Je tiens à remercier Cyril Pasquier, attaché de recherche au Centre de recherche du château de Versailles, pour son attentive relecture.
- 1 Francastel 1930.
- 2 Gaehtgens 1984.
- 3 Bajou 2018.
- 4 Arsac 2018.
- 5 Bachasson 1851, p. 75.
- 6 Maral 2008.
- 7 Gain 2017 ; Gain 2018 ; Maridet 2018, 2002a et 2020b.
1De Pierre Francastel1, qui esquissa une première genèse de l’élaboration des Galeries historiques de Versailles, à Thomas W. Gaehtgens2, qui en étudia le contexte politique et culturel, rares sont les travaux spécifiquement consacrés à la place de la sculpture dans le musée dédié « à toutes les gloires de la France ». Tout en n’abordant qu’indirectement cette question, la récente exposition Louis-Philippe et Versailles3 a permis au public de mesurer combien le projet du roi des Français toucha la totalité du palais, dont certains espaces furent tout particulièrement investis par la sculpture. De marbre ou de plâtre, groupes, statues, bustes, priants et gisants étaient omniprésents dans l’architecture minérale des vestibules et les galeries de pierre des ailes du Nord et du Midi, ou dialoguaient avec certains cycles peints, dans la galerie des Batailles notamment et, dans une moindre mesure, dans les salles des Croisades4. Comme l’écrivit le comte de Montalivet, grand maître d’œuvre de cette aventure, « plus de quatre mille tableaux ou portraits et environ mille œuvres de sculpture5 » furent présentés dans les galeries de Versailles sous la monarchie de Juillet. Dans son étude parue en 2008, Alexandre Maral a démontré la cohérence du programme iconographique de la galerie de pierre haute de l’aile du Midi, dite « de Louis XIV », peuplée de près de quatre-vingts sculptures. Ces dernières évoquaient les grandes figures du génie civil et militaire encouragées par les souverains, comme rassemblées autour de la figure tutélaire de Louis le Grand dont la statue était placée au centre de la galerie6. En partie démantelée dès la chute du régime de Juillet et dénaturée par de nombreux transferts d’œuvres au cours du xxe siècle, la galerie Louis XIV vient d’être restituée dans l’état voulu par Louis-Philippe. Cet important travail d’identification, de restauration et de mouvements d’œuvres consacre l’intérêt nouveau pour la sculpture des Galeries historiques, dont témoignent également plusieurs mémoires de master soutenus récemment7.
- 8 Tandeau de Marsac 2019 ; Tandeau de Marsac 2020. Mme Tandeau de Marsac publiera prochainement un ar (...)
2Dans le sillage de l’étude qu’a effectuée Élise Tandeau de Marsac sur les sculptures en marbre des Galeries historiques8, nous avons choisi d’analyser la série des statues destinées à orner la galerie de pierre haute de l’aile du Nord (fig. 1). Remarquable par son homogénéité, cet ensemble pour lequel travaillèrent les meilleurs artistes de l’époque permet de mettre en lumière les mécanismes de la commande, la place des sculpteurs ainsi que la réception de ces œuvres qui comptent parmi les plus ambitieux programmes sculptés de la monarchie de Juillet.
Fig. 1. Plan général du premier étage du château de Versailles en 1837, 1838, planche diagraphée et pantographiée par Charles Gavard, extraite de Gavard 1838-1841, t. I.
© RMN-Grand Palais (Château de Versailles) / Gérard Blot
- 9 Francastel 1930, p. 21.
- 10 Ibid., p. 22.
- 11 Lettre de Montalivet à Louis-Philippe, le 29 août 1833, reproduite dans Bachasson 1851, p. 242.
- 12 Francastel 1930, p. 31.
3À l’occasion de la première visite préparatoire au chantier des Galeries historiques, le 19 juin 1833, Louis-Philippe décida de convertir l’aile du Midi en musée de peinture et de sculpture9. L’aile du Nord, quant à elle, ne semblait alors pas être incluse dans le projet muséographique, seule une bibliothèque étant envisagée pour le rez-de-chaussée10. Quelques mois plus tard, alors qu’il se trouvait à Cherbourg, le roi des Français approuva le rapport de l’intendant général de la Liste civile, le comte de Montalivet, qui proposait que « Versailles présentât à la France la réunion des souvenirs de son histoire et que les monuments de toutes les gloires nationales y fussent déposés et environnés ainsi de la magnificence de Louis XIV11 ». Dès lors, les efforts de l’administration royale et de l’architecte Frédéric Nepveu se portèrent sur l’aile du Midi, pour laquelle le roi établit rapidement le projet de la galerie des Batailles dont le corollaire, uniquement dédié à la sculpture, était la galerie de pierre adjacente. Dès la visite du 18 janvier 1834, il ordonna de peupler cette dernière de statues et de bustes et prit un soin particulier à vérifier les dimensions des socles et des piédestaux posés contre les piédroits des voûtes et dans les niches spécialement aménagées à cet effet. Il importait au roi de s’assurer que l’alignement de ces blocs en pierre de Saint-Leu respecte la pureté de l’architecture d’Hardouin-Mansart, « dans un souci de noble simplicité et d’économie12 ». Présentées le long de la paroi occidentale, les statues pédestres issues de la fameuse série des « Grands Hommes » initiée par le comte d’Angiviller en 1776 et jusqu’alors demeurées à Paris furent complétées par plusieurs statues en marbre spécialement commandées de 1834 à 1838 : Louis XIV, par Philippe-Joseph-Henri Lemaire ; François Ier, par Augustin-Alexandre Dumont ; Gaston de Foix, duc de Nemours, par Charles-Émile Seurre ; Philippe de France, duc d’Orléans, par Théophile-François-Marcel Bra ; et Maurice de Saxe, par François Rude. Ce premier ensemble cohérent d’œuvres contemporaines avoisinait les priants et gisants, originaux des xvie et xviie siècles ou moulages en plâtre placés devant les fenêtres. Enfin, de nombreux bustes disposés de chaque côté de la galerie complétaient cette muséographie particulièrement dense.
