en matière de Défense, notamment en cas de crises. C'est aussi dans ce cadre que les forces armées peuvent, sur demande d'une autorité civile (un préfet), être amenées à prêter main forte à des opérations de secours, par exemple en cas de catastrophe naturelle. La zone de défense et de sécurité Est couvre donc deux régions (Bourgogne-Franche-Comté et Grand Est), représentant 18 départements regroupant 8,4 millions d’habitants. La ZDS-Est est placée sous les ordres d’un OG-ZDS qui assure également les fonctions de gouverneur militaire de Metz, commandant de la zone Terre Nord-est, et commandant des Forces françaises et de l’élément civil stationnés en Allemagne. Cette dernière ne comporte pas moins de 30 régiments (Metz, Besançon, Strasbourg, Épinal, Mourmelon, Mailly-le-Camp, etc.) et 3 bases aériennes (Saint-Dizier, Luxeuil-Saint-Sauveur, Nancy-Ochey).

8Le décor était planté et j’avais tout à apprendre : bien intégrer toute cette organisation stratégique, militaire et civile sur le territoire national, comprendre l’importance des missions ponctuelles comme celle de Héphaïstos (lutte contre les feux de forêts), des missions permanentes dévolues à la Marine nationale, l’armée de l’Air et de l’Espace, l’armée de Terre et le Service de santé des Armées, à l’image des missions de santé publique pour cette dernière composante. Comprendre aussi que l’Armée française est très présente à l’échelle planétaire, avec des forces pré-positionnées et déployées sur les autres continents et les mers et océans. Il me restait enfin à découvrir mes collègues du Comité 3 et la façon dont nous allions nous approprier le thème proposé par l’IHEDN, qui fait que nous ne verrons plus jamais les relations franco-allemandes comme avant cette session. Il allait se créer une véritable symbiose entre nous tous, chaque comité ne faisant plus qu’un lors des travaux ad hoc. Cette première journée allait donner naissance à une grande famille soudée à jamais : la famille de la 236^ème session, divisée en cinq comités comme autant de fratries.

9La semaine allait se poursuivre avec des conférences-débats sur le panorama du monde actuel, les nombreuses missions souvent ignorées de la Gendarmerie nationale (rassurer et protéger, enquêter et interpeller, sécuriser et maintenir l’ordre, intervenir et défendre, moderniser et innover), les enjeux civils de la ZDS régionale par Madame la préfète et la place des forces armées face à l’évolution de l’environnement conflictuel par l’officier général en charge du dossier, afin de bien cerner les enjeux présentés le premier jour de notre immersion. Cette intervention cible le contexte stratégique en évoquant aussi bien notre environnement stratégique sécuritaire qui se dégrade, les fragilités structurelles qui ne s’atténuent pas mais, au contraire, s’accumulent, avec, de surcroît, une extension permanente des domaines de conflictualité. Le monde est aujourd’hui en compétition, en contestation, et l’affrontement est perçu comme une solution pour certains États. Si par le passé, les champs de confrontation étaient uniquement terrestres, maritimes et aériens et comportaient une dimension économique et industrielle, ils sont également exo-atmosphériques, numériques et informationnels.

10Nous vivons en effet une période complexe et troublée, avec la reprise de l’Afghanistan par les Talibans le 15 août 2021, l’invasion russe massive de l’Ukraine le 24 février 2022, les attentats terroristes du Hamas en Israël le 07 octobre 2023, des tensions en Mer Rouge, des conflits en Afrique et au Moyen-Orient récurrents, l’inquiétude autour de Taiwan, qui font penser que la menace de guerre de haute intensité n’a jamais été aussi présente dans les esprits depuis 1945. De plus, la période que nous traversons montre de plus en plus de menaces sur la sécurité, à la fois alimentaire et énergétique, et également climatique avec des facteurs de risques accrus multipliant les réfugiés climatiques et, en parallèle, un fossé se creuse en termes d’inégalités à l’échelle planétaire. Les flux logistiques sont menacés, les risques géostratégiques s’accroissent à toutes les échelles. Dans ce contexte d’instabilité et de permanence de menaces, il s’agit de comprendre les enjeux de la guerre en Ukraine et d’en retenir les enseignements pour l’avenir. En effet, la modernité a fait évoluer la notion et le concept de guerre et de guerre de haute intensité.

