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Histoire nationale, histoire universelle : propositions sur l’iconographie monumentale de la monarchie de Juillet

National History, Universal History: The Monumental Iconography of the July Monarchy
Jean-Michel Leniaud

Résumés

Comment représenter l’histoire de France dans le contexte de la monarchie de Juillet, lorsque se construit l’État nation ? Les peintres choisis par les pouvoirs publics semblent disposer d’une grande liberté mais les courants idéologiques qui traversent la société s’imposent à eux. Cette étude met en évidence, en effet, les conflits discrets qui opposent les partisans de l’histoire nationale telle que l’exalte la génération romantique et ceux du cosmopolitisme libéral qui insistent sur le commerce et l’industrie et, au nom des Lumières et de la Philosophie, se méfient du catholicisme romain. Quelles que soient les sympathies, diverses, de la famille royale et du haut personnel de l’État, il est hors de question de choisir l’une ou l’autre tendance : le projet de Juillet vise à rassembler la totalité du corps politique au nom de l’histoire, conçue comme le laboratoire du politique. La conciliation des tendances diverses, voire contradictoires, se trouve au cœur du projet d’éclectisme dont le régime a fait son objectif. Louis-Philippe, roi muséographe par excellence, voudra trouver à Versailles l’occasion de tenter un consensus iconographique.

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Texte intégral

  • 1 Leniaud 2019.

1Dans le prolongement d’une publication sur les décors de la bibliothèque du Sénat au palais du Luxembourg qu’Eugène Delacroix a réalisés à partir de 18401, dans laquelle j’ai abordé, à propos de la signification de ces peintures, la tension caractéristique de l’époque entre le classicisme et l’identité nationale, la réflexion sur les Galeries historiques de Versailles dont Louis-Philippe a été le principal initiateur, à laquelle incite le Centre de recherches du château de Versailles en prévision de leur revalorisation muséographique, conduit à poser en préalable la question, non seulement sous l’angle d’une iconologie analytique qui privilégierait l’individualité des œuvres, voire des séries et des programmes, mais sous le point de vue des idéologies politiques : quelles conceptions de la France pouvaient cohabiter, rivaliser, se concilier dans l’esprit du souverain et de la haute société politique qui l’entourait ? Les hypothèses formulées ici valent surtout comme outil de travail pour des analyses qui pourraient s’approfondir ultérieurement. Elles ne reposent pas sur une étude systématique des décors de la monarchie de Juillet, tant s’en faut, mais ce qui pourrait apparaître comme une faiblesse aux yeux de certains chercheurs soucieux avant tout d’inventaires exhaustifs permet de dégager quelques constantes qu’il suffira de vérifier dans des analyses ultérieures. Aux peintures de Delacroix pour la Chambre des pairs on a ajouté notamment les décors de l’hémicycle, le programme de peintures murales pour le cul-de-four de l’église de la Madeleine et celui des peintures de Chassériau pour l’escalier de la Cour des comptes au palais d’Orsay. On complétera cet ensemble par le décor épigraphique décidé par Henri Labrouste pour la façade de la bibliothèque Sainte-Geneviève (1843-1851) et quelques décors conçus par Eugène Delacroix. Ainsi constitué, le corpus de référence paraît suffisamment riche pour justifier le bien-fondé des propositions exprimées ici.

Une hypothèse de travail : plusieurs modèles historiographiques concomitants pour les Galeries historiques

2L’expression « musée de l’Histoire de France » à Versailles, dont on retrouve l’écho ultérieur dans le « musée des Souverains » décidé pour le Louvre par Napoléon III et dans le « musée de l’Histoire de France » conçu à partir de pièces d’archives au palais Soubise, ne justifie pas qu’il faille considérer que, dans l’esprit des initiateurs de ces projets, un modèle unique d’histoire de France ait été décidé, comme une sorte de préfiguration de « roman national » auquel il aurait été convenu d’adhérer. Admettons par hypothèse que le choix de l’article défini, plutôt que l’article indéfini, avant le mot « histoire », ouvre la porte à des conceptions plurielles. Sauf à reconnaître, en fin de parcours, qu’il n’en a pas été ainsi.

3En tout cas, rien ne permet d’énoncer que, dans l’organisation qu’il a conçue des séquençages chronologiques et le choix des œuvres présentées, Louis-Philippe n’avait pas le choix de décider autre chose que ce qui a été fait et qu’il a privilégié l’unicité du discours sur les ambiguïtés de la pluralité. À l’époque où le souverain entreprend la réalisation de son musée, la liste des monuments historiques qu’à l’instigation de Guizot, Prosper Mérimée va progressivement constituer s’en tient strictement au patrimoine architectural de la nation, ou, plus exactement, au patrimoine architectural construit sur le territoire national tel qu’il est issu de 1815 : en observant l’intégration à ce répertoire des bâtiments que la France n’a pas construits, tel le palais des Papes ou des architectures frontalières, on en vient à penser que la liste des édifices classés désigne moins une série d’édifices jugés majeurs sous l’angle de l’histoire de l’architecture que le territoire national lui-même qui s’est unifié depuis des siècles et, plus récemment, sous l’impulsion des idées révolutionnaires.

4Louis-Philippe, à Versailles, a-t-il fait œuvre personnelle ? Ce n’est pas l’objectif de ce texte de démontrer une telle affirmation, qui, au reste, ne possède qu’un intérêt relatif puisqu’il ne serait en rien surprenant de constater le caractère collectif de nombre de décisions politiques. On considère comme pertinent, en revanche, de constater l’existence dans les arts de plusieurs modèles historiographiques différents. Le faire permettrait de mettre en évidence l’originalité de celui que Louis-Philippe a conçu.

Beau idéal, modernité et romantisme de l’identité ont cohabité

5Rappelons qu’il est admis depuis longtemps que les arts peuvent participer à l’affirmation de l’histoire : c’est en choisissant cet objectif que les artistes démontrent leur excellence et la supériorité de leurs productions. Plutôt que de résumer l’histoire de cette ambition, tournons-nous vers un penseur qui, à la fin de l’époque révolutionnaire, dans un contexte qui entend embrigader les arts à des fins de propagande politique, exprime de façon concise et puissante le rôle des œuvres d’art dans la cité : Quatremère de Quincy.

