Les interventions militaires sont-elles une cause du « terrorisme » ?
Résumés
Une multitude d’études quantitatives ont conclu que l’interventionnisme militaire est un facteur explicatif central du terrorisme. Pourtant, cette littérature est rarement mobilisée dans le champ des études francophones. Ce point aveugle semble découler d’une méfiance par rapport aux soubassements positivistes de ces études quantitatives et leur manque apparent de réflexivité par rapport à la notion de terrorisme. Ce texte présente l’argument selon lequel cette méfiance est en partie fondée mais qu’elle se dissipe si l’on adopte une définition nominaliste du « terrorisme ». On ne mesure pas alors le poids de l’interventionnisme militaire sur le terrorisme au sens strictement réaliste du terme – cet objet est de toute façon impossible à cerner – mais sur la genèse de ce que le discours hégémonique appelle « terrorisme », à savoir les attaques violentes des groupes non-étatiques que ce même discours qualifie de « terroristes ».
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Mots-clés :
terrorisme, intervention militaire, guerre contre le terrorisme, positivisme, études critiques de sécuritéPlan
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- 1 Nous remercions Laurent Bonelli et les évaluateurs anonymes pour leurs précieux commentaires sur un (...)
1Les interventions militaires permettent-elles de lutter efficacement contre le « terrorisme » comme le laissent entendre nombre de responsables gouvernementaux ou constituent-elles, au contraire, une des causes de celui-ci, comme l’expliquent certains de ceux qui sont impliqués dans des actions armées 1 ? Les spécialistes de la violence politique qui utilisent des méthodes qualitatives reposant sur l’étude de terrains plus précis ne répondent pas de manière univoque à cette question. Outre les difficultés empiriques d’assigner une cause à des actes et des comportements, ces dissensions découlent en partie du fait que ces spécialistes ne définissent pas le « terrorisme » de la même manière. Elles s’expliquent aussi par ce qu’on pourrait appeler des biais de sélection. Les attentats de Madrid du 11 mars 2004 pouvaient être perçus comme une conséquence de l’intervention de ce pays en Irak aux côtés des États-Unis un an plus tôt. Mais, on chercherait en vain quelle intervention militaire de l’Autriche a pu susciter l’attentat perpétré à Vienne le 2 novembre 2020 par un sympathisant de l’organisation État Islamique. En toute bonne foi, les chercheurs et chercheuses qui travaillent sur la généalogie de l’un ou l’autre de ces deux cas auront une perspective différente quant au rôle de l’interventionnisme militaire dans le phénomène appelé « terrorisme ».
- 2 James K. Feldman, qui a étudié la question avec Robert Pape, a travaillé au SAASS de l’US Air Force (...)
- 3 Voir à ce propos : Delori M. et al., Le choix rationnel en science politique. Débats critiques, Ren (...)
- 4 Bigo D., « L’impossible cartographie du terrorisme », Cultures & Conflits, Articles inédits, mis en (...)
2Il existe pourtant un moyen logique de contourner ce problème des effets de loupe : travailler non pas sur un, deux ou trois cas mais sur des milliers. Des spécialistes du « terrorisme » ouverts aux méthodes quantitatives n’ont pas manqué de le faire. Cette littérature est connue et débattue dans le monde anglophone, y compris dans les cercles militaires 2, mais curieusement absente du débat public et académique francophone. En ce qui concerne ce dernier, le faible intérêt semble découler d’une méfiance par rapport aux soubassements positivistes de cette littérature 3. Les sceptiques se posent, notamment, les questions suivantes : comment les personnes qui élaborent ces bases de données conçoivent-elles l’interventionnisme militaire ? Font-elles preuve de réflexivité vis-à-vis de la notion – si problématique 4 – de « terrorisme » ? Comment passent-elles d’un constat – l’existence d’une co-variation entre leurs indicateurs du « terrorisme » et de l’interventionnisme militaire – à l’idée selon laquelle le second explique le premier ?
- 5 Ibid.
- 6 Braithwaite A., “Transnational terrorism as an unintended consequence of a military footprint”, Sec (...)
3L’argument développé dans ce texte est double. Nous montrons d’abord que ces questions ou objections sont en partie justifiées et assumées par les chercheurs en études quantitatives. Nous expliquons ensuite que les expliciter permet de faire un usage raisonné et réflexif de cette littérature et des bases de données sur lesquelles elle s’appuie ; usage qui permet d’informer l’étude des déterminants du « terrorisme ». On ne mesure pas alors l’influence de l’interventionnisme militaire sur le terrorisme entendu comme un ensemble de pratiques dont on pourrait cerner objectivement les contours. C’est de toute manière impossible 5. En revanche, ces études permettent de mesurer très précisément le poids de l’interventionnisme militaire sur le « terrorisme » écrit avec des guillemets. Celui-ci inclut à la fois des éléments matériels – les individus engagés dans des actions violentes, les organisations les recrutant, des ceintures d’explosifs, des morts et des blessés, etc. – et des éléments discursifs comme les usages politiques des labels de « terrorisme » et d’« anti-terrorisme ». Or les conclusions de ces études quantitatives sur le poids de l’interventionnisme militaire sur ce « terrorisme » sont spectaculaires, notamment pour le « terrorisme » dit « transnational », c’est-à-dire celui où les passeports des bourreaux et des victimes diffèrent. Un chercheur a par exemple calculé, sur la base de plus de 12 000 attentats « terroristes » transnationaux perpétrés de par le monde depuis les années 1960, qu’un pays qui intervient dans un autre pays a 55 fois plus de chances d’être touché au cours de l’année qui suit par un attentat perpétré par un citoyen du pays cible qu’un pays qui n’intervient pas 6. Cet article présente les apports d’un échantillon représentatif de cette littérature – les dix-sept études recensées en annexe – après une section préliminaire qui explique pourquoi les bases de données sur l’interventionnisme militaire et le « terrorisme » sont à la fois problématiques et intéressantes.
Des bases de données problématiques et… informatives
4Les études quantitatives sur le lien entre interventionnisme militaire et « terrorisme » reposent sur des indicateurs chiffrés des deux phénomènes. Aucune méthode d’enquête n’offrant une représentation parfaite de la réalité, la question pertinente n’est pas de savoir si ces indicateurs sont neutres et objectifs – ils ne le sont pas – mais si les biais qu’ils contiennent sont explicites, font l’objet d’une analyse critique par les chercheurs qui mobilisent ces données chiffrées et dans quelle mesure ils influencent les résultats obtenus.
- 7 Desrosières A., Pour une sociologie historique de la quantification, Paris, Presses des Mines, 2008 (...)
- 8 Bourdieu P., « L’opinion publique n’existe pas », Questions de sociologie, Paris, Éditions de minui (...)
- 9 Desrosières A., op.cit., pp. 7-9.
5Ces questions se posent particulièrement lorsqu’on pense aux traductions présentes dans certaines opérations de « quantification », terme retenu par Alain Desrosières, pour qualifier le fait « d’exprimer et faire exister sous une forme numérique ce qui, auparavant, était exprimé par des mots et non par des nombres 7 ». Il relève que de nombreuses opérations de « quantification » construisent la réalité qu’elles prétendent mesurer. L’intensité de cette construction diffère selon les phénomènes étudiés et soulève, dans certains cas, des doutes sur la validité des construits chiffrés retenus. Cet auteur donne l’exemple de la différence entre la mesure de la distance Terre-Lune et celle, par les sondages, de l’opinion publique. On peut facilement convenir du fait que l’opération de quantification n’est pas de la même nature. La distance Terre-Lune existe indépendamment de sa quantification. À l’inverse, la réalité que les sondages quantifient – « l’opinion publique » – est en grande partie produite par l’opération de quantification 8. Les opinions collectées sur le plan individuel peuvent rarement être agrégées de façon simple et univoque alors que la saillance des enjeux et l’intensité des préférences ne sont pas les mêmes pour les individus. Dès lors, en exprimant par des nombres ce qui se disait avant par des mots, les instituts de sondage masquent toute « une série de conventions d’équivalences préalables » qui créent « une nouvelle façon de penser, de représenter, d’exprimer le monde et d’agir sur lui 9 ».
- 10 Becker J., « 7. “La fleur au fusil” : retour sur un mythe », in Prochasson C. (dir.), Vrai et faux (...)
6Cela ne veut pas forcément dire que la représentation de la réalité ainsi produite est toujours déconnectée de son référent. S’ils disposaient de données d’opinion, les historiens de la Première Guerre mondiale auraient certainement tordu le cou bien plus rapidement au mythe de la fleur au fusil 10. D’une manière plus générale, le chercheur a le choix de considérer un sondage comme une simple batterie de questions fermées posées à un échantillon d’une population donnée, parmi lequel beaucoup d’individus portent peu d’attention aux sujets abordés par l’enquêteur ou n’ont pas vraiment d’opinion ou, à l’inverse, comme le reflet fidèle de « l’opinion publique ». Les deux perspectives sont acceptables à condition qu’on fasse preuve de transparence et de réflexivité par rapport à ses choix épistémologiques. Il convient donc d’ouvrir la boîte noire des deux séries d’indicateurs qui nous intéressent ici – l’interventionnisme militaire d’un côté, le « terrorisme » de l’autre –, et de se demander si les traductions qu’ils induisent constituent des approximations acceptables. Cette analyse porte, en particulier, sur trois critères principaux : la validité des indicateurs choisis, la fiabilité des sources utilisées et, enfin, la qualité de la couverture des bases de données existantes (c’est-à-dire la richesse et la précision des informations qu’elles fournissent sur la diversité des interventions militaires et du « terrorisme »).
Quantifier l’interventionnisme militaire
- 11 Pickering J., Emizet F.K., “The International Military Intervention Dataset: An Updated Resource fo (...)
7Les spécialistes qualifient généralement d’« interventionniste » un État qui s’engage de manière proactive dans un autre pays. L’interventionnisme militaire, qui nous intéresse ici, se focalise sur une modalité spécifique d’intervention, reposant sur l’usage de la force armée quelle que soit sa nature (terrestre, navale ou aérienne). Parmi les sources de données couramment utilisées pour tracer des interventions figure la base International Military Intervention (IMI). Elle est hébergée par le Consortium of Political and Social Research (ICPSR) de l’université du Michigan et recense plus de 1 500 interventions militaires à l’étranger entre la fin de la Seconde Guerre mondiale et 2005. Ses concepteurs et conceptrices triangulent les informations publiques et académiques pour obtenir la liste la plus complète d’interventions ayant eu lieu sur la période couverte 11. Un atout de cette base est son caractère compréhensif : tous les types d’interventions y sont rapportés quel que soit leur objectif – la base proposant, d’ailleurs, une typologie d’objectifs (humanitaire, diplomatique, ingérence dans les affaires domestiques d’un autre état, économique, stratégique…).
- 12 Högbladh S., Pettersson T., Themnér L., External Support in Armed Conflict 1975–2009. Presenting ne (...)
- 13 Pettersson T., Davis S., Deniz A., Engström G., Hawach N., Högbladh S., Sollenberg M., Öberg M., “O (...)
- 14 Pour une description, voir : Gromes T., Dembinski M., “Practices and outcomes of humanitarian milit (...)
