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Dossier

Les affaires du droit : Yves Dezalay et la construction du droit et de l’État

Legal Affairs: Yves Dezalay and the Construction of the Law and the State
Mikael Rask Madsen
Traducción de Lola Avril
p. 95-113

Resúmenes

Il ne fait guère de doute qu’Yves Dezalay et Bryant Garth ont fourni les travaux les plus aboutis conceptuellement et les plus approfondis de la mondialisation du droit à ce jour. D’une manière générale, ces recherches sont une mine d’informations empiriques et analytiques rarement rencontrées dans d’autres études sur de tels phénomènes structurels. Ce qui apparaît peut-être moins clairement dans la réception de ces recherches, ce sont les concepts analytiques sous-jacents développés par Dezalay et Garth. Bien que Dezalay puisse être dépeint comme plus enclin à conduire une enquête empirique, il a néanmoins développé un ensemble de concepts clés qui nourrissent son analyse et celle de Garth. Le présent article vise principalement à présenter ces concepts, puis à discuter de leur pertinence pour des objets de recherche différents de ceux étudiés d’ordinaire par Dezalay et Garth.

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  • 2 Dezalay Y., Marchands de droit. La restructuration de l’ordre juridique international par les multi (...)
  • 3 Par exemple Trubek D., Dezalay Y., Buchanan R. et J. R. Davis, “Global Restructuring and the Law: S (...)
  • 4 Dezalay Y., “The big bang and the law: the internationalization and restructuration of the legal fi (...)
  • 5 Des transformations similaires ont été observées ailleurs en Europe. Voir par exemple Madsen M. R., (...)

1Depuis le milieu des années 1980, Yves Dezalay a contribué de manière importante au renouvellement et au développement de la sociologie du droit. Explorant les processus de mondialisation du droit, il a commencé par étudier le bouleversement des professions juridiques dans le contexte de l’arrivée du modèle de la law firm américaine sur le continent européen 2. Il a élaboré, dans cette première enquête, certains des principaux thèmes de recherche qui ont depuis nourri son travail. Pour lui, l’adaptation de la profession d’avocat au format du grand cabinet a conduit à une américanisation de la pratique du droit des affaires. Cela nécessitait non seulement un ajustement au modèle organisationnel issu du « Cravathism » – selon les principes de management développés au sein du cabinet new-yorkais Cravath, Swaine & Moore dans la première moitié du xxe siècle – mais aussi une évolution des relations entre, d’une part, la doctrine universitaire et les praticiens du droit et, d’autre part, les entreprises et les cabinets d’avocats. Dans un ensemble de travaux pionniers, Yves Dezalay a montré, avec d’autres, comment la pratique professionnelle du droit a été fondamentalement transformée en Europe sous l’effet de ces processus, les avocats européens devant répondre à la concurrence des law firms américaines 3. La profession d’avocat a ainsi connu un « big bang » dans le domaine du droit des affaires 4, où les cabinets se sont transformés en imposantes structures telles que celles formant le magic circle des cabinets britanniques, les plus grands au monde à la fin des années 1990 5.

  • 6 Dezalay Y., Garth B., “The Import and Export of Law and Legal Institutions: international strategie (...)
  • 7 Voir de manière plus explicite dans The Internationalization of Palace Wars: Lawyers, Economists, a (...)
  • 8 Abbott A., The System of Professions: An Essay on the Division of Expert Labor, Chicago, University (...)
  • 9 Dezalay Y., « Les courtiers de l’international : Héritiers cosmopolites, mercenaires de l’impériali (...)
  • 10 Voir, par exemple Dezalay Y., Garth B., “From the Cold War to Kosovo: The Rise and Renewal of the F (...)

2L’apport sociologique majeur des travaux d’Yves Dezalay peut se résumer sous la forme suivante : l’importation d’une forme organisationnelle entraîne une transposition plus large de modes de production du droit particuliers, qui sont ensuite adaptés aux contextes locaux, entraînant une concurrence pour la domination du champ juridique 6. Dans le contexte du droit américain, Yves Dezalay et son collaborateur de longue date Bryant Garth ont étudié un mode de production spécifique et ses conditions d’existence, où les principaux acteurs sont issus de la trinité des écoles de droit prestigieuses, les law firms de Wall Street, et de l’establishment de la politique étrangère de Washington D.C. Les avocats les plus puissants ne sont pas de simples conseillers juridiques mais des agents aux multiples facettes, investissant simultanément plusieurs espaces : les affaires, l’université et la politique. À partir de l’étude de cette dé- ou re-construction de la profession d’avocat, le travail d’Yves Dezalay et de Bryant Garth est passé progressivement des recherches sur le barreau commercial à une enquête plus vaste conduite pendant plus de deux décennies sur le rôle des juristes dans la formation de l’État en Amérique latine et en Asie. Dans ces travaux de grande ampleur, leurs intuitions initiales sur les relations complexes entre le droit, l’université et la politique ont été analysées en termes de « guerres de palais 7 ». Ils ont notamment mis en évidence les stratégies impériales et professionnelles visant à transformer les champs du pouvoir nationaux. Selon eux, la transformation des États est en grande partie le fait des juristes et de leurs concurrents immédiats en matière de savoir de gouvernement, notamment les économistes, bien que les formes prises par cette concurrence puissent varier. Inspiré par le sociologue américain Andrew Abbott, Yves Dezalay a complété son analyse en portant un intérêt aux « batailles territoriales » professionnelles – les conflits de juridiction 8. Les avocats étudiés ne sont pas des professionnels unidimensionnels : ce sont plutôt des acteurs aux multiples facettes, souvent tour à tour marchands de l’impérialisme et missionnaires de l’universel 9. En ce sens, l’idéalisme et l’intérêt économique ne sont jamais entièrement séparés dans ces récits 10. Bien au contraire, c’est précisément la combinaison de stratégies politiques (souvent impériales) et d’intérêts professionnels qui marque la transformation complexe des États du Sud.

  • 11 Munger F., “Globalization through the Lens of Palace Wars: What Elite Lawyers’ Careers Can and Cann (...)

3Il ne fait guère de doute qu’Yves Dezalay et Bryant Garth ont fourni, comme cela a été souligné, « les travaux les plus aboutis conceptuellement et les plus approfondis de la mondialisation du droit à ce jour 11 ». D’une manière générale, ces recherches sont une mine d’informations empiriques et analytiques rarement rencontrées dans d’autres études sur de tels phénomènes structurels. Ce qui apparaît peut-être moins clairement dans la réception de ces recherches, ce sont les concepts analytiques sous-jacents développés par les deux auteurs. Bien que Dezalay puisse être dépeint comme un théoricien un peu timide, c’est-à-dire plutôt enclin à l’enquête empirique avec Bryant Garth dans les coins les plus reculés du monde, il a néanmoins développé un ensemble de concepts clés qui nourrissent leurs analyses. Le présent article vise principalement à présenter ces concepts, puis à discuter de leur pertinence pour des objets de recherche différents de ceux étudiés d’ordinaire par ces auteurs.

4Seront d’abord traités quelques concepts fondamentaux des travaux ici considérés, en particulier l’utilisation des notions de classe sociale et de double jeu. Puis, il s’agira d’explorer leur pertinence générale pour l’étude de la mondialisation du droit et des avocats. En m’appuyant sur mes propres recherches empiriques portant sur la création de cours internationales, je soutiens que la méthodologie et les outils de recherche développés sont particulièrement adaptés à la compréhension de l’émergence de nouveaux champs. Ils sont en revanche un peu moins convaincants lorsqu’il s’agit de pratiques plus institutionnalisées et – au sens wébérien – routinisées. Enfin, seront abordés les principaux apports de l’approche dezalayenne pour les processus de formation du droit et des États.

Comprendre l’hypocrisie du droit

Classe sociale et double jeu

  • 12 Dezalay Y., Garth B., “Merchants of Law as Moral Entrepreneurs: Constructing International Justice (...)

