Éditorial
Texte intégral
1Ce nouveau numéro de Cultures & Conflits nous donne l’occasion de présenter les thèmes auxquels la revue souhaite donner priorité au cours des prochains mois. Une question transversale touche à l’obéissance aux formes de surveillance liquide contemporaines, qui ne cessent de se réinventer dans la forme, mais poursuivent des objectifs traditionnels de puissance et de profit. Ces modalités d’obéissance vont de la soumission à la force, malgré des résistances acharnées, à des acceptations enthousiastes de discours ultra sur le retour de l’autorité et la priorité donnée à l’ordre et au statu quo (politique, économique, financier, sécuritaire). Étienne de La Boétie avait inscrit cette question de la servitude volontaire, qui n’est en aucun cas une volonté de servitude, mais juste l’abandon des libertés fondamentales au profit de petits avantages, au cœur de la politique, précédant la question du pouvoir et des modalités et effets du contrôle des populations, des libertés citoyennes, des capacités d’action et de mobilisation face à l’extraordinaire persistance des problèmes ordinaires (pauvreté, précarisation, chômage, marginalisation, inégalités). C’est cette voie que nous voudrions reprendre car elle revient, souterraine, dans les époques où les formes de doxa des différents pouvoirs s’effondrent sans pour autant que d’autres émergent. Il en fut ainsi pour la croyance en un dieu et en une seule religion à son époque ou, à la nôtre, pour la croyance en la validité du capital, en la croissance à l’infini et en l’ordre international des États comme modalités de régulation du monde.
- 1 Voir notamment les dossiers : « L’état d’urgence en permanence », volets 1 et 2, respectivement pub (...)
2En lien avec nos réflexions plus anciennes sur gouvernementalité, suspicion et exception 1, nous aimerions en particulier interroger la manière dont les discours prédictifs concernant divers types de catastrophes sont une manière de gouverner par la terreur, la peur ou la simple inquiétude du quotidien. Cela peut être à partir de scénarios sur le nucléaire, l’écologie, la guerre, l’économie, la sécurité intérieure ou des questions sanitaires telles que le COVID. Partant du principe que la gravité de certaines situations exige des compétences spécifiques, des prises de décision – et aussi des désistements, des renoncements – exceptionnels, un certain type de raisonnement préventif, qui se veut conséquentiel et lié à une appréciation des risques futurs, qui entreraient en contradiction entre eux ou imposeraient des efforts insurmontables maintenant, insiste sur la nécessité de prendre des décisions « techniques » (ou de ne pas les prendre au nom du principe de précaution) qui sont présentées comme la seule option possible (TINA pour There Is No Alternative) au nom de la science, du fonctionnement des économies libérales, de la situation internationale, des finances publiques et des dettes accumulées.
- 2 L’épiphanie est la prise de conscience soudaine et lumineuse de la nature profonde d’une réalité ca (...)
3Dans cette revue, nous avons suggéré à plusieurs reprises que, loin d’être un calcul équitable entre risques calculables, la plupart des scénarios se structurent autour d’un risque rare mais apocalyptique, qui suppose des sacrifices au présent, et non autour de risques structurels, qui supposent des changements de comportements qui ne se règleront pas avec un seul sacrifice momentané. Cette impossibilité de calculer la gravité du risque et de l’amortir sur de nombreuses personnes, vu sa rareté, devient dès lors un jeu entre « actuariels » (sur un marché prédictif plus ou moins formalisé) qui simulent (à travers des modèles ou en recourant à des « créatifs » comme des auteurs de science-fiction) l’inimaginable et réduisent la peur de l’inconnu en la transformant en une épiphanie de la certitude par le biais d’une formule linguistique qui invente le fait de parler du futur comme s’il était le passé 2.
4Se crée alors un espace-temps particulier qui, dans certaines langues, s’appelle le futur antérieur. Il s’agit d’un futur qui annule l’incertitude, car il peut être imaginé comme un passé, comme une réalité inéluctable. Il repose sur des croyances selon lesquelles les chemins que le passé trace pour le futur créent une dépendance qui le canalise et l’empêche d’être profondément perturbé, ou, alternativement, sur des dynamiques chaotiques où tout échappe au calcul et qui reposent sur des « paris » intellectuels.