11En parallèle, nous avons effectué deux visites mosellanes, tout d’abord au musée de Gravelotte, afin de bien comprendre la place de la guerre de 1870 dans la perception de ce département encore régit par le Concordat à l’instar des deux départements alsaciens – une guerre qui marque au fer rouge l’histoire de la Moselle – puis à la centrale nucléaire de Cattenom qui, avec 4 réacteurs à eau pressurisée de 1 300 MWh d’électricité faible décarbonée, couvre 70 % des besoins en électricité de la région Grand Est. Mise en service entre 1986 et 1991, la centrale de Cattenom participe activement au développement du tissu économique de la région et représente l’un des premiers employeurs du département avec 2 080 intervenants qui assurent au quotidien la production d’électricité. Comme enseignante, j’ai été particulièrement touchée par la présentation des missions « Armées-jeunesse » et le rôle du Service Militaire Volontaire (SMV), qui tient une place de choix dans la région avec une présence à Metz et à Châlons-en-Champagne. Ce SMV, d’une durée de 8 mois, a pour but de favoriser l’insertion professionnelle des jeunes de 18 à 25 ans exclus du marché de l’emploi. Les jeunes bénéficient ainsi d’une formation militaire, civique, scolaire et professionnelle, ce qui constitue une galaxie de dispositifs favorables pour leur avenir. La première semaine messine prenait fin, avec une insatiable envie d’entamer la deuxième.

Semaine 2

12La semaine commence avec un accueil à l’hôtel de ville de Reims mais des questions nous taraudent toutes et tous : internat ? chambre de deux ? quel compagnon de chambre ? Si ces considérations ne bouleversent pas les militaires, cela perturbe davantage les civils, pas réellement habitués à la vie collective. Nous avons une semaine à nous fréquenter, du petit-déjeuner à celui du lendemain : un challenge pour certains de la promotion. Puis la liste circule assez vite et les inquiétudes s’estompent pour laisser place à la reprise du travail, même si cette semaine, très dense, mise essentiellement sur les travaux de comité qui ont lieu tous les jours, poursuivis même après le dîner jusqu’à 22 heures. La consigne est claire : on assiste à des conférences et des visites mais on doit avancer dans nos recherches concernant notre problématique sur les enjeux de la préservation de la coopération franco-allemande dans le contexte actuel. Notre Comité 3 s’active, effectue des recherches, des lectures spécifiques, contacte des personnalités capables de nous renseigner sur le thème soumis à notre étude. Nous lisons beaucoup, nous nous cultivons, nous discutons, nous apprenons des autres, qui ont quelquefois des analyses et des visions différentes des nôtres, et nous proposons des pistes de réponses. Chacun s’approprie ensuite un thème de prédilection en fonction de ses affinités. Ainsi, j’aurai la charge de la place de la France et de l’Allemagne dans la construction européenne, de leur place dans l’économie, la démographie et la diplomatie, et d’une recommandation afin d’améliorer à la fois l’apprentissage de la langue allemande en France et la possibilité de multiplier les échanges franco-allemands chez les jeunes. En effet, les jumelages franco-allemands, qui sont les plus représentés à l’échelle de la France, sont aux mains des anciennes générations et il convient aujourd’hui d’y impliquer les plus jeunes.

13Les conférences comme les visites sont tout autant instructives que lors de la première semaine. Nous débutons par une intervention fort passionnante sur les grands enjeux de la Marine nationale. J’y apprends les grandes lignes de ses missions, comme dissuader, protéger, connaitre et anticiper, intervenir et prévenir, mais aussi les enjeux des forces de surface, sous-marine, aéromaritime et spéciales. Puis une conférence sur le Commandement de l’espace, CDE, du ministère des Armées et les enjeux de sécurité et de défense nationale dans le domaine spatial. L’espace est aujourd’hui un enjeu stratégique, puisqu’il est aujourd’hui au cœur de nos vies, avec les satellites qui ne sont pas uniquement dédiés à l’exploration spatiale et servent à la géolocalisation, aux télécommunications, aux médias et aux transports terrestres, maritimes et aériens. Ils sont au centre d’usages de plus en plus nombreux, mais les applications de défense se sont également développées, dans tous les domaines de surveillance. Les menaces sont multiples. La prolifération des débris spatiaux crée une pression inédite sur l’exploration spatiale. Le brouillage des communications, l’espionnage, les tirs de missiles, le sabotage, les attaques cyber, la déstabilisation de satellites adversaires constituent autant de risques contre lesquels les nations développent désormais une stratégie spatiale. Cette conférence est couplée avec une visite de l’entreprise Latitude, qui nous présente son projet de lanceur Zéphyr qui devrait effectuer son premier vol en 2025. Ces deux interventions s’insèrent dans le cadre de notre meilleure connaissance de la Base industrielle et technologique de défense, BITD, pilier de notre autonomie stratégique. Elle regroupe ainsi l'ensemble des entreprises de défense qui contribuent à concevoir et à produire les équipements pour les armées. La Direction générale de l'armement du ministère des Armées en est le pivot. Il en sera de même lors de la visite de ASI aviation, qui a démontré sa capacité à travailler sur des projets d’État ou militaires, non seulement en France mais aussi dans de nombreux pays étrangers et de ARESIA, qui participe au développement et à la fabrication des réservoirs de carburant externes de tous les chasseurs Dassault Aviation. Aujourd’hui encore, ARESIA produit et supporte les réservoirs pendulaires largables des Rafale et Mirage 2000. Par ailleurs, la visite du SDIS 51 a permis de percevoir le mode du fonctionnement du Centre de commandement et de la régulation menée par les pompiers.

