Sous le signe de l’endocolonisation : l’héritage contre-insurrectionnel de la guerre froide dans le Sud global
Fattal, Alexander R., Guerilla Marketing. Counterinsurgency and Capitalism in Colombia, Chicago, University of Chicago Press, 2018.
Pawakapan, Puangthong, Infiltrating Society. The Thai Military’s Internal Security Affairs, Singapore, ISEAS, 2021.
Yonucu, Deniz, Police, Provocation, Politics. Counterinsurgency in Istanbul, Ithaca, Cornell University Press, 2022.
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Production et circulation du savoir contre-insurrectionnel
- 1 Ce point a été bien étudié par l’école historique « révisionniste » de la guerre froide : Kolko G., (...)
1Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, les décideurs politiques étatsuniens s’efforcent d’imposer leur traditionnelle politique économique de la « porte ouverte » à l’ensemble du monde. L’objectif central de cette politique consiste à garantir aux industriels et financiers étatsuniens un accès aux marchés étrangers 1. Jusqu’alors, Washington avait réussi à appliquer cette politique en Amérique latine. Les impérialismes avaient cependant rendu difficile l’application du principe de la « porte ouverte » dans le reste du monde. Les puissances considéraient alors leurs colonies comme des chasses gardées économiques. La défaite des forces de l’Axe et l’affaiblissement économique et politique européen découlant de la Seconde Guerre mondiale vont constituer une aubaine pour les États-Unis. Les puissances européennes ont en effet de plus en plus de mal à résister aux protestations des populations du Sud global, comme en atteste le processus de décolonisation. Dans ce contexte, les États-Unis parviennent à prendre l’ascendant sur les autres puissances et à imposer davantage d’ouverture économique, entre autres aux États du Sud global. À Washington, les décideurs politiques sont convaincus que l’ouverture est la clef du développement économique et, par contrecoup, social et politique. Ce développement est perçu comme une des conditions de l’établissement de régimes démocratiques. Ces idées font l’objet d’une théorisation par des experts qui conseillent les décideurs, tels que l’économiste Walt W. Rostow.
- 2 Latham M. E., Modernization as Ideology. American Social Science and “Nation Building” in the Kenne (...)
- 3 Kolko G., Confronting the Third World, op. cit., p. 40.
- 4 Notre traduction, ibid., p. 133. Gabriel Kolko ajoute : « Soixante-quatre mutineries militaires et (...)
2La politique de la « porte ouverte » a cependant des effets déstabilisants. L’ouverture peut se faire au détriment du développement interne, certains États encourageant la production pour l’exportation plutôt que celle destinée à satisfaire en priorité les besoins nationaux. L’ouverture ne garantit par ailleurs pas que les échanges, notamment avec des États économiquement puissants, seront équilibrés. Plus encore, l’ouverture ne garantit nullement une redistribution des richesses générées par les exportations. En définitive, l’idée selon laquelle l’ouverture serait la condition du développement économique, social et politique doit être appréhendée sous l’angle de « l’idéologie de la modernisation », une version rafraichie de la « mission civilisatrice » de la fin du xixe siècle 2. En réaction à celle-ci, le communisme et le nationalisme émergent dans le Sud global. Washington abhorre ces courants qui préconisent des politiques protectionnistes. Pour le dire autrement, même s’ils ne l’admettent pas, les décideurs et experts étatsuniens craignent les conséquences des politiques économiques qu’ils promeuvent. Afin de se prémunir contre l’installation de régimes communistes et nationalistes, ces mêmes décideurs et leurs diplomates cultivent leurs relations avec ceux qui ont le plus intérêt à l’ouverture économique et au maintien du statu quo social et politique. On trouve généralement parmi eux les représentants de la grande propriété terrienne, qui bénéficient énormément des exportations de leurs productions. Les États-Unis ne se contentent cependant pas de s’appuyer sur les civils. Lorsque ceux-ci adoptent un comportement « puéril » (childish), c’est-à-dire incompatible avec les intérêts étatsuniens, les décideurs politiques et les diplomates n’hésitent pas à soutenir les militaires 3. Leur rôle au sein des États du Sud global a notamment été débattu en 1959, lors d’un colloque organisé par la RAND Corporation, un important think tank spécialisé dans les questions de défense. Selon l’historien Gabriel Kolko, lors de ce colloque : « les experts des questions militaires du tiers-monde affirment, malgré l’opinion de quelques sceptiques présents, qu’en plus d’offrir une solution à la démocratie lorsqu’elle échoue, les militaires sont les seuls qui possèdent la compétence technique et administrative essentielle pour une modernisation rapide et étaient les principaux porteurs des valeurs industrielles et séculières. Compte tenu du caractère semi-alphabétisé de la plupart de ces nations, les officiers transmettaient des compétences vitales à leurs soldats, en grande partie paysans, et étaient même enclins à se préoccuper des besoins des pauvres de la société. Au lieu d’être une menace, la classe des officiers faisait partie intégrante des solutions aux problèmes du tiers-monde qui convenaient aux intérêts américains 4 ».
- 5 Ces doctrines finissent cependant par influencer les discours et pratiques policières dans les métr (...)
- 6 Rubenstein J., Terreur et séduction. Une histoire de la doctrine de la « guerre révolutionnaire », (...)
- 7 L’ambition de Gillo Pontecorvo était de réaliser un film critique. La Bataille d’Alger intéresse né (...)
3Dans de nombreux États, les militaires vont donc devenir les relais de la politique économique et de sécurité des États-Unis, les deux étant intimement liées. Au prétexte qu’ils forment une « élite modernisatrice », les officiers deviennent en quelque sorte le cheval de Troie de Washington dans ces pays – bien que les relations entre les officiers des États du Sud global et les décideurs étatsuniens soient parfois houleuses. Ce rôle se trouve notamment consacré par le développement de la pensée contre-insurrectionnelle. Cette pensée préconise l’action militaire à l’intérieur des sociétés des États du Sud global 5. Elle légitime donc la militarisation du traitement des problèmes sociaux et politiques. Ses origines remontent aux guerres coloniales et de décolonisation et elle a fait l’objet d’une importante circulation transnationale. Cela a encore été récemment rappelé par l’historien Jérémy Rubenstein 6. Dans son ouvrage Terreur et séduction, il montre que cette pensée trouve notamment ses origines dans les réflexions et les pratiques des officiers français – tels que Thomas-Robert Bugeaud, Aimable Pélissier, Armand de Saint-Arnaud, Joseph Gallieni et Louis Faidherbe – qui conquièrent l’Algérie et sont déployés dans le reste de l’empire français au xixe siècle. L’engagement français au Maroc au début du xxe siècle va également jouer un rôle important dans le développement de cette pensée, non des moindres à travers l’action et les écrits de Hubert Lyautey. L’analyse de cette période par l’auteur est particulièrement utile. Elle fait apparaître, de manière détaillée, l’existence d’un continuum intellectuel qui va de T.-R. Bugeaud et J. Galliéni aux officiers qui participeront aux guerres d’Indochine et d’Algérie, comme J. Nemo, C. Lacheroy, R. Trinquier, D. Galula et J. Hogard, en passant par H. Lyautey et P. Pétain. Au surplus, son analyse de la construction d’une image héroïque des officiers blancs, dans les médias et la culture populaire, dans le cadre des conflits coloniaux et de décolonisation, s’avère tout aussi pertinente. Les récits d’Erwan Bergot et de Jean Lartéguy contribuent sans nul doute à la postérité de l’action militaire contre-insurrectionnelle. Il en va de même de certains films, comme Les Centurions, tiré d’un roman de J. Larteguy, ou La Bataille d’Alger, de Gillo Pontecorovo 7. La culture populaire a donc participé à la normalisation des opérations contre-insurrectionnelles. Enfin, J. Rubenstein met en exergue la diffusion de la pensée française en Argentine et aux États-Unis. De manière générale, il attire l’attention sur le fait que la mise en œuvre de cette pensée s’accompagne régulièrement de brutalité à l’encontre des civils. De surcroît, la contre-insurrection fait des militaires des acteurs impliqués dans les prises de décision politique. Pour cette raison, elle constitue un danger pour la démocratie.