5Ce futur antérieur est alors un espace discursif qui engage dans des luttes de domination symbolique pour savoir qui sera à même de fixer l’image du futur qui rétroagira sur notre présent. Si l’étude des activités planétaires en est un exemple où il n’existe pas de boucle de rétroaction par la conscience individuelle d’être soumis à une expertise, ce n’est pas le cas dans les activités humaines, et encore moins dans les contextes sécuritaires où l’on cherche non pas à établir les meilleurs scénarios que le futur peut donner, mais à déterminer quel est le pire des futurs qu’il faut absolument éviter.
6Se crée alors un lien qui relie la ressource de l’épiphanie heureuse donnée par l’expert à un protocole qui commence par le doute, changé en suspicion systématique de la gravité du danger d’un comportement, d’une personne, d’un groupe. Ce dernier est justifié au nom de la sécurité par une surveillance a priori permettant de détecter des tendances « anormales », inhabituelles, qui ne sont alors considérées que comme des déviances, et cette déviance comme dangereuse pour un futur « ordonné » reproduisant l’ordre social et international du moment. Le futur doit se « confesser » et s’assagir en révélant sa part cachée. Des astrologues aux experts des instituts du futur, ce sont les méthodes qui font la différence, mais le fait de savoir que certains connaissent le futur, un homme providentiel, un groupe d’experts ou un livre ancien, ne change pas. L’épiphanie du risque catastrophique crée ce « pli », dirait Deleuze, dans lequel se niche le futur antérieur.
7La pierre philosophale de la connaissance était censée permettre d’avoir accès à cet espace, l’aleph de Borges aussi. Aujourd’hui, on veut une solution instantanée avec l’accélération du temps, et l’on fantasme sur une intelligence artificielle qui saurait nous « conduire » vers cette solution qui suppose un très long temps de réflexion pour les humains et qu’elle règlerait au contraire rapidement et surement, même si nous ne comprenons pas son raisonnement.
8De manière intéressante, l’arrêt de certaines activités humaines a conduit à croire, lors de la crise du coronavirus, que le « temps de la réflexion » qui s’ouvrait permettrait justement d’aborder des futurs alternatifs, évitant de retomber dans les narratifs dominants du capital et de l’horizon de la guerre, en retrouvant le sens des questions sur l’habitabilité de la planète, sur l’avenir des générations futures comme modèle pour les équations du meilleur futur. Il a néanmoins fallu très vite se rendre compte que ces alternatives ont été dominées, non pas par des scientifiques apportant des éléments empiriques sur leurs inquiétudes et expliquant les taux d’erreurs possibles de leurs simulations (comme pour l’écologie ou le nucléaire), mais par des think tanks et des partis politiques très organisés pour faire avancer leurs idéologies dans les médias (télévision et chaînes d’information continue d’abord, réseaux sociaux ensuite) comme des formes d’expertise. Le terme de « vérité alternative » est devenu banal.
- 3 McFalls L., Pandolfi M.. “The Enemy Live: A Genealogy”, in Bell C., Bachmann J., Holmqvist C. (eds. (...)
9Les droites radicales ont sans doute été les premières à se positionner dans cet espace-temps que le virtuel d’internet et des réseaux sociaux a transformé, par la prolifération de ce qui était autrefois des formes rares d’exercice littéraire, en un usage quasi permanent par des journalistes et leurs invités ou par des blogueurs. Nous y reviendrons avec l’analyse transnationale des droites radicales qui ne tiennent plus tant à revenir au passé et aux traditions qu’à combattre les concepts de base qui ont fait notre vivre ensemble (liberté, égalité, fraternité de toute l’humanité, solidarités) au-delà de nos citoyennetés respectives, au nom du survivalisme de certains par rapport à d’autres, du droit de se défendre contre l’étranger porteur des peurs qu’on lui accole sur le visage, et de la protection des citoyens d’un terroir au détriment des autres. Cela change le sens donné à la guerre qui n’est plus une politique d’États entre eux, ou un malheur qui frappe les êtres humains, mais une « solution » pour les gagnants. De nombreux décideurs politiques se sont adonnés aux joies du conseil astrologique, désormais enrobé de techniques qui ignorent les arguments contradictoires et développent un savoir-faire dans le « mentir vrai(semblablement) », sur ces « veri-similitudes » que Laurence McFall et Mariella Pandolfi ont si bien décrites 3. Si ces phénomènes entachent les dictateurs les plus divers, ils n’ont pas épargné certaines institutions et bureaucraties des régimes démocratiques.