  • 2 Quatremère de Quincy 1815.

6Dans ses Considérations morales sur la destination des ouvrages de l’art2, qu’il a publiées en 1815 après l’Empire mais écrites à la fin de la période révolutionnaire, Quatremère de Quincy explique que l’utilité publique des œuvres d’art réside dans leur rôle de vecteur des valeurs civiques pour l’éducation morale des citoyens. Souscrire à cette ambition conduit l’artiste à des commandes pour la catégorie artistique la plus prestigieuse : l’art urbain, les œuvres d’art public, les statues dans les rues et sur les places, les peintures murales dans les bâtiments institutionnels.

7Valeurs civiques ? La division politique, sociale et religieuse du corps social pendant Juillet conduit à définir des principes qui pourraient les subsumer. Le projet d’Orléans vise à rassembler autour du roi des Français les partisans de l’Ancien Régime, de la Révolution et de l’Empire et ceux de la Restauration autour d’un programme affiché par le nouveau régime : rechercher l’union nationale par l’exaltation des lettres, des arts et des armes.

  • 3 Leniaud 2018.

8Néanmoins l’expérience de Versailles, pour être d’origine royale, ne suffit pas à rendre compte du projet de Juillet, qui pourrait se condenser ainsi : quelle conception de la Nation le régime entend-il promouvoir par l’histoire ? Il en est d’autres, en effet. J’ai mis en évidence, dans le catalogue dirigé par Valérie Bajou sur Louis-Philippe à Versailles3, le cas de la basilique de Saint-Denis dont la restauration donne l’occasion à l’architecte qui la conduit, François Debret, de développer par le vitrail, la peinture et la sculpture une conception de l’histoire de France inspirée de dom Félibien et de l’amplifier jusqu’aux temps contemporains, c’est-à-dire les années 1840, à peu près quand le roi des Français vient visiter l’ancienne abbatiale (1837). Cette histoire est conçue selon trois axes : l’abbaye, le royaume et la papauté par la succession des abbés, des rois et des papes. Elle fait la part belle à la christianisation du pays en mettant l’accent moins sur l’abbé Suger, initiateur de la construction de l’édifice que sur saint Louis qui a été l’amplificateur et lui a donné sa dimension politico-religieuse.

9Il faut aller plus loin et analyser les différents modèles de récits historiographiques, en soulignant les concurrences, voire les conflits auxquels ils ont donné lieu.

10Dans cette analyse, on part de l’hypothèse que les modèles esthétiques se conjuguent avec les modèles philosophiques et politiques. La théorie du beau idéal, en premier, exprimée à l’époque par David et par Ingres et soutenue par Quatremère de Quincy, est ancienne : elle trouve son origine dans l’art grec, se nourrit du goût pour les formes simples issues de la géométrie d’Euclide, s’exprime avec simplicité et harmonie dans l’art de Palladio et conçoit son chef-d’œuvre pendant la Restauration avec la chapelle expiatoire de Percier et Fontaine (1815-1826). Sous l’angle théologique, elle affectionne l’adogmatisme du déisme qui se satisfait d’un christianisme sans Christ. Sous l’angle historico-politique, elle proclame le culte des grands hommes qui, de Périclès à Napoléon en passant par Auguste et Louis XIV, invente une théorie du pouvoir. Sous l’aspect de la culture, enfin, elle conçoit le principe du cosmopolitisme que soutient l’homme universel, citoyen du monde et amateur des formes simples : la maison du cosmopolite est sphérique. Quelles solutions plastiques sont, par préférence, retenues ? L’aniconisme qui se substitue au pittoresque des images, l’achromatisme blanc qui remplace la séduction chromatique, la raréfaction des signes de façon que, par une sorte de litote, se dégage une signification plus puissante. Fortement intellectualisé, cet art s’intéresse particulièrement aux ressources des compositions épigraphiques : l’Arc de Triomphe, la façade occidentale de Saint-Denis et, surtout, celle de la bibliothèque Sainte-Geneviève donnent l’exemple d’un art quintessencié qui limite de façon volontaire les artifices plastiques pour renforcer le caractère universel du discours.

11Le modèle de l’idéalité cosmopolite est mis en cause au nom de la modernité vers la fin des années 1820 et le début des années 1830. Déjà, Napoléon récusait les représentations que Canova et ses amis entendaient réaliser de sa personne. Peu favorable à l’expression d’une idéalité augustéenne, il l’était encore moins à la nudité mythologique qu’il jugeait ridicule. Il eût apprécié sans doute le projet de David d’Angers qui proclamait, comme le sculpteur le fit au tympan du Panthéon (1830-1837), la nécessité de renoncer, au profit du costume contemporain, aux draperies de la toge antique par laquelle on dissimulait partiellement les nudités idéalisées. La redingote, le haut-de-forme, les vêtements officiels, les robes à la mode donnent, sous le ciseau du sculpteur, la garantie de la réalité, l’expression de la modernité, l’affirmation de la véracité historique. Aux formules universelles de l’art soumis au beau idéal succède un art nouveau, porté par l’histoire. Néanmoins, les deux conceptions perdurent simultanément. Ingres continue de représenter pour un plafond de l’Hôtel de Ville (fig. 1) Napoléon sous le motif d’Apollon conduisant son char (v. 1853) alors même que les conceptions de David d’Angers se sont partout répandues.

Fig. 1. Jean-Auguste-Dominique Ingres, Esquisse pour l’Hôtel de Ville de Paris : Apothéose de Napoléon Ier, vers 1853, huile sur toile, 48,5 × 48,5 cm. Paris, Petit Palais, musée des Beaux-arts de la Ville de Paris.

Fig. 1. Jean-Auguste-Dominique Ingres, Esquisse pour l’Hôtel de Ville de Paris : Apothéose de Napoléon Ier, vers 1853, huile sur toile, 48,5 × 48,5 cm. Paris, Petit Palais, musée des Beaux-arts de la Ville de Paris.