- 8 Voir par exemple : Périès G., Servenay D., op. cit. ; Robin M.-M., op. cit. ; Deltombe T., Domergue (...)
- 9 Gill L., The School of the Americas. Military Training and Political Violence in the Americas, Durh (...)
- 10 Ibid., p. 6. Dans son ouvrage sur la stratégie du choc, la journaliste Naomi Klein indiquait que le (...)
4Lors de la guerre froide, la circulation du savoir contre-insurrectionnel, qui est donc en partie inspiré par les expériences coloniales européennes, reste majoritairement assurée par les États-Unis. Cette circulation repose d’abord sur les formations dispensées par des militaires étatsuniens à d’autres militaires étatsuniens, qui sont expédiés dans les États du Sud global pour combattre des guérilleros. Cette circulation est également prise en charge par des institutions militaires étatsuniennes, qui forment des soldats issus des États du Sud global 8. L’« école des Amériques » est l’une de ces institutions 9. Il s’agit d’un centré créé en 1946 et au sein duquel les militaires latino-américains étaient formés, en espagnol et en portugais, aux opérations de guerre contre-insurrectionnelle. Lesley Gill, qui a publié une excellente étude sur le fonctionnement de cette école, notait qu’au total plus de 60 000 militaires provenant d’Amérique du Sud y étaient passés depuis sa création. L’avantage de ces formations, pour les forces étatsuniennes, n’est pas uniquement qu’elles permettent de faire circuler le savoir contre-insurrectionnel. Elles offrent aussi l’opportunité de nouer des relations privilégiées avec des officiers latino-américains qualifiés de prometteurs. Nombre d’élèves passés par cette école, où ils ont été exposés aux conceptions stratégiques et politiques étatsuniennes, termineront en effet leurs carrières aux plus hautes fonctions dans les états-majors de leurs États. L. Gill n’omet cependant pas de souligner la sinistre réputation de l’école. Elle fait remarquer que : « Parmi les diplômés les plus célèbres figurent le général argentin Roberto Viola, qui a été condamné pour meurtre, enlèvement et torture pendant la “sale guerre” argentine (1976-1983) ; l’ancien homme fort du Panama Manuel Noriega ; le colonel salvadorien Domingo Monterrosa, qui commandait le brutal bataillon Atlacatl qui a massacré près d’un millier de civils à El Mozote ; le colonel guatémaltèque Julio Alpírev, qui a torturé et assassiné des guérilleros et un citoyen américain alors qu’il était à la solde de la CIA ; et le général hondurien Luis Alonso Discua, qui commandait un escadron de la mort de l’armée, connu sous le nom de bataillon 3-16 10 ».
- 11 Ibid. Voir aussi : Stokes D., America’s Other War. Terrorizing Columbia, Londres, Zed Books, 2013.
- 12 Olsson C, « Guerre totale et/ou force minimale ? », op. cit. ; Khalili L., Time in the Shadow. Conf (...)
- 13 Klein N., La stratégie du choc, op. cit.
- 14 Rigouste M., La domination policière. Une violence industrielle, Paris, La Découverte, 2012, p. 52.
5Notons que le savoir contre-insurrectionnel continue à se diffuser après la fin de la guerre froide en Amérique latine, entre autres sur le couvert de la « guerre contre la drogue 11 ». Ce savoir est aussi redécouvert par les forces armées britanniques, françaises et étatsuniennes déployées en Afghanistan, en Irak ou dans le Sahel au nom de la « guerre contre le terrorisme 12 ». De fait, la contre-insurrection tend à devenir le service après-vente de ce que la journaliste Naomi Klein a nommé le « capitalisme du désastre » de l’après-guerre froide 13. La contre-insurrection reste donc un moyen de discipliner des sociétés confrontées à des situations socio-économiques difficiles. Le savoir contre-insurrectionnel développé lors de la guerre froide fait aussi l’objet d’appropriations locales au sein des États du Sud global. Ce phénomène a assez peu été discuté par les spécialistes étatsuniens et européens de la pensée militaire, en dépit de l’importance de ses conséquences pour certaines sociétés. Les États du Sud global qui recourent à la contre-insurrection utilisent en fait, moyennant quelques ajustements, des savoirs et des pratiques coloniales et impériales à l’intérieur de leurs propres frontières – on parle à ce propos d’endocolonisation 14. Les recherches de Puangthong Pawakapan, Deniz Yonucu et Alexander R. Fattal rendent compte de ces processus dans les cas de la Thaïlande, de la Turquie et de la Colombie.
Infiltrer et discipliner la société
- 15 Pawakapan P., Infiltrating Society. The Thai Military’s Internal Security Affairs, Singapore, ISEAS (...)
- 16 Ibid., p. xi.
6Le 22 mai 2014, les forces armées thaïlandaises ont mené un coup d’État. À la suite de celui-ci, une junte, le National Council for Peace and Order (NCPO), a pris le pouvoir. La chercheuse P. Pawakapan indique qu’assez rapidement cette junte a adopté des mesures qui paraissaient surprenantes : « Par exemple, il y a eu des expulsions forcées de petits agriculteurs des zones forestières réservées, une obsession pour la gestion du trafic et de la nourriture de rue à Bangkok, la remobilisation de nombreuses organisations de masse, la réapparition du Commandement des opérations de sécurité intérieure (ISOC) à la une des journaux et la mise en place d’un mécanisme de surveillance dirigé par l’ISOC à Bangkok et dans les provinces 15 ». P. Pawakapan considère que les militaires ont notamment pour objectif d’endoctriner les populations civiles. L’auteure précise aussi que, suite au coup d’État, également militaire, de 2006, des mesures de contrôle assez similaires à celles de 2014 avaient déjà été adoptées. Elle note que les forces armées thaïlandaises n’ont jamais été impliquées dans une guerre classique de haute intensité. En revanche, elles ont toujours joué un rôle de premier plan en matière de contrôle des populations et ont l’habitude de manipuler la démocratie. P. Pawakan cherche à montrer que l’implication des forces armées thaïlandaises au sein de la société est pour partie l’héritage des doctrines contre-insurrectionnelles de la guerre froide. Selon elle, la contre-insurrection est un tremplin qui permet aux militaires d’agir dans les sphères politique, sociale et économique 16. Afin de le démontrer, elle fait l’analyse des programmes contre-insurrectionnels et de leurs objectifs dans une perspective historique, s’interroge sur la construction de la représentation de la menace et étudie l’instrumentalisation de l’appareil de sécurité et des organisations de masse par les militaires.