5L’un des ouvrages les plus importants d’Y. Dezalay est son exploration de l’arbitrage commercial international, qu’il a publié avec B. Garth en 1996 sous le titre Dealing in Virtue 12. S’appuyant sur un travail de terrain approfondi et multi-site, les auteurs montrent comment la configuration contemporaine de l’arbitrage commercial international est le résultat d’une concurrence entre une élite historiquement établie, essentiellement européenne, et l’émergence d’un nouveau groupe d’avocats, principalement américains. Dans une perspective wébérienne, il s’agit d’un choc de rationalités entre une élite originelle s’appuyant sur une forme de droit savant, difficile d’accès pour des étrangers ne connaissant pas la culture juridique universitaire latine et européenne, et une nouvelle élite technocratique s’appuyant principalement sur les capitaux méritocratiques et le droit de Wall Street. Bien que Max Weber ne soit jamais loin dans l’analyse de ces auteurs, leur compréhension du phénomène est principalement bourdieusienne. Ils observent ainsi que l’ancienne élite possède non seulement un capital culturel mais également un capital social importants. Ses membres maîtrisent le langage complexe et archaïque de la lex mercatoria et sont passés maîtres dans l’art de combler les trous de ce réseau lacunaire de normes juridiques. Ils n’ont guère besoin d’institutions puisqu’ils disposent des réseaux sociaux et des compétences nécessaires pour résoudre des conflits de plusieurs millions de dollars dans les suites d’hôtels cinq étoiles de nombreuses capitales européennes, de Stockholm à Genève en passant par Paris. Les nouveaux venus dans ce monde, les lawyers américains, ne possèdent pas ces capitaux exceptionnels et quasi-aristocratiques. Pourtant, ils apportent quelque chose de différent, à savoir la technologie juridique moderne telle qu’elle a été développée au sein des law firms de Wall Street. Ils s’appuient sur de nouvelles institutions et mettent en avant le droit commercial et le droit des contrats américains. Le résultat de ces conceptions concurrentes, et des divisions qui en résultent, est une transformation du domaine de l’arbitrage commercial international en un espace polycentrique composé de différents pôles d’arbitrage et de formes de résolution des conflits dont le livre fournit une description quasi-ethnographique.

  • 13 Dezalay Y., Garth B., The Internationalization of Palace Wars: Lawyers, Economists, and the Contest (...)
  • 14 Dezalay Y., Garth B., Asian Legal Revivals: Lawyers in the Shadow of Empire, Chicago, University of (...)
  • 15 Yves Dezalay estime qu’il a réalisé près de 4 000 entretiens au fil des années, dans le monde entie (...)
  • 16 Voir par exemple : Huntington S. P., Who are We? America’s Great Debate, New York, Free Press, 2005 (...)
  • 17 On ne s’attardera pas ici sur la célèbre notion bourdieusienne de champ. Sur son application dans l (...)

6Dealing in Virtue livre également un ensemble de réflexions analytiques qui ont été approfondies dans des travaux ultérieurs, notamment dans l’enquête à grande échelle sur le rôle d’agents doubles et de courtiers des avocats dans la transformation des États d’Amérique latine dans le contexte de l’économie néo-libérale et des droits de l’homme 13 mais aussi dans l’étude connexe du droit, de l’impérialisme et de la transformation des États asiatiques 14. Que ce soit dans Dealing in Virtue ou dans leurs travaux ultérieurs, les auteurs insistent sur l’importance du capital social et, en définitive, de la classe sociale des juristes. L’approche empirique qui sous-tend les trois travaux mentionnés, consistant en des entretiens semi-directifs à grande échelle sur de multiples terrains, leur permet de mettre au jour ce qui est souvent absent des études des phénomènes juridico-politiques transnationaux, à savoir les origines sociales, les intérêts et la classe. L’accent mis sur la classe sociale en tant que moteur de changement est un héritage tout à la fois des théories de Pierre Bourdieu relatives au capital et du modèle beaucoup plus structurel des systèmes-monde d’Immanuel Wallerstein. La perspective bourdieusienne est explicite lorsque Y. Dezalay et B. Garth construisent une sociologie des élites transnationales à partir de milliers d’entretiens réalisés dans le monde entier 15. Si d’autres chercheurs ont également étudié le phénomène des élites transnationales 16, Y. Dezalay et B. Garth, grâce à leur méthodologie qualitative « extensive », parviennent mieux que d’autres à saisir les attributs sociaux des principaux acteurs et la manière dont ces caractéristiques structurent les habitus sociaux et professionnels des acteurs internationaux. Cependant, leur but n’est pas d’explorer la socio-psychologie des acteurs. Ils utilisent plutôt cette mine d’informations pour comprendre les ressources et les visions du monde qui ont pesé sur la formation d’un nouveau champ en particulier 17. Il s’agit en somme d’une sorte de micro-sociologie ayant une ambition structurelle.

  • 18 Il faut comparer cette méthode avec la version plus institutionnaliste de la sociologie bourdieusie (...)
  • 19 La méthodologie est analysée plus en détail dans Madsen M. R., “Reflexivity and the Construction of (...)
  • 20 Dezalay Y., Garth B., The Internationalization of Palace Wars: Lawyers, Economists, and the Contest (...)

7Une brève remarque sur la méthodologie appliquée par Y. Dezalay et B. Garth est nécessaire pour comprendre la particularité de leur approche théorique et méthodologique. Inspirés par la notion d’habitus de P. Bourdieu, tout en en faisant un usage différent, ils ont développé une méthodologie faisant des biographies collectives un outil de comparaison des éléments des trajectoires individuelles pour appréhender l’espace social total d’un champ. Cette approche, qui est une forme de prosopographie des temps modernes reposant sur des entretiens, leur permet de cartographier les espaces sociaux du droit à travers la combinaison et l’accumulation des trajectoires des principaux agents 18. Les concepts bourdieusiens fondamentaux, tel que celui de capital (social, scolaire, politique, juridique, etc.), sont ensuite utilisés pour identifier les processus de (re-)formation des élites juridiques. Grâce à cette approche, Y. Dezalay et B. Garth peuvent ensuite évaluer les différentes ressources – types de réseaux, compétences, etc. – qui ont été essentielles à la création de positions dans des champs particuliers. Cette approche comporte un élément généalogique, car ils se servent de ces outils de recherche pour déterminer comment un domaine nouveau (et contesté) du droit se constitue progressivement. En retraçant la structuration du champ, ils mettent en évidence les étapes de cette transformation et la manière dont celle-ci peut être rendue intelligible en recourant à l’étude des trajectoires et des pratiques des agents ayant des intérêts dans ces champs 19. Les mutations du champ, selon eux, reflètent en grande partie la manière dont les formes variées de capitaux et de ressources ont réussi à s’imposer. Les trajectoires des acteurs permettent de décrypter les luttes qui s’y sont déroulées à différentes étapes de sa structuration 20.

  • 21 Haas P. M., “Introduction: epistemic communities and international policy coordination”, Internatio (...)

8C’est à partir de ces données fouillées sur le milieu social et les intérêts des acteurs que la deuxième contribution clé d’Y. Dezalay et de B. Garth apparaît, à savoir la notion de double jeu. La plupart des recherches sur les acteurs transnationaux tendent à les considérer comme étant plutôt unidimensionnels, c’est-à-dire comme des individus luttant pour des intérêts ou des causes particulières, qu’il s’agisse des droits de l’homme, de l’environnement ou du capitalisme mondial. C’est le cas, par exemple, de l’approche reposant sur l’étude des communautés épistémiques, développée par Peter M. Haas, qui consiste à étudier des collectifs d’experts de même sensibilité et analyser leur impact politique 21. Selon P. M. Haas, ces acteurs partagent non seulement des représentations quant aux modalités de validation et aux critères internes de la « vérité », mais aussi des intérêts politiques collectifs ainsi que des croyances normatives. Partageant ainsi une épistémè, cette communauté dispose d’une expertise collective dans un domaine particulier, qui permet de revendiquer un savoir pertinent sur les politiques publiques du domaine en question. Si Y. Dezalay et B. Garth partagent avec P. M. Haas l’idée que les experts jouent des rôles importants dans la politique internationale, ils sont en revanche plus sceptiques quant à la représentation de ces experts comme un groupe homogène, que ce soit dans les domaines de politiques publiques concernés, ou même dans leur propre domaine de compétence. Reprenant la notion de champ développée par P. Bourdieu, qu’ils associent à celles de juridiction et de bataille de territoire d’A. Abbott, Y. Dezalay et B. Garth ont plutôt tendance à considérer ces experts comme des concurrents, porteurs d’agendas et de capitaux sociaux différents. Cela est remarquablement démontré dans Dealing in Virtue et la description de la constitution de l’arbitrage commercial international comme résultat des agendas conflictuels des avocats.