- 13 Ibid., p. 50.
- 14 Ibid., p. 60.
4Fin 1834, alors qu’étaient passées les premières commandes de statues en marbre, les travaux s’étendaient de l’aile du Midi au corps central, touchant tout d’abord les Grands Appartements, puis le rez-de-chaussée. Comme le souligne Francastel, « on avait […] réservé le sort de l’aile du Nord qui n’apparaissait pas avec clarté13 ». Toutefois, des démolitions furent rapidement projetées dans cette partie encore préservée du palais : l’escalier monumental au centre de l’aile puis les anciens appartements de l’attique. Il fallait « obtenir à peu de frais des salles et des galeries parfaitement éclairées, et d’un très grand développement », rapporta Nepveu en mars 183514.
- 15 Vatout 1837, p. 307.
- 16 Soulié 1854-1855, vol. 2, p. 53-69 (nos 1825 à 1901 ; la statue no 1902 et le buste no 1903 furent (...)
5Dès lors, on envisagea la transformation de la galerie de pierre haute de l’aile du Nord en galerie de sculptures, en fermant les ouvertures pratiquées dans ce vaisseau de pierre qui desservait, autrefois, des appartements princiers. Pour cette galerie, comme pour celles aménagées au rez-de-jardin des deux ailes, Louis-Philippe décida de reproduire le parti pris muséographique adopté à la galerie dite « de Louis XIV ». Ainsi, dès 1834, plus d’une dizaine de priants et gisants en marbre du xviie siècle provenant de monuments funéraires démantelés à la Révolution furent transférés de Paris à Versailles. Ils furent complétés par une dizaine de moulages d’originaux des xvie et xviie siècles qu’il était impossible de déplacer (priants d’Henri II et de Catherine de Médicis, à Saint-Denis, statues du duc et de la duchesse de Montmorency dans la chapelle du collège des Jésuites à Moulins, notamment). Plus de trente-cinq bustes, tant originaux, copies en marbre, moulages ou commandes spécifiques, furent également installés, ainsi que huit médaillons en marbre et en plâtre. Au sein de cette « galerie des statues et tombeaux des rois de France15 » riche de soixante-seize sculptures16 d’époque, de matériaux et de typologies disparates, la série de statues pédestres commandée à des artistes contemporains se démarquait par son homogénéité tant formelle qu’iconographique (fig. 2).
Fig. 2. Agence de Frédéric Nepveu, Coupe de l’aile du Nord, avant 1843, papier, lavis, aquarelle, plume et encre noire, 71 × 237 cm. Versailles, château de Versailles, service des Archives, PN 47.
© EPV
6De 1835 à 1838, la direction des Musées royaux passa commande à douze sculpteurs de treize statues en pied hautes de 220 centimètres destinées à orner les niches aménagées dans la paroi occidentale de la galerie. Cet ensemble était complété par la statue du connétable Du Guesclin – le seul des Grands Hommes à ne pas avoir trouvé place dans la galerie Louis XIV –, œuvre majeure que Jean-Joseph Foucou exécuta en 1799, douze ans après la présentation de son modèle en plâtre au Salon (voir fig. 16).
- 17 Paris, Archives nationales (désormais AN), série S, 20144793/12, rapport du directeur des Musées ro (...)
- 18 AN, série S, 20144793/12, rapport du 16 novembre 1835.
- 19 AN, série S, 20144793/13, rapport du 25 septembre 1836. La statue du duc de Villars (MV 2862) a été (...)
- 20 AN, série S, 20144793/13, rapport du 25 septembre 1836.
- 21 Les modèles en plâtre d’au moins trois statues furent inventoriés en 1850 : Charles Martel, Charlem (...)
- 22 Janin 1839a.