7La première chose à retenir à propos du développement des forces armées thaïlandaises modernes est qu’elles doivent beaucoup aux États-Unis. Le soutien étatsunien augmente lors de la guerre de Corée car Washington craint l’extension du communisme dans la région. À l’époque, les forces thaïlandaises sont d’ailleurs déployées dans les zones rurales afin de lutter contre les membres du parti communiste. Les militaires, dont des membres de l’ISOC – initialement nommé CSOC, pour Communist Suppression Operations Command – semblent avoir été impliqués dans des exécutions extrajudiciaires dans ce contexte. Le rôle des militaires gagne encore en importance après le retrait étatsunien du Vietnam en 1975, retrait qui inquiète les autorités thaïlandaises. Pour lutter contre les communistes, les militaires usent de la force et mettent aussi sur pied des programmes destinés à encadrer les populations. Ces programmes reposent sur l’usage de la propagande, le recours à des forces paramilitaires, la surveillance et la collecte de renseignement, et des projets de développement dans les villages. C’est dans ce cadre que se renforce l’ISOC. Ce commandement militaire est notamment habilité à mobiliser d’autres agences gouvernementales. Sous le couvert de ces initiatives contre-insurrectionnelles, des groupes d’extrême-droite se développent. En octobre 1976, un massacre de protestataires est commis par ces groupes avec l’aide de la police à Thammasat. Une junte militaire prend le pouvoir suite à ces événements. Un régime semi-démocratique voit ensuite le jour afin d’apaiser la situation. Les militaires recourent aussi moins à la force – la Thaïlande tente aussi de se rapprocher du Cambodge, du Laos et du Vietnam. En revanche, ils créent de nouveaux programmes civilo-militaires (« kitchakan phonlaruen khong thahan ») destinés à contribuer au développement. En parallèle, l’autorité morale du roi, présenté comme un acteur apolitique, est instrumentalisée, elle aussi, à des fins d’encadrement des populations. Au nom de l’éradication de la menace communiste, les militaires mènent en fait une véritable offensive politique.
- 17 Notre traduction. Ibid., p. 38.
- 18 Ibid., p. 118.
- 19 Ibid., p. 57.
- 20 Ibid., pp. 78-79.
8En dépit de la disparition du parti communiste à la fin de la guerre froide, les militaires maintiennent leurs programmes civilo-militaires. À travers ces projets, ils tentent de contraindre le jeu politique démocratique. Les coups d’État militaires de 2006 et de 2014 doivent également être analysés à la lumière de cet objectif. L’ambition des militaires n’est pas uniquement de renverser les gouvernements qui leurs déplaisent. Ils veulent, plus globalement, imposer des limites aux acteurs politiques. Les militaires, ainsi que la royauté, n’ont en fait qu’une confiance limitée dans les électeurs. Selon P. Pawakan : « Au milieu des années 2000, un discours nationaliste et royaliste a été déployé pour contrer la force croissante de la politique électorale et des politiciens populaires comme Thaksin Shinawatra. La promotion des projets de développement royaux, les idées du roi Bhumibol sur l’économie de suffisance et l’amour de la monarchie ont été au cœur des programmes d’endoctrinement des forces armées et de l’ISOC 17 ». Notons au passage que les initiatives militaires, ainsi que l’instrumentalisation du roi, sont bénéfiques aux forces politiques conservatrices, qui craignent aussi d’être affaiblies par la démocratie 18. En 2008, le rôle de l’ISOC dans le domaine de la sécurité intérieure est confirmé par une loi. Cette loi consacre aussi l’impunité des membres du commandement lorsqu’ils opèrent 19. Les militaires lancent une nouvelle offensive politique. Leur ambition est de lutter contre la pauvreté, d’améliorer la qualité de la vie des populations, de générer de l’emploi et de restaurer l’environnement. Le problème est que leurs projets sont menés d’une manière qui ne convient pas toujours aux civils. Leurs actions génèrent des tensions, notamment dans le nord-est de la Thaïlande. La façon dont ils protègent l’environnement est musclée. Les militaires tendent à appréhender les paysans pauvres comme une menace. Au surplus, le pouvoir favorise l’implantation de grandes sociétés qui exploitent les régions les moins riches 20.
- 21 Ibid., p. 3.
- 22 Ibid., p. 124.
9Le coup d’État de 2014 confirme une nouvelle fois le rôle des forces armées dans la vie politique thaïlandaise. Les militaires sont notamment impliqués dans des projets de protection de l’environnement. Dans ce cadre, ils n’hésitent pas à exproprier des civils afin d’augmenter la surface boisée du pays. Ils se font aussi les chantres de l’économie de la suffisance 21. En 2017, l’ISOC met en place un programme qui rassemble des groupes de volontaires pour le développement et l’auto-défense de villages. Ce programme s’implante dans 14 328 villages 22. Les autorités tentent enfin de quadriller la société en soutenant la mise sur pied d’associations professionnelles et religieuses.
- 23 Ibid., p. 3.
- 24 Notre traduction. Ibid., p. 130.
- 25 Ibid., p. 4.
10L’ISOC se voit aussi confier des missions de cyber surveillance. P. Pawakan nous apprend ainsi que, en mai 2014, le général Prayut, à la tête de la junte, avait fait adopter l’ordre n° 26/2557 qui permettait aux autorités de « fermer ou supprimer des sites web, des médias sociaux, des clips vidéo et audio considérés comme violant les lois, incitant au désordre et à l’agitation, ou allant à l’encontre des politiques et actions du NCPO 23 ». De surcroît, l’ISOC avait « créé des comptes d’assistance téléphonique sur Facebook, Line et Twitter pour que les gens puissent signaler des activités politiques indésirables 24 ». L’ISOC soutient aussi un site internet, qui poste des informations biaisées sur le conflit dans les provinces du sud. Cette action cible le mouvement des « chemises rouges », qui s’oppose au régime autoritaire. Après le coup d’État de 2014, les membres des « chemises rouges » vivant dans les provinces recevaient d’ailleurs des coups de téléphone leur enjoignant de ne pas manifester 25.
- 26 Voir à ce propos les remarques par Michael J. Montesano dans l’avant-propos du livre. Ibid., pp. xv (...)
- 27 Ibid., p. 14.
- 28 Ibid., p. xvi. Sur l’Indonésie et les Philippines, voir par exemple : Tapol, The Military’s Role in (...)
11Comme le souligne P. Pwakan, l’action des forces armées thaïlandaises est en fait guidée par l’imaginaire d’un ordre social discipliné et encadré par des militaires. Les techniques auxquelles elles recourent sont un héritage de la guerre froide. Elles ressemblent à celles mises en œuvre, dans le cadre du programme CORDS (Civil Operations and Rural Development Support), par les forces étatsuniennes au Vietnam 26. L’efficacité opérationnelle des programmes civilo-militaires de l’armée thaïlandaise n’est cependant pas attestée. Ces programmes ont toutefois l’avantage, pour les militaires, de justifier leur présence au sein de la société civile. Cette présence s’avère problématique car elle fait obstacle à l’épanouissement de la démocratie. On notera aussi que les fantasmes d’ordre sont justifiés par les militaires par le récit d’une menace extérieure, provenant par exemple de Birmanie 27. Enfin, on remarquera que des programmes de ce type existent également en Indonésie et aux Philippines où ils ont posé des problèmes politiques assez similaires 28.