Batailles territoriales ! Les stratégies impériales et professionnelles

  • 22 Keck M. E., Sikkink K., Activists Beyond Borders: Advocacy Networks in International Politics, Itha (...)
  • 23 Ibid.
  • 24 Madsen, M. R., “Reflexivity and the Construction of the International Object: The Case of Human Rig (...)
  • 25 Dezalay Y., Garth B., The Internationalization of Palace Wars: Lawyers, Economists, and the Contest (...)
  • 26 Ibid.

9Les travaux d’Y. Dezalay et de B. Garth sont peut-être plus proches de l’approche des « réseaux transnationaux de plaidoyer » développée par Kathryn Sikkink et Margaret Keck 22. Sur la base d’une étude sur l’émergence d’un réseau transnational de défense des droits de l’homme en Amérique latine, les autrices ont théorisé le pouvoir des réseaux. Les réseaux de plaidoyer transnationaux, variantes des communautés épistémiques, sont des réseaux « organisés pour promouvoir des causes, des principes et des normes, impliquant souvent des individus qui préconisent des changements de politiques publiques qui ne peuvent être aisément rattachés à une compréhension rationaliste de leurs “intérêts” 23 ». Du point de vue d’Y. Dezalay et B. Garth, cette approche souffre des mêmes lacunes que celle de Haas. Elle ne permet pas de comprendre l’évolution de la structuration de ces réseaux, ni les luttes qui les traversent. Si M. Keck et K. Sikkink identifient à juste titre les structures de communication d’un ensemble croissant d’acteurs transnationaux convergeant sur des questions spécifiques, leur approche ne tient pas compte des conflits et affrontements internes qui sont très souvent au cœur de la transformation de ces réseaux 24. Dans leurs propres travaux sur l’évolution des droits de l’homme, par exemple, Y. Dezalay et B. Garth montrent que les dynamiques de la Guerre froide sont des facteurs explicatifs essentiels pour comprendre les conflits internes des ONG de défense des droits de l’homme 25. Selon eux, l’évolution de ces ONG spécifiques – depuis la Commission internationale des juristes, jusqu’à Amnesty International en passant par Human Rights Watch – n’est pas simplement une question de croissance organique et d’expansion d’un réseau. Il s’agit d’une lutte politique pour être le porte-parole principal des droits de l’homme et avoir le pouvoir de définir le secteur concerné 26.

  • 27 Pour une discussion de la théorie juridique complexe dans la perspective de la théorie bourdieusien (...)
  • 28 Voir les chapitres introductifs dans Dezalay Y., Garth B., Asian Legal Revivals: Lawyers in the Sha (...)
  • 29 On s’appuie évidemment ici en partie sur les écrits de Bourdieu sur l’État. Voir par exemple Bourdi (...)
  • 30 Dezalay Y., Madsen M. R., “The Force of Law and Lawyers: Pierre Bourdieu and the Reflexive Sociolog (...)
  • 31 Madsen M. R., La genèse de l’Europe des droits de l’homme : Enjeux juridiques et stratégies d’État (...)
  • 32 Bourdieu P., Christin O., Will P.-E., « Sur la science de l’État », Actes de la recherche en scienc (...)

10Contrairement à des approches inspirées par les mouvements sociaux, celle d’Y. Dezalay et de B. Garth est plus résolument centrée sur le pouvoir. Leur travail invite à construire la profession d’avocat et ses précieuses vertus collectives et à reconstruire les liens entre les avocats individuels, ou des segments de la profession, avec d’autres domaines de pratique (politique, économique, etc.). En d’autres termes, les avocats n’ont que rarement – voire jamais – une action tournée vers une cause unique ; ce sont plutôt des experts de la conciliation des intérêts professionnels et politiques. Y. Dezalay et B. Garth vont ainsi à contre-courant de la conception traditionnelle de la profession d’avocat, qui la considère comme un ensemble cohérent voire, plus récemment, comme un complexe juridique 27. Au contraire, ils cherchent à comprendre l’hypocrisie inhérente à la plupart des pratiques juridico-politiques, une hypocrisie qui a des racines historiques évidentes. Le rôle des avocats dans la formation de l’État pré-moderne et moderne explique en partie le double jeu des avocats dans la politique et la société contemporaines 28. Selon cette perspective, le droit est à la fois une construction historique et sociale produite en partie par des acteurs juridiques en concurrence avec d’autres acteurs et un discours de pouvoir, composante clé de l’État moderne contribuant à sa légitimité et à son autorité 29. Le droit a en outre lui-même deux facettes : il offre à la fois des aspirations universelles et des solutions pratiques, comme l’illustre la relation toujours complexe qu’entretient le monde universitaire du droit avec les sciences fondamentales et appliquées 30. Les droits de l’homme fournissent une belle illustration de ce double rôle du droit tant ils ont permis d’œuvrer, depuis l’avènement des Révolutions française et américaine, à la fois à la limitation du pouvoir de l’État et à la légitimation de l’expansion monumentale de celui-ci 31. Pour paraphraser P. Bourdieu, les droits de l’homme sont à la fois une science de et pour l’État 32.

11On retrouve ces réflexions dans leur analyse du rôle des juristes dans la fabrique de l’État en Amérique latine et en Asie. Ils étudient plus particulièrement ce qu’ils appellent les « guerres de palais » : les stratégies impériales et professionnelles visant à transformer les champs du pouvoir nationaux. Cette analyse suppose notamment un examen de l’expertise et des idéaux, ces derniers étant souvent importés des anciennes métropoles coloniales. Dans nombre de leurs études de cas, ils démontrent comment les révolutionnaires postcoloniaux ont fréquemment eu recours aux connaissances acquises dans la métropole pour construire de nouveaux États, pour s’opposer aussi bien à l’empire colonial qu’aux opposants politiques ou professionnels. Ils observent une similitude – une sorte de continuité historique – avec la façon dont les premiers juristes européens ont réussi à se construire un espace de gouvernance autonome entre le roi et l’Église, en partie en dressant l’Église contre le roi et en utilisant le roi contre l’Église. Les juristes occupent donc une place centrale dans l’analyse d’Y. Dezalay et de B. Garth sur les guerres de palais, à la fois comme intermédiaires entre les factions politiques et idéologiques et comme acteurs poursuivant leurs propres intérêts, cherchant à se ménager une position au cœur des nouvelles structures étatiques. C’est ici ce double jeu – ou double agency – qui devient un facteur explicatif clé. Dès lors, on comprend mieux pourquoi les trajectoires et intérêts individuels et collectifs sont constamment entremêlés.

  • 33 Dezalay Y., Garth B., Asian Legal Revivals: Lawyers in the Shadow of Empire, op. cit., pp. 26-27.
  • 34 Sarat A., Scheingold S., Cause Lawyering: Political Commitments and Professional Responsibilities, (...)
  • 35 Madsen M. R., Dezalay Y., “The Power of the Legal Field: Pierre Bourdieu and the Law”, op. cit., p. (...)
  • 36 Dezalay Y., « Les courtiers de l’international : Héritiers cosmopolites, mercenaires de l’impériali (...)

12Les juristes ne jouent bien sûr pas toujours le même rôle. À cet égard, il s’agit plutôt d’articuler trois rôles idéaux-typiques 33. Le premier est le juriste comme clerc, qui, en puisant dans un capital savant, devient un technicien au service des grandes entités politiques, du pouvoir politique à l’Église. On retrouve ce modèle dans la tradition française, avec la figure des notaires par exemple, mais aussi dans le modèle de la bureaucratie centralisée prussienne fondé sur la connaissance du droit et la hiérarchie. Le second modèle est celui du juriste médiateur, où le capital savant est associé au capital relationnel, permettant au juriste de jouer le rôle de médiateur dans les conflits. La figure du barrister anglais et sa relative autonomie professionnelle en est une bonne illustration, mais on le trouve aussi en abondance dans les guerres de palais internationales. Le troisième est le juriste comme porte-parole des groupes émergents. La France est le berceau de ce type d’activisme juridique, mais comme l’ont montré des études sur les cause lawyers, le modèle s’est répandu dans le monde entier 34. Dans tous les cas, la capacité du juriste à jouer ces différents rôles tient à sa connaissance du droit et au pouvoir spécifique du capital juridique dans la société. Le capital juridique est une « forme particulière de capital symbolique objectivé et codifié, construit tout au long de l’histoire de l’État » ou, pour le dire autrement, la valeur générale et objectivée de la connaissance du droit dans la construction et la reproduction de l’État 35. Il faut souligner que dans l’analyse d’Y. Dezalay et B. Garth, les avocats jouent rarement – sinon jamais – un seul rôle. Parmi les bâtisseurs et messagers de l’international, on constate que les « missionnaires de l’universel » sont aussi parfois les « mercenaires de l’empire » – et inversement 36. Le pouvoir du droit et des juristes est, en d’autres termes, largement tributaire de la possibilité de jouer plusieurs jeux simultanément, mais sans que cela ne compromette le capital collectif que représente le fait d’être juriste.