8Cette approche exclut toutefois les opérations secrètes ou discrètes, que celles-ci soient réalisées par des forces spéciales ou les services de renseignement. Cela engendre un biais mais celui-ci n’est toutefois pas très important. En effet, les opérations secrètes ou discrètes les plus importantes se déroulent souvent en marge des interventions militaires conventionnelles. La couverture de la base de données pose plus de problèmes. Les dernières données disponibles portent sur l’année 2005 et ne permettent pas d’utiliser cette base pour analyser des cas plus récents d’intervention. Pour ce faire, les chercheurs doivent se tourner vers d’autres bases. La première, issue de la source de référence sur les conflits armés produite par le Uppsala Conflict Data Programme (UCDP), collecte des informations sur les soutiens aux parties en conflit. Dans certains cas, le type de soutien fourni est aussi répertorié pour les conflits ayant eu lieu entre 1975 et 2009 12. Pour une couverture plus étendue dans le temps, les chercheurs doivent se référer à la base générale sur les conflits armés qui liste, pour chaque conflit, les gouvernements ayant engagé des troupes pour soutenir activement l’une des parties 13. Une seconde base, mise au point par le Peace Research Institute de Francfort se focalise exclusivement sur les interventions militaires à visée humanitaire sur une période courant de 1945 à 2019 14. Ces interventions sont définies de façon très similaire à la base IMI – inclusion de tous mouvements de troupes à l’étranger mais exclusion de missions où les forces n’ont le droit d’ouvrir le feu que si elles sont attaquées ou ont un rôle d’observation – mais se limitent aux interventions ayant partiellement pour objectifs la protection des civils, le soutien à l’acheminement d’aide humanitaire et l’arrêt de violences et atteintes au droit international humanitaire. Ces éléments sont appréciés sur la base du mandat de la mission. Comme la base inclut également des cas négatifs – c’est-à-dire des interventions militaires non humanitaires –, cette base offre une vision plutôt complète des interventions militaires.
- 15 Braithwaite A., op.cit.
9En pratique, les chercheurs mobilisant ces données combinent ces différentes sources principales pour obtenir la vision la plus complète des modalités d’interventionnisme militaire. Ces bases sont toutefois muettes sur l’intensité et la nature de l’intervention, choix qu’elles laissent opérer au chercheur qui les mobilisent. Il est possible d’affiner la caractérisation des pays (interventionnistes ou non) en introduisant une valeur seuil sur la base des données fournies par la base. Par exemple, Alex Braithwaite considère comme « interventionniste » un pays dont au moins 1 000 soldats sont envoyés dans un autre pays au cours d’une année 15. Il retient ce seuil pour exclure les envois de soldats à l’étranger non significatifs sur le plan politique, notamment ceux qui relèvent de la participation symbolique à une coalition internationale. Ce choix est dit « conservateur », dans le sens où ce seuil quelque peu arbitraire permet d’exclure des cas non pertinents, quitte à en exclure quelques-uns qui seraient pertinents. En d’autres termes, cela permet de ne garder que des informations (publiques) correctes, en renonçant à avoir toutes les informations correctes. En outre, certains chercheurs utilisent directement le décompte des troupes déployées par un État dans un territoire étranger. Pour ce faire, ils ou elles recourent généralement à la Military Balance, la publication annuelle du think tank britannique International Institute for Strategic Studies (IISS), ou, lorsque la focale porte sur l’interventionnisme étasunien, aux chiffres du Département de la Défense des États-Unis (US-DoD).
10Enfin, ces bases de données n’essentialisent pas la politique étrangère des pays. Elles en tracent, au contraire, les évolutions au cours du temps. A. Braithwaite observe par exemple que l’Espagne n’a déployé que quelques centaines de soldats à l’étranger en 2002 (principalement dans le cadre de sa participation, peu significative sur le plan politique, en Afghanistan). Selon lui, l’Espagne était donc « non-interventionniste » en 2002. En 2003, en revanche, l’Espagne a participé de manière active à l’invasion de l’Irak et déployé plus de 1 000 soldats dans ce pays, ce qui en a fait un pays « interventionniste ». L’Espagne a ensuite retiré ses troupes d’Irak en 2004, repassant sous le seuil des 1 000 soldats déployés, et retournant donc dans le groupe des États non-interventionnistes.
- 16 Voir par exemple à ce sujet : Piazza J. A., “Repression and Terrorism: A Cross-National Empirical A (...)
11Toutes ces études se basent sur un phénomène concret : le mouvement de troupes, des navires ou des aéronefs de guerre hors de leur pays d’origine. Le fait que ces interventions aient fait l’objet d’une autorisation ou non de la part du pays cible n’est pas considéré comme pertinent. Ce critère peut apparaître trop restrictif. En effet, de nombreuses organisations du Sud global contestent l’ordre juridique international institué au lendemain de la Seconde Guerre mondiale et des décolonisations. Concrètement, ces groupes combattent des puissances qu’ils qualifient d’« occupantes » sans que celles-ci soient interventionnistes au sens esquissé plus haut. On peut notamment penser aux puissances, comme la France, qui ont noué des accords de défense avec leurs anciennes colonies qui leur permettent de bénéficier d’un soutien militaire en cas de crise politique. Pour rendre justice à la perspective de ces groupes, les données de l’UCDP conçoivent le soutien dans un sens large. Par ailleurs, Robert Pape a fabriqué un indicateur de « l’occupation militaire » qui prend en compte les occupations au sens du droit international (l’Allemagne et l’Autriche entre 1945 et 1949, les territoires occupés de Cisjordanie aujourd’hui par exemple) mais, aussi, les situations où des groupes séparatistes bien constitués contestent ce qu’ils estiment être une occupation (comme les Tigres Tamoul au Sri Lanka par exemple). Pour contrôler l’élément subjectif introduit par l’élargissement de la notion d’occupation au-delà des occupations au sens juridique du terme, Robert Pape ne considère comme occupants que les pays qui font usage de la force armée contre les groupes séparatistes. Cette classification a l’avantage de rendre plus compréhensif le concept d’intervention, au risque toutefois de lui faire perdre en spécificité – l’occupation incorporant dès lors le niveau de répression interne aux États 16.
Mesurer un concept épais : le « terrorisme »
- 17 Salice A., “Acts of Terror as Collective Violent Acts”, The Theory and Practice of Ontology, Palgra (...)
12Les indicateurs du « terrorisme » posent davantage de questions. Contrairement au concept d’intervention militaire, le « terrorisme » est beaucoup plus difficile à définir. En effet, il s’agit d’un concept qu’en méta-éthique on qualifie d’« épais », parce qu’il comporte à la fois une dimension descriptive et normative 17. À ce titre, une action est à la fois qualifiée de « terroriste » dans le but de décrédibiliser moralement l’adversaire et pour indiquer une propriété plus descriptive, par exemple l’utilisation de la violence à des fins politiques. Cela oblige les spécialistes à faire preuve de vigilance épistémologique par rapport à ce mot. Deux approches analytiques sont possibles.
- 18 Kautsky K., Terrorisme et communisme. Contribution à l’Histoire des Révolutions, Paris, J. Povolozk (...)
- 19 Pape R., “The Strategic Logic of Suicide Terrorism”, American Political Science Review, vol. 97, n° (...)
- 20 Zohra Drif – une militante de l’indépendance algérienne devenue ensuite dirigeante de ce pays – fai (...)
- 21 Ce choix découle aussi de l’inscription de l’auteur dans les débats nord-américains des années 2000 (...)
- 22 Voir : « Mort volontaire combattante », Cultures & Conflits, n°63, 2006 ; Fierke K. M., Political S (...)
13La première consiste à définir le terrorisme de façon à lui enlever toute dimension normative et, par conséquent, à ne plus utiliser les guillemets. Par exemple, au lendemain de la Première Guerre mondiale, l’historien Karl Kautsky et le révolutionnaire Léon Trotski ont polémiqué sur l’intérêt d’avoir recours au terrorisme pour abolir le capitalisme. Sous leur plume, le terme terrorisme n’était pas péjoratif. L. Trotski estimait qu’il peut être nécessaire d’avoir recours à cet instrument pour rendre effective une révolution. K. Kautsky n’était pas d’accord mais il n’utilisait pas ce mot à des fins accusatoires. L’un et l’autre envisageaient le terrorisme comme une méthode consistant à « effrayer l’adversaire en faisant violence à̀ des gens sans défense 18 », lui donnant ainsi une simple connotation descriptive. Aujourd’hui, parmi les bases de données du « terrorisme », une seule s’adosse à une définition descriptive du phénomène étudié, Chicago Project on Security and Threats (CPOST), hébergée par l’Université de Chicago. Elle a pour origine une étude produite par R. Pape 19, pour qui la notion de « terrorisme » ne peut pas être considérée comme neutre à partir du moment où personne, ou presque 20, ne se qualifie comme tel. Il trouve donc plus raisonnable de se focaliser sur un type d’attaque dont la caractérisation est moins sujette au jeu des interprétations et des qualifications exogènes : les attaques-suicides, c’est-à-dire celles où l’auteur de l’attaque sait qu’il va mourir au cours de celle-ci 21. R. Pape relève que la notion d’attaque « suicide » n’est pas totalement neutre – les auteurs de ces attaques évoquent plutôt l’idée de sacrifice 22 – mais qu’elle l’est davantage que celle de « terrorisme ». Par conséquent, la base de données ne porte que sur les attaques suicides, et en comptabilise 3 000 entre 1970 et 2019, sur la base d’informations publiques – notamment issues de la presse – vérifiées indépendamment par des experts membres de l’équipe de R. Pape.
- 23 Khalili L., Time in the Shadows. Confinement in Counterinsurgencies, Stanford University Press, 201 (...)
14L’approche illustrée par l’exemple du CPOST, qui consiste à essayer de limiter la portée normative du concept de terrorisme, conduit inéluctablement à en modifier les contours par rapport à d’autres conceptions du « terrorisme ». Dans le cas du CPOST, la focale est limitée aux actions violentes où l’acteur sait qu’il va mourir. Cela exclut de nombreux attentats couramment qualifiés de « terroristes », notamment ceux qui consistent à viser des civils ou des militaires tout en espérant soi-même survivre à l’attaque. De même, la définition de L. Trotski et de K. Kautsky qui met l’accent sur le fait de viser des « innocents » et sur l’intention de faire peur débouche sur une classification qui ne recoupe pas l’usage usuel du terme. La plupart des attentats perpétrés par les organisations Al-Qaïda et État Islamique (EI) contre les civils relèvent alors bien du terrorisme mais pas ceux contre les cibles militaires. Par ailleurs, le terrorisme n’apparaît plus nécessairement comme une pratique ennemie. En effet, la plupart des prisonniers de Guantánamo et Abu Ghraib n’avaient pas commis de crime et il n’est pas interdit de penser que leurs tortionnaires avaient, au moins en partie, l’intention de les terroriser. De même, certaines actions guerrières étasuniennes inspirées de la doctrine dite du « choc et de l’effroi » pourraient se voir qualifiées de « terroristes » au sens esquissé plus haut 23. D’ailleurs, les adversaires de ces pratiques guerrières ne manquent pas de les désigner comme telles.
15Pour ces raisons, la deuxième approche consiste à assumer la nature « épaisse » du concept de « terrorisme » et à en discuter les implications méthodologiques. On utilise alors le terme avec des guillemets pour souligner qu’on reprend la conception du « terrorisme » d’un acteur ou un groupe d’acteurs particuliers : celle du gouvernement de Vichy au sujet des résistants de la Seconde Guerre mondiale, du gouvernement et de l’armée française au sujet des révolutionnaires algériens dans les années 1950-1960, de l’Iran à propos des forces armées étasuniennes, du gouvernement des États-Unis à propos des Gardiens de la révolution iranienne ou, dans le cas qui nous intéresse, des États qui produisent le discours hégémonique sur le « terrorisme ».
- 24 Il existe une zone grise : les attentats perpétrés par des individus ou des groupes non-étatiques s (...)
- 25 Voir par exemple, la comparaison des bases de données effectuée par les créateurs de la Global Terr (...)