Provoquer, réprimer et gouverner
- 29 Yonucu D., Police, Provocation, Politics. Counterinsurgency in Istanbul, Ithaca, Cornell University (...)
- 30 Ibid., p. 3. Sur la notion « d’ennemi intérieur », voir également : Rigouste M., L’ennemi intérieur(...)
- 31 Yonucu D., op. cit., p. 2.
- 32 Ibid., p. 3.
12Le 29 septembre 2013, Hasan Ferit Gedik, un jeune homme de vingt-et-un ans, décrit comme un révolutionnaire, est tué par des membres d’un gang de trafiquants de drogue lors d’une marche de protestation qui se déroule dans le quartier de Gülsuyu, à Istanbul 29. La marche avait été organisée pour dénoncer l’inaction des forces de police face à la violence des gangs. Le quartier de Gülsuyu est majoritairement peuplé d’Alevis appartenant à la classe laborieuse. Cette communauté, aux croyances décrites comme hétérogènes, représente environ 20 % de la population turque. Depuis les années 1970, on trouve en son sein des organisations révolutionnaires, ce qui engendre des formes de stigmatisation des Alevis. Ils sont perçus comme des « ennemis intérieurs », comme le sont les communistes et les Kurdes – les trois identités sont éventuellement combinées dans les représentations sécuritaires. Des politiques d’assimilation ayant eu pour objectif de les transformer en « sujets turcs dociles » n’ont pas donné les résultats escomptés par les autorités 30. Lors des funérailles de Hasan Ferit Gedik, des hommes masqués et armés assurent la sécurité. Les médias retransmettent des images de ces hommes. L’opinion voit dans celles-ci la confirmation que le quartier est dangereux, qu’il abrite des « terroristes » et des « criminels 31 ». Il s’agit aussi d’un quartier au sein duquel des contestataires s’étaient déjà opposés aux forces de l’ordre lors du soulèvement de Gezi en 2012. Les autorités et les médias proches de celles-ci sont convaincus que les troubles sont le fait des Alevis manipulés de l’étranger 32. D. Yonucu considère que cette situation et cet imaginaire sécuritaire découlent notamment du recours à des techniques contre-insurrectionnelles héritées des guerres coloniales et de la guerre froide. Afin de le démontrer, elle revient sur la montée en puissance des mouvements de gauche et analyse l’action des forces de sécurité dans une perspective de sociologie historique. L’objectif de l’ouvrage est cependant moins de comprendre comment le sens commun contre-insurrectionnel vient aux forces de sécurité turques que de saisir ce que le recours à la contre-insurrection fait à la société civile. Un des points forts de l’ouvrage est de parvenir à exposer cela dans une perspective relationnelle, en rendant compte des interactions entre certains pans de la société et les forces de sécurité.
- 33 Ibid., p. 8.
- 34 Ibid., p. 51.
- 35 Ibid., pp. 51-52.
- 36 Ibid., p. 55.
- 37 Ibid., p. 56.
- 38 Ibid., p. 55.
- 39 Ibid., p. 53.
- 40 Ibid., p. 72.
- 41 Ibid., p. 88.
13Au cours des années 1970, on assiste à la montée en puissance de mouvements d’extrême-gauche et d’extrême-droite (certains organisés en milices paramilitaires) en Turquie 33. En 1980, un coup d’État est organisé par le Conseil national de sécurité en réaction à cette évolution. La répression qui s’ensuit est très dure : 1 200 personnes meurent, 650 000 sont détenues, 230 000 passent devant les tribunaux et 6 683 000 sont listées comme suspectes par les forces de police 34. La police se militarise avec la formation d’unités spéciales, qui font un usage excessif de la force 35. En dépit de la férocité de l’action des forces de sécurité, les mouvements de gauche ne sont pas éradiqués, comme le montre très bien l’action du PKK. Depuis 1984, les membres du PKK mènent une guérilla contre l’État turc. Ils sont soutenus par les travailleurs et agriculteurs kurdes. Le gouvernement réagit en décrétant que le PKK est une organisation « terroriste 36 ». Les opérations des forces de sécurité au Kurdistan provoquent le déplacement des millions d’habitants du Nord vers l’Ouest de la Turquie. Selon D. Yonucu, ces déplacements relèvent d’une vision stratégique. Les militaires turcs appliquent une technique déjà utilisée par les Britanniques lors de leur campagne contre-insurrectionnelle en Malaisie 37. Les Kurdes qui ont fui leur région se concentrent ensuite dans des villes. Dans celles-ci, les militants kurdes et alévis se rapprochent 38. Les quartiers où ils cohabitent font alors l’objet d’une surveillance accrue. Certains sont de fait transformés en prisons à ciel ouvert, que l’on compare à Gaza 39. Des checkpoints sont installés à l’entrée de ces quartiers. Ils sont gardés par des policiers cagoulés. Ces quartiers se transforment en « enclaves ethnosectaires ». Le 12 mars 1995, une agression armée se déroule dans le quartier de Gazi. Des individus tirent sur des cafés et causent la mort d’une personne. La police ne réagissant pas à cette agression, la population en vient à penser qu’elle aide les agresseurs. Elle descend dans la rue pour protester. Une violente répression, qui vise les Alévis, s’ensuit 40. Les autorités décrivent les manifestations sous l’angle du « terrorisme » et de « l’insurrection ». En agissant de la sorte, elles renforcent le clivage communautaire. Se sentant aculée, la communauté alévie se replie sur elle-même et tente d’organiser sa défense 41. On voit aussi se développer des gangs armés en son sein.
- 42 Ibid., p. 109.
14En 1991, la Turquie avait adopté la loi n° 3713 contre le « terrorisme ». C’était un texte vague qui sera amendé en 2006, dans le contexte du renforcement de la politique répressive menée par cet État. En 2005, 273 personnes étaient emprisonnées pour des faits qualifiés de terroristes. En 2011, ce chiffre augmente de manière très considérable : 12 897 personnes, dont une majorité de Kurdes, sont emprisonnées pour terrorisme. S’appuyant sur les travaux de Michael Taussig et de René Girard, D. Yonucu montre qu’il existe une dimension mimétique à la lutte qui oppose les forces de sécurité aux Kurdes et aux Alévis 42. Alors que les militaires s’entraînent à mener des opérations de guérilla, le vigilantisme des Alévis s’inspire des techniques policières. Ce mimétisme provoque un durcissement de la situation. Il devient aussi plus difficile de militer politiquement contre l’AKP, le parti au pouvoir. Enfin, il faut noter qu’en 2013 le gouvernement turc négocie avec le PKK. Ceci n’est pas sans conséquences pour les Alevis. Les Kurdes prennent leurs distances vis-à-vis de ces derniers. Les Alévis restent, quant à eux, ciblés par les mesures antiterroristes.
- 43 Notre traduction. Ibid., p. 7.
- 44 Ibid., p. 6.
- 45 Ibid., p. 10. Le livre Introduction à la stratégie du général français André Beaufre, un autre spéc (...)