Jusqu’où Dezalay peut-il voyager ?

13De façon générale, les recherches d’Y. Dezalay et de B. Garth se sont focalisées sur des pratiques ou des champs nouveaux et émergents. Cela est particulièrement remarquable dans leurs recherches sur les grands cabinets d’avocats et l’arbitrage commercial international, dans lesquelles ils retracent la création et la restructuration de ces espaces. Mais même dans les travaux sur les juristes et la formation de l’État en Amérique latine et en Asie, l’accent est mis sur les ruptures sociales majeures, des moments où les questions institutionnelles sont plus susceptibles d’être débattues et de connaître des transformations. Il ne s’agit donc pas seulement d’une sociologie du changement juridique axée sur les entrepreneurs et les élites juridiques ainsi que leur double agency ; c’est aussi une forme de sociologie qui privilégie l’agency par rapport aux pratiques institutionnelles (et institutionnalisées).

  • 37 Weber M., Wirtschaft und Gesellschaft. Grundriss der verstehenden Soziologie, Tübingen, Mohr, 1980.
  • 38 Yves Dezalay en parle ouvertement dans de nombreuses publications, y compris celles où il est plus (...)
  • 39 Sur la prolifération des cours internationales, voir : Alter K. J., The New Terrain of Internationa (...)

14Comme en témoigne le succès de leurs recherches, cette approche a très efficacement servi ses propres objectifs. La question reste cependant de savoir si elle peut également être appliquée de manière plus large et dans le contexte d’autres pratiques juridiques plus institutionnalisées et stabilisées. Si les sociologues accordent souvent une grande importance aux moments de changement et de reconfiguration sociale, la plupart d’entre eux s’accordent à dire que la vie sociale est surtout un processus d’institutionnalisation et de reproduction. M. Weber est célèbre pour avoir décrit la « routinisation du charisme », en soulignant les processus par lesquels la grandeur et les élans initiaux des fondateurs se muent en pratiques spécialisées ainsi que – dans le cas du droit – en pratiques répétitives et, idéalement, prévisibles 37. Y. Dezalay et B. Garth accordent indéniablement une importance plus grande au charisme qu’à la routine. En effet, la plupart des champs étudiés par Y. Dezalay et ses coauteurs sont des champs transnationaux peu institutionnalisés où des individus fortement dotés en capitaux sociaux les plus divers sont en position de jouer un rôle démesuré 38. Mais comment cette approche s’adapte à des champs marqués par un processus d’institutionnalisation ou des tentatives d’institutionnalisation, comme les nombreux nouveaux champs juridiques transnationaux qui se développent autour du nombre croissant de cours et instances juridictionnelles internationales 39 ? La question est ici de déterminer si Y. Dezalay et B. Garth ont développé une approche socio-juridique particulièrement adaptée à leurs propres intérêts empiriques ou si celle-ci se prête également à d’autres terrains empiriques.

15Je vais maintenant appliquer certains des principes fondamentaux de la théorie et de l’approche d’ Y. Dezalay et B. Garth aux espaces transnationaux judiciarisés, aussi bien ceux plus récents que plus anciens. L’objectif est de tirer profit du pouvoir explicatif du modèle d’Y. Dezalay dans des environnements socio-juridiques transnationaux, sans doute différents et plus institutionnalisés que ceux qu’il a étudiés.

La création de la Cour Caribéenne de Justice (CCJ) au croisement des routes transatlantiques

  • 40 Alter K. J., “The Global Spread of European Style International Courts”, West European Politics, vo (...)
  • 41 Par exemple, Berry D., Caribbean Integration Law, Oxford, Oxford University Press, 2014 ; Caserta S (...)
  • 42 O’Brien D., “CARICOM: Regional Integration in Post-Colonial World”, European Law Journal, vol. 17, (...)
  • 43 Caserta S., International Courts in Latin America and the Caribbean: A Study in Foundations and Aut (...)

16À première vue, la création de la CCJ semble s’inscrire dans le schéma général de prolifération des cours internationales (CI) de l’après-guerre froide, où une multitude de CI nouvellement créées empruntent des caractéristiques institutionnelles de la Cour européenne de justice (CEJ) 40. La littérature sur la CCJ tend également à présenter la Cour en termes plutôt fonctionnalistes. Elle souligne que les États membres du Marché commun des Caraïbes (CARICOM) ont créé la Cour afin d’assurer un meilleur respect des lois et règlements de la CARICOM, leur non-respect ayant entravé le système depuis sa création en 1973 41. La démarche apparaît comme une entreprise rationnelle et fonctionnelle, visant à atteindre les objectifs principaux de la CARICOM. Cependant, lorsqu’on adopte la perspective d’Y. Dezalay et de B. Garth, qui mettent l’accent sur les élites juridiques et le pouvoir, on obtient un récit tout autre qui permet de bien mieux rendre compte des défis liés à la création de la Cour et des difficultés qui en découlent pour en faire une institution efficace. Tout d’abord, la création de la Cour est un processus long et laborieux, profondément imbriqué dans les processus plus larges de décolonisation caribéenne au sein de l’empire britannique 42. En fait, les premières propositions pour une juridiction caribéenne locale remontent à 1901. Ces premières propositions sont motivées par une opposition au régime colonial et avancent des moyens très concrets de décolonisation en remplaçant le Comité judiciaire du Conseil privé (Privy council) à Londres par une cour suprême locale. Le Comité judiciaire du Conseil privé a longtemps été la plus haute juridiction pour les questions relatives aux possessions impériales du Royaume-Uni. Ensuite, si la mondialisation a pu favoriser la création de la Cour, facilitant l’importation des caractéristiques d’institutions similaires et l’alignement de la CARICOM sur d’autres systèmes d’intégration économique régionale, l’élan décisif fut en grande partie motivé par la peur. De nombreux États de la Caraïbe avaient observé comment les marchés traditionnels, notamment au Royaume-Uni, s’étaient réorientés vers l’Europe et plus généralement vers d’autres régions que les Caraïbes. Il fallait donc impérativement présenter la région comme un marché viable et cohérent, régi par un code de droit commun 43. Cette nécessité est au centre du projet qui a conduit à la création de la CCJ.

  • 44 La première faculté de droit a été créée en 1970 à la Barbade.

17Ce projet est néanmoins contrecarré pendant des décennies par une élite d’avocats caribéens formés en Angleterre et jouant un double jeu impliquant à la fois le Royaume-Uni et les Caraïbes. Ces avocats, tous proches de l’establishment juridique londonien, y ont des intérêts professionnels (et personnels). Plus concrètement, on peut observer une lutte de pouvoir permanente entre deux groupes d’avocats issus de l’élite mais ayant chacun des conceptions très différentes en ce qui concerne l’intégration des Caraïbes par le droit. Historiquement, un groupe relativement petit mais puissant de juristes formés dans les meilleures universités britanniques domine le droit dans les Caraïbes 44. Tout en recevant une formation juridique au Royaume-Uni, nombre de ces aspirants avocats des Caraïbes développent une conception du droit caribéen, à la fois comme extension du droit anglais et comme outil d’émancipation pour une indépendance totale de l’ancienne puissance coloniale. Bien qu’ils découvrent le potentiel émancipateur du droit, ils s’intègrent, pour la plupart, idéologiquement et professionnellement dans l’establishment juridique anglais, et adoptent une posture réservée à l’égard des connaissances et des institutions juridiques locales. Nombre de ces avocats transatlantiques sont donc sceptiques quant à l’idée d’une cour caribéenne commune. Remplacer le Conseil privé par une cour indigène risquerait, selon eux, d’abaisser les standards du droit dans les Caraïbes. Mais, probablement plus important encore, la domestication du droit dans les Caraïbes compromettrait leur position privilégiée. Celle-ci repose sur une maîtrise de la common law, conçue en Angleterre et toutefois pratiquée dans les Caraïbes par cette élite juridique tout à la fois locale et transnationale.