16Ce faisant, les personnes qui construisent et utilisent ces bases de données s’inscrivent dans une démarche hybride. Leur objet dit « terroriste » se définit à la fois par une propriété descriptive (l’usage de la violence à des fins politiques) et une propriété normative (les États souhaitent délégitimer cette action 24). La plupart des règles de codage des données collectées selon ces critères aborde cet enjeu de façon explicite et en discute les implications de façon transparente 25. Cette deuxième dimension n’est certainement pas objective, mais elle reste cependant informative. Les attaques comptabilisées comme « terroristes » sont uniquement celles qui contestent à l’État le monopole de la violence légitime puisque, pour cette raison, l’État souhaite les délégitimer. Il faut toutefois noter que l’État ne parvient pas toujours à produire un discours hégémonique. C’est le cas notamment quand l’État est faible ou quand les groupes qui contestent sa légitimité sont puissants, comme dans certaines guerres civiles. Quand c’est le cas, les frontières entre l’État et les groupes qui lui contestent le monopole de la violence légitime se brouillent et le terme « terroriste » tend à disparaître. En pratique, cela signifie que le mot « terrorisme » s’applique principalement à des contextes de guerre asymétrique entre un État et des forces non étatiques disposant de moins de moyens ou d’appuis.
17Les bases de données qui correspondent à cette approche sont les plus nombreuses. Elles incluent le Global Terrorism Database (GTD), la RAND Database of Worldwide Terrorism Incidents (RAND-DWTI) et la base International Terrorism: Attributes of Terrorist Events (ITERATE).
- 26 LaFree G., Dugan L., Miller E., Putting terrorism in context: Lessons from the Global Terrorism Dat (...)
- 27 Boulden J., “Terrorism and civil wars”, Civil wars, vol. 11, n°1, 2009, pp. 5-21.
18GTD est produite par le National Consortium for the Study of Terrorism and Responses to Terrorism (START) de l’Université du Maryland aux États-Unis. Elle recense environ 190 000 actes « terroristes » perpétrés de par le monde de 1970 à nos jours (la couverture des attentats étant réalisée en temps réel). Les premières données furent collectées entre 1970 et 1993 par l’entreprise de sécurité privée Pinkerton – principalement composée d’officiers retraités de l’armée de l’air – qui en fit don à une équipe de l’Université du Maryland coordonnée par Laura Dugan et Gary LaFree en 2001. La couverture des données fut en 2006 étendue au-delà de 1997 sur la base de la collecte automatisée d’articles de presse faisant mention d’attentats « terroristes ». La définition retenue n’a pas bougé au fil de ses développements successifs dans un souci de cohérence. Le « terrorisme » est conçu comme reposant sur « L’utilisation menaçante ou effective de la force et de la violence illégales par un acteur non étatique pour atteindre un objectif politique, économique, religieux ou social par la peur, la coercition ou l’intimidation 26 ». L’adjectif « illégal » et la focale explicite sur les groupes « non étatiques » conduit à exclure de la catégorie « terroriste » les actes de terreurs perpétrés par les États reconnus sur la scène internationale. Cet aspect est particulièrement visible quand on compare ces données à celles des guerres civiles. En effet, si de nombreuses guerres civiles ont eu lieu en Afrique et au Moyen-Orient depuis les années 1990, la GTD comptabilise un grand nombre d’attaques « terroristes » au Moyen-Orient, mais un très faible nombre en Afrique 27. Cela est dû au fait que de nombreux États africains ne sont pas assez forts pour produire des qualifications « terroristes ». Par ailleurs, la présence militaire d’États forts – notamment nord-américains et européens – est moindre en Afrique qu’au Moyen-Orient. Or les attaques contre les troupes de ces États forts sont systématiquement comptabilisées comme « terroristes » pour les raisons exposées plus haut.
19Comme son nom l’indique, RAND-DWTI est produite par la Rand Corporation, un think tank proche de l’armée de l’air étasunienne. Elle se base sur une définition de Bruce Hoffman et se focalise exclusivement sur la nature de la violence employée. Elle inclut des éléments définitionnels très proches de ceux de la GTD. Cette proximité et le fait que la couverture de la base s’arrête en 2009 expliquent sans doute pourquoi elle est moins utilisée que cette dernière aujourd’hui. Pour cette même raison, elle dénombre moins d’attaques « terroristes » : environ 40 000 au cours de la même période.
20La troisième base de données (ITERATE) est issue d’un consortium interuniversitaire. Pour éviter un comptage trop dépendant des réalités nationales, cette base de données se concentre sur le « terrorisme » transnational, opérationnalisé par le fait que l’action violente vise à influencer un groupe plus large que ses victimes immédiates ou que ses ramifications transcendent les frontières nationales du fait de la nationalité ou des liens des auteurs, sa localisation, la nature de ses victimes humaines ou institutionnelles ou les dynamiques de sa résolution. De ce fait, ITERATE ne recense qu’environ 13 000 attaques « terroristes ».
21Toutes ces bases recensent les caractéristiques des attaques quand celles-ci sont connues : le groupe qui les a revendiquées ou organisées, le type de cible, le mode opératoire, etc. Elles proposent par ailleurs des moteurs de recherche indexés sur ces différents critères. En les faisant fonctionner, on découvre que ces bases s’apparentent à des poupées russes. Les phénomènes couverts par ITERATE sont présents dans RAND-DWTI, lesquels se trouvent dans la GTD qui a vocation à se poser comme la base de données de référence en matière de « terrorisme ». Ces bases de données quantifient donc bien une même constellation de phénomènes avec des critères plus au moins restrictifs. Toutes ont en commun de se baser sur des articles de presse, reflétant l’usage politique de la notion de « terrorisme ».
- 28 Butler J., Troubles dans le genre, Paris, La Découverte, 2006 (1990), p. 202.
- 29 Wahnich S., La liberté ou la mort. Essai sur la Terreur et le terrorisme, Paris, La Fabrique, 2003.
22Les conventions cachées sous ces opérations de quantification ont une conséquence importante. À l’exception de celle produite par R. Pape, ces bases de données ne mesurent pas un phénomène qui peut être simplement décrit mais un objet politiquement construit : la violence politique dénommée « terroriste » par les États qui occupent des positions dominantes dans la lutte discursive qu’ils mènent pour l’hégémonie en matière de qualification « terroriste ». Même si les frontières de l’objet ainsi balisé sont par définition mouvantes, une tendance lourde structure cependant cette lutte discursive : ne sont pas considérées comme « terroristes » les politiques et les stratégies de terreur produites par les États. Cette opération de savoir/pouvoir 28 est remarquable au regard de l’histoire du concept car cela revient à exclure de la classe de phénomènes étudiés les actions de terreur les plus importantes en volume 29.
- 30 Syrian Network For Human Rights, (24 September 2019). “Civilian Death Toll”. Archivé depuis l’origi (...)
- 31 Ritchie H., Hasell J., Appel C., Roser M., “Terrorism”, 2018, en ligne, https://ourworldindata.org/ (...)
- 32 Geneva Declaration, Geneva Secretariat, Global burden of Armed violence (2004-2007), p. 10, http:// (...)
23La classe de phénomènes ainsi dénommés « terroristes » n’est donc pas très importante. En Europe et en Amérique du Nord, la violence politique produite par les organisations dites « terroristes » a fait moins de 1 000 victimes depuis 2010. À titre de comparaison, les féminicides ont fait davantage de morts au cours de la même période seulement en France. Ce « terrorisme » fait davantage de victimes dans le Sud global en valeur absolue mais guère plus en valeur relative. La qualification « terroriste » de l’organisation État Islamique a par exemple fait augmenter de manière très significative la part du « terrorisme » dans le bilan humain de la guerre civile syrienne. Cependant, l’Observatoire Syrien des Droits de l’Homme estime que ce « terrorisme » a fait 40 fois moins de victimes civiles que la répression de l’État syrien 30. D’une manière générale, on estime que le « terrorisme » n’a causé que 0,05% des morts sur la scène internationale en 2017 31. Il n’existe pas de données récentes sur la part de la violence « terroriste » dans l’économie générale de la violence guerrière mais il est peu probable qu’elle ait beaucoup augmenté par rapport à la dernière estimation du réseau Geneva Declaration : 2% 32.
24Le fait que l’objet appelé « terrorisme » ne constitue pas une violence aussi importante que d’autres violences politiques ne veut pas dire qu’il ne faut pas chercher à comprendre ses déterminants, et ce d’autant moins que la charge normative du concept nourrit des évolutions particulièrement marquées et autoritaires des politiques de sécurité. Or ces bases de données permettent d’étudier ce « terrorisme » du fait, paradoxalement, de leur choix, assumé par la plupart de leurs concepteurs, de renoncer à une définition réflexive et analytique du « terrorisme ». Ces bases ont précisément vocation à analyser un type de violence particulier, celui que les gouvernements en place considèrent comme particulièrement illégitime et qualifient de « terroriste ». En d’autres termes, le fait que le thermomètre ne mesure pas la chaleur objective n’est pas un problème. Il mesure très bien le sentiment de chaleur produit par un groupe d’acteurs particulier, or c’est précisément ce qui nous intéresse. Un usage réflexif de cette littérature est donc non seulement possible mais également utile et urgent pour comprendre les origines du phénomène que le discours dominant appelle, en Europe et en Amérique du Nord, « terrorisme ».
Que nous apprennent les analyses quantitatives ?
Les racines politiques des attaques-suicides, l’analyse séminale de Robert Pape
- 33 Pape R., Dying to win: the Strategic Logic of Suicide Terrorism, New York, Radom House, 2005.
25Au lendemain des attentats du 11 septembre, le politiste Robert Pape a voulu comprendre quelles sont les causes des attaques-suicides 33. En l’absence de base de données préconstituée, il a recensé, avec l’aide d’étudiants parlant différentes langues, l’ensemble des attaques suicides depuis la Seconde Guerre mondiale. Il en a comptabilisé 315 dont une première au Liban en 1980. Sur ces 315 attaques suicides, 301 pouvaient être attribuées de manière crédible à une organisation identifiée. Elles concernaient 18 groupes dans les pays ou régions suivantes : le Liban, le Sri Lanka, Israël/Palestine, le golfe Persique, la Turquie, la Tchétchénie, le Cachemire et les États-Unis.
26L’étude de R. Pape a révélé que l’explication en termes de motivations religieuses ne fonctionne pas. Certaines organisations mettaient certes en avant un agenda religieux mais ce n’était pas toujours le cas. Ainsi, la majorité des attaques suicides avaient à l’époque été perpétrées par les Tigres Tamoul du Sri Lanka, une organisation marxiste dont la base militante est majoritairement composée d’hindouistes sécularisés. R. Pape aurait pu conclure que la sécularisation en contexte culturel hindouiste est la principale cause des attentats-suicides mais ce n’aurait pas été rigoureux. En effet, tous les cas d’attaques provenaient du même groupe (les Tigres Tamoul), de telle sorte que la co-variation sécularisation/attaque suicide pouvait résulter de la singularité de ce cas. R. Pape pouvait en revanche identifier un facteur décisif des attaques suicides. Les 18 groupes qui s’y livraient contestaient ce qu’ils estimaient être une occupation militaire.
- 34 Atran S., “The Moral Logic and Growth of Suicide Terrorism”, The Washington Quarterly, vol. 26, n°2 (...)
- 35 Pape R. et Feldman J. K., Cutting the Fuse: The Explosion of Global Suicide Terrorism and How to St (...)
- 36 Ibid., p. 28.