CC0 1.0

12Une troisième étape est parcourue lorsque la pratique des voyages répand le goût pour le pittoresque et la couleur locale. L’attrait pour le détail historique, géographique, sociologique et culturel marque la génération qu’on s’est employé à désigner comme « romantique » dans le même tournant des années 1830. Il conduit à privilégier l’identité personnelle, provinciale et nationale. Sous cet angle, les sciences historiques et philologiques conçoivent les aliments majeurs de la nouvelle esthétique. La connaissance de l’histoire de la mode et du costume, auxquels le savant Quicherat consacre un ouvrage entier, permet de nourrir l’inspiration des artistes qui la fortifient au contact d’une documentation exacte : Delaroche était réputé expert en l’histoire des costumes.

L’éclectisme d’État, dont Adolphe Thiers est un théoricien, tente de transformer cette cohabitation en consensus

13De l’idéal à la modernité et de la modernité à l’histoire, cette évolution concourait à légitimer une démarche qui justifierait la concomitance, la juxtaposition voire l’accord de ces trois points de vue. Et ce, sous l’angle non point de l’esthétique mais du politique : la stabilité de la société exige des rapports pacifiés entre les différentes tendances artistiques puisque les arts ont, entre autres missions, celle d’exprimer un message civique. Et seul l’État peut concourir à ce dessein d’apaisement puisqu’il se trouve désormais le principal mécène du pays, le premier des commanditaires : il lui suffit de donner satisfaction aux diverses tendances par la diversification des commandes et, plus généralement, des décisions. Comment y parvenir ? La famille d’Orléans, depuis le règne de Louis XIV, avait ambitionné de concevoir un autre modèle politique que celui de la monarchie absolue dont le Grand Roi avait été la parfaite expression. À la décision conçue et mise en œuvre de façon unitaire et hiérarchique, s’opposait le projet de la polysynodie et de la discussion collégiale. Les échecs de la Régence et des premiers temps de Louis XV ne pouvaient pas faire oublier que, sous un point de vue idéalisé, le système fonctionnait en Grande-Bretagne : il réapparaît pendant la Révolution, disparaît à partir du Consulat. Par excellence, la monarchie de Juillet est le régime de la commission, soit un ensemble de personnalités nommées de telle façon qu’elles puissent à la fois exprimer la pluralité et déboucher sur un projet collectivement élaboré.

  • 4 Mainardi 1989.
  • 5 Melonio 2019.

14Le type de décision obtenu par ce système s’appelle « éclectisme » et le père de cette notion n’est autre qu’Adolphe Thiers. Patricia Mainardi, dans un article au titre suggestif, « Les premiers essais de synthèse d’une critique de l’art contemporain international4 » et plus, récemment, Françoise Mélonio dans « Tocqueville et les arts en démocratie5 » ont mis l’accent sur le rôle de ce personnage aux multiples talents, en insistant en particulier sur ses critiques du salon de 1822. J’ai, pour ma part, attiré depuis l’attention sur le fait que c’est à lui que les directeurs de la Grande Encyclopédie se sont adressés sous le Second Empire pour écrire l’article sur le mot « éclectisme ». Il en est résulté un texte bref, mais dense, sur cette notion.

  • 6 Thiers 1822.
  • 7 Signature dans une sacristie.
  • 8 Corinne au cap Misène.
  • 9 Cénobites.
  • 10 Vue du cours de l’Isère.

15Le Salon de 1822 résulte du rassemblement en quatre chapitres et 155 pages d’articles publiés à la demande du et dans le journal Le Constitutionnel6. Les idées qu’il exprime alors ne sont pas totalement fixées puisque, sur la question du beau idéal, il écrit simultanément : « Si le goût est mobile, le beau est immuable » et « Chaque art a ses juges », affirmation qui justifierait la pluralité des choix. L’ouvrage est illustré de cinq lithographies. Il dit alors beaucoup de bien de cette technique qui permet le vaporeux plus que la rectitude de la ligne du dessin, le clair-obscur et le fugitif. L’ouvrage est agrémenté de cinq illustrations, représentant des compositions de Le Camus Duval7 (fig. 2), de Gérard8 (fig. 3), de Forbin9 (fig. 4), de Watelet10 (fig. 5) et de l’obscur Pierre Roch Vigneron (1789-1872) (fig. 6), connu pour son portrait de Robespierre en 1791. Vigneron a présenté au salon Un soldat laboureur. Thiers, à dire vrai, reste modéré dans son éloge mais il ajoute : « sujet bien trouvé et [qui] ne doit point à M. Horace Vernet ». Car, en 1820, Horace Vernet avait peint sur le même sujet. Le thème du soldat laboureur sera instrumentalisé par la suite dans le cadre de la conquête/mise en valeur de l’Algérie. En 1820, il a pour objectif de célébrer la terre natale, la patrie. C’est probablement le caractère politique de l’œuvre et l’opportunité de rappeler celle de Vernet, bonapartiste libéral, qui intéresse l’auteur du Salon de 1822.

Fig. 2. Pierre Duval-Le Camus (d’après), Signature d’un acte de mariage dans une sacristie, dans Thiers Adolphe, 1822, Salon de mil huit cent vingt-deux, ou Collections des articles insérés au Constitutionnel, sur l’exposition de cette année, Paris, Maradan, NP.

Fig. 2. Pierre Duval-Le Camus (d’après), Signature d’un acte de mariage dans une sacristie, dans Thiers Adolphe, 1822, Salon de mil huit cent vingt-deux, ou Collections des articles insérés au Constitutionnel, sur l’exposition de cette année, Paris, Maradan, NP.

https://hdl.handle.net/​2027/​nyp.33433082297601?urlappend=%3Bseq=12%3Bownerid=27021597765902404-16

Domaine public

Fig. 3. François Gérard (d’après), Corinne, dans Thiers Adolphe, 1822, Salon de mil huit cent vingt-deux, ou Collections des articles insérés au Constitutionnel, sur l’exposition de cette année, Paris, Maradan, NP.

Fig. 3. François Gérard (d’après), Corinne, dans Thiers Adolphe, 1822, Salon de mil huit cent vingt-deux, ou Collections des articles insérés au Constitutionnel, sur l’exposition de cette année, Paris, Maradan, NP.