  • 45 Dans le cadre d’un tournant général vers les droits de l’homme au Royaume-Uni. Voir par exemple : K (...)
  • 46 Caserta S., Madsen M. R., “Between Community Law and Common Law: The Rise of the Caribbean Court of (...)

18À partir des années 1970, le pouvoir de cet establishment juridique transatlantique a cependant été progressivement contesté. Un nouveau groupe d’avocats caribéens émerge alors, formé à la faculté de droit nouvellement créée de l’Université des Antilles. Ces acteurs n’ont pas les mêmes intérêts politico-professionnels au maintien du modèle du Conseil privé comme cour suprême des Caraïbes. En raison de leur formation juridique dans les Caraïbes et de leur expérience locale, ces avocats ont également une attitude plus favorable à l’égard de la création d’une cour caribéenne qui non seulement remplacerait le Conseil privé, mais fournirait également le cadre institutionnel à la création d’un projet d’intégration régionale post-colonial performant. Les observations empiriques et les entretiens avec ces acteurs révèlent que ces positions professionnelles et idéologiques concurrentes sont demeurées conflictuelles jusqu’au début des années 2000. La reconfiguration des positions ne s’est opérée que lorsque le Conseil privé a commencé à susciter une résistance plus large parmi les avocats locaux, y compris parmi les élites traditionnelles, dans le contexte d’un mouvement marqué en faveur du droit international de protection des droits de l’homme 45. Ce sont les décisions du Conseil privé relatives à la peine de mort qui ont joué le rôle de déclencheur, jugeant l’administration et les retards dans les procédures liées à la peine de mort dans les Caraïbes inacceptables au regard des normes anglaises et internationales en matière de droits de l’homme. Cela a créé une dynamique pour la formation d’une nouvelle alliance, quelque peu surprenante, entre les différents segments de la profession juridique des Caraïbes, à l’origine opposés. Estimant que le Conseil privé avait outrepassé ses pouvoirs, ils ont finalement uni leurs forces pour créer la CCJ, à la fois cour d’appel suprême régionale et cour supranationale compétente pour les questions de droit communautaire de CARICOM 46.

  • 47 Caserta S., Madsen M. R., “Consolidating Supranational Authority: the Caribbean Court of Justice de (...)

19Les dynamiques de pouvoir décrites entre différents groupes et types de trajectoires dans le droit caribéen n’expliquent pas seulement le conflit de longue date sur le principe d’une cour commune. Ces dynamiques permettent également de comprendre la structure institutionnelle originale de la CCJ. Celle-ci a finalement été investie d’une juridiction singulière : elle dispose d’une part de compétences à l’égard du droit de la CARICOM (la juridiction d’origine sur le droit de l’intégration régionale) et c’est d’autre part une cour suprême commune aux États membres pour les affaires pénales et civiles (la juridiction d’appel lorsqu’il s’agissait de remplacer le Conseil privé). Par ailleurs, le processus ultérieur d’institutionnalisation de la CCJ reflète le contexte socio-juridique particulier de la genèse de la Cour. La CCJ a dû constamment trouver un équilibre entre son statut d’institution indigène des Caraïbes, de tribunal communautaire de la CARICOM et de cour du Commonwealth ayant des affinités étroites avec la Common Law anglaise. Même si la Cour a relativement bien réussi à équilibrer ces rôles, cette dépendance au sentier d’origine est toujours frappante. C’est ainsi que la Cour a eu du mal à trouver des soutiens pour sa fonction de cour d’appel, que seule une minorité d’États membres de la CARICOM a ratifiée jusqu’à présent, mais aussi qu’elle a été obligée de développer une nouvelle doctrine de droit supranational pour s’adapter à la dynamique juridico-politique locale 47. Comme cela a été suggéré, en utilisant les méthodes de recherche d’Y. Dezalay et de B. Garth, nous pouvons faire apparaître les logiques sociales plus profondes qui permettent de rendre ces défis intelligibles : c’est en comprenant la construction d’élites particulières et leurs connexions transnationales (ou dans ce cas transatlantiques) et leur affrontement avec des élites plus localisées que la CCJ et son compromis institutionnel unique peuvent être expliqués.

La fin de la vertu ? Expliquer la Cour européenne des droits de l’homme

  • 48 Madsen M. R., « La Cour qui venait du froid », Critique Internationale, n°26, 2005, pp. 133-146 ; “ (...)
  • 49 Voir par exemple Duranti M., “Curbing Labour’s Totalitarian Temptation: European Human Rights Law a (...)

20Ce bref exemple de la genèse de la CCJ témoigne des mérites considérables d’une méthode de recherche telle que celle développée par Y. Dezalay et B. Garth. La CCJ est cependant une institution relativement récente, créée dans le sillage du processus de mondialisation et du contexte postcolonial dans les Caraïbes. Ce sont des caractéristiques empiriques structurellement analogues à celles que l’on retrouve dans la plupart des travaux de ces auteurs. La question reste donc de savoir si l’approche est adaptée à la compréhension d’institutions mieux établies et plus solidement institutionnalisées, telle que la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). Comme d’autres l’ont montré, la création de la CEDH – et plus largement de la Convention européenne des droits de l’homme et du Conseil de l’Europe (CdE) – a été impulsée par les logiques de la guerre froide et par l’action d’un groupe d’avocats et d’hommes politiques qui ont tiré leur légitimité de leur implication dans la lutte contre le régime nazi 48. Nombre des acteurs principaux de ce processus ont une expérience solide des projets juridiques et institutionnels internationaux et avaient, même avant la Seconde Guerre mondiale, participé à divers titres à la Société des Nations et aux nouvelles institutions de La Haye. La rédaction de la Convention, et la création ultérieure de la Cour dans le contexte d’un mouvement général d’intégration européenne, ont permis à ces acteurs d’occuper une place centrale et d’exercer une grande influence. Du point de vue d’Y. Dezalay et B. Garth, ces acteurs ont joué un double jeu de promotion des droits de l’homme et de l’intégration européenne, tout en utilisant les dynamiques du début de la guerre froide pour marginaliser les idées communistes et même socialistes, tant au niveau national qu’international 49. Ainsi, la genèse du système européen de protection des droits de l’homme peut incontestablement être rendue intelligible en utilisant certaines des méthodes et des concepts fondamentaux d’Y. Dezalay.

  • 50 Madsen M. R. “The Legitimization Strategies of International Courts: The Case of the European Court (...)

21Beaucoup de choses ont changé depuis les années 1950, âge d’or des avocats politiques qui ont émergé durant la guerre froide. La Convention a fêté ses 70 ans en novembre 2020 et la Cour a célébré son 60e anniversaire. Au cours de ces six décennies, la CEDH est passée d’une sorte de société savante composée d’une élite de juristes internationalistes issus principalement du monde universitaire et diplomatique, à une cour de dimension méga-régionale aux 47 États membres, prononçant plus d’un millier de jugements par an. Tout d’abord, la composition de la Cour a évolué vers des profils beaucoup plus juridico-techniques et un grand nombre d’anciens juges nationaux ont été recrutés afin de traiter un volume d’affaires considérable 50. Mais plus important encore, l’institution elle-même a évolué à travers des processus d’autonomisation juridique et d’institutionnalisation judiciaire, faisant de la CEDH une véritable puissance juridique et politique dans les sociétés européennes. À l’image de la jurisprudence de la CEDH relative à l’immigration et aux conflits armés, la Cour occupe une place désormais centrale dans les débats sur la souveraineté nationale, la suprématie du parlement et, plus largement, sur le discours néo-nationaliste.

  • 51 Madsen M. R., “Rebalancing European Human Rights: Has the Brighton Declaration Engendered a New Dea (...)
  • 52 Flogaitis S., Zwart T., Fraser J. (eds.), The European Court Of Human Rights And Its Discontents: T (...)
  • 53 Putnam R. D., “Diplomacy and domestic politics: the logic of two-level games”, International Organi (...)
  • 54 Théorisé par exemple dans Dezalay Y., Madsen M. R., « La construction européenne au carrefour du na (...)