7Bien que rien ne le prouve, il est tentant de penser que cette œuvre représentant l’un des personnages les plus importants de la guerre de Cent Ans ait pu inspirer à Louis-Philippe la thématique médiévale de cette série représentant des souverains et des grands serviteurs de l’État du haut Moyen Âge à la première Renaissance. Cette importante commande fit l’objet de quelques hésitations et changements. En effet, par décision royale du 2 juillet 183517, Jean-Bernard Duseigneur avait été chargé de l’exécution de la statue de Clovis, Antoine-Laurent Dantan, dit Dantan l’Aîné, de celle de Dagobert, Jean-Baptiste Joseph Debay, dit Debay père, de celle Charles Martel, Charles-François Lebœuf, dit Nanteuil de Charlemagne, Nicolas-Bernard Raggi d’Hugues Capet, Denis Foyatier de Suger, Jean-Pierre Cortot de Philippe-Auguste, Antoine Étex de Blanche de Castille, Bernard Seurre, dit Seurre aîné, de Saint Louis, Bra de Joinville, Achille Joseph Étienne Valois de Charles V, Charles Émile Seurre, dit Seurre jeune de Charles VII et James Pradier de la statue de Jeanne d’Arc. Très rapidement, cette première commande fut modifiée. Ainsi, dès novembre 1835, on confia à Pradier l’exécution du gisant en marbre du comte de Beaujolais destiné à faire pendant, dans cette galerie haute de l’aile du Nord, à la copie, livrée en 1839 par Auguste Trouchaud, du monument élevé en Angleterre à la mémoire du comte de Montpensier, autre frère de Louis-Philippe18. « La statue de Clovis existant à Saint-Denis » et, de fait, pouvant être moulée, Alphonse de Cailleux, directeur des Musées royaux, proposa que Duseigneur soit chargé de l’exécution de Dagobert, et Dantan l’Aîné de Charles-Louis-Hector, duc de Villars, statue quant à elle destinée à la galerie « Louis XIV » 19. De même, plutôt qu’à Cortot, artiste pourtant apprécié de Louis-Philippe, Philippe-Auguste fut finalement confié à Jean-Louis Nicolas Jaley en 1836. En effet, Cailleux désirait mettre en avant ce jeune sculpteur prometteur qui, ayant déjà exécuté le modèle de son Louis XI, s’était engagé à livrer celui de Philippe-Auguste pour « l’époque de l’ouverture des galeries du Palais de Versailles20 ». Cette précision laisse penser que seuls les modèles en plâtre des statues commandées par Louis-Philippe étaient exposés lors de l’inauguration officielle du 11 juin 183721. Hormis Blanche de Castille et Suger, entrés le 12 avril 1837, et Jeanne d’Arc, enregistrée le 19 juin mais dûment décrite par l’un des invités22, les autres statues en marbre ne parvinrent à Versailles qu’en juillet 1839 voire plus tardivement. Ainsi, Charlemagne fut livré en mars 1841 et Charles VII en août 1844. Préalablement, les modèles en plâtre et même la plupart des statues en marbre furent exposés au Salon.
8De prime abord, le programme de la galerie haute de l’aile du Nord devait sembler illogique, la présentation chronologique des personnages représentés par leur portrait sculpté ayant été organisée selon la seule typologie des œuvres. Ainsi, le discours historique était mené indépendamment par les bustes, les priants, les gisants et les statues, sans prendre en compte la muséographie globale de la galerie. Il résulte de ce chevauchement discursif une grande confusion. Par exemple, autour de Joinville, par Bra, étaient disposés le buste en marbre d’Henri de Lorraine, comte d’Harcourt, grand écuyer de France (1601-1666), le priant d’Amador de La Porte, grand prieur de France (v. 1566-1644) et celui de Louis Potier, marquis de Gesvres, maréchal des camps et armées du roi (mort en 1643), puis le buste de Louis XIV (fig. 3).
Fig. 3. Jacques-Joseph Huguenet, d’après Pierre Fontaine, « Vue de la Galerie des Statues de l’aile du nord au 1er Étage », dans Palais de Versailles 1837, pl. XII.
© RMN-Grand Palais (Château de Versailles) / Gérard Blot
9Enfin, dans la niche centrale de la galerie fut installé le tombeau du cardinal Mazarin, chef-d’œuvre d’Antoine Coysevox qui, aligné parmi les grands personnages du Moyen Âge sculptés par des artistes contemporains, marquait une rupture tant iconographique que stylistique. Ce monument fut remplacé en 1843 par le groupe de François-Joseph Bosio représentant L’Histoire et la France consacrant les gloires de la France, allégorie des Galeries historiques de Versailles. Déjà pourvue des monuments funéraires des frères de Louis-Philippe, la partie centrale de la galerie se transforma en véritable mausolée familial lorsque, quatre ans plus tard, fut installé le monument érigé en souvenir du défunt duc d’Orléans, par Pradier (fig. 4). Ainsi placée devant le groupe allégorique de Bosio et environnée des statues pédestres des souverains médiévaux, cette statue semblait souligner la continuité dynastique et la stabilité d’un régime puisant son origine dans un lointain passé national, par-delà les troubles de l’Histoire.
Fig. 4. James Pradier, Ferdinand-Philippe, duc d’Orléans, 1842-1846, statue, marbre, 189 × 130 cm. Versailles, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon, MV 1915.
© Château de Versailles, Dist. RMN / Christophe Fouin
- 23 AN, Archives des musées nationaux, 20150162/270, planche 30.
- 24 James Pradier, Robert de France, comte d’Artois, 1843, plâtre, 225 × 102 × 62 cm (MV 259).
- 25 Je tiens à remercier M. Alain Roger-Ravily et M. David Gauthier de m’avoir signalé cette gravure.
10La disposition des statues pédestres ne fut arrêtée que tardivement. Non daté mais antérieur à l’arrivée du groupe de Bosio en 1843, un plan peut-être levé en prévision de l’inauguration des Galeries historiques précise les emplacements des sculptures23. La niche située à gauche du monument funéraire du cardinal Mazarin aurait dû être occupée par la statue de Robert de France, comte d’Artois, ainsi placée à côté de celle de Blanche de Castille, mère du prince. Commandé à Pradier en 1842, seul le plâtre fut livré et installé l’année suivante dans la galerie basse de l’aile du Nord24. De même, la dernière niche du côté de l’Opéra royal était destinée au Louis XI de Jaley, ce dont témoigne une gravure représentant la « Galerie des statues » (fig. 5), elle aussi non datée25.
Fig. 5. F. Mackenzie et E. Radcliffe, Galerie des statues, vers 1837 ?, planche extraite d’un ouvrage non identifié. Collection particulière.
© Christophe Fouin
- 26 Tandeau de Marsac 2019, p. 46-47.
- 27 Lazaj 2018, p. 166. Un moulage du Philippe-Auguste par Jaley fut également envoyé à Fontainebleau.