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Domaine public

Fig. 4. Auguste de Forbin (d’après), Cénobite, dans Thiers Adolphe, 1822, Salon de mil huit cent vingt-deux, ou Collections des articles insérés au Constitutionnel, sur l’exposition de cette année, Paris, Maradan, NP.

Fig. 4. Auguste de Forbin (d’après), Cénobite, dans Thiers Adolphe, 1822, Salon de mil huit cent vingt-deux, ou Collections des articles insérés au Constitutionnel, sur l’exposition de cette année, Paris, Maradan, NP.

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Domaine public

Fig. 5. Louis-Étienne Watelet, Vue du cours de l’Isère, dans Thiers Adolphe, 1822, Salon de mil huit cent vingt-deux, ou Collections des articles insérés au Constitutionnel, sur l’exposition de cette année, Paris, Maradan, NP.

Fig. 5. Louis-Étienne Watelet, Vue du cours de l’Isère, dans Thiers Adolphe, 1822, Salon de mil huit cent vingt-deux, ou Collections des articles insérés au Constitutionnel, sur l’exposition de cette année, Paris, Maradan, NP.

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Fig. 6. Pierre-Roch Vigneron, Soldat laboureur, dans Thiers Adolphe, 1822, Salon de mil huit cent vingt-deux, ou Collections des articles insérés au Constitutionnel, sur l’exposition de cette année, Paris, Maradan, NP.

Fig. 6. Pierre-Roch Vigneron, Soldat laboureur, dans Thiers Adolphe, 1822, Salon de mil huit cent vingt-deux, ou Collections des articles insérés au Constitutionnel, sur l’exposition de cette année, Paris, Maradan, NP.

https://hdl.handle.net/​2027/​nyp.33433082297601?urlappend=%3Bseq=141%3Bownerid=27021597765902404-147

Domaine public

16Dix ans plus tard, Thiers est appelé au gouvernement, à l’Intérieur (1832) puis au Commerce et à l’Instruction publique (1832-1834), à l’Intérieur à nouveau (1834-1836) et deux fois à la présidence du Conseil : février-septembre 1836 et 1er mars-29 octobre 1840. Dans le cadre de ces fonctions, c’est en particulier pendant qu’il détient le portefeuille du Commerce et de l’Instruction publique (et des Beaux-Arts) qu’il exerce une action sur la commande artistique, notamment les travaux de l’Arc de triomphe, du palais d’Orsay et de la bibliothèque Sainte-Geneviève et lorsqu’il se trouve au ministère de l’Intérieur qu’il se préoccupe du décor de la Madeleine. Sous le Second Empire, il distingue l’éclectisme esthétique et l’éclectisme politique. Du premier il écrit : « L’éclectisme est une direction de goût qui consiste à réunir les qualités d’écoles différentes pour en former un ensemble harmonieux. » En d’autres termes, l’État mécène se fixe pour objectif de favoriser toutes les tendances et non d’en censurer. Quant à l’éclectisme politique, il vise à la réconciliation des Français. Ainsi l’éclectisme esthétique apparaît comme une composante du second. Et vu l’état de morcellement de l’opinion française, il apparaît nécessaire de le mettre en œuvre. Théophile Gautier ira plus loin encore quand il considère l’éclectisme comme une caractéristique de la France parce que, selon Baudelaire, dit-il, la France est le centre des pays civilisés, là où se concentrent toutes les tendances.

Delacroix et Montalembert à la bibliothèque de la Chambre des pairs : classicisme contre identité nationale

17La politique artistique de Juillet exprime clairement cet objectif à la fois par la juxtaposition des projets et par la variété des sujets que choisissent les artistes. Delacroix, peintre particulièrement choyé par le régime, multiplie les sources d’inspiration. Ses grandes scènes de bataille pour Versailles traduisent sa virtuosité dans l’art de restituer l’ambiance médiévale mais, au-delà, expriment son adhésion au projet d’une histoire nationale qui trouverait ses racines dans le Moyen Âge (fig. 7). Il est pour autant capable en même temps de peindre pour un plafond de l’Hôtel de Ville la quatrième scène des travaux d’Hercule, Hercule et le sanglier d’Érymanthe (fig. 8) et, pour la galerie d’Apollon (fig. 9), en référence aux croquis de Charles Lebrun, Apollon et le serpent Python (1848-1854). Autrement dit, l’inspiration de Delacroix pourrait être désignée comme « éclectique » puisqu’elle combine à la fois la thématique de l’identité nationale et celle des figures universelles tirées de la mythologie, appelons-la « classicisme ».

Fig. 7. Eugène Delacroix, Bataille de Taillebourg, 21 juillet 1242, 1837, huile sur toile, 489 × 554 cm. Versailles, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon, MV 2676.

Fig. 7. Eugène Delacroix, Bataille de Taillebourg, 21 juillet 1242, 1837, huile sur toile, 489 × 554 cm. Versailles, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon, MV 2676.

Permalien : notice sur le site des collections du château de Versailles

© RMN-GP (Château de Versailles) / Droits réservés

Fig. 8. Pierre Andrieu d’après Eugène Delacroix, esquisse pour le salon de la Paix de l’Hôtel de Ville de Paris : Hercule et le sanglier d’Erymanthe, 1851-1854, peinture à l’huile, 27,2 × 47,5 cm. Paris, musée Carnavalet, PPP4623.

Fig. 8. Pierre Andrieu d’après Eugène Delacroix, esquisse pour le salon de la Paix de l’Hôtel de Ville de Paris : Hercule et le sanglier d’Erymanthe, 1851-1854, peinture à l’huile, 27,2 × 47,5 cm. Paris, musée Carnavalet, PPP4623.

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Fig. 9. Eugène Delacroix, Apollon vainqueur du serpent Python, 1850-1851, huile sur toile, 800 x 750 cm, Paris, musée du Louvre, INV 3818.

Fig. 9. Eugène Delacroix, Apollon vainqueur du serpent Python, 1850-1851, huile sur toile, 800 x 750 cm, Paris, musée du Louvre, INV 3818.