- 46 Ibid., p. 146.
- 47 Ibid., p. 146.
- 48 Ibid., p. 9 et p. 11.
- 49 Ibid., p. 5.
15D. Yonucu rappelle que la répression qui vise les Alévis découle pour partie de l’histoire de la construction de l’État turc. Elle souligne ainsi que : « La Turquie est devenue un pays à majorité turque sunnite à la suite du génocide arménien de 1915 et de la persécution, du déplacement et de l’assimilation systématiques des populations indigènes non turques et non musulmanes, telles que les Alévis, les Assyriens, les Arabes, les Grecs, les Juifs et les Kurdes 43 ». Elle insiste aussi sur le fait que l’attitude des autorités résulte d’une certaine lecture de la pensée contre-insurrectionnelle à laquelle les forces armées turques ont été exposées à la fois lors de la guerre froide et dans le contexte de la « guerre contre le terrorisme ». Des militaires turcs ont notamment reçu un enseignement aux opérations contre-insurrectionnelles en Grande-Bretagne et aux États-Unis lors de la guerre froide 44. Le texte Counterinsurgency Warfare, écrit par l’officier français David Galula, a été traduit en turc par l’état-major en 1969. L’ouvrage a fait partie des lectures obligatoires pour les étudiants de l’Académie militaire turque 45. Plus récemment, le manuel contre-insurrectionnel, publié conjointement par l’US Army et l’US Marine Corps en 2006, dans le contexte des guerres en Afghanistan et en Irak, a aussi été discuté par un expert truc de questions de défense 46. Cette pensée contre-insurrectionnelle justifie notamment l’idée selon laquelle il ne faut pas hésiter à ségréger certaines composantes de la population dans le cadre d’un conflit 47. Le savoir contre-insurrectionnel classique recommande par ailleurs traditionnellement d’utiliser des forces auxiliaires pour lutter contre un adversaire. Les forces de sécurité turques ont eu recours à ces techniques. Dans les années 1990, elles ont encouragé des milices d’extrême-droite et des islamistes à s’opposer aux Kurdes. Elles ont aussi cherché à fragmenter la communauté kurde, incitant les groupes kurdes à se combattre entre eux, et à séparer les militants de gauche des Kurdes 48. Pour le dire autrement, elles usent de la politique du « diviser pour régner », une technique contre-insurrectionnelle classique, ce qui a notamment pour conséquence de durcir la contestation 49.
- 50 Ibid., pp. 10-11.
- 51 Ibid., p. 159, voir aussi p. 39.
- 52 Ibid., p. 41.
16D. Yonucu note que les forces de sécurité turques sont en fait, de longue date, adeptes de la « stratégie de la tension », qui consiste à « encourager les accidents afin de pouvoir ensuite réprimer 50 ». Cette stratégie repose sur « des formes théâtrales de violence d’État, une présence policière incendiaire, l’absence dévastatrice de la police en tant que fournisseur de sécurité, le déclenchement de la violence pour des motifs ethnosectaires, la provocation à travers les actions de contre-violence, la contrainte pour faire des dissidents des informateurs de la police et le ciblage sélectif des révolutionnaires les plus respectés et les plus attachés à la communauté par la loi antiterroriste 51 ». Les forces de sécurité turques ne cherchent pas vraiment à pacifier l’ensemble de la société ; elles emploient la violence contre-insurrectionnelle pour contenir, dans certaines zones, l’instabilité 52.
Le laboratoire néolibéral colombien
- 53 Fattal A. R., Guerilla Marketing. Counterinsurgency and Capitalism in Colombia, Chicago, University (...)
- 54 Ibid., p. ix.
- 55 Italique dans l’original. Notre traduction. Ibid., pp. xi-xii.
17L’ethnographe Alexander R. Fattal a très bien montré que le savoir contre-insurrectionnel a également été approprié de manière atypique en Colombie 53. Entre 2010 et 2014, la société Lowe, spécialisée dans le marketing, a réalisé pour le compte du ministère de la Défense des campagnes visant les guérilleros. Ces campagnes, qui étaient menées pendant la période de Noël, reposaient sur la diffusion de photographies personnelles, telles que celles conservées dans les albums familiaux, accompagnées de messages encourageant les rebelles à quitter les rangs de guérilla. A. R. Fattal considère que ces campagnes témoignent d’une convergence entre le marketing et la contre-insurrection au service d’une conception « humanitaire » de cette dernière 54. Il se demande alors : « Quel sens donner à l’armement [to weaponize] de la publicité, le cœur du capitalisme tardif, dans une tentative de vaincre le marxisme armé des Amériques ? Comment l’image de marque [branding] est-elle devenue un champ de bataille central dans les guerres du xxie siècle ? Dans quelle mesure les personnes qui désertent laissent-elles la guerre derrière elles et dans quelle mesure sont-elles remobilisées dans une autre guerre ? Que pourrait signifier le fait de considérer la commercialisation de la contre-insurrection comme un modèle à reproduire à l’échelle internationale ? 55 » Comme nous allons le voir, l’ensemble de ces interrogations structure le propos développé dans son ouvrage.
- 56 Voir aussi : Stokes D., America’s Other War, op. cit.
- 57 En complément, sur ce point, on lira aussi : Grajales J., Gouverner dans la violence. Le paramilita (...)
- 58 Fattal A. R., op. cit., p. 8.
18Avant toute chose, il faut rappeler que la Colombie est un État qui mène une politique économique néolibérale alignée sur celle des États-Unis depuis de nombreuses années 56. Cette politique génère d’importantes tensions sociales, qui s’expriment notamment sous la forme d’une guérilla communiste. Les autorités, de longue date également, ont tenté de vaincre cette guérilla avec des moyens militaires afin d’asseoir leur souveraineté sur l’ensemble du territoire 57. Entre 1999 et 2002, elles ont mené des négociations avec les rebelles à Caguán. Le président Pastrana avait décidé de retirer les forces armées des zones contestées afin de faciliter les discussions de paix. À cette époque, le gouvernement met aussi en place un dispositif de gestion « post conflit », alors que celui-ci n’est pas encore terminé. La politique de démobilisation fait partie de ce dispositif. On constate cependant que la démobilisation n’est pas un banal projet de paix. Les autorités colombiennes en font une réelle composante de leurs opérations politiques et militaires. Comme le remarque A. R. Fattal : « la Colombie a redéfini la politique de démobilisation comme une stratégie de contre-insurrection et, ce faisant, a fait se chevaucher la contre-insurrection, le maintien de l’ordre et le maintien de la paix 58. » C’est dans ce contexte que des campagnes de « marketing contre-insurrectionnel », au sein desquelles l’image joue un rôle central, vont voir le jour.
- 59 Ibid., p. 67.
- 60 Ibid., p. 10.
- 61 Ibid.
- 62 Ibid., p. 17. Ce que l’on pourrait traduire en français par Programme d’attention humanitaire pour (...)
- 63 Ibid., p. 80.
- 64 L’auteur évoque aussi l’intérêt des militaires étatsuniens pour le marketing à la même époque. En e (...)
- 65 Ibid., p. 82.
- 66 Ibid., p. 80.
- 67 Notre traduction. Ibid., p. 85.
- 68 Ibid., p. 93.
