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Transferts culturels : politique, éducation, organisation curiale

Dans le cercle du pouvoir : les favoris dans les systèmes politiques des cours de Paris-Versailles et du grand-duché de Lituanie au xviie siècle

In the Circle of Power: Favourites in the Political Systems of the Courts of Paris-Versailles and the Grand Duchy of Lithuania in the Seventeenth Century
Aleksandra Ziober
Traduction de Katarzyna Anna Kula

Résumés

Au xviie siècle, aussi bien en France que dans le grand-duché de Lituanie, les rois formaient leurs propres partis pour les aider à gouverner l’État. Le but principal de cet article est de montrer comment les dirigeants du grand-duché de Lituanie et de la France choisissaient leurs favoris. Il est également important de savoir d’où ils venaient, pourquoi ils étaient choisis et comment ils pouvaient perdre ou conserver les faveurs du roi. Au xviie siècle, le système de sélection des favoris avait des éléments communs dans les deux pays considérés, mais force est de constater qu’en Pologne et en Lituanie, les rois appréciaient le maintien d’un certain équilibre des forces politiques, ce qui empêchait l’influence dominante d’un personnage sur le souverain, tandis qu’en France, on voyait se distinguer les grands favoris du monarque, tels que Richelieu ou Mazarin. Quand Louis XIV arriva au pouvoir, il instaura un gouvernement personnel et indépendant, tout en s’entourant de plusieurs favoris ; il tentait toutefois d’équilibrer leurs influences. En Lituanie, au fil du temps, la situation commença à se présenter différemment lorsque, dans la seconde moitié du xviie siècle, se dégagea l’hégémonie de deux familles : les Pac et les Sapieha qui pouvaient mener leur propre politique, indépendante de la cour de Varsovie et dont le roi devait tenir compte.

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Notes de la rédaction

Cet article a été traduit du polonais par Katarzyna Anna Kula et revu par les directeurs de publication, Maciej Forycki, Katarzyna Anna Kula et Flavie Leroux.

Notes de l’auteur

Les recherches effectuées pour la réalisation de cet article s’inscrivent dans le projet PRELUDIUM 12, intitulé « Attitudes of the Grand Duchy of Lithuania elites towards the election of Wladyslaw IV Vasa and Michal Korybut Wisniowiecki » [« Attitude des élites du grand-duché de Lituanie face à l’élection de Ladislas IV Vasa et Michal Korybut Wisniowiecki »] (projet no UMO-2016/23/N/HS3/00679), financé par le National Science Centre de Cracovie.

Texte intégral

Introduction

1Au xviie siècle, dans le grand-duché de Lituanie qui faisait partie de la République nobiliaire, tout comme en France, les rois composaient leur propre entourage dont le rôle était de les aider à gouverner le pays. D’ordinaire, à la tête de chacune de ces coteries, se distinguait clairement un personnage dominant. Par sa politique (distribution de biens fonciers et d’offices), le monarque pouvait soit aider un noble à s’élever au rang de favori, soit – tout au contraire – le forcer à passer à l’opposition politique. Toutefois, il arrivait aussi que le roi soit contraint de respecter la position forte d’un homme politique déjà reconnu – ce dont on peut trouver un exemple parfait dans les relations entre Louis XIII et Richelieu.

  • 1 Thompson 1999, p. 14, et Kettering 1993, p. 69-87.

2Le but principal de cet article est de montrer comment les monarques – d’un côté du grand-duché de Lituanie, de l’autre de France – choisissaient leurs favoris, quelles étaient leurs origines, mais également les raisons de leur bonne et mauvaise fortune. Nous essayerons surtout de déterminer si les méthodes pour créer une faction royale étaient semblables dans les deux pays et dans quelle mesure le souverain de la République sarmate pouvait s’inspirer du modèle développé en France, et notamment du système de la cour de Versailles. Une autre question importante consistera à évaluer si, en Lituanie, pouvaient se distinguer des favoris comme Richelieu, Mazarin ou Colbert1.

  • 2 Magdziarz 2004, p. 160.
  • 3 Le Roux 2000.
  • 4 Lacour-Gayet 1898.
  • 5 « Był w nich nakreślony obraz życia dworu, na którym wszystko ma swoje miejsce, wszystko jest zapla (...)

3En France, la cour ne fut transférée définitivement à Versailles qu’en 1682. Mais déjà auparavant, dans les années 1660, Louis XIV délaissait souvent la capitale au profit du relais de chasse de son père2. Le système des favoris est quant à lui également antérieur à Versailles : il s’est forgé durant des décennies, surtout depuis le règne de Henri III, et fonctionna encore tout au long du xviiie siècle3. On ne peut donc pas affirmer que le transfert de la cour influença diamétralement le système politique créé par Louis XIV et ses prédécesseurs, néanmoins il s’agit là d’un événement qui laissa sans doute son empreinte. Sous cet angle, on peut considérer Versailles comme un symbole, une quintessence de l’Ancien Régime. Ainsi, la construction du château, puis son extension et son développement pour finalement y déplacer la cour, permirent en effet, d’une certaine manière, de consolider des valeurs et des traditions politiques cultivées par les souverains français antérieurement au Roi-Soleil. D’ailleurs, en analysant l’éducation politique de Louis XIV, Georges Lacour-Gayet mentionne parmi les lectures préférées de ce roi les lettres de Catherine de Médicis adressées à Charles IX et à Henri III4, dans lesquelles, comme le remarque Wojciech Magdziarz : « on voit une image bien dressée de la vie de la cour, où tout a sa place, tout est bien planifié et prévu, et où tout Versailles est renfermé, un siècle avant Versailles5 ». C’est pour cette raison que nous commencerons notre analyse à une époque antérieure au transfert de la cour royale, afin d’étudier le fonctionnement des favoris en France et dans le grand-duché de Lituanie durant tout le xviie siècle.