10À titre d’exemple de ces jeux sur le futur antérieur, sur lesquels nous ferons un numéro spécial, l’article présenté ici par Éric Sangar et consacré à la Red Team française analyse le projet d’anticipation des menaces lancé en 2019 par le ministère des Armées et mis en œuvre par l’université Paris Sciences et Lettres. Mettant à contribution des savoirs experts (scientifiques, militaires) ainsi que les apports des spécialistes de la science-fiction, celui-ci était censé encourager l’innovation technologique au sein de l’armée. Son analyse des statistiques et son souci du détail ne peuvent être mis en cause, et son « sérieux » a valu à cet exercice nombre de revues de presse louangeuses. Néanmoins, l’article pointe les effets non avérés dans ce domaine des « prédictions » et appréhende ce projet comme partie prenante d’un « mouvement de sécurisation » du futur. Il montre également comment l’élaboration d’un discours visant à légitimer un renforcement du rôle politique des forces armées en France devant des menaces futures, jugées de gravité exceptionnelle, a été considérée comme un effort d’innovation et de progrès du raisonnement à venir sur les formes des guerres.
11On peut également citer l’ouvrage Black Trends : Un monde en rupture (publié par Équateurs), qui a demandé à des écrivains populaires d’écrire un récit de science-fiction sur les formes de guerre, puis a proposé à des experts militaires de discuter de leur crédibilité. L’ensemble a été réalisé sous les augures du Stimson Center de Washington et de la fondation Avant-garde à Paris. Ce genre de littérature mériterait sans doute une étude plus approfondie sur le rapport qu’elle développe et entretient entre la guerre, le virtuel, la simulation, l’imaginaire et le délire paranoïaque.
12Si cette projection imaginaire extrême dans un futur que l’on pourrait décrire adéquatement et utiliser comme base des décisions du présent reste encore minoritaire, malgré les rapports grand public récurrents de la CIA pour ses scénarios du futur à vingt ans qui, là aussi, sélectionnent des professeurs de sciences politiques et de relations internationales, ainsi que des auteurs de fictions. De très nombreuses publications du même type, en guise de description du futur, se contentent, paresseusement, d’utiliser la vieille terminologie des « guerres hybrides » pour parler de différentes formes de conflits qui sont dites radicalement nouvelles car elles incluraient la guerre, le cyberespace, l’espace, le contre-terrorisme mondial et la guerre civile mondiale anti-occidentale.
13Les labels se multiplient et cet éditorial ne peut les citer tous, mais à aucun moment leurs auteurs ne s’interrogent sur leur genèse et sur leurs objectifs politiques. Ceux-ci abandonnent le projet humaniste pour celui d’un droit exclusivement réservé aux citoyens et contre les droits de l’homme ; un projet différentialiste qu’un certain droit de l’ennemi tente de codifier en y intégrant tous les étrangers arrivant sur le territoire.
14Cette généralisation du terme « guerre », associé aux qualificatifs de « secrète, intestine, polymorphe, mutante, hybride » est pour beaucoup dans l’atmosphère contemporaine de compétitions entre différentes formes de désastres, mais si certaines ont une crédibilité certaine (nucléaire, écologie), d’autres sont plus discutables (technologie, économie).
- 4 Bigo D., Hermant D., « La métamorphoses des conflits », Études Polémologiques, n° 50, 1989. Table r (...)
15Il suffit de revenir sur les socio-genèses des avenirs des guerres « catastrophiques » et leurs métamorphoses au cours même de la conflictualité pour comprendre que les guerres de demain, qui nous sont présentées actuellement, sont conceptuellement produites à partir du renouveau des théories de la contre-insurrection coloniale et en opposition avec les conceptions clausewitziennes 4.
- 5 Périès G., « De l’action militaire à l’action politique : impulsion, codification et application de (...)