22Alors que les premières guerres de palais semblent terminées, une nouvelle ligne de front, prenant la forme d’une lutte politique sur la place et le pouvoir de la CEDH dans les États membres, a éclaté plus récemment 51. Ces nouvelles batailles ont été lancées au cours des dernières décennies par les élites politiques traditionnelles, notamment au Royaume-Uni 52. Autrement dit, la politique de la CEDH a intégré le débat politique traditionnel. Et comme l’ont montré les chercheurs en sciences politiques, la politique européenne a tendance à fonctionner comme un jeu à deux niveaux 53, un élément qui figure également au centre des travaux d’Y. Dezalay 54. Mais le débat politique actuel sur la CEDH s’inscrit dans un contexte tout à fait différent de celui de la plupart des travaux de Dezalay. Il faut noter que cette autonomisation juridique a suscité des réactions qui témoignent du degré d’institutionnalisation du système européen de protection des droits de l’homme.

23Si cet espace est analysé en termes de champ, la mobilisation en faveur de la Cour comprend aujourd’hui un réseau complexe d’acteurs. En premier lieu, on trouve un ensemble d’acteurs institutionnels de premier plan issus du système même de la Convention européenne des droits de l’homme, notamment les présidents successifs de la CEDH, son greffier, le conseiller juridique, le commissaire aux droits de l’homme et le secrétaire général du CdE, et les nombreux collaborateurs sur lesquels ces postes reposent. Un réseau dense d’ONG participe également aux réformes et à la politique de la CEDH, notamment Amnesty International, la Commission internationale des juristes, le European Human Rights Advocacy Centre, l’Open Society Justice Initiative, le AIRE Centre, le European Implementation Network, et bien d’autres encore. En outre, une multitude d’universitaires et d’institutions académiques et quasi académiques reconnues y sont régulièrement impliquées. La nature institutionnalisée de ces politiques est d’autant plus indéniable que les critiques de certains gouvernements ont été étouffées par les processus mêmes de réforme mis en place. En particulier, le transfert des débats vers des forums formalisés – dans ce cas précis, les conférences diplomatiques et les réunions du Comité des Ministres du CdE – a mis un terme au double jeu consistant à utiliser l’Europe à des fins domestiques.

  • 55 Dezalay Y., Madsen M. R., « La construction européenne au carrefour du national et de l’internation (...)
  • 56 Kauppi N., Madsen M. R., “Transnational Power Elites: The New Professionals of Governance, Law and (...)

24L’existence de ce jeu à deux niveaux du droit et de la politique n’est pas surprenante dans le modèle d’Y. Dezalay et de B. Garth, qui soulignent précisément l’imbrication étroite des stratégies juridico-politiques nationales et internationales/européennes 55. En revanche, la situation diffère parce que ces politiques font partie de la vie politique ordinaire et parce qu’elles sont finalement jouées dans des forums pleinement institutionnalisés avec une distribution plus rigide des rôles et une doxa clairement établie quant à ce qui peut et ne peut pas être dit. Si le capital social et le double-jeu ont également une importance ici, leur rôle est largement calibré par des pratiques routinisées : si nous retrouvons des élites, celles-ci sont plus structurées et intrinsèquement institutionnalisées. Elles apparaissent donc comme un phénomène plus structurel qu’individuel, et peuvent être rattachées aux « élites de pouvoir transnationales 56 ». Ces  nouvelles formes d’élites institutionnalisées exercent une influence considérable sur la trajectoire des institutions internationales et, dans certains cas, sur la trajectoire propre des champs du droit international. Si l’action individuelle a rarement un impact aussi large dans des champs tels que celui qui vient d’être décrit, les batailles territoriales entre différents groupes de professionnels, qui détiennent des valeurs et des positions structurelles différentes dans le champ, affectent encore considérablement la trajectoire des institutions et des champs du droit international. Cela ne diminue pas l’importance du rôle des élites tel qu’on le retrouve dans les travaux d’Y. Dezalay et B. Garth, mais invite à en adopter une perspective plus structurelle et institutionnelle.

***

25Yves Dezalay a incontestablement apporté une contribution majeure à la compréhension de la mondialisation du droit et des différents rôles que jouent les acteurs juridiques, tant dans la transformation des États que dans la création de nouvelles institutions transnationales. Son œuvre est par excellence celle d’un sociologue empirique qui cherche constamment à rendre intelligibles des phénomènes internationalisés complexes. Très peu d’universitaires ont réussi à maintenir un tel niveau de curiosité intellectuelle et empirique pendant tant d’années et à travers autant de terrains d’enquête. Et très peu de chercheurs ont réussi à mener autant de recherches approfondies dans autant de lieux et de pays ! Tout cela demande à la fois de l’endurance et de la détermination. Mais surtout, cela rend compte d’une enquête inlassable sur la nature du pouvoir juridique à travers le monde. En appliquant les méthodes de Dezalay sur Dezalay lui-même, on peut observer que ses recherches révèlent un ensemble de préférences théoriques et méthodologiques accumulées tout au long de sa propre trajectoire. On retrouve en filigrane une approche wéberienne dans son travail, notamment dans son attachement à une méthodologie individuelle. Pour expliquer l’action sociale, Y. Dezalay cherche d’abord à rendre intelligibles les acteurs qui portent cette action. Ainsi, la société est avant tout constituée d’individus. Comme le ferait remarquer M. Weber, les institutions ne peuvent pas agir par elles-mêmes, seuls les individus le peuvent. Cette focalisation sur les capacités de l’action humaine ne fait cependant pas d’Y. Dezalay un spécialiste des Lumières des temps modernes. L’autre courant sous-jacent de son travail vient de la sociologie structurale, et en particulier de P. Bourdieu. On retrouve clairement chez Y. Dezalay la notion de rationalité limitée et une certaine interprétation de la notion d’habitus de P. Bourdieu. Y. Dezalay explique rarement ce concept, mais il l’utilise tout au long de son travail pour aborder l’encadrement des capacités d’action en se référant aux capitaux culturels et sociaux ainsi qu’aux réseaux. C’est aussi à P. Bourdieu qu’il emprunte la notion de champ. Mais contrairement à ses applications initiales, il la transforme en un outil principalement méthodologique pour appréhender ensemble des champs transnationaux faiblement institutionnalisés. La notion de champ lui permet d’introduire une certaine logique sociale à des champs par ailleurs vaguement définis. Enfin, son travail – comme on a pu le voir – s’intéresse au pouvoir et aux élites. Dans ses travaux, tout cela se traduit par un constat sans cesse réaffirmé, à savoir que le droit est un discours de pouvoir et un élément constitutif de l’État moderne car il lui fournit à la fois sa source d’autorité légitime et les outils concrets permettant de le rendre opérationnel. De là découle le double jeu inhérent et intrinsèque du droit.

  • 57 Pour citer quelques exemples parmi les plus flagrants : Christensen M. J., “From symbolic surge to (...)

26Ainsi, les concepts et les méthodes de recherche d’Y. Dezalay sont applicables bien au-delà de ses propres terrains de prédilection. Le pouvoir de l’élite juridique s’exerce dans de nombreux champs internationaux et internationalisés. Même si les méthodes développées sont, comme on le constate, un peu moins appropriées pour explorer des pratiques socio-juridiques et politiques profondément institutionnalisées, les idées conceptuelles sous-tendant ces méthodes restent pertinentes. La grande force des contributions théoriques d’Y. Dezalay est qu’elles continuent à inspirer de nouvelles études dans de nouveaux domaines, et bien au-delà des terrains qu’il a explorés 57. De plus, indépendamment des milliers d’interviews réalisées et des multiples livres publiés, son programme de recherche n’est en aucun cas achevé. En fait, à la lumière de la restructuration mondiale contemporaine, l’agenda semble très actuel et appelle à un renouvellement de l’investissement dans la recherche empirique.

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Notas

2 Dezalay Y., Marchands de droit. La restructuration de l’ordre juridique international par les multinationals du droit, Paris, Fayard, 1992.

3 Par exemple Trubek D., Dezalay Y., Buchanan R. et J. R. Davis, “Global Restructuring and the Law: Studies of the Internationalization of Legal Fields and the Creation of Transnational Arenas”, Case Western Reserve Law Review, vol. 44, 1994, pp. 407-498.