Système politique en France et dans la République nobiliaire : approche comparative

  • 6 Sczaniecki et Sójka-Zielińska 2013, p. 218-245, et Dumanowski et Figeac 2006.
  • 7 Bluche 1986, Cornette 2014a et Cornette 2014b.
  • 8 Béguin 2001, p. 43-54, Blanquié 1995, p. 427-443, Bluche 2003, p. 65-68, Bonney 1981, p. 818-833, B (...)

4Revenons d’abord brièvement sur le système des offices et les prérogatives royales dans les deux pays en question6. Aux xviie et xviiie siècles, le monarque français disposait d’un pouvoir quasi absolu7. Cela lui permettait de choisir librement ses favoris et ses partisans, mais également de les disgracier quand il le souhaitait, en ne se fiant qu’à sa propre opinion. Pourtant, la position des favoris était notamment conditionnée, en grande partie, par le système des offices, différent dans les deux pays. Pour simplifier, disons qu’en France il existait une place de premier ministre qui – s’il jouissait de la confiance du roi – disposait d’immenses possibilités d’action. Mais, en parallèle, il existait aussi d’autres officiers qui pouvaient acquérir un grand pouvoir, notamment le contrôleur général des finances. Tous ces officiers avaient, à leur tour, leur propre clientèle par l’intermédiaire de laquelle ils pouvaient contrôler les provinces. Sans leur soutien, le monarque n’aurait souvent pas été capable d’administrer l’État avec une telle efficacité. Parmi les favoris royaux de la plus haute importance, il faut citer Armand Jean du Plessis, cardinal duc de Richelieu, et Jules Mazarin, qui disposèrent d’une grande influence sous le règne de Louis XIII et sous la régence de Marie de Médicis et celle d’Anne d’Autriche. La situation changea en 1661, avec la prise du pouvoir personnel par Louis XIV, qui possédait ses propres favoris. Cependant, l’influence de ces favoris ne devint jamais comparable à celle de leurs prédécesseurs : ceux-ci pouvaient perdre la grâce du roi à tout moment et être éloignés du pouvoir, une illustration parfaite en étant le sort du surintendant des finances Nicolas Fouquet8.

5Dans la République nobiliaire, la situation était beaucoup plus complexe. Le pouvoir du roi était limité par le Sénat et par la Diète (sejm), qui avaient pour vocation de prendre les décisions les plus importantes pour le pays. Le monarque lui-même ne pouvait ni déclarer la guerre ni instaurer des taxes ni même distribuer certaines charges. Avec le temps, les prérogatives royales diminuèrent encore. Dans la République sarmate du xviie siècle, l’institution législative la plus importante devint la Diète (sejm) où délibéraient les députés élus lors des diétines (sejmiki). Il faut rappeler que l’élection des députés était fortement influencée par les magnats. Le Sénat, quant à lui, était constitué des officiers les plus importants de la Couronne et de Lituanie. Qui plus est, les nobles pouvaient bloquer chaque réforme ou forcer l’arrêt immédiat de chaque session en cours en évoquant le principe de liberum veto (règle d’unanimité) : au xvie et au début du xviie siècle, ils utilisèrent ce principe moins pour rompre les Diètes que pour protester contre une réforme concrète. On considère que la première Diète dissoute par le biais du liberum veto, déposé par Władyslaw Siciński, député de la voïvodie de Trakai (Troki), fut celle du 9 mars 1652. Dès lors, le procédé fut fréquemment utilisé, rendant impossible la plupart des réformes de l’État.

  • 9 Mączak 1999, p. 141-142, et Baszkiewicz 1995, p. 245.
  • 10 Sur les rokosz en Pologne, voir Nagielski 1994, Nagielski 2011 et Pawłowska-Kubik 2019.

6Le rôle du monarque dans chaque des pays était également déterminé par la présence ou l’absence de pouvoir héréditaire. Contrairement au souverain français, le roi polono-lituanien était élu par les nobles lors d’une Diète électorale générale. Il était donc immédiatement, dès le début de son règne, dépendant des nobles et des magnats qui avaient voté pour lui. En France, les ambitions politiques de l’aristocratie étaient atténuées par des grâces, des pensions, des honneurs, tandis que dans la République sarmate, les nobles réclamaient toujours plus de pouvoir, limitant ainsi progressivement les prérogatives du monarque9. Ils disposaient également d’un droit de s’opposer au roi appelé rokosz. Lorsqu’ils constataient que le monarque contrevenait à la loi et menaçait leur « liberté dorée », ils pouvaient s’insurger contre lui. On put l’observer à deux reprises au cours du xviie siècle. La première fois, dans les années 1606-1607, un mouvement probablement dirigé par le grand maréchal de la Couronne Mikołaj Zebrzydowski s’opposa aux tentatives absolutistes de Sigismund III Vasa. Ce rokosz se termina finalement par la victoire du roi à Guzów en 1607. L’autre eut lieu sous le règne de Jean Casimir Vasa quand les projets royaux liés à l’élection vivente rege du candidat français ne rencontrèrent pas l’approbation de la noblesse et des magnats. Ce conflit civil, qui éclata en 1665 sous l’impulsion du petit hetman de la Couronne Jerzy Sebastian Lubomirski, se termina par une trêve signée le 31 juillet 1666 à Łęgonice après les premières victoires de l’armée nobiliaire insurgée. Par la suite, Lubomirski dut s’humilier devant le roi et fut banni à Wroclaw10.

  • 11 Góralski 1983, p. 74-75.
  • 12 Ibid., p. 74-111.