14Les points d’orgue pour la novice que j’étais furent les visites du Centre d’entraînement au combat, CENTAC, à Mailly et la visite de l’Escadron de chasse de la base aérienne 113 de Saint-Dizier. Le centre d’entraînement au combat est une unité militaire unique qui organise des exercices exigeants pour entraîner les différents régiments de l'armée de Terre au combat interarmes. Ainsi, des exercices impliquant jusqu'à 900 militaires et environ 200 véhicules se succèdent. Ces derniers éprouvent les hommes et les chefs afin de leur permettre de fortifier leurs forces morales et de développer leur performance opérationnelle. Experts du combat interarmes et de ses principales dominantes, les cadres du CENTAC sont les garants du niveau d'exigence opérationnelle qui traduit la volonté de l'armée de Terre d'être une force aéroterrestre de premier plan. Je retiens une phrase, « la sueur épargne le sang », qui résonne en moi comme une vérité :  se préparer, s’entraîner au combat, revient à consolider la maîtrise des mécanismes de prise de décision et de réaction face à l’ennemi. J’ai eu l’opportunité, non, la chance de monter dans un char Leclerc, le premier char de combat qui représente l’essentiel d’un système d’arme novateur. Il constitue l’outil de coercition et de décision majeure de l’armée de Terre. Cela reste un grand moment inoubliable de se sentir au cœur du dispositif de défense.

15La BA 113 nous a permis d’admirer des Rafale, avion polyvalent, au sol comme en vol, et de retourner dans l’univers de Saint-Exupéry, dont je suis une fervente lectrice. La BA 113 est un outil de combat puissant et réactif. Elle assure en permanence le soutien à ses forces pour qu’elles s’entraînent efficacement et qu’elles puissent répondre immédiatement aux ordres donnés par le président de la République via les commandements opérationnels. Pour l’armée de l’Air et de l'Espace, la BA 113 contribue très largement à trois des cinq grandes fonctions stratégiques du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale que sont la dissuasion, la protection et l’intervention immédiate. Lorsque le colonel nous parle de son escadron, une phrase retentit en moi, « ensemble, vaincre et protéger par les airs ». Nous protéger fait partie de leur ADN. Il évoque les différentes missions avec force et conviction afin d’assurer la sécurité de notre espace aérien. Nous avons même eu la chance d’assister au retour d’un jeune pilote, fêté pour son premier vol en solo. Cette deuxième semaine se terminait sous les meilleurs auspices.

