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2022

Mazen Haïdar, La Ferronnerie architecturale à Beyrouth au XXe siècle, Paris, Éditions Geuthner, 2021

Recension d’ouvrage
Nadya Rouizem
Référence(s) :

Mazen Haïdar, La Ferronnerie architecturale à Beyrouth au XXe siècle, Paris, Éditions Geuthner, 2021

Résumés

Ce texte est un compte-rendu du dernier ouvrage de l’architecte franco-libanais Mazen Haïdar, La Ferronnerie architecturale à Beyrouth au XXe siècle, paru aux éditions Geuthner à Paris en 2021. Premier ouvrage à recenser les éléments de ferronnerie architecturale dans une ville du monde arabe, il nous propose de considérer cet art comme une clé de lecture du patrimoine architectural de la ville, afin de nous sensibiliser à sa sauvegarde.

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Texte intégral

  • 1 Bernard Marrey, La Ferronnerie dans l’architecture à Paris au XIXe et XXe siècles, Paris, Éditions (...)
  • 2 Philippe Faure, La Ferronnerie d’art dans l’architecture des origines à nos jours du Roman à Louis  (...)

1La ferronnerie est en général considérée comme un art mineur, marginalisé par l’histoire de l’architecture. En France, même si quelques publications lui ont été consacrées, l’architecture du XXe siècle y est peu présente, comme dans l’ouvrage de l’historien Bernard Marrey, La Ferronnerie dans l’architecture à Paris au XIXe et XX siècles1, ou La Ferronnerie d’art dans l’architecture des origines à nos jours du Roman à Louis XIII2 de Philippe Faure. Il s’agit pourtant d’un élément caractéristique de l’architecture moderne, considéré dans l’ouvrage La Ferronnerie architecturale à Beyrouth au XXe siècle comme définissant l’identité visuelle de la ville.

2Dans le contexte de la ville de Beyrouth, dont le bâti a été fragilisé par différents événements, dont la guerre du Liban (1975-1990), et la double explosion du 4 août 2020, la sauvegarde du patrimoine architectural est un enjeu pressant. D’autant plus que dans les quartiers non touchés par la guerre, de nombreux édifices ont été démolis après le conflit pour construire des immeubles de grande hauteur. Comme le soulignent les historiens de l’architecture, dont Mazen Haïdar et George Arbid, c’est paradoxalement la période de la reconstruction qui a davantage nui au patrimoine au Liban.

3Constatant que ces démolitions successives dues à la spéculation foncière ne déclenchent pas d’action de protection ou de conservation patrimoniale, Mazen Haïdar a orienté sa recherche vers cet héritage bâti. Partant de la plus petite échelle, celle de la ferronnerie, considérée comme un élément symbolique et emblématique, son ouvrage propose la découverte du patrimoine à l’échelle de la ville.

4Fruit d’un travail de longue haleine, à travers une enquête de terrain et une restitution graphique de plusieurs années, l’ouvrage de Mazen Haïdar a donc pour ambition de revaloriser l’architecture du XXe siècle à Beyrouth. Considérant que la production architecturale des années 1900 à 1970 reste parfois incomprise par les Beyrouthins, l’auteur entend donner une lecture différente de ce patrimoine, l’abordant dans toute son hétérogénéité à travers cet élément commun aux façades : la ferronnerie.

5L’ouvrage est un véritable inventaire, quasi exhaustif, des ouvrages de ferronnerie dans l’immeuble résidentiel à Beyrouth. Portes d’entrée, grilles de fenêtres et rambardes de balcons sont relevées dans 52 secteurs de la ville, suivant 27 itinéraires. Une collection remarquable de dessins et de photographies illustre cette enquête, avec des documents d’archives d’autant plus précieux aujourd’hui car de nombreux bâtiments ont disparu depuis. Cette étude transdisciplinaire est intéressante à la fois pour l’histoire de l’art, l’histoire du design et l’histoire de l’architecture moderne.

  • 3 Mazen Haïdar, La Ferronnerie architecturale à Beyrouth au XXe siècle, Paris, Éditions Geuthner, 202 (...)
  • 4 Robert Saliba, Beyrouth, architectures. Aux sources de la modernité, 1920-1940, Marseille, Éditions (...)
  • 5 George Arbid, Practicing Modernism in Beirut: Architecture in Lebanon, 1946-1970, Ann Arbor (MI), U (...)