16Faut-il rappeler, par exemple, que cette notion de guerre hybride est un produit de ces guerres coloniales (britanniques, françaises, néerlandaises, portugaises et, de facto, américaines) et des mécanismes de contre-insurrection inventés à l’époque pour contrôler les populations civiles, les rassembler dans de nouveaux lieux, leur insuffler l’idée de la non-humanité de l’adversaire et la nécessité absolue de participer au combat ? La continuité des répertoires d’énonciation, où la jungle est remplacée par le cyberespace, est bien plus forte que ne le disent ces auteurs des « nouvelles guerres ». La métaphore de l’hybridité ainsi que celle de la contamination du corps social, visant à détourner les pratiques de guerre encadrées par les conventions humanitaires, afin de permettre aux opérations spéciales de faire, au contraire, des sales guerres, d’utiliser des méthodes criminelles et des pratiques de services secrets, ont eu leurs heures de gloire avec le major Thompson ou le colonel Trinquier. Elles ont voyagé vers l’Amérique latine pendant la période des dictatures et sont revenues au premier plan après les cours à « l’école de Panama » au cœur des discours de contre-terrorisme post-2001 et post-2015, jusqu’à informer les justifications des opérations spéciales en Ukraine par les officiels russes tout autant que celles des responsables israéliens décrivant les pratiques du Hamas sans s’interroger sur leurs pratiques de représailles étendues. Comme l’a signalé Gabriel Périès 5, cette notion d’hybridité est le lexique de la haine de l’autre et porte la marque des idéologies d’extrême droite, niant à l’autre le statut d’humanité et justifiant dès lors qu’on puisse le traiter aussi en « sous-humain », selon un principe de « réciprocité ». L’excellent éditorial d’Edwy Plenel du 23 octobre 2024 dans Mediapart sur la déraison du plus fort illustre parfaitement ces conflits de « représailles » où la vengeance devient une soif inextinguible de victoire totale.
17Ces idéologies du mépris et de la haine de l’autre ont fortement nui aux efforts d’encadrement de la violence « organisée » par des règles minimales concernant le traitement des morts, des blessés et, plus généralement, des civils, en particulier des enfants et des femmes non combattantes. La Croix-Rouge et d’autres organisations similaires sont maintenant les premières cibles de ces services secrets, qui agissent de pair avec les politiciens extrémistes contre leurs propres institutions militaires, souvent plus soucieuses de respecter leurs règles, qui peuvent leur profiter si leur personnel est détenu. On observe donc une situation où la politique de suspicion systématique de l’autre et de sa capacité à se dissimuler sous le masque du même devient paranoïaque (au sens social du terme). Loin de poser des limites à l’escalade de la violence comme le soulignait Clausewitz, ce sont les buts de guerre du gouvernement qui créent une inversion de la situation : les politiciens extrémistes poussent leurs militaires à perdre tout sens éthique et s’appuient sur des milices privées, sur des services secrets qui continuent de croire qu’un permis de tuer leur a été délivré. Quel que soit le moyen, du moment qu’il est signé par une autorité supérieure, cela leur permet de faire torturer à distance, d’éliminer les autres hors des territoires belligérants et de les viser dès qu’ils ont pu les repérer, même si cela implique que la mort touchera aussi leurs familles, les habitants d’un immeuble, d’un village ou d’un quartier. Disparaît alors l’un des critères absolument centraux de la guerre comme forme de relation conflictuelle : la distinction entre combattant et non-combattant sur laquelle se sont forgées les limites humanitaires et les droits de l’homme s’imposant à toute forme de guerre ou de conflit armé.
18L’article de Matthew Ford est absolument central sur ce sujet. Il montre comment la distinction entre combattant et non-combattant a été au cœur des systèmes de justification pour perpétrer des massacres de civils, ainsi que pour encourager les phénomènes de vengeance ou même planifier a priori les personnes à interroger, et éventuellement à éliminer. En effet, les porteurs de smartphones, à partir du moment où ils se trouvaient à proximité des forces combattantes et auraient pu envoyer des informations à l’ennemi sur les troupes en présence, ont été considérés comme des « cibles légitimes ». Dans la mesure où la défense civile proposait de regrouper ces photos et de les analyser, les responsables des opérations spéciales en ont profité pour prétendre justement de « cibler au plus près » les ennemis et ne pas commettre un massacre de masse indiscriminé, en considérant toutes les personnes possédant un appareil téléphonique, y compris les femmes et les enfants, comme des ennemis combattants. En s’interrogeant sur les effets de l’usage généralisé des appareils intelligents en Ukraine, l’article pointe ici la reconfiguration de la guerre qui ne se réduit pas à l’exemple ukrainien. Les pratiques de « ciblage de masse », à partir du repérage électronique des téléphones, y compris lorsqu’ils avaient été revendus après utilisation, à la population civile, pour éliminer des membres du Hezbollah, par les forces israéliennes à Gaza et ailleurs, semblent aussi entrer dans cette stratégie d’indistinction des combattants et non combattants. Nous espérons pouvoir y revenir et discuter de ces tentatives d’échapper aux règles encadrant la guerre grâce aux arguments des nouvelles technologies.
- 6 Savarese E. (dir.), « (Re)Négocier la citoyenneté. Islam, immigration, mobilisations pour l’égalité (...)