4 Dezalay Y., “The big bang and the law: the internationalization and restructuration of the legal field”, Theory, Culture & Society, vol. 7, n°2-3, 1990, pp. 279-293.

5 Des transformations similaires ont été observées ailleurs en Europe. Voir par exemple Madsen M. R., “Return to the Copenhagen ‘Magic Circle’: First Elements of a Longitudinal Study of Large Law Firms in Denmark”, Scandinavian Studies in Law, vol. 53, pp. 303-319, 2008.

6 Dezalay Y., Garth B., “The Import and Export of Law and Legal Institutions: international strategies in national palace Wars”, in Nelken D., Feest J. (eds.), Adapting Legal Cultures, Oxford, Hart Publishing, 2001.

7 Voir de manière plus explicite dans The Internationalization of Palace Wars: Lawyers, Economists, and the Contest to Transform Latin American States, Chicago, University of Chicago Press, 2002.

8 Abbott A., The System of Professions: An Essay on the Division of Expert Labor, Chicago, University of Chicago Press, 1988. Sur la place d’Abbott dans l’analyse de Dezalay plus spécifiquement, voir Dezalay Y., Bigo D., Cohen A., « Enquêter sur l’internationalisation des noblesses d’État. Retour réflexif sur des stratégies de double jeu. Entretien avec Yves Dezalay ; propos recueillis par Didier Bigo et Antonin Cohen », Cultures & Conflits, n°98, 2015, pp. 15-52.

9 Dezalay Y., « Les courtiers de l’international : Héritiers cosmopolites, mercenaires de l’impérialisme et missionnaires de l’universel », Actes de la recherche en sciences sociales, n°151-152, 2004, pp. 5-34.

10 Voir, par exemple Dezalay Y., Garth B., “From the Cold War to Kosovo: The Rise and Renewal of the Field of International Human Rights”, Annual Review of Law and Social Science, vol. 2, 2006, pp. 231-255.

11 Munger F., “Globalization through the Lens of Palace Wars: What Elite Lawyers’ Careers Can and Cannot Tell Us about Globalization of Law”, Law & Social Inquiry, vol. 37, n°2, 2012, pp. 476-499.

12 Dezalay Y., Garth B., “Merchants of Law as Moral Entrepreneurs: Constructing International Justice from the Competition for Transnational Business Disputes”, Law & Society Review, vol. 29, n°1, 1995, pp. 27-64. Des mêmes auteurs, Dealing in Virtue. International Commercial Arbitration and the Construction of a Transnational Legal Order, Chicago, University of Chicago Press, 1996.

13 Dezalay Y., Garth B., The Internationalization of Palace Wars: Lawyers, Economists, and the Contest to Transform Latin American States, op. cit.

14 Dezalay Y., Garth B., Asian Legal Revivals: Lawyers in the Shadow of Empire, Chicago, University of Chicago Press, 2010.

15 Yves Dezalay estime qu’il a réalisé près de 4 000 entretiens au fil des années, dans le monde entier. Voir Dezalay Y., Bigo D., Cohen A., « Enquêter sur l’internationalisation des noblesses d’État. Retour réflexif sur des stratégies de double jeu. Entretien avec Yves Dezalay ; propos recueillis par Didier Bigo et Antonin Cohen », op. cit.

16 Voir par exemple : Huntington S. P., Who are We? America’s Great Debate, New York, Free Press, 2005 ; Kauppi N., Madsen M. R. (eds.), Transnational Power Elites: The New Professionals of Governance, Law and Security, Abingdon, Routledge, 2013 ; Rothkopf D., Superclass: The Global Power Elite and the World They Are Making, New York, Farrar, 2008 ; Sklair L., The Transnational Capitalist Class, Oxford, Blackwell, 2001.

17 On ne s’attardera pas ici sur la célèbre notion bourdieusienne de champ. Sur son application dans la sphère du droit, voir par exemple : Bourdieu P., « La force du droit : Éléments pour une sociologie du champ juridique », Actes de la recherche en sciences sociales, n°64, 1986, pp. 3-19 ; Dezalay Y., Madsen M. R., “The Force of Law and Lawyers: Pierre Bourdieu and the Reflexive Sociology of Law”, Annual Review of Law and Social Science, vol. 8, 2012, pp. 433-452; Lenoir R., “Pierre Bourdieu and the Law: An Intellectual and Personal Encounter”, Retfærd - Nordic Journal of Law, vol. 114, n°3, 2006, pp. 7-22 ; Madsen M. R., Dezalay Y., “The Power of the Legal Field: Pierre Bourdieu and the Law”, in Banakar R., Travers M. (eds.), An Introduction to Law and Social Theory, Oxford, Hart Publishing, 2002, pp. 189-204.

18 Il faut comparer cette méthode avec la version plus institutionnaliste de la sociologie bourdieusienne des organisations présentée dans Emirbayer M., Johnson V., “Bourdieu and organizational analysis”, Theory and Society, vol. 37, n°1, 2008, pp. 1-44.

19 La méthodologie est analysée plus en détail dans Madsen M. R., “Reflexivity and the Construction of the International Object: The Case of Human Rights”, International Political Sociology, vol. 5, n°3, 2011, pp. 259-275.

20 Dezalay Y., Garth B., The Internationalization of Palace Wars: Lawyers, Economists, and the Contest to Transform Latin American States, op. cit.

21 Haas P. M., “Introduction: epistemic communities and international policy coordination”, International Organization, vol. 46, n°1, 1992, pp. 1-35.

22 Keck M. E., Sikkink K., Activists Beyond Borders: Advocacy Networks in International Politics, Ithaca, Cornell University Press, 1998.

23 Ibid.

24 Madsen, M. R., “Reflexivity and the Construction of the International Object: The Case of Human Rights”, op. cit.

25 Dezalay Y., Garth B., The Internationalization of Palace Wars: Lawyers, Economists, and the Contest to Transform Latin American States, op. cit. Des mêmes auteurs, “From the Cold War to Kosovo: The Rise and Renewal of the Field of International Human Rights”, op. cit.

26 Ibid.

27 Pour une discussion de la théorie juridique complexe dans la perspective de la théorie bourdieusienne du champ, voir Madsen M. R., “Between the Law-State and the Welfare State: The Structural Limits of Legal-Political Liberalism in the Danish Welfare State” in Langford M., Feeley M. (eds.), The Limits of the Legal Complex: Nordic Lawyers and Political Liberalism, Oxford, Oxford University Press, 2020.

28 Voir les chapitres introductifs dans Dezalay Y., Garth B., Asian Legal Revivals: Lawyers in the Shadow of Empire, op. cit.

29 On s’appuie évidemment ici en partie sur les écrits de Bourdieu sur l’État. Voir par exemple Bourdieu P., « La force du droit : Éléments pour une sociologie du champ juridique », op. cit., et Sur l’État : Cours au Collège de France, Paris, Seuil, 2012.

30 Dezalay Y., Madsen M. R., “The Force of Law and Lawyers: Pierre Bourdieu and the Reflexive Sociology of Law”, op. cit.

31 Madsen M. R., La genèse de l’Europe des droits de l’homme : Enjeux juridiques et stratégies d’État (France, Grande-Bretagne et pays scandinaves, 1945-1970), Strasbourg, Presses universitaires de Strasbourg, 2010.

32 Bourdieu P., Christin O., Will P.-E., « Sur la science de l’État », Actes de la recherche en sciences sociales, n°133, 2000, pp. 4-10.

33 Dezalay Y., Garth B., Asian Legal Revivals: Lawyers in the Shadow of Empire, op. cit., pp. 26-27.

34 Sarat A., Scheingold S., Cause Lawyering: Political Commitments and Professional Responsibilities, Oxford, Oxford University Press, 1997.

35 Madsen M. R., Dezalay Y., “The Power of the Legal Field: Pierre Bourdieu and the Law”, op. cit., p. 196.

36 Dezalay Y., « Les courtiers de l’international : Héritiers cosmopolites, mercenaires de l’impérialisme et missionnaires de l’universel », op. cit.

37 Weber M., Wirtschaft und Gesellschaft. Grundriss der verstehenden Soziologie, Tübingen, Mohr, 1980.

38 Yves Dezalay en parle ouvertement dans de nombreuses publications, y compris celles où il est plus explicite sur les aspects théoriques et méthodologiques, par exemple Dezalay Y., Madsen M. R., “The Force of Law and Lawyers: Pierre Bourdieu and the Reflexive Sociology of Law”, op. cit. ; Dezalay Y., Madsen M. R., « Espaces de pouvoir nationaux, espaces de pouvoir internationaux », in Cohen A., Lacroix B., Riutort P. (dir.), Nouveau manuel de science politique, Paris, La Découverte, 2009, pp. 681-693.