Permalien : https://collections.louvre.fr/​ark:/53355/​cl010065703

© RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Gérard Blot

18En revanche, l’histoire de la commande des décors pour la bibliothèque de la Chambre des pairs met en évidence un conflit entre les deux thématiques. Elle commence en 1840 lorsque le peintre se voit confier la décoration de la coupole et de l’hémicycle, tandis que Léon Riesener et Camille Roqueplan obtiennent le reste des travaux. Les circonstances de l’élaboration du programme sont connues : Frédéric Villot (1809-1875), futur auteur des notices des peintures du Louvre, conseille à Delacroix de s’inspirer du livre 4 de L’Enfer de Dante et de peindre aussi une représentation d’Alexandre après la bataille d’Arbelles (Gargamelles), scène dont Lebrun s’était déjà inspiré. Le peintre en est enchanté et déclare à Gustave Planche : « J’ai trouvé pour le Luxembourg un sujet qui sort un peu de la banalité des Apollons et des muses. » À ce programme, il ajoute quatre allégories : la Poésie, la Théologie, l’Éloquence et la Philosophie. De son côté, Riesener peint l’Histoire, l’Industrie, les Évangiles, le Génie militaire, la Loi, la Philosophie et la Poésie. Et Roqueplan : l’Éloquence, la Politique et les Mathématiques. L’ensemble du programme iconographique est diffusé au sein de la Chambre des pairs sous la forme d’un petit cahier broché de telle sorte que les débats sur la loi de finances vont donner l’occasion de vives critiques.

19Charles de Montalembert, en particulier, intervient très vivement le 7 juin 1842 avec une vigueur surprenante. Représentant du libéralisme catholique, auteur d’un ouvrage paru en 1836 sur sainte Élisabeth de Hongrie, duchesse de Thuringe, il s’est consacré à la dénonciation du vandalisme dont les monuments médiévaux sont les victimes et a offert une partie de son immense fortune à la renaissance des arts du Moyen Âge. Ce jour-là il, dédie une partie de son propos à la dénonciation de la culture classique qui, selon, reste le vecteur du paganisme antique et donne prétexte à des allégories incompréhensibles du grand public. Le programme des plafonds de la bibliothèque de la Chambre des pairs le surprend et le désappointe : toutes ces allégories ne sont que « puérilités surannées ». Et, faisant allusion à un programme qui sera écarté après son intervention, « La modération et la sagesse concourant à la rédaction des lois », il déclare : « Je me demande ce que cela veut dire, dans une assemblée de gens sérieux, que de mettre sur leurs têtes des hommes et des femmes vêtus à l’antique qu’on décore de ces noms de modération et de sagesse. » Son propos met les rieurs de son côté.

20Mais Montalembert va plus loin : plutôt que s’inspirer de l’œuvre de Dante et des grands hommes de l’Antiquité, Delacroix aurait mieux fait de tirer parti de l’histoire nationale. De fait, la bibliothèque de la Chambre des pairs représentait comme le centre du parlementarisme français et, dans l’Europe d’alors, c’était à l’histoire nationale que faisait référence l’iconographie des bâtiments accueillant les institutions parlementaires. Seule l’histoire nationale, affirme Montalembert, pourrait rendre compte du projet politique du pays : « Il est vraiment incroyable que, dans un pays qui compte quatorze siècles d’histoire nationale, dont les annales sont remplies de faits politiques et civils de premier ordre (car je ne parle ici que de batailles), on soit allé recourir à un choix d’allégories grotesques, comme celles qui sont là-haut étalées sous nos regards et que, pour ma part, je n’avais pas comprises jusqu’à ce qu’on eût distribué l’étrange explication que voici. »

21En filigrane de ces derniers mots transparaissait une thématique favorite du chef de file du libéralisme catholique : un discours iconographique n’est possible que s’il peut être lu par le peuple. Or l’iconographie classique est incompréhensible puisque Montalembert lui-même, malgré l’étendue de sa culture, n’a pas pu déchiffrer la pensée de Delacroix. C’est la raison pour laquelle il estime qu’il aurait fallu puiser dans les images fournies par l’histoire nationale, à la fois plus lisibles et plus porteuses de sens, celle par exemple des grandes batailles médiévales dont Delacroix s’est fait le spécialiste par ses pinceaux. Insistons sur le fait qu’en prônant l’histoire nationale, Montalembert n’exprime pas vraiment ses convictions profondes : c’était à l’Europe qu’il appartenait par ses origines et par les alliances de sa famille. Et quant à ses opinions religieuses, le catholicisme libéral, elles ne pouvaient certes pas le conduire du côté de l’affirmation radicale de la nation.

À l’hémicycle : l’histoire du parlementarisme

22Comme il n’est guère de vrai succès sans combat, la polémique servit à la gloire de Delacroix. Mais, en contrepoint, d’autres choix iconographiques avaient été opérés pour l’hémicycle de la Chambre des pairs. Dans les années 1840, Merry-Joseph Blondel y peint en quelque sorte l’histoire de la monarchie parlementaire telle qu’elle se construit du point de vue de la monarchie d’Orléans qui affirme en donner l’aboutissement. Deux scènes de l’histoire nationale ont été retenues : Le Couronnement de Philippe V le long, frère de Louis X le Hutin (1316), parce que cet événement confirme, selon les historiens de l’époque, l’application de la loi salique contre les partisans de Jeanne, fille de Louis X, et qu’il met en évidence le rôle des états généraux dans cette exclusion des femmes de la couronne mais surtout dans le passage des Capétiens directs aux Valois. En d’autres termes, cette intervention de la représentation élue de la nation annonce, dans l’esprit des commanditaires, le passage de la monarchie absolue au régime de la Charte. Quant à l’autre scène, elle représente le moment où, en 1506, les états généraux ont décerné le titre de « père du peuple » à Louis XII. Le choix de ces deux scènes s’avère d’autant plus pertinent qu’il a été fait pour le cœur même des débats de l’une des deux assemblées du régime bicamériste, qu’en mettant en évidence la dynastie des Valois, il laisse entendre que la succession des Bourbons vers les Orléans a connu un précédent et qu’il rappelle l’existence, avant la monarchie absolue instituée par Louis XIV, d’un autre modèle, la monarchie tempérée, dont Louis-Philippe à son tour s’est fixé l’objectif. Le programme sculpté de l’hémicycle complète et élargit cette démonstration historique par la représentation de Charlemagne, de saint Louis et des grands maréchaux d’Empire.