6La première partie de l’ouvrage contextualise la recherche, en abordant l’évolution de l’écriture architecturale dans la ville depuis les années 1920 aux années 1970, afin de rappeler les enjeux de la recherche. Cette introduction se distingue notamment par la prise en compte des habitants et de leurs usages dans l’enquête. En effet, l’auteur revendique l’aspect militant de sa démarche, espérant « réconcilier les usagers avec leurs lieux de résidence, considérés communément comme vétustes ou de faible valeur patrimoniale3 ». Si la démolition, liée à la spéculation, semble concerner toutes les périodes de l’histoire de l’architecture à Beyrouth, la méconnaissance du patrimoine moderne le rend encore plus vulnérable face à cette destruction. C’est dans ce contexte que l’ouvrage de Mazen Haïdar complète le travail de Robert Saliba sur l’architecture moderne à Beyrouth dans les deux dernières décennies du mandat français4, ainsi que la thèse de George Arbid sur les années 1946-19705. Ce dernier a produit une base de données d’architectes, d’ingénieurs et de bâtiments qui démontre la variété de l’architecture moderne de la ville, afin de mieux comprendre son patrimoine architectural. Ainsi, l’ouvrage de Mazen Haïdar propose une vision globale de la production architecturale moderne de la capitale libanaise, montrant comment la ferronnerie, avec son graphisme élaboré, s’oppose à l’épuration progressive des façades de l’immeuble résidentiel. En effet, dans l’architecture du XXe siècle de la ville, qui constitue un patrimoine très diversifié, l’usage de l’ornement contraste souvent avec l’austérité du vocabulaire architectural moderne.

7La seconde partie retrace l’évolution des techniques constructives, des matériaux, des couleurs et des formes des ouvrages de ferronnerie. Chaque type d’élément est classé en plusieurs catégories, dont chacune est étudiée selon sa forme, ses dimensions, ses matériaux, ses techniques d’exécution et ses couleurs. Il est par ailleurs très appréciable, pour le lecteur non-connaisseur de l’histoire du pays, que l’évolution progressive des techniques constructives, des couleurs et des proportions soit étudiée en rapport avec le contexte social, économique, politique et réglementaire. La vision d’ensemble offerte par le relevé de tous les garde-corps qui ceinturent les milliers de balcons de la ville de Beyrouth les donne à voir comme un ruban faisant le lien entre tous ces édifices.

  • 6 Valérie Nègre et Guy Lambert. « L’histoire des techniques. Une perspective pour la recherche archit (...)
  • 7 Daniel Pinson. « De l’anthropologie pour l’architecture et l’urbanisme ? », dans Roselyne de Villan (...)

8Ce travail d’analyse précis des détails et leur mise en relation avec l’usage, rejoint l’histoire de la construction, un champ disciplinaire au croisement entre l’histoire de l’architecture et l’histoire des techniques, par sa démonstration de l’importance de l’approche technique pour comprendre le patrimoine6. Cette démarche intégrant tous les acteurs du projet, y compris les habitants, permet également de relier les techniques et les usages, dans une approche étudiant les objets techniques dans leur relation à l’aspect humain7.

  • 8 Michel Espagne, « La Notion de transfert culturel », Revue Sciences/Lettres [En ligne], 1 | 2013, U (...)

9L’apport le plus important de cet ouvrage est sans doute la troisième partie, qui démontre l’importance des transferts culturels dans le graphisme des éléments de ferronnerie. La mise en parallèle des catalogues français publiés dans la première moitié du XXe siècle avec les dessins de garde-corps, de portes d’entrées d’immeubles et d’ascenseurs, montre comment la ferronnerie libanaise moderne s’est inspirée de modèles français pour créer de nouvelles formes. Un nombre considérable de dessins originaux et de photographies illustre ce chapitre révélant la pertinence de cette étude sur la circulation des modèles. Identifiant les sources d’influence de chaque dessin, ainsi que les vecteurs du transfert, qui sont ici les catalogues publiés en France, l’ouvrage retrace le cheminement et le voyage de ces modèles. Comme le montrent les travaux de Michel Espagne sur les transferts culturels8, l’ouvrage de Mazen Haïdar révèle comment on peut s’approprier un objet culturel en s’émancipant du modèle d’origine. Ainsi, de nouveaux dessins sont élaborés par les maîtres ferronniers libanais, qui ont réadapté et transformé les modèles importés : la ferronnerie architecturale libanaise s’est donc enrichie par la création de nouveaux motifs. Comme dans beaucoup d’autres villes, l’adaptation d’une esthétique importée donne naissance à un style local.