27Son travail a engendré de nombreux débats et critiques 34. Une première portait sur le fait que les attaques étudiées s’étaient déroulées, pour la plupart, avant le 11 septembre 2001. Pour les détracteurs de R. Pape, les kamikazes du xxe siècle poursuivaient peut-être un agenda politique (de libération de leur territoire) mais ceux du xxie seraient animés par une autre logique : le fanatisme religieux, en l’occurrence islamique. Pour répondre à cette objection, R. Pape a réalisé une nouvelle étude, avec James K. Feldman, sur les années 2004-2009 non couvertes par sa première enquête 35. Au cours de cette courte période, le nombre d’attaques-suicides dans le monde avait augmenté de manière spectaculaire avec 1 833 cas contre seulement 315 pour la période 1980-2003. Loin de remettre en cause l’argument de R. Pape, ces nouveaux cas renforçaient sa thèse. En effet, l’immense majorité de ces attaques-suicides s’étaient produites en Afghanistan et en Irak contre des pays occupants – principalement les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Espagne en ce qui concerne l’Irak – ou les régimes mis en place par ces pays après les invasions. R. Pape et J. K. Feldman conclurent que « dans l’ensemble, l’occupation militaire étrangère explique 98,5% – et le déploiement des forces combattantes américaines 92% – de l’ensemble des 1 833 attentats-suicides terroristes perpétrées dans le monde au cours des six dernières années 36 [2004-2009] ».
- 37 Ashworth S., Clinton J. D., Meirowitz A., Ramsay K. W., “Design, Inference, and The Strategic Logic (...)
- 38 Geddes B., “How the cases you choose affect the answers you get: Selection bias in comparative poli (...)
28Une seconde critique adressée aux travaux de R. Pape et J. K. Feldman était d’ordre méthodologique. Leurs analyses se concentraient uniquement sur les contextes dans lesquels se déroulent des attaques-suicide. Or, pour estimer à quel degré les interventions sont la cause de ces dernières, il est nécessaire de prendre en compte ceux dans lesquels des attaques-suicide n’ont pas eu lieu 37. Après la Seconde Guerre mondiale, par exemple, les Alliés ont occupé plusieurs pays – notamment l’Autriche et le Japon – sans que cela ne se traduise par une multiplication d’attaques suicides dirigées contre eux. Les résultats de R. Pape et J. K. Feldman ont montré que l’immense majorité des attaques-suicides émergent dans un contexte d’occupation. Mais cela ne suffit pas pour affirmer que les occupations militaires sont en règle générale la cause des attaques-suicides. Ainsi, l’affirmation de R. Pape et J. K. Feldman selon laquelle l’occupation militaire explique 98,5% des attentats-suicides n’est pas tenable sur un plan statistique, tout comme celle qui constaterait que 98,5% des auteurs d’attentats-suicide sont de genre masculin ne permettrait pas d’affirmer que 98,5% des attentats-suicides sont expliqués par le genre masculin. Ce biais méthodologique est appelé « sélection des cas sur la variable dépendante », car l’analyse ne prend en compte que les cas où le phénomène à expliquer – ici, les attaques-suicides – a lieu 38. Pour estimer rigoureusement la force d’un tel lien, il est nécessaire de comparer si le déploiement ou non de forces militaires dans un pays est corrélé à la présence ou non de campagnes d’attentats-suicides.
Les analyses de régression, relier interventions et attentats « toutes choses égales par ailleurs »
29Les travaux pionniers de R. Pape et J. K. Feldman ont ouvert la voie à une multitude d’études sur le même sujet. Afin d’en offrir une vue d’ensemble, le tableau en annexe recense les principales études quantitatives analysant la corrélation entre interventionnisme militaire et « terrorisme ». Ces études s’adossent à des analyses de régression appliquées à l’étude de cas rares. Cette méthode d’analyse statistique permet d’analyser si deux variables (ici, interventionnisme militaire et attentats « terroristes ») covarient, tout en prenant en compte l’influence d’autres facteurs. Il s’agit d’inclure dans l’analyse toutes les variables ayant un intérêt sur le plan théorique et de comparer leur influence. Cela réduit le risque d’omettre l’influence d’une variable cachée. Dans les enquêtes internationales, la taille des pays entre souvent dans cette catégorie. En effet, un pays de plusieurs millions d’habitants comme les États-Unis a statistiquement plus de chances d’être touché par n’importe quel phénomène, dont le « terrorisme », que le Nauru et ses quelque 9 000 habitants. En introduisant des variables dites de « contrôle » comme la démographie, le PIB ou la distance entre le pays frappé et le pays occupé, l’analyse de régression permet de révéler et mesurer les corrélations qui ne sont pas induites par ce type de variable. Au fil du temps, les modèles initiaux ont été enrichis par l’ajout de nouvelles variables de contrôle ou par le raffinement des indicateurs choisis.
- 39 Collard-Wexler S., Pischedda C., Smith M. G., “Do Foreign Occupations Cause Suicide Attacks?”, Jour (...)
- 40 La variable « pays-année » permet d’analyser un phénomène dans le temps. Par exemple, l’Espagne a s (...)
30En réponse à la limite des travaux de R. Pape et J. K. Feldman évoquée ci-dessus, Simon Collard-Wexler, Costantino Pischedda et Michael G. Smith ont analysé le lien entre le nombre d’attaques-suicides perpétrées dans un pays au cours d’une année donnée et le fait que ce pays ait déployé ou non des forces armées dans un territoire étranger 39. Au cours de la période qu’ils étudient – 1974-2010 en l’occurrence –, 32 pays avaient subi des attaques suicides pour un total, en termes de « pays-années 40 », de 160. La différence entre ces deux nombres découle du fait que plusieurs pays (le Liban, Israël, les États-Unis, la France, etc.) ont été touchés par des attaques suicides au cours d’années différentes. Ces auteurs ont testé les différentes hypothèses discutées dans la littérature, que ce soit celle relative au poids des motivations religieuses ou celle retenue par R. Pape et J. K. Feldman, à savoir l’interventionnisme militaire en retenant plusieurs indicateurs pour chaque variable.
- 41 Collard-Wexler S., Pischedda C. et Smith M. G., op.cit.
31L’analyse de régression a donné les résultats suivants. Premièrement, la principale thèse de R. Pape se voyait confirmée. L’occupation militaire est, de très loin, la variable la plus corrélée aux attaques-suicides. Toutes choses égales par ailleurs (PIB, population, régime politique, religion des auteurs de l’attaque, religion majoritaire du pays, etc.), la probabilité pour un État de voir ses troupes ou ses ressortissants visés par un attentat-suicide est 17 fois plus grande pour les pays « occupants » que pour les pays « non-occupants 41 ». Cette variable est par ailleurs la seule qui fonctionne de manière systématique. Les autres n’ont une corrélation positive que quand on les combine à celle-ci. Cela signifie, par exemple, qu’à moins de considérer qu’elle constitue un cas singulier, l’Espagne avait 17 fois plus de risques d’être visée par un attentat suicide après l’invasion de l’Irak qu’avant celle-ci. En ce sens, les attentats de Madrid du 11 mars 2004 étaient prévisibles. Cela signifie aussi qu’elle a divisé par 17 ce risque après son retrait d’Irak. De fait, l’Espagne n’a plus été touchée par une attaque suicide depuis ni, d’ailleurs, par aucun attentat revendiqué par une organisation djihadiste jusqu’à ce qu’elle décide d’apporter un soutien, certes principalement logistique, à la coalition « internationale » (étasunienne) contre l’organisation État Islamique en 2014. Soulignons que les prédictions qu’on peut faire à partir de ces données statistiques ne sont pas déterministes mais probabilistes. Elles ne constituent par ailleurs que des valeurs moyennes.
- 42 Ibid., p. 15.
32Deuxièmement, S. Collard-Wexler, C. Pischedda et M. G. Smith ont affiné les contours de la thèse de R. Pape et J. K. Feldman. Si la religion ne constitue pas une explication pertinente, la « différence religieuse » joue un rôle quand elle s’additionne à la logique de l’occupation. En effet, les puissances occupantes dont la religion majoritaire est différente de celle du pays occupé sont deux fois plus visées par les attentats-suicides que la moyenne 42. Les attaques des Tigres Tamoul au Sri-Lanka, des Palestiniens en Israël et des Irakiens contre les forces étasuniennes en Irak entrent dans cette catégorie.
- 43 Kantorowicz E., « Mourir pour la patrie (Pro Patria Mori) dans la pensée politique médiévale », in (...)
- 44 Collard-Wexler S., Pischedda C., Smith M. G., op.cit., p. 19.
33Enfin, les auteurs se sont interrogés sur les raisons qui poussent ces militants à opter pour des attaques suicides au lieu d’un autre répertoire d’action. Selon eux, ce choix ne découle pas, non plus, d’un quelconque fanatisme religieux même si la religion peut donner un sens, comme le patriotisme ou toute autre idéologie transcendantale, au sacrifice 43. Une considération pragmatique joue un rôle plus important : l’impossibilité de frapper sa cible autrement. Concrètement, S. Collard-Wexler, C. Pischedda et M. G. Smith ont montré que la « mécanisation » est, avec l’occupation étrangère mais avant la « différence religieuse », le plus grand facteur explicatif des attaques suicides. Ils entendent par « mécanisation » le fait d’utiliser des technologies militaires protectrices (véhicules blindés, avions, drones, etc.). Plus un pays mécanise son occupation, plus il devient difficile de porter le fer contre lui avec des techniques « régulières », plus cela incite les groupes contestataires à utiliser la technique extrême de l’attaque suicide. Les auteurs ont eu l’intuition de cette hypothèse en pensant à l’exemple des kamikazes japonais. Pendant la guerre du Pacifique, cette technique guerrière n’a émergé qu’à partir du moment où la supériorité matérielle des États-Unis est devenue telle que les Japonais ne parvenaient plus à infliger des dégâts autrement. En l’occurrence, l’analyse de régression a révélé que, toutes choses égales par ailleurs, les occupants les plus mécanisés « sont 74,64 fois plus touchés par les attaques suicides que les non-occupants 44 ».
Les « terroristes » non-kamikazes ne sont pas non plus des fanatiques
- 45 Savun B. et Philips B., “Democracy, Foreign Policy, and Terrorism”, Journal of Conflict Resolution, (...)
34Les études présentées ci-dessus se focalisent exclusivement sur les attaques suicides. En 2009, Burcu Savun et Brian Philips ont élargi la réflexion à l’ensemble des phénomènes « terroristes » au sens présenté plus haut. Comme indiqué précédemment, cela revenait principalement à ajouter les attaques perpétrées par les groupes non étatiques les plus faibles, que ces attaques prennent une forme suicide ou non 45. Par ailleurs, B. Savun et B. Philips ont proposé de distinguer deux types de « terrorisme » : le « terrorisme transnational » – où au moins un bourreau et une victime ont un passeport différent – et le « terrorisme domestique », c’est-à-dire celui où bourreaux et victimes ont le même passeport. Au cours de la période étudiée (1968-2004), ils ont identifié 10 900 attaques « terroristes » domestiques et 8 493 attaques « terroristes transnationales » dans la base de données RAND-DWTI. Testant différentes variables explicatives à l’aide d’une analyse de régression, ils sont parvenus à la conclusion que ces deux « terrorismes » relèvent de logiques différentes.
- 46 Calculées à partir des index du projet Minorities at Risk (MAR) du Center for International Develop (...)
- 47 Savun B., Philips B., op.cit.