7Le système des offices était également beaucoup plus opaque qu’à Versailles car certaines charges réunissaient de multiples compétences, souvent très semblables les unes aux autres. La dignité en théorie la plus importante dans l’État polono-lituanien, celle de grand maréchal de la Couronne (dont les attributions correspondaient grosso modo à celles d’un ministre de l’Intérieur), ne conférait en réalité qu’une faible marge de manœuvre politique. Ses fonctions n’étaient en rien comparables à celles du principal ministre ou à celles d’autres officiers de la Couronne française11. Il est utile de citer ici les principales dignités de la République nobiliaire, les favoris royaux en possédant souvent une. Il s’agissait notamment des offices ministériels : le grand maréchal, le maréchal de la cour, le grand chancelier, le sous-chancelier ou le grand trésorier12. Chacune de ces charges était attribuée, parallèlement, aussi bien dans la Couronne du royaume de Pologne que dans le grand-duché de Lituanie.

  • 13 Bardach, Leśnodorski et Pietrzak 1977, p. 231-233 et Góralski 1983, p. 155-156.
  • 14 Bardach, Leśnodorski et Pietrzak 1977, p. 233, Sucheni-Grabowska 2009, p. 81, 108, et Góralski 1983 (...)
  • 15 Volumina Legum 1860, t. V, p. 23, et Ciara 1990, p. 14.

8D’autres dignités pouvaient également donner une très grande capacité d’action, notamment celles d’hetman et de voïvode (palatin), charges qui étaient d’ailleurs souvent détenues par un seul et même noble, ce qui lui conférait une influence politique colossale. L’office d’hetman prit rapidement de plus en plus d’importance, surtout lorsqu’il commença à être attribué à des magnats déjà très puissants13. Au xvie et au début du xviie siècle, le phénomène de cumulation d’offices entre les mains d’un seul noble devint de plus en plus fréquent, consolidant ainsi davantage le pouvoir de l’individu concerné. En réaction, l’on commença alors à appliquer progressivement le principe d’incompatibilitas (non-cumulation d’offices)14, entériné en 1669 par l’interdiction de détenir à la fois les charges d’hetman et de chancelier, de maréchal ou de trésorier15. Contrairement au système de Paris et de Versailles, celui de la République ne disposait donc d’aucune dignité comparable à celle de principal ministre. Par conséquent, il faut comprendre que le roi ne pouvait déléguer l’exécution de tâches de la plus grande importance à son favori. L’unique façon d’atteindre un pouvoir considérable était de cumuler plusieurs charges entre les mains d’une seule personne ou du moins d’une même famille, ce qui était d’ailleurs parfois le cas.

9Le meilleur exemple en est la domination exercée par les Pac sur les plus importantes charges du grand-duché de Lituanie durant les dernières années du règne de Jean Casimir Vasa. Ainsi, Krzysztof Zygmunt Pac devint en 1658 grand chancelier de Lituanie tandis que son parrain, Michał Kazimierz, fut en 1667 nommé grand hetman de Lituanie. D’autres membres de cette maison gagnèrent également des offices notables, tels ceux de sénateurs. Il faut enfin mentionner ici Kazimierz Pac qui devint d’abord évêque de Smolensk (1664) et ensuite de Samogitie (1667). Un autre exemple encore plus représentatif est celui de la famille Sapieha, qui cumulait les plus éminentes fonctions publiques et qui avait gagné une influence politique et économique considérable en Lituanie. Son « gouvernement » dans les années 1680-1690 est considéré comme une véritable hégémonie ; nous y reviendrons dans la suite de cet article.

Favoris en France au xviie siècle : Richelieu, Mazarin, Colbert

  • 16 Parmi l’abondante littérature consacrée à ce personnage, voir notamment : Baszkiewicz 1995, Jouhaud(...)
  • 17 Sur cette reine, voir notamment Dubost 2009.
  • 18 Bluche 2003, p. 65-68.

10On ne peut étudier la problématique des favoris royaux en France autrement qu’en évoquant le personnage unique qu’était Armand Jean du Plessis de Richelieu, dit le cardinal de Richelieu (1585-1643)16. Il doit sa carrière à plusieurs protecteurs, parmi lesquels le plus grand rôle revient à Marie de Médicis17. Après l’assassinat de son mari Henri IV par François Ravaillac le 14 mai 1610, la reine prend le pouvoir au nom de son fils Louis, encore mineur. C’est en 1614 qu’elle rencontre Richelieu (alors encore évêque de Luçon), lors des états généraux où il représente le haut clergé de Bordeaux. Fascinée par l’entregent et les talents de l’ecclésiastique, elle soutient sa carrière politique et l’aide à avancer. C’est notamment grâce à elle que Richelieu devient en 1616 secrétaire d’État aux Affaires étrangères. Même si Louis a été couronné à l’âge de neuf ans, en 1610, sa mère Marie de Médicis conserve toujours une grande influence politique. C’est pourquoi, malgré son hostilité, le jeune roi nomme Richelieu membre de son conseil. Mais son rôle ne s’amplifie considérablement qu’en 1621, après la mort du favori royal Charles d’Albert, duc de Luynes. Un an plus tard, de nouveau grâce à la protection de Marie de Médicis, Richelieu reçoit le chapeau de cardinal des mains du pape Grégoire XV. Rapidement, il gagne aussi la confiance de l’entourage royal et, après l’emprisonnement de Charles, duc de La Vieuville, en 1624, est nommé par Louis XIII premier ministre18.

  • 19 Ibid., p. 383-387, et Hildesheimer 2000, p. 99-122.