39 Sur la prolifération des cours internationales, voir : Alter K. J., The New Terrain of International Law: Courts, Politics, Rights, Princeton, Princeton University Press, 2014 ; Romano C. P. R., “The Proliferation of International Tribunals: Piecing together the Puzzle”, NYU Journal of International Law and Politics, vol. 31, n°4, 1999, pp. 709-751. Parallèlement à cette évolution des cours internationales, on assiste à une multiplication des organes juridictionnels au niveau international. Voir par exemple Kingsbury B., Krisch N., Stewart R. B., “The Emergence of Global Administrative Law”, Law and Contemporary Problems, vol. 68, n°15, 2005, pp. 15-61.

40 Alter K. J., “The Global Spread of European Style International Courts”, West European Politics, vol. 35, n°1, 2012, pp. 135-154 ; Romano C. P. R., “The Proliferation of International Tribunals: Piecing together the Puzzle”, op. cit.

41 Par exemple, Berry D., Caribbean Integration Law, Oxford, Oxford University Press, 2014 ; Caserta S., Madsen M. R., “Between Community Law and Common Law: The Rise of the Caribbean Court of Justice at the Intersection of Regional Integration and Post-Colonial Legacies”, Law & Contemporary Problems, vol. 79, n°1, 2016, pp. 89-116.

42 O’Brien D., “CARICOM: Regional Integration in Post-Colonial World”, European Law Journal, vol. 17, 2011, pp. 630-648.

43 Caserta S., International Courts in Latin America and the Caribbean: A Study in Foundations and Authority, Oxford, Oxford University Press, 2020.

44 La première faculté de droit a été créée en 1970 à la Barbade.

45 Dans le cadre d’un tournant général vers les droits de l’homme au Royaume-Uni. Voir par exemple : Klug F., Values for a Goodless Age: The Story of the United Kingdom’s New Bill of Rights, Londres, Penguin, 2000 ; Madsen M. R., “France, the UK and ‘Boomerang’ of the Internationalization of Human Rights (1945–2000)”, in Halliday S., Schmidt P. (eds.), Human Rights Brought Home: Socio-Legal Perspectives on Human Rights in the National Context, Oxford, Hart Publishing, 2004, pp. 57-86.

46 Caserta S., Madsen M. R., “Between Community Law and Common Law: The Rise of the Caribbean Court of Justice at the Intersection of Regional Integration and Post-Colonial Legacies”, op. cit.

47 Caserta S., Madsen M. R., “Consolidating Supranational Authority: the Caribbean Court of Justice decisions in the Tomlinson cases”, American Journal of International Law, vol. 110, n°3, 2016, pp. 533-540.

48 Madsen M. R., « La Cour qui venait du froid », Critique Internationale, n°26, 2005, pp. 133-146 ; “From Cold War Instrument to Supreme European Court: The European Court of Human Rights at the Crossroads of International and National Law and Politics”, Law & Social Inquiry, vol. 32, n°1, pp. 137-159.

49 Voir par exemple Duranti M., “Curbing Labour’s Totalitarian Temptation: European Human Rights Law and British Postwar Politics”, Humanity: An International Journal of Human Rights, Humanitarianism, and Development, vol. 3, n°3, 2012, pp. 361-83 ; Madsen M. R., La genèse de l’Europe des droits de l’homme : Enjeux juridiques et stratégies d’État (France, Grande-Bretagne et pays scandinaves, 1945-1970), op. cit.

50 Madsen M. R. “The Legitimization Strategies of International Courts: The Case of the European Court of Human Rights”, in Bobek M. (ed.), Electing Europe’s Judges, Oxford, Oxford University Press, 2015, pp. 259-278.

51 Madsen M. R., “Rebalancing European Human Rights: Has the Brighton Declaration Engendered a New Deal on Human Rights in Europe?”, Journal of International Dispute Settlement, vol. 9, n°2, 2018, pp.199–222.

52 Flogaitis S., Zwart T., Fraser J. (eds.), The European Court Of Human Rights And Its Discontents: Turning Criticism into Strength, Cheltenham, Edwar Elgar, 2013 ; Madsen M. R., “The Challenging Authority of the European Court of Human Rights: From Cold War Legal Diplomacy to the Brighton Declaration and Backlash”, Law & Contemporary Problems, vol. 79, n°1, 2016, pp. 141-178 ; Popelier P., Lambrecht S., Lemmens K. (eds.), Criticism of the European Court of Human Rights – Shifting the Convention System: Counter-dynamics at the National Level, Cambridge, Intersentia, 2016.

53 Putnam R. D., “Diplomacy and domestic politics: the logic of two-level games”, International Organization, vol. 42, n°3, 1988, pp. 427-460.

54 Théorisé par exemple dans Dezalay Y., Madsen M. R., « La construction européenne au carrefour du national et de l’international », in Cohen A., Lacroix B., Riutort P. (dir.), Les formes de l’activité politique. Éléments d’analyse sociologique xviiie-xxe siècle, Paris, PUF, 2006, pp. 277-296 ; Dezalay Y., Madsen M. R., « Espaces de pouvoir nationaux, espaces de pouvoir internationaux », op. cit.

55 Dezalay Y., Madsen M. R., « La construction européenne au carrefour du national et de l’international », op. cit.

56 Kauppi N., Madsen M. R., “Transnational Power Elites: The New Professionals of Governance, Law and Security”, op. cit. Des mêmes auteurs, “Fields of Global Governance: How Transnational Power Elites Can Make Global Governance Intelligible”, International Political Sociology, vol. 8, n°3, 2014, pp. 324-330.

57 Pour citer quelques exemples parmi les plus flagrants : Christensen M. J., “From symbolic surge to closing courts: The transformation of international criminal justice and its professional practices”, International Journal of Law, Crime and Justice, vol. 43, n°4, 2015, pp. 609-625 ; Cohen A., “The Genesis of Europe: Competing Elites and the Emergence of a European Field of Power”, in Kauppi N., Madsen M. R., Transnational Power Elites: The New Professionals of Governance, Law and Security, op. cit. ; Hagan J., Justice in the Balkans. Prosecuting War Crimes in the Hague Tribunal, Chicago, University of Chicago Press, 2003 ; Hagan J., Levi R., “Crimes of War and the Force of Law”, Social Forces, vol. 83, n°4, 2005, pp. 1499-1534 ; Sacriste G., Vauchez A., “The Force of International Law: Lawyers’ Diplomacy on the International Scene in the 1920s”, Law & Social Inquiry, vol. 32, n°1, 2007, pp. 83-107 ; Vauchez A., Brokering Europe. Lawyers and the formation of a Transnational Polity, Cambridge, Cambridge University Press, 2015.

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Para citar este artículo

Referencia en papel

Mikael Rask Madsen, «Les affaires du droit : Yves Dezalay et la construction du droit et de l’État»Cultures & Conflits, 119-120 | 2020, 95-113.

Referencia electrónica

Mikael Rask Madsen, «Les affaires du droit : Yves Dezalay et la construction du droit et de l’État»Cultures & Conflits [En línea], 119-120 | automne-hiver 2020, Publicado el 02 enero 2024, consultado el 28 marzo 2024. URL: http://journals.openedition.org/conflits/22241; DOI: https://doi.org/10.4000/conflits.22241

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Autor

Mikael Rask Madsen

Mikael Rask Madsen est professeur en droit européen, fondateur et directeur de iCourts. Cette recherche est financée par la subvention n°NDRF105 de la Fondation nationale danoise pour la recherche. Elle est menée sous les auspices du Centre of Excellence for International Courts (iCourts) de la Fondation nationale de la recherche danoise. L’auteur de ces lignes est également un ancien doctorant d’Yves Dezalay, et un de ses collaborateurs pour de nombreux projets. Bien qu’il se soit efforcé d’appliquer la réflexivité et les doubles ruptures bourdieusiennes, il est inutile de dissimuler ici la dette intellectuelle contractée à l’égard d’Yves Dezalay et de l’agenda scientifique que ce dernier a développé au fil des années.

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