23Cette instrumentalisation de l’histoire pour légitimer le présent institutionnel et politique rentrait-elle dans les vues du « noble pair » Montalembert ? Elle mettait en évidence une des solutions de Juillet en matière d’iconographie : exalter le passé, en particulier le passé médiéval, parce qu’il reflète non seulement la gloire des arts, des armes et des lettres, mais le progrès des institutions depuis l’obscurité mérovingienne jusqu’aux lumières de 1830.

Adolphe Thiers et l’iconographie : de la Madeleine au palais d’Orsay

24Adolphe Thiers n’avait pas seulement soutenu l’éclectisme comme mode de gouvernement artistique : il avait aussi tenté de propager d’autres types d’idéologie. Sa main est avérée dans le choix du peintre et du programme pour le cul-de-four de l’église de la Madeleine alors qu’il était chargé du portefeuille de l’Intérieur (1832 et 1834-1836). Un premier choix avait été fait en faveur de Delaroche qui avait choisi de peindre l’assomption de Marie-Madeleine. Thiers le récusa et fit confier le chantier à Jules Claude Ziegler, élève d’Ingres, pour qu’il illustre l’histoire du christianisme. Dans l’esprit du ministre, il s’agissait moins d’une histoire de l’Église que d’une histoire des religions et des relations entre l’Église et l’État : on devait y voir Mahomet, le juif errant, des empereurs romains, Charlemagne, Luther et Napoléon. Le programme aurait donc affirmé le relativisme religieux et la supériorité du pouvoir politique sur le religieux. Du point de vue catholique, il n’était pas acceptable, et moins encore dans le cul-de-four, au-dessus du maître-autel. Un compromis fut trouvé : en représentant, d’un côté, l’histoire des chrétiens d’Orient et, de l’autre, celle de l’Église d’Occident, on affirmait l’universalité du catholicisme en vis-à-vis des questions nationales.

  • 11 Leniaud 2021.

25On pense aussi deviner la pensée de Thiers derrière l’œuvre que Théodore Chassériau réalisa entre 1844 et 1848 au palais d’Orsay pour la Cour des comptes11. Apparemment le peintre ne reçut pas plus de feuille de route iconographique que Delacroix n’en avait eu à la bibliothèque de la Chambre des pairs. On trouve, parmi les thèmes qu’il a picturalement développés, La Paix protectrice des arts et des travaux de la terre (fig. 10), Le Commerce rapproche les peuples (fig. 11), L’Ordre et la Force (fig. 12), L’Ordre pourvoit aux frais de la guerre, Le Silence (fig. 13), L’Étude et La Méditation. Aucun de ces thèmes ne se trouve en adéquation avec la réalité fonctionnelle de la grande juridiction financière qu’était déjà la Cour des comptes.

Fig. 10. Théodore Chassériau, La Paix protectrice des arts et des travaux de la terre, 1844-1846, huile sur toile, 342 × 361,5 cm. Paris, musée du Louvre, RF 1489.

Fig. 10. Théodore Chassériau, La Paix protectrice des arts et des travaux de la terre, 1844-1846, huile sur toile, 342 × 361,5 cm. Paris, musée du Louvre, RF 1489.

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Fig. 11 Théodore Chassériau, La Force et l’Ordre, 1844-1846, fresque sur toile, 246 × 221 cm. Paris, musée du Louvre, INV 20017.

Fig. 11 Théodore Chassériau, La Force et l’Ordre, 1844-1846, fresque sur toile, 246 × 221 cm. Paris, musée du Louvre, INV 20017.

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Fig. 12. Théodore Chassériau, Le Commerce rapproche les peuples, 1844-1846, fresque sur toile, 324 × 309,5 cm. Paris, musée du Louvre, RF 3152.

Fig. 12. Théodore Chassériau, Le Commerce rapproche les peuples, 1844-1846, fresque sur toile, 324 × 309,5 cm. Paris, musée du Louvre, RF 3152.

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© 2016 RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Franck Raux

Fig. 13. Théodore Chassériau, Le Silence, 1844-1846, fresque sur toile, 75 × 75 cm. Paris, musée du Louvre, INV 20016.

Fig. 13. Théodore Chassériau, Le Silence, 1844-1846, fresque sur toile, 75 × 75 cm. Paris, musée du Louvre, INV 20016.

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26On peut formuler sans trop de risques l’hypothèse que Chassériau n’a pas manqué de faire valider d’une manière ou d’une autre ses choix iconographiques. Mais par qui ? Il me semble que l’illustration des bienfaits de la paix pour les arts et pour l’agriculture, que le développement, grâce au commerce, du cosmopolitisme, comme on eût dit au xviiie siècle, que l’énoncé que l’ordre intérieur permet seul de préparer la guerre, que ces différents thèmes au total reflètent la pensée d’Adolphe Thiers. Certes l’homme politique ne se trouve plus aux affaires. Mais Frédéric, le frère de Théodore, est proche de Thiers et sa qualité de secrétaire général du Conseil d’État, institution abritée elle aussi au palais d’Orsay, a pu contribuer à mettre au point les thèmes développés par le peintre sur les murs de l’escalier de la Cour des comptes. L’absence de preuves formelles n’interdit pas de formuler une telle hypothèse. On ajoutera que Chassériau a portraituré Thiers et que la famille du peintre, issue du milieu des armateurs de La Rochelle, active autant en Amérique du Sud qu’en Égypte, comptant parmi ses membres un général d’Empire, attirée par l’islam et proche de la franc-maçonnerie, appartenait à un courant de pensée politique proche de celui qui définirait quelques années plus tard le concept d’éclectisme pour les lecteurs de la Grande Encyclopédie. Plutôt que la mythologie antique et les thèmes de l’histoire nationale, mieux valait peindre les allégories de la modernité : les bienfaits du commerce et de la paix, l’utilité de l’ordre à l’intérieur du pays, le cosmopolitisme de ce qu’on appellerait bientôt le « libre-échange ».