35Selon eux, le terrorisme « domestique » s’explique principalement par les facteurs suivants : existence d’une guerre civile (5,6 fois plus d’attaques « terroristes »), existence de discriminations politiques 46 (1,7 fois plus d’attaques « terroristes » domestiques dans les pays où les discriminations politiques sont les plus fortes) et existence de discriminations économiques (1,8 fois plus d’attaques « terroristes » domestiques dans les pays où les discriminations économiques sont les plus importantes). Les autres variables potentiellement explicatives, comme par exemple le revenu moyen par habitant, la stabilité du régime politique ou la nature – démocratique ou non – du régime arrivent loin derrière avec un facteur de moins de 1,1 47. Le fait que les « guerres civiles » soient, de très loin, la principale cause du « terrorisme » (facteur 5,6) appuie les études qui soulignent que l’interventionnisme militaire est le principal facteur explicatif des attentats.
36En ce qui concerne le « terrorisme » transnational à proprement parler, l’analyse de régression a confirmé les conclusions des autres études : l’interventionnisme militaire à l’étranger est la variable la plus fortement corrélée avec les attentats. Les autres variables également fortement corrélées mesurent, en fait, le même phénomène. C’est le cas de la variable « budget militaire ». Les pays qui dépensent le plus d’argent pour leurs forces armées sont, toutes choses égales par ailleurs, 4,65 fois plus touchés par les attentats que la moyenne car… ils interviennent militairement davantage à l’étranger. On peut faire la même remarque avec la variable « alliance avec les États-Unis ». Toutes choses égales par ailleurs, les pays alliés avec les États-Unis sont 2,52 fois plus touchés que la moyenne par les attentats car… ce pays les pousse souvent à intervenir à ses côtés, fusse symboliquement (en apportant un soutien logistique par exemple). Les auteurs font l’hypothèse que le renforcement des dispositions sécuritaires étasuniennes incite les groupes hostiles aux États-Unis à s’attaquer à leurs alliés. Notons que cette idée est conforme à l’hypothèse de la « mécanisation » évoquée plus haut.
- 48 Braithwaite A., op.cit.
- 49 Il a éliminé les cas d’interventionnisme non-significatif (moins de dix soldats déployés).
- 50 Braithwaite A., op.cit.
37A. Braithwaite a conduit une étude qui a calculé de manière plus précise encore le rapport entre l’interventionnisme militaire à l’étranger et les « attentats terroristes transnationaux » entre 1968 et 2010 48. Il a mesuré le premier phénomène en prenant en compte l’indicateur du nombre de troupes déployées à l’étranger de l’IISS 49. Pour sa variable « attentats terroristes transnationaux », ce statisticien a recensé dans les bases de données GTD et ITERATE l’ensemble des attentats « terroristes » dont au moins un des acteurs n’était pas citoyen du pays visé, soit 12 862 cas pour GTD et 12 784 pour ITERATE. Il a ensuite constaté que les pays « interventionnistes » – c’est-à-dire ceux qui déploient plus de 1 000 soldats à l’étranger – sont, en moyenne, 55 fois plus touchés par les attentats terroristes transnationaux que les pays non-interventionnistes. Pour prendre en considération l’objection selon laquelle la causalité pourrait fonctionner dans l’autre sens, cet auteur a aussi étudié les effets de l’augmentation du nombre de troupes à l’étranger. En moyenne, l’envoi de 1 000 soldats supplémentaires dans un autre pays fait augmenter la probabilité de subir un attentat augmente de 19% 50.
- 51 Ibid., p. 371.
38Soucieux de durcir sa démonstration, A. Braithwaite s’est interrogé sur des biais de sélection éventuels. Les bases de données GTD et ITERATE incluent sous le même label « attaque terroriste » les attaques dirigées contre les civils et les attaques suicides contre des militaires. Dès lors, on pourrait penser que la corrélation statistique évoquée plus haut est surdéterminée par les attaques suicides contre les militaires. A. Braithwaite a donc isolé les attaques perpétrées contre les civils. Il est parvenu aux mêmes résultats : l’augmentation du nombre de troupes engendre, en moyenne, une croissance de 18% des attentats dirigés contre des cibles civiles (contre 19% pour l’ensemble de l’échantillon, attaques suicides contre des militaires comprises) 51.
- 52 Ibid.
- 53 Ibid., p. 372.
39Par ailleurs, cet auteur s’est interrogé sur un possible biais statistique engendré par le poids d’un cas particulier : les États-Unis. Ce pays a fourni près de 50% des troupes déployées à l’étranger au cours de la période considérée de telle sorte qu’on peut craindre un effet statistique induit par ce cas singulier. A. Braithwaite a donc retiré de son étude l’ensemble des dyades États-Unis/autres pays. L’effet de l’interventionnisme militaire est alors moindre mais néanmoins important avec une augmentation de 10% des attentats pour une augmentation standard de 1 000 soldats déployés (contre 19% en moyenne) 52. Par ailleurs, A. Braithwaite observe que le 11 septembre 2001 n’a pas constitué un tournant dans la logique du « terrorisme » transnational : « L’augmentation standard en termes de nombre de soldats déployés est associée à une augmentation de 19% du nombre d’attaques terroristes avant le 11 septembre 2001 et 18% après 53. »
Peut-on généraliser ces résultats au « terrorisme » d’aujourd’hui ?
- 54 Kattelman K. T., “Assessing Success of the Global War on Terror: Terrorist Attack Frequency and the (...)
40Quand on leur présente ces études, les partisans de la thèse du fanatisme religieux répètent toujours la même antienne : le « terrorisme » d’hier aurait peut-être des causes politiques mais celui d’aujourd’hui serait d’essence religieuse. On se souvient que R. Pape et J. K. Feldman avait dû faire face à cet argument après leur étude séminale sur les causes des attentats-suicides de la seconde moitié du xxe siècle. Leurs adversaires leur avaient rétorqué, en substance, que les motifs des groupes affiliés à Al-Qaïda n’ont rien à voir avec ceux des Tigres Tamoul ou des mouvements de résistance palestiniens à l’occupation israélienne. R. Pape, J. K. Feldman et des dizaines d’autres spécialistes avaient réfuté cet argument de la spécificité du « terrorisme » islamique. Ainsi, dans une étude récente, Kyle Kattelman a analysé le nombre d’attentats perpétrés par Al-Qaïda au cours de chaque mois dans chacun des 53 États engagés dans des guerres contre-« terroristes » dirigées par les États-Unis entre 1998 et 2011, principalement en Afghanistan et en Irak 54. Le chercheur a observé que plus le nombre de troupes déployées par ces États dans ces guerres contre-« terroristes » était élevé au cours d’un mois donné, plus ces mêmes États faisaient l’objet d’attentats d’Al-Qaïda au cours des mois suivants.
- 55 Egger C., Magni-Berton R., et Varaine S., “Jihadism without borders. The rise offoreign fighters, a (...)
41L’antienne est toutefois réapparue ces dernières années avec la montée en puissance de l’organisation État Islamique : les dirigeants d’Al-Qaïda étaient peut-être animés par des motifs politiques mais ceux de l’EI seraient de véritables fanatiques. Certains parmi nous ont conduit une étude qui répond à cette objection 55. Le terme « interventionnistes » y désigne les pays qui utilisent la force contre l’EI, que ce soit directement ou en apportant un soutien logistique à un autre pays. Entre 2014 et 2016, cette organisation a revendiqué 113 attaques contre des pays autres que l’Irak et la Syrie (les pays où elle s’est implantée). Sur ces 113 attaques, 108 ont été perpétrées contre des pays interventionnistes et, qui plus est, après le début de l’intervention. Il n’existe que cinq exceptions : des attaques contre la Géorgie, la Malaisie, la Belgique, le Liban et la Turquie, ces trois derniers pays étant finalement intervenus contre l’EI après des attaques revendiquées par cette organisation.
42L’étude en question renoue également avec la littérature sur le poids de la mécanisation des interventions militaires en cherchant à mesurer le poids spécifique des frappes aériennes, étant entendu que celles-ci ne permettent pas aux groupes visés de « rendre les coups » de manière régulière contre des troupes au sol. Pour ce faire, est opérée une distinction entre trois catégories de pays : les non-interventionnistes qui, à l’instar de l’Autriche, ne font pas du tout la guerre à l’EI ; ceux qui, comme l’Allemagne, apportent un soutien logistique à des pays interventionnistes (en l’occurrence dans le cadre de la coalition « internationale » dirigée par les États-Unis) ; et, enfin, les pays qui, à l’instar de la France, réalisent des frappes aériennes. En moyenne, les pays non-interventionnistes ont subi moins de 0,05 attentat, ceux qui apportent un soutien logistique 2 attentats et ceux qui réalisent des frappes aériennes un peu plus de 7 attentats. Cette dernière étude va donc dans le même sens que les précédentes : les pays interventionnistes sont beaucoup plus touchés par le phénomène dénommé « terrorisme » que les pays non-interventionnistes et la mécanisation de l’intervention augmente le risque d’attentats en retour.
43Quand ils sont confrontés à ces chiffres, les adversaires de cette explication convoquent souvent la thèse des « attentats déjoués ». On a vu refleurir cet argument dans le contexte de la controverse sur les attentats perpétrés en France par l’organisation État Islamique depuis 2015. Les partisans de l’intervention militaire française ont expliqué que ces attentats ne peuvent pas être interprétés comme une conséquence des bombardements français en Irak initiés en septembre 2014 car, selon eux, l’EI avait essayé d’attaquer la France avant septembre 2014. Le problème de cette thèse réside dans le fait qu’elle convoque des données – les attentats déjoués – qui ne sont pas objectivables. Par ailleurs et surtout, elle repose sur une prémisse invraisemblable et pour tout dire absurde : l’idée selon laquelle la logique des attentats déjoués différerait de celle des attentats réellement perpétrés. Si l’immense majorité des attentats réellement effectués a bien lieu après les interventions, pourquoi en irait-il autrement des attentats déjoués ?
Quel est le sens de la causalité ?
- 56 Même si certaines révèlent une absence de corrélation pour des formes spécifiques d’interventions ( (...)
- 57 Pour une revue de la littérature, voir par exemple : Krieger T., Meierrieks D., “What causes terror (...)
44L’ensemble des études statistiques recensées concluent donc à l’existence d’une corrélation entre interventionnisme militaire et terrorisme 56. Cette univocité de la littérature est spectaculaire pour quiconque s’intéresse aux études statistiques sur les causes du « terrorisme » en général. Au contraire de l’interventionnisme, l’effet de la pauvreté, du niveau d’éducation, ou encore du régime politique font l’objet d’études statistiques contradictoires et âprement débattues 57. La corrélation avec l’interventionnisme militaire est la seule sur laquelle il existe un consensus. Elle est, qui plus est, particulièrement forte.
- 58 Sur les problèmes posés par les typologies des régimes politiques, voir : Dabène O. et al., Autorit (...)
- 59 Voir notamment : Caverley J. D., Democratic Militarism, Cambridge University Press, 2014.
- 60 Savun B., Philips B., “Democracy, Foreign Policy, and Terrorism”, Journal of Conflict Resolution, v (...)