11En voyant le rôle de Richelieu auprès du roi croître progressivement, la reine mère, inquiète, essaie de se débarrasser de son ancien protégé. En résulte un complot tramé en 1630, pendant la maladie de Louis XIII. En soutenant l’intronisation de son fils cadet, Gaston d’Orléans, Marie de Médicis espère regagner l’autorité exercée pendant la régence, tout en éloignant le cardinal du pouvoir. Malgré un certain apaisement temporaire de la situation, après le rétablissement de Louis XIII, le conflit ressurgit. Le 11 novembre 1630 a lieu la fameuse « journée des Dupes » : lors d’une rencontre au palais du Luxembourg, Marie de Médicis ordonne au roi de choisir entre elle et le cardinal. Louis XIII décide d’abord d’éloigner son principal ministre, mais le fait finalement venir à Versailles, dans la nuit, pour l’assurer de son soutien, lui garantissant dorénavant un pouvoir incontestable. Tout le règne personnel de Louis XIII est ensuite dominé par le personnage de Richelieu, qui occupe les fonctions de principal ministre jusqu’à la fin de sa vie, le 4 décembre 1642. On dit même que le roi apprendra la mort de « l’éminence rouge » avec soulagement19.

  • 20 Parmi l’abondante littérature consacrée à ce personnage, voir notamment Dulong 1990, Dulong 2010 et(...)
  • 21 Bohanan 2001, p. 60, Baszkiewicz 1995, p. 252-253 et Descimon et Jouhaud 1984.
  • 22 Baszkiewicz 1995, p. 254-256, Béguin 2001, p. 43-54, Blanquié 1995, p. 427-443, Bonney 1981, p. 818 (...)
  • 23 Baszkiewicz 1995, p. 256.

12Louis XIII meurt seulement quelques mois après le cardinal et décide auparavant de lui choisir un successeur : ce sera Jules Mazarin, l’un des favoris de Richelieu20. Sa nomination a également été facilitée par la protection de la régente Anne d’Autriche, qui gouvernait alors au nom de Louis XIV encore mineur. Tout comme Richelieu, Mazarin possède une habileté naturelle à manœuvrer entre les coteries et gagne ses partisans par des promesses d’avancement ou de grâces. L’une des périodes les plus importantes du gouvernement du successeur de « l’éminence rouge » est la Fronde. Elle commence avec la révolte du peuple parisien (1648-1649), en raison de la politique fiscale et des restrictions touchant l’enregistrement des arrêts, mais également du népotisme pratiqué par le ministre21. Suit la Fronde des princes (1649-1653), durant laquelle se soulèvent le Grand Condé, le prince de Conti, Turenne ou encore le chancelier Séguier (entre autres). Avec ensuite l’intervention de l’Espagne, la cour royale n’a d’autre choix que d’éloigner Mazarin du pouvoir. Mais sa disparition n’est que temporaire : il revient rapidement et l’emporte sur la Fronde grâce à la division de ses adversaires. Turenne quitte l’opposition, Retz est emprisonné, Condé passe au service de l’Espagne – ainsi la Fronde se termine par une victoire pour le ministre22. Bien que le monarque ait atteint la majorité légale pour régner en 1651, Mazarin exerce le pouvoir jusqu’à sa mort en 166123.

  • 24 Hoffman 1994, p. 246.
  • 25 Baszkiewicz 1995, p. 267.
  • 26 Parmi l’abondante littérature consacrée à ce personnage, voir notamment : Dessert 2000, p. 7, Murat(...)
  • 27 Voir notamment Dessert 2000.

13La disparition du cardinal marque la fin du gouvernement des premiers ministres. En effet, après ces expériences, Louis XIV affirme son pouvoir personnel. Cela ne veut pas dire qu’il n’aura pas de favoris24. Pendant son règne, l’aristocratie ancienne est tenue éloignée des offices ministériels et les nobles qui ne fréquentent pas la cour royale reçoivent peu de dons ou de pensions25. À l’inverse, des officiers de plus basse extraction se voient confier les rênes du pouvoir ; ainsi de Jean-Baptiste Colbert, nommé contrôleur général des finances en 1665, que certains considèrent comme un « favori » de Louis XIV26. Certains historiens sont même d’avis que Colbert manipulait le roi au point d’abuser de son inexpérience27. Auparavant, il exerçait la charge d’intendant des finances et appartenait aux favoris de Mazarin. Mais il est surtout connu pour avoir réformé le système fiscal et avoir supprimé les privilèges des villes, ce qui contribue au développement du commerce et de l’industrie. En tant que partisan de la monarchie absolue, il centralise le système financier, économique et administratif de l’État. Cependant, à la fin de sa vie, ce ministre connaîtra une forme de disgrâce car Louis XIV est contrarié par ses projets de restriction des dépenses pour la guerre, la cour, l’extension et le développement du château de Versailles.

  • 28 Baszkiewicz, p. 269-273 et Dessert 1974, p. 847-882. Sur les ministres du roi, voir notamment Sarma (...)

14Il convient également de mentionner ici Nicolas Fouquet, qui pendant des années est protégé par Mazarin et obtient en 1653 une charge de surintendant des finances. On considère ses richesses, accumulées durant des décennies, comme plus grandes que celles de son patron. Après la mort du cardinal, Fouquet pense devenir chef du gouvernement, mais Louis XIV en décide autrement et finalement, en 1661, le fait arrêter et emprisonner dans la forteresse de Pignerol où il mourra. En parallèle, à la cour, d’autres ont déjà gagné en influence, notamment Michel Le Tellier et son fils François-Michel Le Tellier, marquis de Louvois, qui exercent la charge de secrétaire d’État de la Guerre et qui rivalisent avec la faction Colbert28.

  • 29 « Król bardzo się z nią liczył, a za jego plecami jeszcze bardziej ministrowie, z reguły uzgadniają (...)
  • 30 Cette problématique est étudiée en détail dans Le Roy Ladurie 1978 et Le Roy Ladurie 1983.