19Comme on vient de le signaler, ces reconfigurations de l’autre en ennemi et non en voisin heurtent de plein fouet de nombreux pays occidentaux où l’extrême droite essaie d’imposer son programme d’une citoyenneté contre les droits de l’homme. L’article de Karim Souanef revient et prolonge cette thématique abordée par la revue récemment 6. À partir d’une enquête sur l’espace intellectuel islamique en France, axée sur des personnalités médiatiques qui prennent part à la compétition pour la représentation musulmane, l’article interroge des trajectoires et des positions, des jeux et des enjeux d’une lutte qui n’exclut pas les rapports de classe et qui mobilise des idées indissociablement philosophiques, politiques, sociales et théologiques.
- 7 Jakšić M., Fischer N. (dir)., « Les morts encombrants. Du gouvernement politique des cadavres », Cu (...)
20Une dernière contribution, consacrée aux « faux positifs » de Soacha, revient sur les logiques impliquées dans ces exécutions extra-judiciaires, très médiatisées en Colombie, et ailleurs, notamment en Europe, à partir de l’année 2008. Andrés Rodrigo López Martínez, dont les travaux portent sur la violence en Colombie et plus particulièrement sur la culture de la violence, s’intéresse ici au discours de négation de la part des militaires impliqués dans des violations des droits de l’homme et à leurs stratégies pour rester impunis. Il invite à prendre en considération ces discours comme une pratique à part entière, maillon central d’une longue chaîne d’actions criminelles. Ces dernières ont permis d’éliminer en toute impunité des personnes qui ont pu devenir des cibles parce qu’elles étaient socialement fragiles et dont on pouvait penser que leur disparition ne susciterait aucun émoi, aucune revendication. Des morts qui ne se révéleraient pas « encombrantes 7 ». Il n’en a rien été, puisque là aussi, comme à d’autres moments de l’histoire politique latino-américaine, ce sont les mères qui ont cherché et qui ont réclamé. Sans contredire l’interprétation la plus répandue qui met en avant des arguments économiques, liés aux récompenses que les militaires pouvaient tirer de ces assassinats, l’auteur invite à considérer une trame autrement dense et complexe.
21Enfin, une chronique bibliographique, présentée par Christophe Wasinski, qui revient justement sur l’héritage contre-insurrectionnel de la guerre froide dans le Sud global à partir de trois ouvrages récents sur ces questions, conclut ce numéro.
Notes
1 Voir notamment les dossiers : « L’état d’urgence en permanence », volets 1 et 2, respectivement publiés dans le n° 112 de Cultures & Conflits, en 2018, et dans le n° 113, en 2019. Voir également des travaux plus anciens dont « Suspicion et exception », Cultures & Conflits, n° 58, 2005.
2 L’épiphanie est la prise de conscience soudaine et lumineuse de la nature profonde d’une réalité cachée.
3 McFalls L., Pandolfi M.. “The Enemy Live: A Genealogy”, in Bell C., Bachmann J., Holmqvist C. (eds.), War, Police and Assemblages of Intervention, Londres, Routledge, 2014, pp. 75-91.
4 Bigo D., Hermant D., « La métamorphoses des conflits », Études Polémologiques, n° 50, 1989. Table ronde, « La prolongation des conflits : Approche comparative des systèmes de guerre », Cultures & Conflits, n° 1, 1990, http://journals.openedition.org/conflits/147 [consulté le 28 octobre 2024].
5 Périès G., « De l’action militaire à l’action politique : impulsion, codification et application de la doctrine de la “guerre révolutionnaire” au sein de l’armée française (1944-1960) », thèse de doctorat en science politique, Paris 1, 1999 ; Ceyhan A., Périès G., « L’ennemi intérieur : une construction discursive et politique », Cultures & Conflits, n° 43, 2001, http://journals.openedition.org/conflits/566 [consulté le 28 octobre 2024].
6 Savarese E. (dir.), « (Re)Négocier la citoyenneté. Islam, immigration, mobilisations pour l’égalité », Cultures & Conflits, n° 127-128, 2022.
7 Jakšić M., Fischer N. (dir)., « Les morts encombrants. Du gouvernement politique des cadavres », Cultures & Conflits, n° 121, 2021.
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Référence papier
Le Comité de rédaction, « Éditorial », Cultures & Conflits, 133 | 2024, 7-14.
Référence électronique
Le Comité de rédaction, « Éditorial », Cultures & Conflits [En ligne], 133 | printemps 2024, mis en ligne le 04 décembre 2024, consulté le 06 février 2025. URL : http://journals.openedition.org/conflits/25602 ; DOI : https://doi.org/10.4000/1335i
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