- 69 Notre traduction. Ibid., p. 87.
19Notons pour commencer que les guérilleros et les narcotrafiquants mettent en scène leurs actions depuis les années 1970. Les kidnappings ont, par exemple, été l’objet d’une intense médiatisation, qui a finalement provoqué un rejet de la guérilla par les populations 59. Les forces armées vont chercher à développer une image « humanitaire » d’elles en réaction. Cette image s’affirme lors de la libération d’Ingrid Bettancourt. Afin de consolider cette image, le ministère de la Défense colombien a d’abord fait appel à des sociétés privées de marketing, telle que McCann-Erikson. Pour A. R. Fattal, les campagnes réalisées dans ce cadre « faisaient largement écho aux campagnes des Marines américains, qui présentaient des scènes d’action chorégraphiées avec des chars, des avions de chasse et des soldats déterminés 60 ». Remarquons au passage qu’une des sociétés qui conseille les autorités colombiennes est le Rendon Group. Qualifiée de « mercenaires de la propagande mondialisée » (« global propaganda mercenaries ») par A. R. Fattal, le Rendon Group avait contribué à fabriquer le récit qui servit à légitimer l’action des États-Unis contre l’Irak en 1991 61. Les experts de ce groupe recommandent aux militaires colombiens de ne pas laisser les journalistes et les défenseurs des droits humains dicter le récit de leurs opérations ; ils doivent passer à l’offensive médiatique. Élu président en 2002, Álvaro Uribe fait appel à des consultants israéliens et communique d’une manière qui peut être qualifiée d’offensive. Il adopte notamment une « politique de sécurité démocratique », mettant en exergue l’idée selon laquelle la stabilité amène des investissements qui permettent ensuite d’acheter la paix sociale. L’auteur souligne le rôle joué par Sergio Jaramillo dans le développement de cette politique. Cet « idéologue du post-conflit » a rédigé les documents clefs de la « politique de sécurité démocratique ». Par ailleurs, il conceptualise le Programa de Atención Humanitaria al Desmovilizado (PAHD) 62. C’est dans le cadre de celui-ci que l’idée d’user du marketing à des fins contre-insurrectionnelles s’affermit. Afin de mettre en œuvre le PAHD, les militaires engagent des experts de Lowe and Partners, une filiale du Interpublic Group spécialisée dans le marketing. Au niveau international, cette multinationale compte Microsoft, Volkswagen et les Nations unies parmi ses clients. En Colombie, Mazda et Red Bull recourent entre autres à ses services 63. Les experts de Lowe and Partners travaillent avec des acteurs colombiens pour former Lowe/SSP3. Ils doivent faire la promotion de la démobilisation, ce qui permet de présenter la contre-insurrection comme une action humanitaire 64. À cette fin, les experts mènent des entretiens auprès d’anciens guérilleros déjà démobilisés. Un des responsables du programme explique à Alexander R. Fattal que, lors de ces entretiens : « Nous écoutions leur histoire de vie et nous leur demandions : qu’est-ce que vous faites pour vous amuser ? ». Le même responsable précise : « Nous avons utilisé l’angoisse qu’ils ressentent lorsqu’ils sont dans la guérilla et nous leur avons montré un moyen de s’en sortir, en leur disant qu’il y a d’autres options 65 ». Les experts décident en fait d’exploiter la solitude dont souffrent les guérilleros, isolés des leurs. Les supports utilisés pour mener à bien les campagnes en faveur des démobilisations sont variés : spots publicitaires télévisés, annonces à la radio, tracts, vidéos sur Youtube, messages sur des ballons de football ou encore diffusion d’enregistrements via des haut-parleurs montés sur des hélicoptères. Tout ceci vise à créer une « structure de sentiments », selon l’expression de Raymond Williams reprise par A. R. Fattal, pour encourager les combattants à déserter 66. A. R. Fattal évoque une vidéo datant de 2010 qui porte sur « l’opération Noël » et dans laquelle on voit des hélicoptères et des membres des forces spéciales. Comme il l’écrit : « L’argument visuel implicite de l’opération “Noël”, dont l’intitulé ressemble à une action militaire, est que la contre-insurrection n’est pas seulement un ensemble de machines de guerre bien huilées et hautement coordonnées, mais qu’elle est aussi humaine et magnanime, comme le montre l’offre faite à l’ennemi mortel 67 ». Lors d’une autre opération (« Rivière de lumière »), des balles de plastique sont remplies de lettres et d’effets personnels de guérilleros par les membres de leurs familles. Les balles sont illuminées et déposées dans une rivière par des militaires. Cela produit une image esthétique. Sur le fond, cette opération fait appel à l’image de l’enfant prodigue, celui que l’on est prêt à accueillir malgré les fautes qu’il a commises. L’entièreté de l’opération symbolise surtout, selon Alexander R. Fattal, « l’autorité patriarcale de l’État 68 ». Ces campagnes ne visent cependant pas qu’à convaincre les guérilleros d’abandonner le combat. Elles sont aussi tournées vers l’opinion nationale et internationale : « L’obsession de Lowe/SSP3 d’influencer l’humeur nationale, c’est-à-dire d’inculquer un sentiment d’optimisme quant au fait que l’armée est en train de gagner la guerre, est étroitement liée à l’importance qu’elle accorde au fait de courtiser des publics internationaux 69 ».
- 70 Ibid., p. 104.
- 71 Ibid., p. 126 et p. 131.
- 72 Ibid., p. 150.
- 73 Ibid., p. 148.
- 74 Ibid., p. 151.
20En fait, le PAHD, bien qu’il mette officiellement l’accent sur l’action humanitaire, comporte un volet réellement offensif. Ainsi, certains des messages diffusés sous forme de tracts promettent des récompenses pour des informations sur les commandants régionaux de la guérilla 70. Les guérilleros déserteurs sont aussi considérés comme des sources de renseignement pour les militaires 71. Au surplus, dans le cadre d’un programme de démobilisation, si une personne refuse d’admettre qu’elle a fait partie de la guérilla, les militaires peuvent la menacer d’envoyer sa photo aux FARC en la faisant passer pour un traître 72. Enfin, le programme de démobilisation pose question au regard de la justice. Les guérilleros qui ont commis des crimes contre l’humanité ou des crimes de guerre sont censés le déclarer – ce qui leur permet tout de même d’obtenir des peines de prison réduites. Dans les faits, la plupart des anciens guérilleros intègrent le PAHD sans être inquiétés pour les exactions qu’ils ont pu commettre 73. Pour terminer, notons que les forces armées poursuivent les opérations visant à éliminer physiquement leurs adversaires. Les autorités, quant à elles, considèrent qu’un certain nombre de morts et de déplacés reste acceptable dans le cadre des opérations militaires 74.
- 75 Ibid., p. 80.
- 76 Ibid., p. 153.
21Comme l’écrit A. R. Fattal : « La mobilisation du marketing grand public par le PAHD a pour double objectif de déployer un mode agressif de guerre psychologique, en semant le doute et la paranoïa parmi les combattants de la guérilla, tout en redorant le blason de l’armée en construisant un récit sur la sophistication et la bienveillance des forces armées 75. » Il ajoute plus loin que : « La politique de démobilisation a offert une alternative à la torture comme moyen de recueillir des renseignements humains exploitables, avec un avantage supplémentaire : elle a généré une presse favorable à la contre-insurrection plutôt que des rapports cinglants sur les droits de l’homme 76. » Le programme de démobilisation est bel et bien une composante de la guerre contre-insurrectionnelle. En se présentant comme « humanitaire », il contribue cependant à rendre difficilement lisible le conflit pour les populations.