15Durant la dernière période de règne de Louis XIV, l’épouse secrète du roi, la marquise de Maintenon (Françoise d'Aubigné), gagne à son tour une grande autorité à la cour. Comme l’écrit l’historien Jan Baszkiewicz, auteur de la monographie consacrée à l’histoire de France la plus connue en Pologne : « Son opinion comptait beaucoup pour le roi, et – officieusement – plus encore pour ses ministres, qui consultaient fréquemment Mme de Maintenon pour toutes les décisions importantes29. » Le monarque abandonne ainsi le système préconisé par ses prédécesseurs, qui s’appuyait sur un seul favori disposant d’un pouvoir colossal. Désormais, à la cour de Versailles, les dignitaires influents rivalisent pour tenir un rôle primordial aux côtés du roi. Plusieurs factions se réunissent alors autour des principaux protagonistes du règne, notamment les héritiers de la Couronne, le duc de Bourgogne et le dauphin30.

Favoris dans le système politique du grand-duché de Lituanie

16Qu’en est-il dans la République des Deux Nations ? Afin de bien étudier la problématique en question, présentons brièvement les favoris royaux à la cour des premiers monarques de la dynastie de Vasa : Sigismond III Vasa (1587-1632) et Ladislas IV (1632-1648), dont la politique consiste principalement à renforcer le pouvoir monarchique.

  • 31 Czwołek 2003, p. 107-175.

17Dans le grand-duché de Lituanie sous le règne de Sigismond III Vasa, trois familles se distinguent dans le jeu des influences politiques : les Radziwiłł avec la lignée calviniste Biržai (pl. de Birże) et la lignée catholique Niasvij (pl. de Nieśwież), les Sapieha et les Chodkiewicz. Le pouvoir qu’ils exerçent varie en fonction de la situation intérieure et extérieure du pays. Au cours des premières années du gouvernement de Sigismond III, le plus important représentant des Sapieha, Lew, appartient au cercle d’influence des Radziwiłł ; mais grâce à ses capacités politiques, il gagne rapidement les faveurs directes du roi qui lui octroie alors les charges les plus significatives du grand-duché de Lituanie. Ainsi, il est nommé grand chancelier (en 1589), voïvode (palatin) de Vilnius (en 1621) et grand hetman (en 1625). Tout cela provoque un vif conflit entre Lew Sapieha et ses anciens patrons. Or, au moment où Krzysztof II arrive à la tête du parti des Radziwiłł de la lignée Biržai, cette faction appartient déjà à l’opposition ; les Sapieha commençent alors à gagner de plus en plus d’autorité à la cour royale, ce qui sera encore facilité en 1621 par la mort de l’un de leurs rivaux : Jan Karol Chodkiewicz31.

18La situation dans le grand-duché de Lituanie à l’époque du règne de Sigismond III Vasa est effectivement compliquée. L’influence politique des familles en question change sans cesse, au gré de la faveur royale. Il convient d’ajouter ici que d’autres lignées jouent aussi un rôle considérable, telles les Gosiewski, les Kiszka, les Tyszkiewicz, les Pac ou les Zawisza. C’est pourquoi, en Lituanie, il n’y a pas de favori royal à l’instar d’un Richelieu à la cour de Louis XIII. Il faut cependant reconnaître, surtout lors des dernières années du gouvernement de Sigismond III, une certaine autorité exercée par Lew Sapieha et ses fils, Kazimierz Leon et Jan Stanisław, mais leurs prérogatives ne peuvent en rien se comparer à celles dont disposait le cardinal. Cela résulte notamment de la politique menée par Sigismond III, qui essaie de conserver un équilibre dans le grand-duché de Lituanie en veillant à ne pas accorder trop de pouvoir à une seule et même personne.

  • 32 Czapliński 1959, p. 55-56 et Ziober 2020, p. 81-82.
  • 33 Ziober 2016, p. 70-82.
  • 34 Rachuba 1994b, p. 31 et Ziober 2020, p. 104-105.

19Quant à Ladislas Vasa, il faut commencer l’analyse de sa politique envers les favoris avant 1632, année de son élection. Prince à la cour de Varsovie, il a déjà commencé à créer une faction dont font partie les fils d’opulentes familles de magnats qui collaborent avec le roi32. L’un de ses plus éminents membres est Jan Stanisław Sapieha, le fils de Lew, palatin de Vilnus susmentionné. Le jeune Vasa le soutient déjà dès la première décennie du xviie siècle, en sollicitant pour lui des prérogatives auprès de son père. C’est entre autres grâce à ce soutien que Jan Stanisław Sapieha obtient en 1617 un office ministériel – celui de maréchal de la cour de Lituanie – et, quatre ans plus tard, celui de grand maréchal de Lituanie33. Ladislas entretient aussi de bonnes relations avec le frère cadet de Jan Stanisław, Kazimierz Leon Sapieha, qui pendant l’interrègne est choisi comme envoyé du prince à la Diète. Cela est sans doute pour Sapieha un grand événement et une importante distinction34.

  • 35 Rachuba 1994b, p. 32-33.

20Durant toute l’époque du gouvernement de Ladislas IV – aussi bien à la cour que dans le grand-duché de Lituanie –, les Sapieha rivalisent avec les Radziwiłł, Krzysztof et Janusz. Néanmoins, à la fin du règne, Kazimierz Leon Sapieha gagne davantage d’autorité, notamment grâce à son immense fortune, héritée de son père et de son frère aîné. Il est alors réputé le plus riche magnat de cette période. Ce rôle dominant en Lituanie s’explique aussi par le décès, en 1640, de son principal adversaire, Krzysztof Radziwiłł. De cette position gagnée par Sapieha à la cour royale, témoigne notamment le fait qu’il est choisi parmi les quatre exécuteurs testamentaires du monarque. Toutefois, de manière générale en Lituanie, reste qu’aucune suprématie ne peut vraiment être constatée puisque Ladislas IV tentait comme son prédécesseur de maintenir un certain équilibre35.