11Pourtant, le guide du château qu’Eudore Soulié fit paraître en 1854-1855 atteste que cet emplacement était alors occupé par Charles VIII, statue entrée à Versailles en juillet 1839. La disposition des statues pédestres fut-elle modifiée à cette date ? Ultime mystère, Seurre reçut la commande en 1835 d’une statue représentant saint Louis, nous l’avons vu. Était-elle destinée à faire pendant à Blanche de Castille à la place de Robert de France ? Les sources attestent que le modèle en plâtre et la statue en marbre furent envoyés à Versailles respectivement en 1837 et 1839 avant de disparaître26. Orné de moulages en plâtre en 1840, le vestibule saint Louis à Fontainebleau reçut peut-être le modèle de Seurre, tandis que le marbre envoyé à la chapelle Saint-Louis de la cathédrale de Tunis pourrait correspondre à la statue versaillaise, à moins qu’il ne s’agisse d’une copie27. Seule une gravure tirée des Galeries historiques de Versailles garde le souvenir du passage de cette œuvre au château (fig. 6).
Fig. 6. « Louis IX », planche diagraphée et pantographiée par Bernardi, d’après Hébert, extraite de Gavard 1838-1845.
© Château de Versailles
- 28 Soulié 1854-1855, vol. 2, p. 53-55 (nos 1825 à 1838).
12À l’achèvement de la muséographie de cette galerie, les statues de l’ensemble ici étudié étaient chronologiquement installées sur de hauts socles, du sud au nord28 :
Fig. 7. Jean-Bernard Duseigneur, dit Jehan Du Seigneur, Dagobert Ier, 1835-1839, statue, marbre, 223 × 94 × 84 cm. Versailles, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon, MV 1843.
© Château de Versailles, Dist. RMN / Jean-Marc Manaï
Fig. 8. Jean-Baptiste Joseph Debay, dit Debay père, Charles Martel, statue, marbre, 1835-1839, 226,5 × 100 × 80 cm. Versailles, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon, MV 1844.
© Château de Versailles, Dist. RMN / Jean-Marc Manaï
Fig. 9. Charles-François Lebœuf, dit Nanteuil, Charlemagne, 1837-1841, statue, marbre, 232 × 103 × 87 cm. Versailles, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon, MV 1845.
© Château de Versailles, Dist. RMN / Jean-Marc Manaï
Fig. 10. Nicolas-Bernard Raggi, Hugues Capet, 1835-1837, statue, marbre, 210 × 93 × 81,5 cm. Versailles, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon, MV 1846.
© Château de Versailles, Dist. RMN / Jean-Marc Manaï
Fig. 11. Denis Foyatier, Suger, 1835-1837, statue, marbre, 218 × 95 × 65 cm. Versailles, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon, MV 1847.
© Château de Versailles, Dist. RMN / Jean-Marc Manaï
Fig. 12. Jean-Louis Nicolas Jaley, Philippe Auguste, 1838-1839, 225 × 88 × 71 cm, statue, marbre. Versailles, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon, MV 1848.
© Château de Versailles, Dist. RMN / Jean-Marc Manaï
Fig. 13. Antoine Étex, Blanche de Castille, 1836-1837, statue, marbre, 212 × 57 × 59 cm, Versailles, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon, MV 1849.
© Château de Versailles, Dist. RMN / Jean-Marc Manaï
Fig. 14. Théophile Bra, Jean de Joinville, 1835-1836, statue, plâtre, 210 × 103 × 91 cm. Versailles, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon, MV 1850.
© EPV
Fig. 15. Achille Joseph Étienne Valois, Charles V, 1835-1839, statue, marbre, 231 × 98 × 88 cm. Versailles, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon, MV 1851.
© RMN-GP (Château de Versailles) / Gérard Blot
Fig. 16. Jean-Joseph Foucou, Bertrand du Guesclin, 1787-1799, statue, marbre. Versailles, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon, MV 1852.
© RMN-GP (Château de Versailles) / Droits réservés
Fig. 17. Charles Émile Seurre, dit Seurre jeune, Charles VII, 1838-1844, statue, marbre, 223 × 91 × 89 cm. Versailles, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon, MV 1853.
© Château de Versailles, Dist. RMN / Jean-Marc Manaï
Fig. 18. Auguste Trouchaud, d’après Marie d’Orléans, Jeanne d’Arc, 1836-1837, statue, marbre, 201 × 75 × 82 cm. Versailles, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon, MV 1854.
© RMN-GP (Château de Versailles) / Droits réservés
Fig. 19. Jean-Louis Nicolas Jaley, Louis XI, statue, 1839, statue, marbre, 216 × 83 × 73 cm. Versailles, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon, MV 1855 (déposé au musée du Louvre, qui l’a affecté à l’hôtel de ville d’Amboise).
© RMN-Grand Palais (Château de Versailles) / image RMN
Fig. 20. Jean-Baptiste Joseph Debay, dit Debay fils, Charles VIII, 1836-1839, statue, marbre, 213 × 99 × 79 cm. Versailles, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon, MV 1856.
© Château de Versailles, Dist. RMN / Jean-Marc Manaï
- 29 Bachasson 1850, p. 135.
- 30 AN, série S, 20144793/13, lettre du baron Bosio au comte de Bondy, intendant général de la Liste ci (...)
- 31 Chaudonneret 1999, p. 25-26.
- 32 Ibid., p. 26.