45Néanmoins, l’existence d’une corrélation ne signifie pas, en soi, celle d’une causalité. On pourrait imaginer, tout d’abord, qu’il existe une variable explicative commune aux deux phénomènes qui varient ensemble : l’interventionnisme et le « terrorisme ». Par exemple, la (petite) covariation entre le nombre d’accidents de voiture et la couleur (rouge) de celle-ci découle plus vraisemblablement du fait que les personnes qui aiment la vitesse aiment aussi la couleur rouge – caractéristique d’une écurie bien connue de Formule 1 – plutôt que par une influence de la couleur rouge sur la conduite. Les analyses de régression permettent d’écarter cette hypothèse en ce qui concerne le PIB, la démographie, la proximité géographique et les variables de ce type. Un débat a aussi animé la littérature au début des années 2000 sur le rôle de la nature – démocratique ou non 58 – du régime. Dans la première étude mentionnée plus haut, R. Pape a observé que les pays « démocratiques » sont davantage touchés par les attaques-suicides que les pays non-démocratiques. Les pays « démocratiques » étant par ailleurs, en moyenne, plus interventionnistes que les autres 59, la variable « nature du régime politique » pourrait être la cause de la covariation. Les analyses de régression ont, là encore, permis d’écarter cette hypothèse : les « démocraties » non ou peu interventionnistes sont très peu touchées par les attentats ; à l’inverse, les « non-démocraties » interventionnistes le sont beaucoup 60.
- 61 D’autres méthodes statistiques non détaillées ici sont utilisées par certaines analyses pour prendr (...)
46On pourrait aussi imaginer que la causalité fonctionne dans l’autre sens, autrement dit que les pays touchés par des attentats répondent à ceux-ci en s’engageant militairement. Une première manière, partielle, de s’assurer de l’effet causal des interventions consiste à analyser le lien entre la fréquence des attentats et le niveau d’interventionnisme au cours de l’année précédente. Le raisonnement est le suivant : si l’on observe que les attaques survenues dans un pays une certaine année sont statistiquement associées aux occupations militaires opérées dans ce pays l’année précédente, on dispose alors d’un indice de la présence d’une causalité. Ce constat est dressé par la plupart des études que nous avons recensées (voir le tableau en annexe). Pour aller plus loin, et tester la possibilité d’une causalité inverse, une possibilité 61 est de se demander s’il existe également une corrélation entre le nombre d’attentats au cours d’une année et le niveau d’interventionnisme au cours de l’année suivante.
- 62 Egger C, Magni-Berton R, Varaine S, “Jihadism without borders: The rise of foreign fighters, affili (...)
- 63 Pape R., Feldman J. K., , Cutting the Fuse: The Explosion of Global Suicide Terrorism and How to St (...)
47L’enquête déjà citée, à laquelle certains d’entre nous ont participé, réalise ce type d’analyse sur le nombre d’attentats commis dans 156 pays du monde entre 1992 et 2006 et attribués à des organisations islamistes 62. Les résultats révèlent que le risque d’attentats dans un pays est 3 à 4 fois plus élevé si ce pays a pris part dans une intervention militaire dans un pays à majorité musulmane au cours de l’année précédente. En revanche, les pays qui initient une intervention militaire ne se caractérisent pas par le fait d’avoir été ciblés par une attaque islamiste l’année précédant leur intervention. Compte tenu de ces informations, il est impossible d’affirmer que l’intervention militaire est, en règle générale, une riposte aux attaques « terroristes ». Et il est même difficile d’affirmer qu’en moyenne, des escalades de violence existent et évoluent symétriquement. Plus précisément, ces phénomènes concernent les pays très interventionnistes comme les États-Unis, la France et le Royaume-Uni. Ces cas, très significatifs sur le plan politique, constituent cependant des exceptions statistiques : la plupart des États ne répondent pas par la guerre aux attentats. L’affirmation la plus congruente avec ces observations est que les attentats terroristes sont essentiellement une riposte à des interventions militaires, alors que l’inverse n’est pas vrai. Ce résultat rejoint le constat de R. Pape et J. K. Feldman que, dans l’immense majorité des cas, les occupations précèdent les attaques suicides. Ceux-ci avaient d’ailleurs relevé que le nombre d’attaques suicides augmente de manière spectaculaire environ un an après le début de chaque occupation. Pour éclairer ce fait, les auteurs ont mis en avant une explication en termes de montée du « ressentiment » : « En Irak et en Afghanistan, les communautés locales qui ne partageaient pas, au départ, le programme politique, social et militaire des “terroristes” ont fini par appuyer la campagne de l’organisation terroriste après qu’elles ont commencé à percevoir les forces occidentales comme des occupants, comme des troupes étrangères qui soutiennent et contrôlent leur gouvernement national, changent leur culture locale, compromettent leur bien-être économique et mènent des opérations de combat qui causent de graves dommages collatéraux 63. »
Clarifier l’objectif stratégique de l’interventionnisme militaire
48Il ressort de ce qui précède que la littérature quantitative sur les déterminants du « terrorisme » ne s’oppose pas, au contraire, aux démarches de recherche plus réflexives. La clef du raisonnement consiste à mettre des guillemets au terme « terrorisme ». On comprend alors que cette littérature ne nous dit rien sur le terrorisme en tant que phénomène objectif – l’objet résiste de toute manière à toute entreprise de définition réflexive – mais qu’elle apporte un éclairage décisif sur les causes de ce que les États les plus puissants appellent « terrorisme », c’est-à-dire les attaques des groupes non étatiques contre ces États. L’interventionnisme militaire est le facteur explicatif principal de ce phénomène, ce qui va dans le sens de la thèse du pompier pyromane. Comme tous les mécanismes des sciences sociales, celui-ci ne dessine pas un lien déterministe mais probabiliste. Pour reprendre l’exemple donné en introduction, l’étude de A. Braithwaite ne permettait pas de prédire les attentats de janvier 2015 et ceux qui ont suivi. Elle permettait cependant d’affirmer que si la France ne constitue pas une exception, la décision française de bombarder l’organisation État Islamique en Irak à partir de septembre 2014 augmentait d’un facteur 55 le risque, pour les ressortissants français, d’être visés par un attentat.
49En apportant une attention plus grande à cette littérature et à ses outils d’analyse, les chercheurs francophones en tireraient un double avantage. Tout d’abord, ils pourraient contribuer à distinguer les travaux statistiques de qualité de ceux qui, bien qu’utilisant des modèles statistiques sophistiqués, en tirent des interprétations abusives. Par exemple, les études susmentionnées ne permettent pas de condamner l’instrument guerrier en toute circonstance. Il peut exister de bonnes raisons d’intervenir militairement en dehors de ses frontières mais il convient d’être conscient d’un fait : on augmente ainsi de manière très importante le risque de voir ses ressortissants visés par un attentat. D’autre part, les statistiques offrent parfois la possibilité de révéler des opérations de savoir/pouvoir que les acteurs impliqués s’efforcent de masquer et qui, par conséquent, peuvent affecter les interprétations des spécialistes. Dans des situations de guerre, la tentation est forte de présenter l’ennemi comme un être qui « nous attaque pour ce que nous sommes ». Statistiquement, cela devrait se traduire par l’observation d’attentats terroristes aléatoires et imprévisibles. Or la réalité est toute autre. Les attentats « terroristes » sont statistiquement associés à la politique étrangère des pays touchés et dans le cas des attentats transnationaux, la corrélation est spectaculaire. Les tenants de la thèse de la violence aveugle ou fanatique devront faire face à ce fait.
Annexe : recension des analyses statistiques sur la corrélation entre intervention militaire et terrorisme
Référence |
Indicateur de terrorisme [source] |
Indicateur d’intervention militaire [source] |
Corrélation a |
Test statistique de causalité ? |
Cadre spatial |
Cadre temporel |
Savun B., Philips B. J., 2009 |
Nombre d’attentats transnationaux (impliquant des perpétrateurs ou victimes d’une autre nationalité que le territoire d’occurrence) perpétrés dans chaque pays par année [RAND-DWTI] |
Nombre d’interventions du pays dans des guerres civiles distinctes au cours de l’année * |
++ |
Non |
Global (163 pays) |
1968-2001 |
Neumayer E., Plümper T., 2009 |
Nombre d’attentats transnationaux perpétrés par des citoyens d’un pays x envers des citoyens d’un pays y par année [ITERATE], différents codages (nombre d’attentats et nombre de victimes) |
Intervention militaire du pays y dans une guerre civile affectant le pays x en faveur de son gouvernement au cours de l’année précédente [UCDP], codage ordinal (de 0 à 2 pour les guerres civiles impliquant plus de 1 000 morts dans l’année) |
++ |
Partiel |
Global (148 pays) |
1969-2005 |
Azam J.-P., Thelen V., 2010 |
Nombre d’attentats terrorists transnationaux (impliquant des perpétrateurs ou victims d’une autre nationalité que le territoire d’occurrence) perpétrés par des ressortissants de chaque pays par année [International Policy Institute for Counter-Terrorism] |
Nombre moyen de soldats étasuniens déployés dans le pays au cours de la période [US-DoD] |
+ |
Oui |
Global (132 pays) |
1990-2004 |
Nombre d’attentats terroristes transnationaux (impliquant des perpétrateurs ou victimes d’une autre nationalité que le territoire d’occurrence) perpétrés par des ressortissants de chaque pays par année [ITERATE] |
++ |
|||||
Neumayer E., Plümper T., 2011 |
Nombre d’attentats terroristes perpétrés par des ressortissants d’un pays contre des cibles étasuniennes par année [ITERATE], différents codages (nombre d’attentats et nombre de victimes) |
Nombre de troupes étasuniennes déployées dans le pays au cours de l’année rapporté au nombre de troupes du pays [US-DoD] |
++ |
Oui |
Global (149 pays) |
1978-2005 |
Collard S., Wexler C. et al., 2014 |
Nombre d’attentats-suicide perpétré contre chaque pays (dans ou hors de son territoire) par année [CPOST] |
Stationnement de forces armées du pays dans un territoire étranger exerçant de la coercition sur les populations après cessation d’un conflit interétatique au cours de l’année [Propre classification] |
++ |
Non |
Global (167 pays) |
1981-2007 |
Nombre d’attentats-suicides perpétrés dans chaque pays par année [GTD] |
++ |
|||||
Nombre d’attentats-suicides perpétrés dans chaque pays par année [Pedhazur, 2006] |
++ |
|||||
Nombre d’attentats non-suicide perpétré dans chaque pays par année [GTD] |
0 |
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Du Bois C., Buts C., 2016 |
Nombre d’attentats transnationaux perpétrés par des citoyens d’un pays x envers des citoyens d’un pays y par année [GTD], différents codages (nombre d’attentats et nombre de victimes) |
Nombre de troupes déployées par le pays y dans le pays x au cours de l’année, rapporté au nombre de troupes du pays x [IISS] |
++ |
Oui |
Pays de l’OTAN (28 pays) |
1998-2007 |
Braithwaite A., 2015 |
Nombre d’attentats transnationaux perpétrés par des citoyens d’un pays x contre des citoyens d’un pays y par année [GTD], différents codages (nombre d’attentats et nombre de victimes) |