27La même pensée iconographique se retrouve sous les pinceaux de Roqueplan et Riesener à la bibliothèque de la Chambre des pairs en voisinage avec les thèmes de Delacroix : par exemple, les thèmes de La Paix pour le premier et de L’Industrie pour le second mais aussi, d’une autre façon, à la façade de la bibliothèque Sainte-Geneviève, sur laquelle Labrouste a ordonné l’expression de la culture universelle ou d’une bibliothèque idéale par l’incision d’une série de noms de grands penseurs appartenant à l’histoire de l’humanité.

Projet de synthèse entre histoire universelle et identité nationale

28Une dernière rhétorique tente une synthèse entre l’Antiquité et l’histoire nationale, entre l’universel et l’identité. On la rencontre déjà dans les arts au temps de Louis XIV, puis au xviiisiècle et pendant la période révolutionnaire : elle affirme ni plus ni moins que l’identité française exprime plus que toute autre l’héritage universel et qu’en cela réside précisément sa principale caractéristique. C’est ce qu’Ingres entend exprimer sur un plafond du Louvre avec son Apothéose d’Homère (1827) (fig. 14) ainsi que Paul Delaroche dans l’amphithéâtre du palais des études à l’École des beaux-arts (1841-1842) : sous leur pinceau, la France n’apparaît pas seulement comme l’héritière de l’Antiquité mais, simultanément, du Moyen Âge.

Fig. 14 : Jean-Auguste-Dominique Ingres, L’Apothéose d’Homère, 1850-1875, huile sur toile, 54 × 65 cm, Paris, musée du Louvre, INV 20039.

Fig. 14 : Jean-Auguste-Dominique Ingres, L’Apothéose d’Homère, 1850-1875, huile sur toile, 54 × 65 cm, Paris, musée du Louvre, INV 20039.

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29Analyser la pensée historiographique qui a présidé à l’organisation des Galeries historiques par Louis-Philippe et ses collaborateurs, qu’ils soient artistes, familiers ou hauts fonctionnaires, impose l’identification préalable des courants idéologiques qui s’expriment en cette période de Juillet, laquelle, plus que toute autre, a vu dans l’histoire une matière à instrumentaliser pour fonder le politique : l’histoire constitue le laboratoire du politique. On distingue la mythologie et l’histoire antiques : elles s’inscrivent dans l’héritage louisquatorzien mais, reprenant le cosmopolitisme des Lumières, entendent exprimer l’universel. A contrario, le recours au Moyen Âge, période qui, selon Michelet, voit s’affirmer la personnalité des peuples, énonce l’ancienneté de la gloire du pays. Ce même Moyen Âge peut aussi être invoqué pour justifier l’avènement de la monarchie tempérée par les institutions parlementaires. Un quatrième modèle veut vanter la gloire des temps présents : le commerce, l’ordre et la paix, la guerre. Un cinquième discours, enfin, tente d’énoncer des idées propres à Juillet mais épineuses et sources de discorde : le relativisme religieux (la Madeleine) et culturel (bibliothèque Sainte-Geneviève). Le propre du régime tient en ce qu’il a voulu faire cohabiter ces modèles et non les opposer, tenter un consensus iconographique comme il a cherché à rassembler pacifiquement les points de vue politiques. Il appartient aux spécialistes et aux conservateurs des Galeries historiques de Versailles de vérifier et, si nécessaire, de mettre en évidence ce projet de consensus.

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Bibliographie

Bajou Valérie, 2018, Louis-Philippe et Versailles, cat. exp. (Versailles, château, 6 oct. 2018-3 fév. 2019), Versailles/Paris, château de Versailles/Somogy éditions d’art.

Barbier Frédéric, Monok Istvan et De Pasquale Andra (dir.), 2019, Bibliothèques, décors, années 1780-années 2000 : nationalités, historicisme, transferts, Budapest/Rome, Bibliothèque de l’Académie hongroise des sciences/Bibliothèque du parlement de Hongrie/Bibliothèque nationale centrale de Rome.

Bouillon Jean-Paul (dir.), 1989, La Critique d’art en France : 1850-1900, actes du colloque (Clermont-Ferrand, 25, 26 et 27 mai 1987), Saint-Étienne, Centre interdisciplinaire d’études et de recherches sur l’expression contemporaine.

Leniaud Jean-Michel, 2018, « Le temps de l’histoire de France : de Versailles à Saint-Denis », dans Bajou 2018, p. 242-243.

Leniaud Jean-Michel, 2019, « Les décors de la bibliothèque du Sénat. Palais du Luxembourg : classicisme contre identité nationale », dans Barbier, Monok et De Pasquale 2019, p. 91-108.

Leniaud Jean-Michel, 2021, Le Palais d’Orsay : chronique d’un drame de pierre, Paris, Comité d’histoire de la Cour des comptes/La Documentation française.

Mainardi Patricia, 1989, « Les premiers essais de synthèse d’une critique de l’art contemporain international », dans Bouillon 1989, p. 53-62.

Melonio Françoise, 2019, « Tocqueville et les arts en démocratie », Arts & Sociétés, lettre du séminaire, no 34-2 ; https://www.sciencespo.fr/artsetsocietes/fr/archives/1815 (consulté le 16/06/2021).

Quatremère de Quincy Antoine, 1815, Considérations morales sur la destination des ouvrages de l’art, ou De l’influence de leur emploi sur le génie et le goût de ceux qui les produisent ou qui les jugent, et sur le sentiment de ceux qui en jouissent et en reçoivent les impressions, Paris, Imprimerie de Crapelet.

Thiers Adolphe, 1822, Salon de mil huit cent vingt-deux, ou Collections des articles insérés au Constitutionnel, sur l’exposition de cette année, Paris, Maradan.