10L’épilogue met en évidence les tendances d’évolution des formes dans les dessins de garde-corps, et surtout le rôle important des maîtres ferronniers dans le processus de création. Par ailleurs, on constate que dans la ferronnerie les références à l’art local sont très ponctuelles, par l’intégration de quelques sujets locaux.

11L’absence totale de modèles proches de l’art arabe ou islamique dans la ferronnerie architecturale libanaise du XXe siècle est plus surprenante, les transferts culturels s’étant faits uniquement avec l’Occident.

12Cette enquête entend éveiller l’intérêt pour l’architecture moderne au Liban, en revalorisant un patrimoine délaissé. La ferronnerie comme marqueur de l’identité esthétique de la ville est un sujet trop peu étudié, en particulier dans le monde arabe, où les ouvrages sur cet élément architectural demeurent absents.

13Cette démarche originale, qui part de l’observation et de la connaissance intime des édifices, a permis la mise au point d’un outil opératoire de lecture de l’architecture du XXe siècle en vue de sa sauvegarde, ouvrant la voie à des enquêtes futures, sur d’autres terrains du monde arabe ou d’ailleurs, où le patrimoine architectural est également en péril.

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Notes

1 Bernard Marrey, La Ferronnerie dans l’architecture à Paris au XIXe et XXe siècles, Paris, Éditions du Linteau, 2014.

2 Philippe Faure, La Ferronnerie d’art dans l’architecture des origines à nos jours du Roman à Louis XIII, Paris, Eyrolles, 1978.

3 Mazen Haïdar, La Ferronnerie architecturale à Beyrouth au XXe siècle, Paris, Éditions Geuthner, 2021, p. 16.

4 Robert Saliba, Beyrouth, architectures. Aux sources de la modernité, 1920-1940, Marseille, Éditions Parenthèses, 2009.

5 George Arbid, Practicing Modernism in Beirut: Architecture in Lebanon, 1946-1970, Ann Arbor (MI), UMI Dissertation Services, 2002.

6 Valérie Nègre et Guy Lambert. « L’histoire des techniques. Une perspective pour la recherche architecturale ? », Les Cahiers de la recherche architecturale et urbaine, Paris, Éditions du Patrimoine, 2012, p. 76-85.

7 Daniel Pinson. « De l’anthropologie pour l’architecture et l’urbanisme ? », dans Roselyne de Villanova, Conjuguer la ville, Architecture, Anthropologie, Pédagogie, Pris, L’Harmattan (Espaces interculturels), p. 301-323 (Postface), 2007.

8 Michel Espagne, « La Notion de transfert culturel », Revue Sciences/Lettres [En ligne], 1 | 2013, URL : http://journals.openedition.org/rsl/219

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Table des illustrations

URL http://journals.openedition.org/craup/docannexe/image/10500/img-1.jpg
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Pour citer cet article

Référence électronique

Nadya Rouizem, « Mazen Haïdar, La Ferronnerie architecturale à Beyrouth au XXe siècle, Paris, Éditions Geuthner, 2021 »Les Cahiers de la recherche architecturale urbaine et paysagère [En ligne], Actualités de la recherche, mis en ligne le 02 septembre 2022, consulté le 19 avril 2024. URL : http://journals.openedition.org/craup/10500 ; DOI : https://doi.org/10.4000/craup.10500

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Auteur

Nadya Rouizem

Nadya Rouizem Labied est architecte, titulaire d’un doctorat de l’université Paris 1-Sorbonne, sa thèse a été lauréate de la bourse de la Caisse des dépôts pour la recherche en architecture en 2019, et a reçu une mention de l’Académie d’architecture en 2021. Elle est actuellement maître de conférences associée à l’École nationale supérieure d’architecture de Paris-Val de Seine, et chercheure associée au laboratoire Architecture Histoire Techniques Territoire, Patrimoine (AHTTEP, UMR AUSSER). Parmi ses publications, Réinventer la terre crue. Expérimentations au Maroc depuis les années 1960 est paru aux éditions Recherches en 2022.

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