Nombre de troupes déployées par le pays y dans le pays x au cours de l’année, excluant les interventions navales et sous l’égide de l’ONU [IISS] |
++ |
Partiel |
Global (non précisé) |
1981-2007 |
Ryckman K. C., & Ryckman M., 2017 |
Nombre d’attentats transnationaux perpétrés par un groupe terroriste issu d’un pays x ciblant un pays y par année [GTD], différents codages (ciblant les citoyens du pays y ou le territoire du pays y) |
Nombre de troupes déployées par le pays y dans le pays x au cours de l’année précédente (excluant les opérations de maintien de la paix et les interventions non terrestres) [IISS] |
+ |
Partiel |
Global (non précisé) |
1970-2014 |
Intervention militaire du pays y dans une guerre civile affectant le pays x en faveur du gouvernement du pays x au cours de l’année précédente [UCDP] |
++ |
|||||
Intervention militaire du pays y dans une guerre civile affectant le pays x en faveur des groupes rebelles du pays x au cours de l’année précédente [UCDP] |
0 |
|||||
Milton D. J., 2017 |
Présence d’attentats terroristes visant des diplomates étasuniens dans chaque pays par année [GTD] |
Nombre de troupes étasuniennes déployées dans le pays au cours de l’année [US-DoD et autres sources] |
++ |
Oui |
Pays ayant des relations diplomatiques avec les États-Unis (150 pays) |
1970-2011 |
Mouvement de forces militaires étasuniennes dans le pays au cours de l’année [ICPSR-IMI] |
0 |
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Présence d’attentats terroristes visant des non diplomates étasuniens dans chaque pays par année [GTD] |
Nombre de troupes étasuniennes déployées dans le pays au cours de l’année [US-DoD et autres sources] |
++ |
||||
Mouvement de forces militaires étasuniennes dans le pays au cours de l’année [ICPSR-IMI] |
++ |
|||||
Choi S. W., Piazza J. A., 2017 |
Nombre d’attentats-suicides perpétrés dans chaque pays par année [CPOST] |
Mouvement de forces militaires étrangères dans le pays au cours de l’année précédente [ICPSR-IMI], différents codages (binaire ou graduel) |
0 |
Partiel |
Global (138 pays) |
1981-2005 |
Mouvement de forces militaires étrangères pro-gouvernementales dans le pays au cours de l’année précédente [ICPSR-IMI], différents codages (binaire ou graduel) |
++ |
|||||
Mouvement de forces militaires étrangères anti-gouvernementales dans le pays au cours de l’année précédente [ICPSR-IMI], différents codages (binaire ou graduel) |
0 |
|||||
Nombre d’attentats-suicides perpétrés dans chaque pays par année [GTD] |
Mouvement de forces militaires étrangères dans le pays au cours de l’année précédente [ICPSR-IMI], différents codages (binaire ou graduel) |
- |
||||
Mouvement de forces militaires étrangères pro-gouvernementales dans le pays au cours de l’année précédente [ICPSR-IMI], différents codages (binaire ou graduel) |
++ |
|||||
Mouvement de forces militaires étrangères anti-gouvernementales dans le pays au cours de l’année précédente [ICPSR-IMI], différents codages (binaire ou graduel) |
0 |
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Buts C., Du Bois C., 2017 |
Nombre d’attentats transnationaux perpétrés par des organisations terroristes d’un pays x envers des citoyens d’un pays y par année [GTD], différents codages (nombre d’attentats et nombre de victimes) |
Nombre de troupes déployées par le pays y dans le pays x au cours de l’année, rapporté au nombre de troupes du pays x [IISS] |
++ |
Non |
Pays de l’OTAN (28 pays) |
1998-2007 |
Nombre de troupes déployées par le pays y dans le pays x au cours de l’année sous l’égide de l’ONU, rapporté au nombre de troupes du pays x [IISS] |
0 |
|||||
Nombre de troupes déployées par le pays y dans le pays x au cours de l’année dans le cadre de l’OTAN, rapporté au nombre de troupes du pays x [IISS] |
0 |
|||||
Nombre de troupes déployées par le pays y dans le pays x au cours de l’année dans le cadre de coalitions fixes, rapporté au nombre de troupes du pays x [IISS] |
+ |
|||||
Nombre de troupes déployées par le pays y dans le pays x au cours de l’année dans le cadre de coalitions ad hoc, rapporté au nombre de troupes du pays x [IISS] |
+ |
|||||
Piazza J. A. Choi S. W., 2018 |
Nombre d’attentats transnationaux perpétrés dans chaque pays par année [GTD] |
Mouvement de forces militaires étrangères du pays dans un pays étranger au cours de l’année précédente [ICPSR-IMI] |
+ |
Oui |
Global (182 pays) |
1970-2005 |
Nombre d’attentats transnationaux perpétrés dans chaque pays et contre des ressortissants de ce pays par année [ITERATE] |
++ |
|||||
Nombre d’attentats transnationaux perpétrés dans chaque pays par année [GTD] |
Mouvement de forces militaires étrangères du pays dans un pays étranger pour des raisons politico-stratégiques au cours de l’année précédente [ICPSR-IMI] |
++ |
||||
Nombre d’attentats transnationaux perpétrés dans chaque pays et contre des ressortissants de ce pays par année [ITERATE] |
++ |
|||||
Nombre d’attentats transnationaux perpétrés dans chaque pays par année [GTD] |
Mouvement de forces militaires étrangères du pays dans un pays étranger pour des raisons socio-économiques au cours de l’année précédente [ICPSR-IMI] |
- |
||||
Nombre d’attentats transnationaux perpétrés dans chaque pays et contre des ressortissants de ce pays par année [ITERATE] |
0 |
|||||
Kattelman K. T., 2020 |
Nombre d’attentats perpétrés par Al-Qaïda (et organisations affiliées) contre des ressortissants de chaque pays par mois [GTD] |
Nombre de troupes déployées par le pays en Irak et Afghanistan au cours du mois précédent [US-DoD et autres sources] |
++ |
Oui |
Pays de la coalition contre Al-Qaida (53 pays) |
1998-2011 |
Asal V. H. et al., 2021 |
Nombre d’attentats contre des ressortissants étasuniens pour chaque groupe terroriste par année [Big Allied and Dangerous 2 dataset] |
Nombre de troupes étasuniennes déployées dans le pays hôte du groupe terroriste au cours de l’année précédente [US-DoD] |
++ |
Oui |
Pays hôtes des 122 groupes terroristes étudiés (44 pays) |
1998-2008 |
Choi S. W. (Non publié) |
Nombres d’attentats perpétrés dans chaque pays par année [GTD], différents codages (nombre d’attentats et nombre de morts) |
Mouvement de forces militaires étasuniennes dans le pays au cours de l’année précédente [ICPSR-IMI] |
++ |
Oui |
Global (166 pays) |
1970-2005 |
Mouvement de forces militaires étasuniennes à visée anti-terroristes dans le pays au cours de l’année précédente [ICPSR-IMI] |
- |
|||||
Mouvement de forces militaires étasuniennes visant à résoudre un conflit domestique dans le pays au cours de l’année précédente [ICPSR-IMI] |
++ |
|||||
Mouvement de forces militaires étasuniennes visant à un changement dans le pays de régime au cours de l’année précédente [ICPSR-IMI] |
+ |
|||||
Mouvement de forces militaires étasuniennes à visée humanitaire dans le pays au cours de l’année précédente [ICPSR-IMI] |
++ |
|||||
Dimant et al. (Non publié) |
Présence d’attentats terroristes visant des cibles étasuniennes dans chaque pays par année [ITERATE] |
Nombre de troupes étasuniennes déployées dans le pays au cours de l’année [US-DoD] |
++ |
Non |
Global (106 pays) |
1986-2011 |
Egger et al. (Non publié) |
Nombre d’attentats perpétrés au nom de l’État Islamique dans chaque pays au cours de la période [GTD], différents codages (attentats et victimes de loups solitaires, de l’État Islamique et de groupes affiliés) |
Niveau d’intervention militaire du pays contre l’État Islamique [Propre classification], codage ordinal (de 0 à 2 pour les pays ayant conduit des frappes aériennes contre l’État Islamique) |
++ |
Non |
Global (155 pays) |
2014-2016 |
Nombre d’attentats perpétrés par des organisations islamistes dans chaque pays par année [GTD] |
Mouvement de forces militaires étrangères du pays dans un pays à majorité musulmane pour des raisons politico-stratégiques au cours de l’année précédente [ICPSR-IMI] |
++ |
Oui |
Global (156 pays) |
1992-2006 |
|
Mouvement de forces militaires étrangères du pays dans un pays à majorité musulmane pour des raisons socio-économiques au cours de l’année précédente [ICPSR-IMI] |
+ |
a Corrélation positive (++), corrélation positive non robuste (+), absence de corrélation (0), corrélation négative non robuste (-), corrélation négative (—)
* Regan P., Civil wars and foreign powers: outside interventions and intrastate conflict, Ann Arbor, University of Michigan Press, 2000.
Liste des études recensées
50Asal V., Linebarger C., Jadoon A., Greig J. M., “Why Some Rebel Organizations Attack Americans”, Defence and Peace Economics, 2021, vol. 32, n°6, pp. 708-725.
51Azam J. P., Thelen V., “Foreign Aid Versus Military Intervention in The War on Terror”, Journal of Conflict Resolution, vol. 54, n°2, 2010, pp. 237-261.
52Braithwaite A., “Transnational Terrorism as An Unintended Consequence of a Military Footprint”, Security Studies, vol. 24, n°2, 2015, pp. 349-375.
53Buts C., Du Bois C., “Military Deployment And International Terrorism: Do Location And Mission Type Matter?”, Defence and peace economics, vol. 28, n°6, 2017, pp. 621-633.
54Choi S. W., “Does US Military Intervention Reduce or Increase Terrorism?”, in APSA 2011 Annual Meeting Paper.
55Choi S. W., Piazza J. A., “Foreign Military Interventions and Suicide Attacks”, Journal of Conflict Resolution, vol. 61, n°2, 2017, pp. 271-297.
56Collard-Wexler S., Pischedda C., Smith M. G., “Do Foreign Occupations Cause Suicide Attacks?”, Journal of Conflict Resolution, vol. 58, n°4, 2014, pp. 625-657.
57Asal V. H., Rethemeyer R. K., Anderson I., Stein A., Rizzo J., Rozea M,. “The Softest of Targets: A Study on Terrorist Target Selection”, Journal of Applied Security Research, vol. 4, n°3, 2009, pp. 258-278.
58Dimant E., Krieger T., Meierrieks D., Negative Returns: US Military Policy and Anti-American Terrorism, Munich, Center for Economic Studies & Ifo Institute, 2017.
59Du Bois C., Buts C., “Military Support and Transnational Terrorism”, Defence and Peace Economics, vol. 27, n°5, 2016, pp. 626-643.
60Egger C. M., Magni-Berton R., Varaine S., Jihadism Without Borders: The Rise of Foreign Fighters, Affiliated Terrorists and Lone Wolves Outside Civil Wars, Sage Advance, 2020.
61Kattelman K. T., “Assessing Success of The Global War on Terror: Terrorist Attack Frequency and The Backlash Effect”, Dynamics of Asymmetric Conflict, vol. 13, n°1, 2020, pp. 67-86.
62Milton D. J., “Dangerous Work: Terrorism Against US Diplomats”, Contemporary security policy, vol. 38, n°3, 2017, pp. 345-370.
63Neumayer E., Plümper T., “International Terrorism and The Clash of Civilizations”, British journal of political science, vol. 39, n°4, 2009, pp. 711-734.
64Neumayer E., Plümper T., “Foreign Terror on Americans”, Journal of Peace Research, vol. 48, n°1, 2011, pp. 3-17.
65Piazza J. A., Choi S. W., “International Military Interventions and Transnational Terrorist Backlash”, International Studies Quarterly, vol. 62, n°3, 2018, pp. 686-695.
66Ryckman K. C., Ryckman M, “All Politics Is Local: The Domestic Agenda of Terror Groups and The Study of Transnational Attacks”, Journal of global security studies, vol. 2, n°1, 2017, pp. 55-73.
67Savun B., Phillips B. J., “Democracy, Foreign Policy, and Terrorism”, Journal of Conflict Resolution, vol. 53, n°6, 2009, pp. 878-904.
Notes
1 Nous remercions Laurent Bonelli et les évaluateurs anonymes pour leurs précieux commentaires sur une version précédente de ce texte.
2 James K. Feldman, qui a étudié la question avec Robert Pape, a travaillé au SAASS de l’US Air Force. Pape R., Feldman J. K, Cutting the Fuse: The Explosion of Global Suicide Terrorism and How to Stop It, Chicago, 2010.