  • 36 Radziwiłł 1980, p. 137, Rachuba 1994b, p. 33, et Witusik 1962, p. 134 et 151.

21En 1648, au cours de l'interrègne, les rivalités d’influence opposent à nouveau les Sapieha et les Radziwiłł car soutenir le bon candidat pouvait ensuite déterminer leur position à la cour du nouveau roi. Les prétendants à la couronne sont cette fois-ci deux frères Vasa : Charles-Ferdinand et Jean Casimir. Kazimierz Leon Saphieha soutient d’abord le premier, avec qui il entretient de longue date de bonnes relations. Janusz Radziwiłł de son côté décide d’apporter son appui à Georges Ier Rákóczi, prince de Transylvanie, qui souhaitait s’emparer du trône. Ce dernier compte de même sur d’autres dissidents et sur l’aide de l’électeur de Brandebourg, du hospodar de Valachie mais aussi de la Suède, de la Turquie et de Bogdan Khmelnitski. Mais les propositions soumises par ses envoyés rencontrent l’hostilité de Varsovie. Finalement, Georges Ier Rákóczi meurt en octobre 1648 ; aussi bien Sapieha que Radziwiłł soutiennent alors la candidature de Jean Casimir. Certains voient même en Kazimierz Leon Sapieha la principale force motrice de l’élection de Vasa. C’est probablement pour cette raison qu’il gagne ensuite une grande influence à la cour du nouveau roi36.

  • 37 Voir l’article de Chantal Grell dans le présent volume : https://journals.openedition.org/crcv/1922 (...)
  • 38 Bobiatyński 2016, p. 25, Fabiani 2014, p. 217-218, et Frost 2013, p. 787-817.
  • 39 Sawicki 2016, p. 24, et Nagielski 2006, p. 351.

22Jean Casimir est un personnage central dans le cadre de cette étude puisque son épouse Louise-Marie de Gonzague est française et veuve de son frère aîné. Encore aujourd’hui, les historiens discutent le rôle de la reine et ses interventions dans la politique intérieure de l’État37. Il semble que dès le début de son règne, Jean Casimir tente d’instaurer, dans une certaine mesure, le système de favoris en vigueur en France. Il est probable que l’idée lui ait été insufflée par son épouse, qui voulait transférer dans la République des Deux Nations les modèles français qui lui étaient familiers. Durant les premières années du gouvernement de Jean II Casimir Vasa, le plus proche collaborateur du roi est le sous-chancelier de Lituanie Kazimierz Leon Sapieha. Après sa mort en 1656, le monarque est obligé de trouver un nouveau dirigeant de la faction curiale en Lituanie. Soutenu par la reine Louise-Marie, Krzysztof Zygmunt Pac commence à gagner en autorité et reçoit en 1658 la charge de grand chancelier de Lituanie. En outre, en 1654, il épouse l’une des dames préférées de la reine : Claire Isabelle Eugénie de Mailly-Lespine. Louise-Marie voulait sans doute de cette manière s’attacher davantage le Lituanien et contrôler ses actions. Par l’intermédiaire de Pac, plusieurs de ses proches rejoignent la faction curiale, parmi eux (entre autres) Michał Kazimierz Pac qui deviendra plus tard grand hetman de Lituanie38. Les Pac soutiennent ainsi les projets royaux pendant une décennie. Pourtant, vers le milieu des années 1660, profitant de leur puissance en Lituanie, ils s’opposent à la politique de Jean Casimir et de son épouse. C’est pourquoi dès l’année 1667 et jusqu’à la fin du règne de Vasa, le pouvoir exercé dans l’entourage royal est partagé avec deux autres familles : les Radziwiłł et les Sapieha, dont l’influence reste tout de même moindre que celle des Pac39.

  • 40 « Jam już z łaski Bożej Dom mój wystawił, jako żaden pieczętarz nigdy lepiej. Mamy co największe ho (...)

23La faction des Pac, dont le chef est sûrement Krzysztof Zygmunt, bâtit consciencieusement sa puissance (dans l’armée, mais aussi dans les starosties), ce qui lui assure la suprématie sur le grand-duché après la mort, en 1665, de son opposant politique, le grand hetman de Lituanie Paweł Jan Sapieha. De l’importance que gagnent les Pac durant l’interrègne des années 1668-1669, puis durant le gouvernement de Michel Korybut Wiśniowiecki, peuvent témoigner les mots du grand chancelier de Lituanie : « Grâce à Dieu, j’ai rehaussé ma Maison, comme ne l’avait jamais fait aucun chancelier [auparavant]. Nous avons les plus grands honneurs et terres dans notre Maison, et moi je suis rassasié de tout40. » Les Pac peuvent être considérés comme la première famille à détenir une véritable hégémonie en Lituanie, au point que pour chaque décision, le roi devait tenir compte de leur avis.

24Après le décès soudain de Wiśniowiecki (1673), arrive une nouvelle période d’interrègne au cours de laquelle les Sapieha et les Pac s’opposent en soutenant des candidats au trône différents. Les gagnants de ce combat politique sont les frères Sapieha, Benedykt Paweł et Kazimierz Jan. Grâce au soutien de Jean III Sobieski, élu en juin 1674, ils prennent la tête de la faction royale en Lituanie. À noter que la femme du nouveau roi – Marie-Casimire de La Grange d’Arquien – est française et vient de la suite de Louise-Marie de Gonzague. D’ailleurs, tout comme sa devancière, elle intervient dans la politique de l’État, parfois en imposant son opinion à Sobieski. Le nouveau roi, voulant détruire l’hégémonie des Pac, distribue les charges importantes aux Sapieha : en 1676, Benedykt Paweł devient grand trésorier de Lituanie et, en 1682, Kazimierz Jan est nommé voïvode (palatin) de Vilnus, puis un an plus tard grand hetman de Lituanie. Grâce aux dignités cumulées entre leurs mains, les Sapieha contrôlent les aspects les plus importants de la vie dans le grand-duché. En outre, ils sont héritiers d’imposants biens fonciers et peuvent par ce biais contrôler aisément la noblesse locale.