Semaine 3

16Après une semaine de césure pendant laquelle j’ai retrouvé mon université, j’étais de retour dans cette session mais sur le site d’Épinal désormais. Après un accueil chaleureux à la préfecture, nous avons continué à travailler à la rédaction de notre travail et avons réfléchi à notre oral que nous ferons à Strasbourg. Nous retrouvons le rythme, maintenant parfaitement maîtrisé, des conférences-débats, des visites et des travaux de comité. La première conférence était très attendue par la géographe que je suis, puisqu’il s’agissait de la présentation de la région Grand Est par l’INSEE, en termes de statistiques et de cartes. J’étais totalement dans mon élément et, comme l’écrivait Yves Lacoste, géographe, en 1976, « La géographie, ça sert, d’abord, à faire la guerre ». Ce titre d’ouvrage sera d’ailleurs réutilisé dans la conférence suivante sur les enjeux militaires de la zone de défense pour la zone Est et sa position stratégique. Puis nous écoutons les leçons de la guerre en Ukraine, qui dépeint un tableau pessimiste de la situation de ce pays situé aux portes de l’Europe, de l’Union européenne et de l’OTAN. En effet, l’Occident a trop longtemps négligé la dérive autocratique du régime de Vladimir Poutine et ses multiples actions belliqueuses en Tchétchénie et en Géorgie. Cependant, l’Occident n’imaginait pas une telle résistance ukrainienne, ni cette solidarité qui s’est mise en place autour de ce peuple agressé. En parallèle, les exercices de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord, OTAN, fondée le 04 avril 1949, se multiplient pour montrer aux Russes que les membres de cette organisation sont présents pour répondre aux attaques. La Suède a rejoint la Finlande et les trente autres membres d’une Alliance atlantique qui doit s’adapter urgemment aux mutations géostratégiques.

17Ces conférences nous confirment que les industriels de l’armement doivent faire un effort « durable » pour accompagner la mue du pays vers une économie de guerre et de comprendre les enjeux au moment où l’Ukraine se trouve en difficulté face à l’envahisseur russe, à l’image de la poudrerie Eurenco de Bergerac (Dordogne) qui a été propulsée au cœur de l’actualité par la guerre en Ukraine. C’est là que le gouvernement a décidé de relocaliser la fabrication de poudre et là aussi que s’est rendu le 26 mars 2024 le ministre des Armées, Sébastien Lecornu, afin d’illustrer l’effort de la nation en matière d’armement.

18Les visites, tout aussi enrichissantes, se poursuivent avec celle de l’usine Michelin de Golbey, à Épinal au cœur des Vosges, qui fabrique les renforts métalliques qui constituent la carcasse métallique du pneu. Cette usine produit et exporte des renforts métalliques (assemblages, câbles, tringles) à destination des usines européennes du Groupe principalement. Elle est l’une des 11 tréfileries du Groupe Michelin. Souvent trop peu connus, les renforts métalliques forment le squelette du pneumatique. Ils apportent résistance et rigidité afin de garantir la géométrie du pneu, assurer sa souplesse et transmettre les efforts tout au long de sa vie, et particulièrement lors des accélérations, des freinages et dans les virages. Le site fabrique 4 grands types de produits, du Fil Tringle Zingué, des tringles tressées, du Fil Assemblage Laitonné et des câbles laitonnés appelés assemblages. Je n’aurais jamais imaginé la complexité de la structure des pneumatiques, qui équipent à la fois nos véhicules personnels et les véhicules militaires. La Défense, aux mains du ministère des Armées, doit s’entourer d’entreprises maîtrisant la filière, aussi bien en amont qu’en aval.

19Enfin, la visite de la BA 133 de Nancy-Ochey nous a permis de cumuler conférence sur les grands enjeux de l’armée de l’Air et de l’Espace et visite de la base des Mirage 2000. Outre les explications précises d’un pilote de chasse nous expliquant ses missions quotidiennes et celles en OPEX, j’ai eu l’opportunité d’être aux commandes d’un simulateur de Mirage avec un bonheur incommensurable. La suite de la visite nous a permis de comprendre le rôle des militaires au sol, soutenant leurs collègues dans les airs. Il s’agit d’un travail de coopération Sol-Air de première importance rendant plus efficace les missions des pilotes. La cohésion prend ici tout son sens. La journée au 1^er Régiment de tirailleurs nous a plongé dans l’univers de l’armée de Terre, un régiment aux traditions particulièrement ancrées qui lui donne ainsi une saveur du passé, avec la tenue légendaire des tirailleurs et le fidèle bélier Messaoud XI, mascotte et véritable soldat à quatrepattes élevé au grade de caporal à l’arrivée du nouveau chef de corps, traditionnellement surnommé Caïd. La visite nous a permis de voir les armes utilisées, de discuter avec des jeunes recrues très impliquées dans la mission qui est la leur. Le travail de terrain, comme à Mailly-le-Camp prend une dimension prégnante. La sortie en Véhicule blindé de combat d’infanterie, VBCI, véhicules à roues fut l’occasion d’une nouvelle découverte du matériel militaire. Ce VBCI et ses équipements sont conçus pour être engagés au sein d’une force blindée. Le VBCI doit permettre le débarquement au plus près de l'objectif du groupe de combat et être en mesure de lui fournir un appui avec son armement de bord.