Défendant le grand œuvre de la monarchie de Juillet auquel il avait tant pris part, le comte de Montalivet rappela combien « le vaste musée de Versailles est […] l’œuvre personnelle de Louis-Philippe », précisant que le roi des Français avait « désigné lui-même la place qui devait être attribuée à chaque époque, à chaque personnage » 29. Les rapports de Nepveu corroborent cette assertion et les pièces administratives et comptables conservées tendent à prouver qu’il en était de même pour les commandes de sculptures, passées « par ordre du roi », très probablement à la suite de ses visites versaillaises. L’implication personnelle du souverain allait-elle jusqu’au choix de l’artiste et des détails iconographiques ? Rien ne l’atteste, si ce n’est cette lettre que Bosio adressa en 1838 au comte de Bondy, dans laquelle il affirma que son groupe allégorique avait reçu « la haute approbation de Sa Majesté30 ». À l’instar des peintures, les commandes de sculptures étaient ordonnées par le directeur des Musées royaux qui, rattaché à la Maison du Roi, apparaît comme le « véritable ordonnateur de la vie artistique » contemporaine, prenant « les initiatives en matière de commande et acquisitions, récompenses et secours aux artistes »31. De fait, les sculpteurs adressaient leurs requêtes au comte Auguste de Forbin (1777-1841) puis à Alphonse de Cailleux (1788-1876) qui se succédèrent à la tête des Musées royaux. Ces derniers étaient subordonnés à l’intendant général de la Liste civile, administration gérant les biens de la Couronne, ainsi séparés de ceux de l’État. Intendant général depuis 1832, le comte de Montalivet (1801-1880) confirmait ou invalidait les propositions du directeur des Musées royaux quant aux prix des œuvres et, par exemple, aux indemnités accordées aux artistes. Pour les Galeries historiques de Versailles, les prix étaient fixés selon la typologie de l’œuvre à exécuter en marbre : 1 200 francs pour les copies de bustes, 2 400 francs pour les bustes originaux, 4 000 francs pour le modèle en plâtre d’une statue en pied, étape préalable à l’exécution de l’œuvre en marbre, quant à elle rétribuée 8 000 francs. Unifiés, ces prix ne tenaient pas compte de la célébrité du sculpteur. Ce dernier ne choisissait pas le personnage à représenter, mais était libre de se fournir en marbre, la Liste civile lui remboursant alors le prix du bloc. Ainsi, Jaley acheta le marbre nécessaire à l’exécution de Philippe-Auguste auprès du marbrier Genevelot, tandis que pour son Louis XI il se fournit auprès de Moyse. Duseigneur, Seurre et Valois passèrent quant à eux commande auprès du fournisseur Sancholle-Henraux. Enfin, Étex préféra exécuter sa Blanche de Castille non pas en marbre blanc de Carrare mais en marbre de Saint-Béat, carrière située dans les Pyrénées, que lui livra la marbrière Pugens en 1836. La Liste civile disposait également d’un fonds d’acquisition de marbre statuaire et, si le matériau venait à manquer, n’hésitait pas à faire appel au ministère de l’Intérieur dont le bureau des beaux-arts était, entre autres, chargé d’acquérir des blocs pour les sculpteurs ayant reçu des commandes32.
- 33 Tandeau de Marsac 2019, p. 13.
- 34 AN, série S, 20144793/12, commandes de sculptures, 17 novembre 1834.
- 35 AN, série S, 20144793/12, commandes de sculptures, 1er mai 1835.
- 36 Tandeau de Marsac 2019, p. 40.
- 37 Ibid., p. 42-43.
13Bien que les sources restent lacunaires à ce sujet, le choix des sculpteurs semble avoir obéi à certaines règles. Les commandes officielles passées pour Versailles, domaine rattaché à la Couronne, n’étaient généralement confiées qu’à des artistes issus du milieu académique, ayant fait leur apprentissage à l’École des beaux-arts, lauréats du prix de Rome ou, au moins, exposant au Salon. Parallèlement à leur formation académique, la plupart des artistes qui œuvrèrent pour les Galeries historiques avaient fréquenté l’atelier de maîtres reconnus qui, pour certains, travaillaient également à Versailles, tels Bosio, Charles-Antoine Bridan, Pierre Cartellier, Cortot, François-Frédéric Lemot ou encore Pradier. À cet égard, les sculpteurs qui exécutèrent les statues en pied de la galerie de l’aile du Nord bénéficièrent de bases communes en termes de références artistiques, culturelles et historiques33. Fréquenté avec assiduité par Louis-Philippe, le Salon permettait aux sculpteurs d’espérer être remarqués et d’obtenir une commande officielle. Établies à la suite des Salons de 183434 et de 1835, deux listes mentionnent les noms des artistes qui, exposés, furent appelés à travailler pour les Galeries historiques. C’est le cas de Foyatier et de Raggi qui, présents au Salon de 1835, furent proposés par Cailleux à Montalivet dès le 1er mai pour l’exécution des statues de Suger et d’Hugues Capet35. Les archives abondent en lettres plaintives de jeunes sculpteurs de retour de Rome ou sans travail à qui le directeur des Musées royaux passait commande d’un buste, original pour les talents prometteurs, simple copie pour les autres. De fait, l’étude de l’ensemble des commandes de sculptures en marbre pour Versailles montre que l’administration royale avait soin de ne confier les œuvres les plus importantes, telles les statues en pied, qu’aux artistes déjà reconnus36. Ainsi, les sculpteurs qui participèrent à cette série eurent pour la plupart une belle carrière sous la monarchie de Juillet. Un temps pressenti pour l’exécution de Philippe-Auguste, Cortot, déjà fait chevalier sous la Restauration, fut promu officier de la Légion d’honneur en 1841. Foyatier, Jaley, Nanteuil et Étex furent quant à eux ordonnés chevaliers, respectivement en 1834, 1837 et 1841. Le préjugé d’une allégeance au roi des Français préalable à l’obtention de commandes est toutefois à relativiser. Auteur d’un pamphlet contre le comte de Forbin, Louis-Victor Bougrin reçut, après une courte disgrâce, la commande de trois bustes pour Versailles, tout comme Dantan le Jeune, connu pour ses caricatures des personnalités du régime. À l’inverse, bien que s’étant engagé dans la révolution de Juillet contre Charles X, Étex ne reçut à Versailles qu’une seule commande, Blanche de Castille37. Une étude plus approfondie des convictions des sculpteurs des Galeries historiques permettrait peut-être de savoir si, ici encore, Louis-Philippe eut à cœur de concilier les différentes mouvances politiques de son temps. Toujours est-il que nombre des sculpteurs favorisés sous l’Empire, tel Bosio, puis sous la Restauration, tels Bra, Debay père et Valois, reçurent d’importantes commandes durant le régime de Juillet.