25Au début des années 1680, deux de leurs principaux opposants décèdent : Krzysztof Zygmut Pac et Michał Kazimierz Pac. En 1680, disparaît aussi Michał Kazimierz Radziwiłł, parent de Jean III Sobieski, qui exerçait peu de pouvoir mais qui était le seul à pouvoir faire face à la puissance des Sapieha. Désormais, rien ne peut plus arrêter leur hégémonie. Conscients de leur puissance, ils quittent la faction curiale et s’opposent au roi pour prendre le gouvernement de la Lituanie, seuls et de manière indépendante.

  • 41 Rachuba 1994a, p. 41, Wójcik 1983, p. 491, et Sliesoriunas 2003, p. 231-242.
  • 42 Rachuba 2003, p. 217-229.

26La puissance de cette famille est ce qui se rapprocherait le plus du rôle que jouait en France un favori, même si en Lituanie ce pouvoir était partagé entre plusieurs personnes. En 1695, certains appellent même l’un des Sapieha « le roi Casimir IV », ce qui illustre parfaitement l’influence que cette famille réussit à gagner41. Mais finalement, la noblesse lituanienne décide de se soulever contre sa suprématie : lors de la guerre civile, en 1700, les Sapieha sont vaincus par l’opposition confédérée lors de la bataille de Valkininkai (Olkieniki) et doivent fuir la Lituanie42.

Conclusion

  • 43 Mączak 1999, p. 152-153.

27Dans le grand-duché de Lituanie, tout comme dans la République nobiliaire, le système politique et administratif, formé durant des siècles, ne permettait pas au monarque de nommer un principal ministre à la manière des souverains de l’Europe occidentale. Dans un tel contexte, le rôle de favori était plutôt joué par plusieurs dignitaires en même temps. Il semble qu’un modèle similaire, où le monarque distribuait le pouvoir entre quelques officiers, entra en usage en France lorsque Louis XIV prit personnellement le pouvoir43.

28Dans la République sarmate, surtout à partir de la deuxième moitié du xviie siècle, le roi devait accepter la configuration du pouvoir déjà en vigueur, tandis que les magnats décidaient s’ils étaient d’accord avec la politique royale ou non, faisant toujours peser la menace d’un soulèvement (à l’exemple des Pac et des Sapieha). Parfois, notamment dans la deuxième moitié du xviie siècle, ils collaboraient avec la cour royale afin d’obtenir d’importants offices, pour passer ensuite à l’opposition. De fait, dans la République, le monarque en s’appuyant sur certains personnages contribuait à leur ascension politique et à leur enrichissement. Mais une fois leurs ambitions assouvies, les mêmes pouvaient se retourner contre lui, le plus souvent en passant à la faction opposée. À l’inverse, en France, c’était le favori qui pouvait perdre la grâce royale à tout moment. En analysant cette problématique, il faut toujours garder à l’esprit que le trône en Pologne était électif, ce qui – dès le début du règne – affaiblissait la position de la tête couronnée. En dépit des tentatives des monarques polonais, entreprises du moins dès le milieu du xviie siècle, il ne fut pas possible d’instituer dans la République un système comparable à celui de la faveur royale en France. La complexité des offices et l’interdiction de cumul de charges dans l’État polono-lituanien empêchèrent quiconque d’acquérir une influence et un pouvoir comparables à ceux observés à Paris ou à Versailles.

29Dans le grand-duché de Lituanie, la prise de pouvoir d’une nouvelle famille intervenait souvent suite à la mort du chef de la faction dominante. Tel fut le cas au décès de Paweł Jan Sapieha, qui entraîna la suprématie des Pac. De même, après la mort des dirigeants Pac, ce furent à nouveau les Sapieha qui revinrent au pouvoir. Sur ce point, la situation en France était d’une certaine manière semblable : du temps de Richelieu comme de Mazarin, il fallait attendre le décès du favori pour qu’un autre soit choisi, les politiciens expérimentés ne se laissant pas facilement déposséder du pouvoir. Une bonne illustration en est le début du gouvernement de Louis XIV qui, après Mazarin, ne nomma plus de principal ministre et instaura un pouvoir personnel. Quant à la République, chaque période d’interrègne pouvait aussi contribuer à des changements sur la scène politique : le nouveau roi pouvait mettre en valeur une personne ou une famille qui avait soutenu ses efforts pour gagner le trône.

30Pour finir, il faut surtout souligner les différences entre les deux systèmes. Le modèle français ou versaillais ne pouvait pas aisément être transféré en Lituanie à cause des différences dans les pratiques du pouvoir. Néanmoins, cette analyse nous permet de constater certaines ressemblances et quelques tentatives d’adopter (dans une certaine mesure) les modèles de Paris, puis de Versailles, sur le territoire de l’État polono-lituanien. Cela nécessitait toutefois d’y apporter de fortes modifications, en fonction des factions en présence et des pouvoirs en vigueur dans la République nobiliaire.

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Notes

1 Thompson 1999, p. 14, et Kettering 1993, p. 69-87.

2 Magdziarz 2004, p. 160.

3 Le Roux 2000.

4 Lacour-Gayet 1898.

5 « Był w nich nakreślony obraz życia dworu, na którym wszystko ma swoje miejsce, wszystko jest zaplanowane i przewidziane, zawiera się w nich cały Wersal na wiek przed Wersalem », Dessert 1989 et Magdziarz 2013, p. 43.