20Moi qui suis arrivée, fébrile, me demandant si j’étais vraiment à ma place, j’avais maintenant la certitude qu’il y aurait un avant et un après de cette session. L’expérience d’immersion était plus que positive, comme une véritable révélation. Elle me permettait de découvrir un monde que finalement je connaissais assez mal et qui me donnait envie d’en savoir encore plus. Un monde, certes, mais surtout des hommes et des femmes à l’engagement sans faille, aux valeurs chevillées au corps, qui étaient extrêmement investis, surtout dans la période de très fortes tensions et l’environnement géopolitique difficile. La troisième semaine s’achevait alors dans l’euphorie, avec l’envie de revenir dès le mardi suivant.

Semaine 4

21Cette semaine, à Strasbourg, allait être hélas la dernière, à la fois celle des remises de diplôme, apogée de notre session, mais aussi celle des adieux à venir… Non, pas réellement des adieux mais des « au revoir », car l’esprit de corps allait nous permettre de nous retrouver très vite. Cette semaine comportait moins de visites, au nombre de trois, mais une manne de conférences passionnantes avant la restitution de nos travaux de comité le vendredi. Les visites se déclinent par celle du Port Autonome de Strasbourg, deuxième port fluvial français avec un peu plus de 6 millions de tonnes et une position éminemment stratégique avec l’Allemagne, celle du Conseil de l’Europe et celle de SOFRAME, du groupe Lohr. La visite du Conseil de l’Europe tient une place toute particulière pour moi, car il a pour mission de promouvoir la démocratie, les droits humains et l’État de droit dans toute l’Europe et au-delà. Sa priorité absolue est de soutenir l’Ukraine face à l’agression de la Russie et contribuer à établir la responsabilité et à obtenir justice. Son rôle couvrant de nombreux spectres comme lutter contre les abus sexuels sur les enfants, la cybercriminalité, le racisme, la torture, etc., et également protéger les libertés et les droits sociaux, soutenir la société civile et relever les défis futurs, tels que l’intelligence artificielle ou l’environnement. Aussi, comprendre la sécurisation d’une telle organisation internationale de 46 États membres et de 675 millions de ressortissants revêt une dimension toute particulière. En effet, l’agression militaire commise par la Fédération de Russie contre l’Ukraine, qui a débuté le 24 février 2022, a changé la face de l’Europe et eu de profondes répercussions sur le Conseil de l'Europe. Depuis le tout début de cette attaque armée, le Conseil de l'Europe mobilise tous les instruments qui existent pour que la Fédération de Russie soit amenée à répondre pleinement des violations des droits humains et des violations graves du droit international, et pour que les victimes de l’agression russe puissent être indemnisées.

22Dans un tout autre registre, la visite de l’usine SOFRAME, groupe privé français installé en Alsace près de Strasbourg, spécialisé dans les secteurs de la Défense et de la Sécurité, nous a permis de voir le véhicule ARIVE, le véhicule blindé d’infanterie, véhicule polyvalent protégé dimensionné pour le transport d’un groupe de combat d’infanterie, des blindés multi-rôles et enfin le Centaure de la Gendarmerie nationale, un nouveau blindé pour la protection de la population.

23Près de 50 ans après le lancement des Véhicules blindés à roues de la gendarmerie, VBRG, le nouveau programme Centaure, qui prévoit le déploiement de 90 nouveaux blindés, est mis en œuvre. Déployé depuis 2022 au sein des premières unités, parmi lesquelles le Groupement blindé de la Gendarmerie mobile, GBGM, de Versailles-Satory, le Centaure a été pensé et conçu comme un blindé polyvalent pouvant transporter dix personnels (trois opérateurs et sept passagers) sur tout type de mission et tout type de terrain. Un véhicule innovant, intégré dans un programme éponyme en constante évolution. Fabriqués en Alsace, par SOFRAME, une entreprise française (la petite cigogne sur le rétroviseur, clin d’œil du fabricant, en atteste), les 90 véhicules du programme Centaure seront intégralement déployés d’ici à 2025 en métropole et en outre-mer.