- 38 Houssaye 1844, p. 69.
- 39 AN, série S, 20144793/12, commande de sculptures, 17 novembre 1834.
- 40 Explication… 1839, p. 242, no 2271.
14« Pour la peinture et la sculpture des années 30 du xixe siècle, cette relation [avec les visées politiques] signifiait leur abaissement au niveau de l’illustration. Ces arts, dans la dépendance absolue de qui passait la commande, n’avaient plus qu’à être les instruments de la politique quotidienne38 », affirmait Arsène Houssaye en 1844. Si elle se vérifie en de nombreux cas, cette appréciation semble toutefois à relativiser. Le recours à des artistes fameux, qui exposaient au Salon les œuvres destinées à Versailles, ainsi soumises au feu des critiques, induit une dimension artistique de la commande qui n’est pas à sous-estimer. Toutefois, la question de la liberté créatrice des sculpteurs se pose dans le cas des commandes versaillaises, tant il est vrai que la muséographie des Galeries historiques répondait à une préoccupation avant tout politique. Dans le cas des commandes de sculptures, aucun document n’atteste une mainmise de l’administration royale sur les partis pris esthétiques que les artistes auraient été appelés à suivre. Seule une lettre précise les dimensions à respecter pour les statues pédestres des galeries de pierre, témoignant simplement d’un logique souci d’harmonisation muséographique cher, nous l’avons vu, à Louis-Philippe39. Malgré l’absence de sources, l’étude de la série des treize statues commandées pour la galerie haute de l’aile du Nord montre que les sculpteurs reçurent des indications quant à la composition générale et l’attitude du personnage représenté. De fait, la relative frontalité de ces œuvres tranche avec le dynamisme des statues pédestres issues de la série des Grands Hommes. En outre, l’importance accordée aux accessoires, tenus en main ou représentés au pied de la figure, pour lui servir d’étai, atteste une préoccupation constante pour la lisibilité et l’identification du personnage, corollaires indispensables à la dimension didactique des Galeries historiques. Ainsi, Charles V « froisse avec colère le traité de Brétigny, imposé au roi Jean, son père40 », par les Anglais, tandis que les livres à ses pieds sont une allusion à la Bibliothèque royale qu’il fonda. De même, Blanche de Castille tient un parchemin sur lequel, bien visible, la date de 1226 rappelle qu’à la mort de Louis VIII la reine assura la Régence. Enfin, fidèlement reproduite, la signature de Dagobert Ier est gravée sur la charte de fondation de l’abbaye de Saint-Denis, représentée sous la forme d’une châsse médiévale aux pieds du souverain.
- 41 Gaehgtens 1984, p. 65-67.
15Thomas W. Gaehgtens a démontré l’influence durable qu’eut la Galerie historique ou cours d’histoire générale par tableaux que Laurent-Pierre de Jussieu présenta en 1816 au ministère de l’Intérieur et qui orienta le programme du musée de Versailles41. Se conformant à ce projet pédagogique, les sculpteurs cherchèrent à s’inspirer des portraits authentiques, ou prétendus tels, des personnages dont ils devaient exécuter la statue. Ayant, par ailleurs, fait l’objet d’importantes campagnes de moulages pour Versailles, les tombeaux royaux de Saint-Denis furent en ce sens une source d’inspiration majeure. Croyant reproduire les traits de la mère de saint Louis, comme cela était alors communément admis, Étex s’inspira du gisant en pierre noire de Tournai considéré aujourd’hui comme représentant Catherine de Courtenay. De même, Debay père donna à son Charles Martel les traits et la couronne des gisants des rois mérovingiens et carolingiens commandés par saint Louis pour la nécropole dionysienne.
- 42 AN, séries V et VT, 20150040-16, « Liste des sources iconographiques des rois de France, pouvant in (...)
16En outre, l’ouvrage de Jussieu accordait une place prépondérante au costume qui, plus encore que l’attitude, conférait à l’image le pouvoir de rendre l’histoire plus parlante et incarnée. Dès son inauguration, le musée de l’Histoire de France fut considéré comme une remarquable galerie de costumes, ce dont témoigne cette série de souverains et d’hommes d’État aux vêtements aussi vraisemblables que détaillés. Intitulé « Costumes », un dossier conservé aux Archives nationales donne une liste des représentations peintes, sculptées et monétaires de chaque roi de France, de Pharamond à Louis XVI, en précisant leurs sources bibliographiques42. Deux ouvrages illustrés de gravures sont cités par ce document qui, mentionnant les statues ici étudiées, fut élaboré pour la direction des Musées royaux peu de temps après leur achèvement. Les cinq volumes des Monumens de la monarchie françoise, publiés entre 1729 et 1733 par Bernard de Montfaucon, et l’Histoire de France que François Eudes de Mézeray fit paraître en trois volumes entre 1643 et 1651 apparaissent comme des références indispensables pour les artistes qui, toutefois, s’en inspiraient assez librement. Ainsi, Charles V porte le manteau fleurdelisé qui dérive des différentes miniatures reproduites par Montfaucon. De même, Duseigneur adapta plusieurs des représentations de Dagobert répertoriées par le bénédictin comme contemporaines du règne du premier roi des Francs : les longs cheveux ondulés rappellent la statue assise du souverain au portail de l’abbaye de Saint-Denis (fig. 21), tandis que la tunique ceinturée et le long manteau retenu par une bride sur la poitrine correspondent à la statue conservée à l’église Saint-Pierre-Saint-Paul d’Ersford.