6 Sczaniecki et Sójka-Zielińska 2013, p. 218-245, et Dumanowski et Figeac 2006.

7 Bluche 1986, Cornette 2014a et Cornette 2014b.

8 Béguin 2001, p. 43-54, Blanquié 1995, p. 427-443, Bluche 2003, p. 65-68, Bonney 1981, p. 818-833, Breen 2006, p. 138-160, Haddad 2006, p. 75-109, et Thompson 1999, p. 13-23.

9 Mączak 1999, p. 141-142, et Baszkiewicz 1995, p. 245.

10 Sur les rokosz en Pologne, voir Nagielski 1994, Nagielski 2011 et Pawłowska-Kubik 2019.

11 Góralski 1983, p. 74-75.

12 Ibid., p. 74-111.

13 Bardach, Leśnodorski et Pietrzak 1977, p. 231-233 et Góralski 1983, p. 155-156.

14 Bardach, Leśnodorski et Pietrzak 1977, p. 233, Sucheni-Grabowska 2009, p. 81, 108, et Góralski 1983, p. 33-35.

15 Volumina Legum 1860, t. V, p. 23, et Ciara 1990, p. 14.

16 Parmi l’abondante littérature consacrée à ce personnage, voir notamment : Baszkiewicz 1995, Jouhaud 1991, Hildesheimer 2004 et Schulz 2015.

17 Sur cette reine, voir notamment Dubost 2009.

18 Bluche 2003, p. 65-68.

19 Ibid., p. 383-387, et Hildesheimer 2000, p. 99-122.

20 Parmi l’abondante littérature consacrée à ce personnage, voir notamment Dulong 1990, Dulong 2010 et Goubert 2014.

21 Bohanan 2001, p. 60, Baszkiewicz 1995, p. 252-253 et Descimon et Jouhaud 1984.

22 Baszkiewicz 1995, p. 254-256, Béguin 2001, p. 43-54, Blanquié 1995, p. 427-443, Bonney 1981, p. 818-833, et Hoffman 1994, p. 246.

23 Baszkiewicz 1995, p. 256.

24 Hoffman 1994, p. 246.

25 Baszkiewicz 1995, p. 267.

26 Parmi l’abondante littérature consacrée à ce personnage, voir notamment : Dessert 2000, p. 7, Murat 1988, p. 106, Rothbard 1995, p. 248 et Soll 2009.

27 Voir notamment Dessert 2000.

28 Baszkiewicz, p. 269-273 et Dessert 1974, p. 847-882. Sur les ministres du roi, voir notamment Sarmant et Stoll 2019.

29 « Król bardzo się z nią liczył, a za jego plecami jeszcze bardziej ministrowie, z reguły uzgadniający ważne decyzje z panią de Maintenon », Baszkiewicz 1995, p. 266-267.

30 Cette problématique est étudiée en détail dans Le Roy Ladurie 1978 et Le Roy Ladurie 1983.

31 Czwołek 2003, p. 107-175.

32 Czapliński 1959, p. 55-56 et Ziober 2020, p. 81-82.

33 Ziober 2016, p. 70-82.

34 Rachuba 1994b, p. 31 et Ziober 2020, p. 104-105.

35 Rachuba 1994b, p. 32-33.

36 Radziwiłł 1980, p. 137, Rachuba 1994b, p. 33, et Witusik 1962, p. 134 et 151.

37 Voir l’article de Chantal Grell dans le présent volume : https://journals.openedition.org/crcv/19221.

38 Bobiatyński 2016, p. 25, Fabiani 2014, p. 217-218, et Frost 2013, p. 787-817.

39 Sawicki 2016, p. 24, et Nagielski 2006, p. 351.

40 « Jam już z łaski Bożej Dom mój wystawił, jako żaden pieczętarz nigdy lepiej. Mamy co największe honory i dzierżawy w Domu naszym, jużem syt wszystkiego », cité d’après Bobiatyński 2016, p. 26.

41 Rachuba 1994a, p. 41, Wójcik 1983, p. 491, et Sliesoriunas 2003, p. 231-242.

42 Rachuba 2003, p. 217-229.

43 Mączak 1999, p. 152-153.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Aleksandra Ziober, « Dans le cercle du pouvoir : les favoris dans les systèmes politiques des cours de Paris-Versailles et du grand-duché de Lituanie au xviie siècle »Bulletin du Centre de recherche du château de Versailles [En ligne], 18 | 2021, mis en ligne le 26 avril 2021, consulté le 06 juillet 2025. URL : http://journals.openedition.org/crcv/19746 ; DOI : https://doi.org/10.4000/crcv.19746

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Auteur

Aleksandra Ziober

Aleksandra Ziober est spécialiste, à l’Institut d’histoire de l’Université de Wrocław (Breslau), de l’histoire sociopolitique des élites du grand-duché de Lituanie au xviie siècle, en particulier des relations et dépendances économiques et politiques au sens large et de l’impact de ces processus sur les relations patron-client. Ses recherches portent également sur le clientélisme, sur la lutte pour obtenir un avantage politique (jusqu’à l’hégémonie) en Lituanie, ainsi que sur les attitudes politiques et les voyages de l’élite lituanienne dans la première moitié du xviie siècle. Elle s’intéresse de même aux rapports des diplomates anglais concernant la République des Deux Nations.
Aleksandra Ziober is a specialist, at the Institute of History, University of Wrocław (Breslau), of the socio-political history of the elites in the Grand Duchy of Lithuania in the seventeenth century, particularly the economic and political relations and dependencies in the broad sense of the terms, and the impact of these processes on patron-client relations. Her research also concerns favouritism, the struggle to gain political advantage (to the extent of hegemony) in Lithuania, as well as the political attitudes and travels of the Lithuanian elite in the first half of the seventeenth century. Aleksandra Ziober is also interested in the reports of English diplomats pertaining to the Polish-Lithuanian Commonwealth.
E-mail : aleksandra.ziober[at]uwr.edu.pl

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