- 77 Ibid., pp. 183-184.
- 78 Ibid., p. 207.
- 79 I bid., p. 167.
22Pour terminer, il faut constater que le programme de démobilisation n’est pas uniquement d’ordre néolibéral du fait du rôle joué par les campagnes de marketing. Tout d’abord, les démobilisations sont mises en scène sur un mode « consumériste » – A. R. Fattal donne en exemple le magazine SoHo, décrit comme l’équivalent colombien du magazine Playboy, qui fait poser une ancienne guérillera et une femme policière nues 77. Plus encore, le programme n’a pas pour objectif de provoquer des démobilisations collectives, mais des désertions individuelles 78. Le problème est que ces démobilisations produisent des individus qui, trop souvent, ne sont pas socialement intégrés. Il est d’ailleurs à noter que 24 à 28 % des anciens guérilleros et paramilitaires démobilisés deviennent des criminels, un autre produit de la société néolibérale colombienne 79.
- 80 Ibid., p. 209. À propos de la circulation de l’expérience contre-insurrectionnelle colombienne, voi (...)
23En dépit de ces limites évidentes, le PAHD a été érigé en « modèle colombien » de gestion des conflits. En 2009, le gouvernement colombien lance The Cartagena Contribution to Disarmament, Demobilization and Reintegration (DDR). Mille cinq cents personnes, provenant de cinquante-sept États, se rendent en Colombie pour y assister. Le président d’extrême-droite Uribe prononce un discours lors de l’événement. Il déclare que la démobilisation doit se dérouler pendant le conflit. La Colombie devient un laboratoire. Un programme proche de celui développé dans cet État est lancé en Afghanistan. Il est notamment piloté par des experts étatsuniens passés par la Colombie. Des experts colombiens se rendent aussi en Afghanistan – mais certains d’entre eux n’étaient pas totalement convaincus que le programme pourrait donner des résultats en Afghanistan 80. Le cas colombien montre donc que des formes relativement inédites de contre-insurrection peuvent se développer dans les États du Sud global et se retrouver, dans un second temps, réinjectées dans le circuit des savoirs transnationaux, en dépit de leur nature problématique.
- 81 Rubenstein J., op. cit., p. 8.
24L’historien J. Rubenstein, dont nous avons évoqué l’ouvrage, se demandait comment les doctrines et pratiques contre-insurrectionnelles parvenaient à se perpétuer en dépit du fait qu’elles étaient associées à de nombreux échecs politiques 81. Les ouvrages présentés dans cette chronique apportent des éléments de réponse à cette importante interrogation. Ils suggèrent que ces doctrines datant des guerres coloniales et de la guerre froide ont notamment trouvé des terrains propices pour se perpétuer en Thaïlande, en Colombie et en Turquie. La pérennisation de la pensée contre-insurrectionnelle dans ces États découle certainement de l’influence initiale de la politique de sécurité des États-Unis. Dans un second temps, les forces de sécurité des États du Sud global se sont approprié ces techniques. Ces appropriations, comme cela a été montré, se sont avérées politiquement et socialement problématiques. Elles prouvent qu’en définitive les vices d’origine des savoirs contre-insurrectionnels restent d’actualité. Ces savoirs servent des desseins politiques conservateurs et contribuent à justifier une gestion militarisée des problèmes de société au sein d’États du Sud global. Comme le montrent les ouvrages présentés, leur mobilisation par les forces de sécurité participe à des processus d’endocolonisation en Colombie, en Thaïlande et en Turquie.
Notes
1 Ce point a été bien étudié par l’école historique « révisionniste » de la guerre froide : Kolko G., Confronting the Third World, United States Foreign Policy 1945-1980, New York, Pantheon Books, 1988 ; Kolko G., The Roots of American Foreign Policy. An Analysis of Power and Purpose, Boston, Beacon, 1969 ; Applemans Williams W. (ed.), From Colony to Empire. Essay in the History of American Foreign Relations, New York, John Willey, 1972.
2 Latham M. E., Modernization as Ideology. American Social Science and “Nation Building” in the Kennedy Era, Chapell Hill, The University of North Carolina Press, 2000. L’auteur insiste sur le rôle des sciences sociales dans la construction de cette idéologie.
3 Kolko G., Confronting the Third World, op. cit., p. 40.
4 Notre traduction, ibid., p. 133. Gabriel Kolko ajoute : « Soixante-quatre mutineries militaires et coups d’État ratés ou réussis ont eu lieu en Afrique au cours de la seule période 1963-1968, et de nombreux spécialistes américains ont estimé que les coups d’État militaires constituaient une réponse saine aux « idéologies étrangères » que des civils tels que Nkrumah, Lumumba ou les socialistes africains préconisaient » (notre traduction, ibid., p. 199).
5 Ces doctrines finissent cependant par influencer les discours et pratiques policières dans les métropoles. Rigouste M., L’ennemi intérieur. La généalogie coloniale et militaire de l’ordre sécuritaire dans la France contemporaine, Paris, La Découverte, 2011.
6 Rubenstein J., Terreur et séduction. Une histoire de la doctrine de la « guerre révolutionnaire », Paris, La Découverte, 2022. Sur ce sujet, on pourra aussi se référer à : Tenenbaum E., Partisans et centurions. La guerre irrégulière au xxe siècle, Paris, Perrin, 2018 ; Deltombe T., Domergue M., Tatsitsa J., Kamerun ! Une guerre cachée aux origines de la Françafrique 1948-1971, Paris, La Découverte, 2011 ; Wasinski C., « La volonté de réprimer. Généalogie transnationale de la contre-insurrection », Cultures & Conflits, n° 79-80, 2010, pp. 161-180 ; Olsson C., « Guerre totale et/ou force minimale ? Histoire et paradoxes des “cœurs et des esprits” », Cultures & Conflits, n° 67, 2007 pp. 35-62 ; Périès G., Servenay D., « Une guerre noire ». Enquête sur les origines du génocide rwandais (1959-1994), Paris, La Découverte, 2007 ; Robin M.-M., Escadrons de la mort, l’école française, Paris, La Découverte, 2004. L’expérience des occupations allemandes à l’Est lors de la Seconde Guerre mondiale a aussi contribué au développement de cette pensée.
7 L’ambition de Gillo Pontecorvo était de réaliser un film critique. La Bataille d’Alger intéresse néanmoins les militaires, notamment pour son réalisme. Les officiers visionnent le film dans une perspective professionnelle technique, afin d’étudier comment mettre en œuvre la contre-insurrection. Wasinski C., Louwette L., « Justifier l’état d’exception par la “culture populaire” : le scénario de la “ticking time bomb” de La Bataille d’Alger à Zero Dark Thirty », Revue belge de droit international, n° 1-2, 2021, pp. 37-70.
8 Voir par exemple : Périès G., Servenay D., op. cit. ; Robin M.-M., op. cit. ; Deltombe T., Domergue M., Tatsitsa J., op. cit.