Fig. 21. « Dagobert », extrait de Montfaucon 1729-1733, t. I, pl. XII.
Permalien : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k1232775/f222.item
Source : gallica.bnf.fr / BnF
17La véracité historique n’était cependant pas une nécessité absolue. Ainsi, Jaley adapta le portrait en pied de Louis XI peint en 1836 par Jean-Léonard Lugardon pour les Galeries historiques d’après un portrait plus ancien qui était alors dans la collection de Louis-Philippe au Palais-Royal, à Paris. Tout en se conformant à l’impératif de lisibilité, les sources iconographiques étaient parfois largement réinterprétées par les artistes, l’historicisme alors en vogue autorisant quelques libertés.
- 43 Tandeau de Marsac 2019, p. 57-58.
- 44 Janin 1939b, t. II, p. 303.
- 45 Ibid.
- 46 Ibid.
18À l’instar des autres œuvres exposées au Salon, les statues destinées à Versailles furent commentées par les critiques. Selon la recension qu’a effectuée Élise Tandeau de Marsac, sur l’ensemble des cent vingt-six sculptures en marbre commandées pour Versailles sous la monarchie de Juillet, trente-huit furent exposées au Salon, dont dix en 183943. Parmi ces dernières, Charles Martel par Debay père, Charles VIII par Debay fils, Louis XI par Jaley, Charles V par Valois, Dagobert par Duseigneur et, destiné à la galerie dite « de Louis XIV », François Ier par Dumont, furent mentionnées par Jules Janin dans L’Artiste. L’auteur de Barnave qui, en 1831, attaquait la famille d’Orléans, nourrissait des a priori négatifs à l’encontre de ces « commandes officielles, de ces monuments publics, de ces grandes figures qui vont s’entasser et se perdre dans le Musée de Versailles […], de tous ces marbres vulgaires dont le public s’inquiète peu, tant il est habitué à les regarder en passant comme il regarderait un vase de fleurs qui n’aurait pas de fleurs44 ». Tout en admirant sa virtuose cotte de mailles, le critique reprocha à Debay père les membres « raides et durs45 » de Charles Martel, dépourvu de cette fougue seyant aux grands guerriers. Le journaliste se montra plus indulgent avec Debay fils qui avait donné à son Charles VIII, roi connu pour sa laideur, l’allure des seigneurs des poésies courtoises du xve siècle, affirmant : « Notre littérature est tellement inondée de bossus dont on nous fait des héros, qu’un artiste de talent peut fort bien redresser un héros quand il est bossu46 ». Seule statue de cette série à véritablement exprimer un sentiment, le furibond Charles V par Valois fut loué par Janin qui, in cauda venenum, ajouta :
Le livret a besoin de nous avertir quelque peu de cette colère, car le mouvement ressemble beaucoup à la joie d’un amateur de livres qui vient de découvrir un bouquin précieux. La chose est d’autant plus vraisemblable que Charles-le-Sage, espèce de Médicis barbare, est le premier fondateur de la Bibliothèque royale47.
19L’expression et l’originalité, la part d’invention primaient aux yeux du critique.
- 48 Ibid.
- 49 Planche 1855, t. I, p. 323.
20Il est nécessaire de replacer ces critiques dans le contexte d’opposition entre classicisme, hérité de la Restauration, et romantisme naissant. Par erreur, Janin mettait Dagobert au nombre de ces « grandes statues qui n’ont pas été commandées et dans lesquelles l’artiste a pu se livrer librement à sa verve, à son talent ou à sa fantaisie48 ». Pourtant, au Salon de 1836, le modèle en plâtre qu’avait exposé Duseigneur n’avait pas remporté tous les suffrages. Comparant l’œuvre au groupe en plâtre rehaussé d’or Une larme pour une goutte d’eau (Quasimodo et Esmeralda) que Duseigneur avait présenté au Salon de 1833 et à son Archange saint Michel vainqueur de Satan, exposé l’année suivante, le critique s’était montré implacable. Par rapport à ces deux manifestes du romantisme, « la statue de Dagobert est une chute inintelligible » tant l’artiste, « renonç[ant] à l’innovation », s’est contenté de « concevoir et d’exécuter des chairs et des vêtements » à la manière d’« ornements d’un manche de couteau »49. Le hiératisme quasi mystique que Duseigneur avait insufflé au fondateur de l’abbaye de Saint-Denis recevant l’injonction de saint Éloi rompait avec ce style passionné dont il avait empreint son Roland furieux, chef-d’œuvre du Salon de 1831. L’administration royale avait-elle obligé l’artiste à se conformer à une manière plus lisse, prétendument officielle ? C’est oublier les aspirations parfois contraires de ces sculpteurs qui, tels Duseigneur, pouvaient tour à tour sacrifier au romantisme ou s’adonner à un art plus classicisant, ainsi que le démontre la Sainte Agnès qu’il exécuta en 1839 pour l’église de la Madeleine, à Paris.