24Les visites terminées, il faut se concentrer sur les multiples conférences égrainées au fil de la semaine. Difficile pour moi de toutes les développer. Dans l’ordre, nous entendrons une excellente analyse de la coopération Police-Douane franco-allemande, d’autant plus importante aujourd’hui dans le cadre d’une relation bilatérale intense qui se traduit par une concertation constante entre les deux États, sur les questions bilatérales, européennes et internationales. Puis, en un éclair nous nous retrouverons en République populaire de Chine afin d’en comprendre sa position dans le contexte international. La Chine est un pays obsédé par lui-même, qui veut devenir la première puissance mondiale, et a donc besoin de la paix pour y parvenir. La Chine présente deux faiblesses pour s’engager dans un conflit armé : elle ne dispose pas d’expérience de guerre et connaît une démographie en berne, voire inquiétante pour l’avenir. Puis nous filons au Moyen-Orient y analyser le rôle stratégique de la France pour en comprendre les enjeux stratégiques. L’ultime conférence de la journée, sur l’avenir des relations transatlantiques, menée avec brio, nous redonnera l’énergie nécessaire afin d’affronter l’évaluation individuelle qui nous attend et pour laquelle j’ai révisé moult fois les notes prises durant ces quatre semaines. Cette conférence nous plonge dans le rôle stratégique de l’OTAN qui, en tant qu’alliance politique et militaire, est un acteur majeur géopolitique au sein duquel la prédominance financière et militaire des Etats-Unis a pu être expliquée voire relativisée au regard du calendrier électoral américain. Puis vient le temps de l’épreuve individuelle. Elle est réussie par la totalité des auditeurs et l’heure est au soulagement et à la détente.

25Enfin, le grand jour arrive : celui de la restitution de nos travaux de comité durant 40 minutes. Les auditeurs arrivent, ponctuels, plus ou moins détendus, ayant toutes et tous sorti leurs plus beaux atours et uniformes. Les généraux qui doivent nous évaluer sont présents, au premier rang, et sont extrêmement attentifs à nos propos. L’exposé oral se déroule sans encombre et les huit valeureux auditeurs que nous sommes se passent rapidement le micro pour répondre le plus précisément à la salve de questions qui fusent dans l’auditoire. Puis viennent les applaudissements et la pression retombe. Les cinq comités défilent à la table d’auditions, avec des oraux de qualité. Arrive le déjeuner à l’Hôtel préfectoral, puis s’enchaînent la présentation des Associations régionales de l’IHEDN, le discours de Madame la préfète et le discours de clôture de la direction de l’IHEDN. Enfin, apogée de la journée, les studieux 43 auditeurs reçoivent chacun leur diplôme, dans une ambiance extrêmement chaleureuse, des mains des deux généraux qui nous ont fait l’honneur d’assister à nos prestations orales du matin. Le cocktail de clôture marque la fin de cette merveilleuse aventure. Les dernières photographies souvenirs se multiplient, les échanges d’adresses mails, les numéros de portable… Nous ne voulons plus nous quitter. Nous ne rêvons que d’une chose : nous retrouver au plus vite ! Nous ne faisons plus qu’un. Il n’y a plus 43 auditeurs venus d’horizons très différents mais une et indivisible 236ème session unie à jamais.

26L’apport intellectuel de cette session n’a d’équivalent que le bonheur qu’elle a pu m’apporter. Les nombreuses visites se sont quelquefois apparentées à un tourisme de défense, laissant place à des expériences sans précédents dont je garderai un souvenir ému, sans en oublier leur intérêt capital. Je n’oublie pas non plus les conférences-débats de qualité qui m’ont appris des modes de fonctionnement de la défense, civile ou militaire que j’ignorais et ont compété ma formation sur ceux que je pensais maîtriser sans pour autant en détenir toutes les informations. Les travaux de comité ont permis, outre de cerner les enjeux et défis de la coopération franco-allemande, de souder à jamais ce comité 3.

27 En plus de ces multiples apports, nous ne devons pas oublier que nous vivons aujourd’hui dans un monde où les enjeux de sécurité sont au cœur des préoccupations actuelles, autour de toutes sortes de menaces subies. Les frontières terrestres et encore plus les frontières maritimes seront les enjeux du XXI^ème siècle. Tous ces événements ont un impact à l’échelle nationale, européenne et internationale ainsi que des répercussions sur notre territoire métropolitain et ceux des Outre-mer. C’est un fait, les crises et les menaces se multiplient et la leçon à retenir de cette 236ème session régionale s’articule autour du mot clé « Stratégie ».

28MERCI de m’avoir permis d’intégrer cette 236ème session de l’IHEDN !