9 Gill L., The School of the Americas. Military Training and Political Violence in the Americas, Durham, Duke University Press, 2004. En 1946, l’institution se nommait Latin American Ground School et était installée dans la zone du canal de Panama. En 1963, elle est rebaptisée School of the Americas. En 1984, elle devient le Western Hemisphere Institute of Security Cooperation (WHINSEC) et déménage aux États-Unis. Notons également que certaines techniques contre-insurrectionnelles ont aussi été diffusées via les 150 centres d’entraînement et écoles des forces étatsuniennes qui accueillent régulièrement des militaires étrangers (ibid., p. 7).
10 Ibid., p. 6. Dans son ouvrage sur la stratégie du choc, la journaliste Naomi Klein indiquait que les autorités argentines, costaricaines et vénézuéliennes avaient pris la décision de ne plus envoyer d’étudiants dans l’établissement. Elle ajoutait que la Bolivie et l’Equateur envisageaient alors la possibilité de faire de même. Klein N., La stratégie du choc. La montée d’un capitalisme du désastre, Paris, Acte Sud, 2008, p. 704.
11 Ibid. Voir aussi : Stokes D., America’s Other War. Terrorizing Columbia, Londres, Zed Books, 2013.
12 Olsson C, « Guerre totale et/ou force minimale ? », op. cit. ; Khalili L., Time in the Shadow. Confinement and Counterinsurgencies, Standford, Stanford University Press, 2013.
13 Klein N., La stratégie du choc, op. cit.
14 Rigouste M., La domination policière. Une violence industrielle, Paris, La Découverte, 2012, p. 52.
15 Pawakapan P., Infiltrating Society. The Thai Military’s Internal Security Affairs, Singapore, ISEAS, 2021, p. xviii.
16 Ibid., p. xi.
17 Notre traduction. Ibid., p. 38.
18 Ibid., p. 118.
19 Ibid., p. 57.
20 Ibid., pp. 78-79.
21 Ibid., p. 3.
22 Ibid., p. 124.
23 Ibid., p. 3.
24 Notre traduction. Ibid., p. 130.
25 Ibid., p. 4.
26 Voir à ce propos les remarques par Michael J. Montesano dans l’avant-propos du livre. Ibid., pp. xv-xvi.
27 Ibid., p. 14.
28 Ibid., p. xvi. Sur l’Indonésie et les Philippines, voir par exemple : Tapol, The Military’s Role in Food Estate Plans, novembre 2022, https://www.tapol.org/reports/militarys-role-food-estate-plans-0 ; Andreopoulos G., Macspac N., Galkin E., “‘Whole-of-Nation’ Approach to Counterinsurgency and the Closing Civic space in the Philippines”, Global-e Journal, 14 août 2020, vol. 13, n° 54, https://globalejournal.org/global-e/august-2020/whole-nation-approach-counterinsurgency-and-closing-civic-space-philippines [consulté le 16 septembre 2024].
29 Yonucu D., Police, Provocation, Politics. Counterinsurgency in Istanbul, Ithaca, Cornell University Press, 2022, p. 1.
30 Ibid., p. 3. Sur la notion « d’ennemi intérieur », voir également : Rigouste M., L’ennemi intérieur, op. cit.
31 Yonucu D., op. cit., p. 2.
32 Ibid., p. 3.
33 Ibid., p. 8.
34 Ibid., p. 51.
35 Ibid., pp. 51-52.
36 Ibid., p. 55.
37 Ibid., p. 56.
38 Ibid., p. 55.
39 Ibid., p. 53.
40 Ibid., p. 72.
41 Ibid., p. 88.
42 Ibid., p. 109.
43 Notre traduction. Ibid., p. 7.
44 Ibid., p. 6.
45 Ibid., p. 10. Le livre Introduction à la stratégie du général français André Beaufre, un autre spécialiste de la « guerre révolutionnaire », est également traduit et devient aussi une lecture obligatoire au sein de l’Académie militaire turque à la même époque (ibid., p. 94). Pour rappel, dans cet ouvrage, le général Beaufre développait la notion de « stratégie totale ». Cette dernière contribuait à légitimer la possibilité de l’action militaire dans la sphère politique et au sein de la société.
46 Ibid., p. 146.
47 Ibid., p. 146.
48 Ibid., p. 9 et p. 11.
49 Ibid., p. 5.
50 Ibid., pp. 10-11.
51 Ibid., p. 159, voir aussi p. 39.
52 Ibid., p. 41.
53 Fattal A. R., Guerilla Marketing. Counterinsurgency and Capitalism in Colombia, Chicago, University of Chicago Press, 2018.
54 Ibid., p. ix.
55 Italique dans l’original. Notre traduction. Ibid., pp. xi-xii.
56 Voir aussi : Stokes D., America’s Other War, op. cit.
57 En complément, sur ce point, on lira aussi : Grajales J., Gouverner dans la violence. Le paramilitarisme en Colombie, Paris, Khartala, 2016.
58 Fattal A. R., op. cit., p. 8.
59 Ibid., p. 67.
60 Ibid., p. 10.
61 Ibid.
62 Ibid., p. 17. Ce que l’on pourrait traduire en français par Programme d’attention humanitaire pour les démobilisés.
63 Ibid., p. 80.
64 L’auteur évoque aussi l’intérêt des militaires étatsuniens pour le marketing à la même époque. En effet, en 2007 la Rand Corporation publie, à la demande du US Joint Forces Command, un rapport intitulé Enlisting Madison Avenue: The Marketing Approach to Earning Popular Support in Theater of Operation, ibid., p. 16.
65 Ibid., p. 82.
66 Ibid., p. 80.
67 Notre traduction. Ibid., p. 85.
68 Ibid., p. 93.
69 Notre traduction. Ibid., p. 87.
70 Ibid., p. 104.
71 Ibid., p. 126 et p. 131.
72 Ibid., p. 150.
73 Ibid., p. 148.
74 Ibid., p. 151.
75 Ibid., p. 80.
76 Ibid., p. 153.
77 Ibid., pp. 183-184.
78 Ibid., p. 207.
79 I bid., p. 167.
80 Ibid., p. 209. À propos de la circulation de l’expérience contre-insurrectionnelle colombienne, voir également : Wiuff Moe L., Müller M.-M., “Counterinsurgency, knowledge production and the traveling of coercitive Realpolitik between Colombia and Somalia”, Cooperation and Conflict, vol. 53, n° 2, juin 2018, pp. 193-215. Cette circulation, comme le montrent les auteurs, se fait néanmoins dans le contexte du retour en grâce de la contre-insurrection aux États-Unis.
81 Rubenstein J., op. cit., p. 8.
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Référence papier
Christophe Wasinski, « Sous le signe de l’endocolonisation : l’héritage contre-insurrectionnel de la guerre froide dans le Sud global », Cultures & Conflits, 133 | 2024, 127-143.
Référence électronique
Christophe Wasinski, « Sous le signe de l’endocolonisation : l’héritage contre-insurrectionnel de la guerre froide dans le Sud global », Cultures & Conflits [En ligne], 133 | printemps 2024, mis en ligne le 04 décembre 2024, consulté le 06 février 2025. URL : http://journals.openedition.org/conflits/25829 ; DOI : https://doi.org/10.4000/1335d
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