- 50 Je remercie Mme Tandeau de Marsac d’avoir accepté que son schéma soit ici reproduit.
- 51 Tandeau de Marsac 2019, « Annexe 9 ».
- 52 Gautier 1837.
- 53 Bachasson 1850, p. 135.
21La relative unité qui se dégage de l’ensemble ici étudié n’empêche pas l’expression de styles plus personnels. Ainsi, Étex n’hésita pas à adapter sur Blanche de Castille les proportions canoniques de la Vénus Médicis (fig. 2250), antique fameuse qu’il cita en exemple dans son Cours élémentaire de dessin appliqué à la sculpture, paru en 184351. Particulièrement imposante, cette statue impressionna Théophile Gautier auteur d’un article paru dans La Presse saluant l’artiste qui « a très heureusement fondu dans son exécution la naïveté gothique et l’ajustement grandiose des draperies52 ». Si elle mérite d’être reconnue, cette part artistique, voire esthétique, laissée au sculpteur par l’administration royale, est contrebalancée par la primauté iconographique de « ce vaste classement de tous les souvenirs glorieux pour le pays53 ».
Fig. 22. Mise en parallèle des proportions de la statue de Blanche de Castille par Antoine Étex avec le schéma des proportions de la Vénus de Médicis, publié dans Étex 1877b, p. 169, pl. III.
© Élise Tandeau de Marsac, 2019
- 54 Janin 1839a.
- 55 Étex 1877, p. 213.
22De fait, en tant qu’œuvres d’art, les sculptures versaillaises ne connurent pas une grande postérité, exception faite de Jeanne d’Arc (fig. 23). Conçue par Marie d’Orléans et traduite en marbre par Auguste Trouchaud, son praticien, cette statue commandée par Louis-Philippe en 1836 et installée à Versailles l’année suivante suscita l’admiration, peut-être courtisane, des invités à l’inauguration du 11 juin 1837. Dans un article qu’il publia à la mort de la jeune princesse, en 1839, Janin se remémora « l’effet tout-puissant de ce beau marbre de Jeanne d’Arc » dont la composition simple traduisait le courage de la « chaste héroïne » recueillie tout en tenant « son épée avec une conviction si ferme et si nette »54. La réception de cette œuvre majeure ne saurait s’expliquer par la seule identité de son auteur, tant les réductions en bronze, plâtre et biscuit demeurèrent populaires tout au long du xixe siècle. Toutefois, hormis Blanche de Castille copiée par Dumont en 1850 pour abonder la série des reines de France du jardin du Luxembourg, à Paris, les statues pédestres de la galerie haute de l’aile du Nord furent rapidement oubliées. Les sculpteurs, pourtant, survécurent à la chute de la monarchie de Juillet et, pour certains, poursuivirent une brillante carrière officielle. Jaley, par exemple, succéda à David d’Angers à l’Académie des Beaux-arts en 1856. Par ailleurs, les quelques nécrologies ou biographies des sculpteurs des Galeries historiques ne s’arrêtent généralement pas sur leur production versaillaise. Ainsi, dans son autobiographie, Étex ne fait que mentionner Blanche de Castille55, s’attardant en revanche sur les bas-reliefs de l’arc de triomphe de l’Étoile, à Paris, qu’il exécuta également sous le règne de Louis-Philippe.
Fig. 23. Auguste Vinchon, Le Roi Louis-Philippe entouré des membres de la famille royale s’arrêtant devant la statue de Jeanne d’Arc, œuvre de sa fille défunte la princesse Marie, lors d’une visite des galeries historiques de Versailles en 1839, huile sur toile, 190 x 150 cm. Versailles, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon, MV 5695.
© Château de Versailles, Dist. RMN / Christophe Fouin
- 56 J. N. 1922, p. 111-112.
23Enfin, est-il besoin de rappeler avec quel dédain la sculpture de la première moitié du xixe siècle fut jugée, de la fin du siècle aux années 1970 ? Complexe, mêlant inspirations néoclassique, romantique et naturaliste, la sculpture de la monarchie de Juillet et tout particulièrement les commandes officielles pour Versailles furent dénigrées. Rapportant l’actualité muséographique du musée en 1922 dans le sérieux Bulletin de l’Art ancien et moderne, un journaliste anonyme s’attarda sur ces « gigantesques statues des rois de France, documents assez risibles des conceptions historiques des sculpteurs protégés par la Liste Civile » que l’on projetait alors de transférer dans la galerie de l’aile du Midi, « demi noyée d’ombre depuis la construction de la salle où siègent les assemblées nationales56 ». Ce transfert qui, par contrecoup, bouleversa la cohérence de l’ancienne galerie dite « de Louis XIV », déjà en partie démantelée, condamna à l’oubli cet ensemble, pourtant manifeste de la place centrale accordée à la sculpture dans les Galeries historiques de Versailles. La récente restitution dans son état Louis-Philippe de la galerie de pierre haute de l’aile du Midi a entraîné le retour de la plupart des statues ici évoquées dans l’aile du Nord (fig. 24). Quelques ajustements restent encore à mener : trônant au centre de la galerie du rez-de-jardin, face aux salles des Croisades, Blanche de Castille mériterait de retrouver son emplacement d’origine, tout comme Charles Martel et Suger, conservés en réserve, ou encore Louis XI qui, déposé au musée du Louvre en 1890, n’est évoqué que par un moulage moderne.
Fig. 24. Vue actuelle de la galerie de pierre haute de l’aile du Nord.
© Château de Versailles, Dist. RMN / Christian Milet