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Notes

1 Leniaud 2019.

2 Quatremère de Quincy 1815.

3 Leniaud 2018.

4 Mainardi 1989.

5 Melonio 2019.

6 Thiers 1822.

7 Signature dans une sacristie.

8 Corinne au cap Misène.

9 Cénobites.

10 Vue du cours de l’Isère.

11 Leniaud 2021.

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Table des illustrations

Titre Fig. 1. Jean-Auguste-Dominique Ingres, Esquisse pour l’Hôtel de Ville de Paris : Apothéose de Napoléon Ier, vers 1853, huile sur toile, 48,5 × 48,5 cm. Paris, Petit Palais, musée des Beaux-arts de la Ville de Paris.
Crédits CC0 1.0
URL http://journals.openedition.org/crcv/docannexe/image/21379/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 803k
Titre Fig. 2. Pierre Duval-Le Camus (d’après), Signature d’un acte de mariage dans une sacristie, dans Thiers Adolphe, 1822, Salon de mil huit cent vingt-deux, ou Collections des articles insérés au Constitutionnel, sur l’exposition de cette année, Paris, Maradan, NP.
Légende https://hdl.handle.net/​2027/​nyp.33433082297601?urlappend=%3Bseq=12%3Bownerid=27021597765902404-16
Crédits Domaine public
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Titre Fig. 3. François Gérard (d’après), Corinne, dans Thiers Adolphe, 1822, Salon de mil huit cent vingt-deux, ou Collections des articles insérés au Constitutionnel, sur l’exposition de cette année, Paris, Maradan, NP.
Légende https://hdl.handle.net/​2027/​nyp.33433082297601?urlappend=%3Bseq=107%3Bownerid=27021597765902404-113
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Titre Fig. 4. Auguste de Forbin (d’après), Cénobite, dans Thiers Adolphe, 1822, Salon de mil huit cent vingt-deux, ou Collections des articles insérés au Constitutionnel, sur l’exposition de cette année, Paris, Maradan, NP.
Légende https://hdl.handle.net/​2027/​nyp.33433082297601?urlappend=%3Bseq=153%3Bownerid=27021597765902404-159
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Titre Fig. 5. Louis-Étienne Watelet, Vue du cours de l’Isère, dans Thiers Adolphe, 1822, Salon de mil huit cent vingt-deux, ou Collections des articles insérés au Constitutionnel, sur l’exposition de cette année, Paris, Maradan, NP.
Légende https://hdl.handle.net/​2027/​nyp.33433082297601?urlappend=%3Bseq=165%3Bownerid=27021597765902404-171
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Titre Fig. 6. Pierre-Roch Vigneron, Soldat laboureur, dans Thiers Adolphe, 1822, Salon de mil huit cent vingt-deux, ou Collections des articles insérés au Constitutionnel, sur l’exposition de cette année, Paris, Maradan, NP.
Légende https://hdl.handle.net/​2027/​nyp.33433082297601?urlappend=%3Bseq=141%3Bownerid=27021597765902404-147
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Titre Fig. 7. Eugène Delacroix, Bataille de Taillebourg, 21 juillet 1242, 1837, huile sur toile, 489 × 554 cm. Versailles, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon, MV 2676.
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Titre Fig. 8. Pierre Andrieu d’après Eugène Delacroix, esquisse pour le salon de la Paix de l’Hôtel de Ville de Paris : Hercule et le sanglier d’Erymanthe, 1851-1854, peinture à l’huile, 27,2 × 47,5 cm. Paris, musée Carnavalet, PPP4623.
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Titre Fig. 9. Eugène Delacroix, Apollon vainqueur du serpent Python, 1850-1851, huile sur toile, 800 x 750 cm, Paris, musée du Louvre, INV 3818.
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Titre Fig. 10. Théodore Chassériau, La Paix protectrice des arts et des travaux de la terre, 1844-1846, huile sur toile, 342 × 361,5 cm. Paris, musée du Louvre, RF 1489.
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Titre Fig. 11 Théodore Chassériau, La Force et l’Ordre, 1844-1846, fresque sur toile, 246 × 221 cm. Paris, musée du Louvre, INV 20017.
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Titre Fig. 12. Théodore Chassériau, Le Commerce rapproche les peuples, 1844-1846, fresque sur toile, 324 × 309,5 cm. Paris, musée du Louvre, RF 3152.
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Titre Fig. 13. Théodore Chassériau, Le Silence, 1844-1846, fresque sur toile, 75 × 75 cm. Paris, musée du Louvre, INV 20016.
Légende Permalien : https://collections.louvre.fr/​ark:/53355/​cl010066554
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Titre Fig. 14 : Jean-Auguste-Dominique Ingres, L’Apothéose d’Homère, 1850-1875, huile sur toile, 54 × 65 cm, Paris, musée du Louvre, INV 20039.
Légende Permalien : https://collections.louvre.fr/​ark:/53355/​cl010060466
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Pour citer cet article

Référence électronique

Jean-Michel Leniaud, « Histoire nationale, histoire universelle : propositions sur l’iconographie monumentale de la monarchie de Juillet »Bulletin du Centre de recherche du château de Versailles [En ligne], 19 | 2021, mis en ligne le 20 octobre 2021, consulté le 15 juillet 2025. URL : http://journals.openedition.org/crcv/21379 ; DOI : https://doi.org/10.4000/crcv.21379

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Auteur

Jean-Michel Leniaud

Jean-Michel Leniaud, directeur d’études à l’École pratique des hautes études, directeur de l’École nationale des chartes (2011-2016), a publié une quarantaine d’ouvrages, le dernier à Rome, aux éditions Campisano : Architectures au XIXe siècle : programmes, styles, fantasmes (2021). Dans une étude des décors de la bibliothèque de la Chambre des pairs et dans un ouvrage sur l’ancien palais d’Orsay (Documentation française, 2021), il avait déjà esquissé, en étudiant les décors produits par Delacroix et Chassériau, la thématique qu’il développe à propos des Galeries historiques de Versailles. Il préside la Société des amis de Notre-Dame de Paris.
Jean-Michel Leniaud, director of studies at the École Pratique des Hautes Études and director of the École Nationale des Chartes (2011-16), is the author of forty or so books. His latest, Architectures au XIXe siècle: programmes, styles, fantasmes (2021), was published by Éditions Campisano in Rome. In a study of the Chambre des Pairs library and in a volume on the former Palais d’Orsay (Documentation française, 2021), he had already set out, through an examination of the interiors by Delacroix and Chassériau, the themes that he is now exploring in relation to the History Galleries at Versailles. He is president of the Société des Amis de Notre-Dame de Paris.

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