3 Voir à ce propos : Delori M. et al., Le choix rationnel en science politique. Débats critiques, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2009.
4 Bigo D., « L’impossible cartographie du terrorisme », Cultures & Conflits, Articles inédits, mis en ligne le 25 février 2005 [https://journals.openedition.org/conflits/1149] consulté le 5 novembre 2021.
5 Ibid.
6 Braithwaite A., “Transnational terrorism as an unintended consequence of a military footprint”, Security Studies, vol. 24, n°2, 2015, pp. 349-375.
7 Desrosières A., Pour une sociologie historique de la quantification, Paris, Presses des Mines, 2008, p. 7.
8 Bourdieu P., « L’opinion publique n’existe pas », Questions de sociologie, Paris, Éditions de minuit, 1980 (1973) ; Desrosières A., op.cit.
9 Desrosières A., op.cit., pp. 7-9.
10 Becker J., « 7. “La fleur au fusil” : retour sur un mythe », in Prochasson C. (dir.), Vrai et faux dans la Grande Guerre, Paris, La Découverte, 2004, pp. 152-165.
11 Pickering J., Emizet F.K., “The International Military Intervention Dataset: An Updated Resource for Conflict Scholars”, Journal of Peace Research, vol. 46, n°4, 2009, p. 594.
12 Högbladh S., Pettersson T., Themnér L., External Support in Armed Conflict 1975–2009. Presenting new data. Paper presented at the 52nd Annual International Studies Association Convention, Montreal, Canada, 16-19 mars 2011.
13 Pettersson T., Davis S., Deniz A., Engström G., Hawach N., Högbladh S., Sollenberg M., Öberg M., “Organized violence 1989-2020, with a special emphasis on Syria”, Journal of Peace Research, vol. 58, n°4, 2021.
14 Pour une description, voir : Gromes T., Dembinski M., “Practices and outcomes of humanitarian military interventions: a new data set”, International Interactions, vol. 45, n°6, 2009, pp. 1032-1048.
15 Braithwaite A., op.cit.
16 Voir par exemple à ce sujet : Piazza J. A., “Repression and Terrorism: A Cross-National Empirical Analysis of Types of Repression and Domestic Terrorism”, Terrorism and Political Violence, vol. 29, n°1, 2017, pp. 102-118.
17 Salice A., “Acts of Terror as Collective Violent Acts”, The Theory and Practice of Ontology, Palgrave Macmillan, Londres, 2016, pp. 95-113 ; Tilly C., “Terror, Terrorism, Terrorists”, Sociological Theory, vol. 22, n°1, 2004, pp. 5-13.
18 Kautsky K., Terrorisme et communisme. Contribution à l’Histoire des Révolutions, Paris, J. Povolozky & Cie., 1919, p. 124.
19 Pape R., “The Strategic Logic of Suicide Terrorism”, American Political Science Review, vol. 97, n°3, 2003, pp. 343-361 ; Pape R., Feldman J.K., Cutting the Fuse. The explosion of global terrorism and how to stop it, op.cit.
20 Zohra Drif – une militante de l’indépendance algérienne devenue ensuite dirigeante de ce pays – fait figure d’exception. Voir : Browning C., “Restaging Terror in the Algerian War: Zohra Drif, Malraux, Camus, Fanon”, French Forum, vol. 43, n°3, 2018, pp. 457-473.
21 Ce choix découle aussi de l’inscription de l’auteur dans les débats nord-américains des années 2000 sur le « terrorisme ». À l’époque, de nombreuses attaques « terroristes » dirigées contre les États-Unis prenaient la forme d’attentats-suicides. C’était moins vrai en Europe et ailleurs à l’époque.
22 Voir : « Mort volontaire combattante », Cultures & Conflits, n°63, 2006 ; Fierke K. M., Political Self-Sacrifice. Agency, Body and Emotion in International Relations, Cambridge, Cambridge University Press, 2013.
23 Khalili L., Time in the Shadows. Confinement in Counterinsurgencies, Stanford University Press, 2012.
24 Il existe une zone grise : les attentats perpétrés par des individus ou des groupes non-étatiques soutenus par des États. Dans ce cas, la comptabilisation dépend de la proximité entre l’État en question et les bases de données. Ces dernières sont hébergées aux États-Unis, de telle sorte que les attentats réalisés par des individus ou des groupes soutenus par Washington ne sont généralement pas comptabilisées comme « terroristes » alors que ceux perpétrés par des proxies de Tripoli ou Téhéran le sont plus souvent.
25 Voir par exemple, la comparaison des bases de données effectuée par les créateurs de la Global Terrorism Database, Gary LaFree, Laura Dugan, Heather V. Fogg, Jeffrey Scott, Building a Global Terrorism Database, Report for the US Department of Justice, 2006, https://www.ojp.gov/pdffiles1/nij/grants/214260.pdf
26 LaFree G., Dugan L., Miller E., Putting terrorism in context: Lessons from the Global Terrorism Database, Londres, Routledge, 2014.
27 Boulden J., “Terrorism and civil wars”, Civil wars, vol. 11, n°1, 2009, pp. 5-21.
28 Butler J., Troubles dans le genre, Paris, La Découverte, 2006 (1990), p. 202.
29 Wahnich S., La liberté ou la mort. Essai sur la Terreur et le terrorisme, Paris, La Fabrique, 2003.
30 Syrian Network For Human Rights, (24 September 2019). “Civilian Death Toll”. Archivé depuis l’original le 2 novembre 2019. Consulté le 20 juin 2021 sur : https://web.archive.org/web/20191102013022/http://sn4hr.org/blog/2018/09/24/civilian-death-toll/
31 Ritchie H., Hasell J., Appel C., Roser M., “Terrorism”, 2018, en ligne, https://ourworldindata.org/terrorism/.
32 Geneva Declaration, Geneva Secretariat, Global burden of Armed violence (2004-2007), p. 10, http://www.genevadeclaration.org/measurability/global-burden-of-armed-violence/global-burden-of-armed-violence-2008.html (consulté le 26 novembre 2021).
33 Pape R., Dying to win: the Strategic Logic of Suicide Terrorism, New York, Radom House, 2005.
34 Atran S., “The Moral Logic and Growth of Suicide Terrorism”, The Washington Quarterly, vol. 26, n°2, 2006 ; Crenshaw M., “Explaining Suicide Terrorism: A Review Essay”, Security Studies, vol. 16. n°1, 2007, pp. 133-162 ; Goodwin J., “A theory of Categorical Terrorism”, Social Forces, vol. 84, n°4, 2006, pp. 2027-2046 ; Moghadam, A., “Suicide Terrorism, Occupation, and the Globalization of Martyrdom: A Critique of Dying to Win”, Studies in Conflict and Terrorism, vol. 29, n°8, 2006, pp. 707–729.
35 Pape R. et Feldman J. K., Cutting the Fuse: The Explosion of Global Suicide Terrorism and How to Stop It, op cit.
36 Ibid., p. 28.
37 Ashworth S., Clinton J. D., Meirowitz A., Ramsay K. W., “Design, Inference, and The Strategic Logic of Suicide Terrorism”, American Political Science Review, vol. 102, n°2, 2008, pp. 269-273.
38 Geddes B., “How the cases you choose affect the answers you get: Selection bias in comparative politics”, Political analysis, vol. 2, 1990, pp. 131-150.
39 Collard-Wexler S., Pischedda C., Smith M. G., “Do Foreign Occupations Cause Suicide Attacks?”, Journal of Conflict Resolution, vol. 58, n°4, 2013, pp. 625-657.
40 La variable « pays-année » permet d’analyser un phénomène dans le temps. Par exemple, l’Espagne a subi des attaques suicides en 2003 et 2004 mais pas en 2005.
41 Collard-Wexler S., Pischedda C. et Smith M. G., op.cit.
42 Ibid., p. 15.
43 Kantorowicz E., « Mourir pour la patrie (Pro Patria Mori) dans la pensée politique médiévale », in E. Kantorowicz (dir.), Mourir pour la patrie, Paris, Presses Universitaires de France, 1984.
44 Collard-Wexler S., Pischedda C., Smith M. G., op.cit., p. 19.
45 Savun B. et Philips B., “Democracy, Foreign Policy, and Terrorism”, Journal of Conflict Resolution, vol. 53, n°6, 2009, p. 887.
46 Calculées à partir des index du projet Minorities at Risk (MAR) du Center for International Development and Conflict Management de l’université du Maryland. Ces index mesurent le degré de discriminations politiques et économiques de chaque pays sur une échelle de 0 à 4.
47 Savun B., Philips B., op.cit.
48 Braithwaite A., op.cit.
49 Il a éliminé les cas d’interventionnisme non-significatif (moins de dix soldats déployés).
50 Braithwaite A., op.cit.
51 Ibid., p. 371.
52 Ibid.
53 Ibid., p. 372.
54 Kattelman K. T., “Assessing Success of the Global War on Terror: Terrorist Attack Frequency and the Backlash Effect”, Dynamics of Asymmetric Conflict, vol. 13, n°1, 2020, pp. 67-86.
55 Egger C., Magni-Berton R., et Varaine S., “Jihadism without borders. The rise offoreign fighters, affiliated terroristsand lone wolvesoutside civil wars ”, Advance. A SAGE preprint community, 2021, https://doi.org/10.31124/advance.12696857.v1/.
56 Même si certaines révèlent une absence de corrélation pour des formes spécifiques d’interventions (par exemple, sous l’égide de l’ONU, pour des raisons socio-économiques, ou en faveur des groupes insurgés), ou certaines formes de spécifiques de « terrorisme » (voir le tableau en annexe).
57 Pour une revue de la littérature, voir par exemple : Krieger T., Meierrieks D., “What causes terrorism?”, Public Choice, vol. 147, n°1, 2011, pp. 3-27.
58 Sur les problèmes posés par les typologies des régimes politiques, voir : Dabène O. et al., Autoritarismes démocratiques. Démocraties autoritaires au xxie siècle, Paris, La Découverte, 2008.
59 Voir notamment : Caverley J. D., Democratic Militarism, Cambridge University Press, 2014.
60 Savun B., Philips B., “Democracy, Foreign Policy, and Terrorism”, Journal of Conflict Resolution, vol. 53, n°6, 2009, p. 879.
61 D’autres méthodes statistiques non détaillées ici sont utilisées par certaines analyses pour prendre en compte l’éventuelle endogénéité de la corrélation, à savoir que les deux variables puissent s’influencer mutuellement.
62 Egger C, Magni-Berton R, Varaine S, “Jihadism without borders: The rise of foreign fighters, affiliated terrorists and lone wolves outside civil wars”, op.cit. ; Savun B., Philips B., “Democracy, Foreign Policy, and Terrorism”, Journal of Conflict Resolution, vol. 53, n°6, 2009, p. 879.
63 Pape R., Feldman J. K., , Cutting the Fuse: The Explosion of Global Suicide Terrorism and How to Stop It, op.cit., p. 333.
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Mathias Delori, Clara Egger, Raul Magni-Berton et Simon Varaine, « Les interventions militaires sont-elles une cause du « terrorisme » ? », Cultures & Conflits, 123-124 | 2021, 37-65.
Référence électronique
Mathias Delori, Clara Egger, Raul Magni-Berton et Simon Varaine, « Les interventions militaires sont-elles une cause du « terrorisme » ? », Cultures & Conflits [En ligne], 123-124 | Automne-hiver 2021, mis en ligne le 01 janvier 2025, consulté le 15 juillet 2025. URL : http://journals.openedition.org/conflits/23183 ; DOI : https://doi.org/10.4000/conflits.23183
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