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Auguste Couder, Allégorie de la création du musée de Versailles, 10 juin 1837, 1842-1844, huile sur toile, 242 × 352 cm. Versailles, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon, MV 6282.

Auguste Couder, Allégorie de la création du musée de Versailles, 10 juin 1837, 1842-1844, huile sur toile, 242 × 352 cm. Versailles, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon, MV 6282.

© Château de Versailles, Dist. RMN / Christophe Fouin

  • 1 Il s’agit d’un carton de tapisserie qui devait être tissé par les Gobelins.

1L’allégorie que peint Auguste Couder entre 1842 et 18441 à propos de la création du musée de Versailles est parfaitement représentative de la complexité du discours que vont transmettre les Galeries historiques. Minerve, déesse de la Sagesse et protectrice des beaux-arts, se voit présenter le plan du musée de Versailles par deux génies à sa droite, tandis que des figures des arts lui remettent leurs outils à sa gauche. Au fond de l’œuvre se trouve un paysage parisien où l’on distingue le palais des Tuileries, l’obélisque de Louxor ainsi que l’Arc de Triomphe de la place de l’Étoile. L’allégorie représente ce qui est en jeu dans les Galeries historiques de Versailles : l’idée d’un nouveau sanctuaire des arts et de l’histoire de France comme reflet d’une histoire universelle dont Minerve – symbole de l’histoire ancienne – serait la protectrice. En outre, le procédé allégorique permet à Auguste Couder de représenter la complexité des Galeries mais surtout leur pluralité historique et politique. Cette pluralité nous la retrouvons à l’arrière-plan où se mêlent un lieu de pouvoir construit au xvisiècle (les Tuileries), un symbole de l’histoire ancienne et désormais marqueur de la présence française en Orient (l’obélisque de Louxor) et un monument à l’histoire contemporaine de la Révolution et de l’Empire (l’Arc de Triomphe), achevé sous la monarchie de Juillet et qui illustre le lien que Louis-Philippe souhaite créer entre ces périodes récentes. C’est précisément cette variété et cette mise à égalité des périodes et des protagonistes qui justifient sa célèbre devise apposée aux portes du musée : « À toutes les gloires de la France ». Au premier plan se trouvent également deux figures d’enfants qui lisent, pour l’un un manuscrit en grec ancien et pour l’autre un ouvrage près duquel figure un parchemin où l’on distingue le nom de Charlemagne. En plus d’équilibrer la composition, ces deux figures – à l’instar du paysage d’arrière-plan – illustrent une dichotomie qui caractérise les Galeries historiques : l’ancien et le moderne. Elles nous montrent ce qui vient avant l’image : à la manière d’un Étienne Pasquier et de ses Recherches de la France publiées au tournant des xvie et xviie siècles, l’entreprise de Louis-Philippe à Versailles devait se nourrir d’une nouvelle lecture de l’histoire afin d’illustrer ce qui parfois n’avait jamais été mis en image. Le premier et l’arrière-plan de l’allégorie exposent ainsi toute la difficulté de faire naître une imagerie de ce nouveau roman national : de l’histoire qui se déchiffre ou qui se lit dans les manuscrits anciens et médiévaux, à l’histoire contemporaine dont les monuments jalonnaient l’espace public.

2Ainsi, de leur inauguration en 1837 à leur démantèlement à partir de 1892, les Galeries historiques ont façonné la nouvelle fonction muséale que l’on attribuait alors au château de Versailles et qui perdure en partie aujourd’hui. Si l’ancienne résidence royale devint un musée dès la Révolution par l’installation du musée central des arts en 1796 puis du musée spécial de l’École française l’année suivante, la monarchie de Juillet lui attribua une fonction didactique et politique qui fut représentative de son rapport à l’histoire nationale. Louis-Philippe fit des Galeries historiques le reflet de sa politique : un musée qui devait illustrer la grande réconciliation nationale qu’il appelait de ses vœux. L’histoire fut pour le roi-citoyen un levier important pour sa propre entreprise de légitimation, mais également pour inscrire son empreinte dans le renouvellement de l’historiographie qui s’écrivait dans ces mêmes années. Ce n’est pas un hasard si l’on retrouve tant d’historiens parmi ses plus importants ministres comme ce fut le cas d’Adolphe Thiers, de Charles de Rémusat, de François-Auguste Mignet ou encore de François Guizot. C’est ainsi que Versailles illustra un récit national artificiellement linéaire à travers une collection dont la chronologie proposait de commencer par Clovis pour naviguer ensuite de la France médiévale à celle de Louis XIV ou encore de Napoléon avant de se conclure par le propre règne de Louis-Philippe.

  • 2 Francastel 1930.
  • 3 Gaehtgens 1984.
  • 4 Gaehtgens 1997, t. II, p. 1781.
  • 5 Marrinan 1988.
  • 6 Saule 2004.
  • 7 Bajou 2018.
  • 8 Antichan 2014.
  • 9 Renard 2018.
  • 10 Landgraf 2021.
  • 11 Chaudonneret 1999.
  • 12 Bertinet 2015.

3Ce Versailles du musée de l’Histoire de France a connu une longue période d’oubli à la suite du démantèlement radical mené par Pierre de Nolhac en 1892. Hormis un court ouvrage de Pierre Francastel publié en 19302, il a fallu attendre les années 1980 pour voir naître un regain d’intérêt autour des Galeries historiques, notamment grâce aux travaux fondateurs de Thomas Gaehtgens3 sur la genèse du musée et l’iconographie de la galerie des Batailles. C’est dans son article publié dans les Lieux de mémoire de Pierre Nora que l’historien nous rappelait à juste titre que « Versailles [n’avait] joué un rôle central dans l’histoire de France que pendant un siècle environ4 », pour mieux nous faire comprendre que c’était bel et bien l’histoire de France elle-même qui allait y prendre une place prépondérante à partir du xixe siècle. À la même époque – dans le sillage des nombreux travaux de Claire Constans, conservateur au département des peintures du château de Versailles –, les ouvrages de Michael Marrinan sur la peinture d’histoire sous la monarchie de Juillet5 allaient également permettre de prendre la mesure du dessein historiographique et politique de l’entreprise versaillaise de Louis-Philippe. L’intérêt des travaux de Marrinan fut notamment de relire la vision orléaniste de l’histoire de France au prisme de l’histoire personnelle du roi et de l’idéologie d’inspiration libérale qui caractérisait son pouvoir. Plus récemment, ce sont deux événements au sein du château de Versailles qui ont réactivé l’intérêt pour les Galeries historiques et leurs collections. Si dans un premier temps le colloque « L’histoire au musée6 » (décembre 1998, château de Versailles) a remis au cœur du propos la question de la muséification de Versailles sous Louis-Philippe et les enjeux qu’elle soulève, d’un point de vue politique, muséologique mais aussi esthétique, c’est surtout l’exposition Louis-Philippe et Versailles7 (château de Versailles, octobre 2018-février 2019) qui a marqué un jalon important dans la redécouverte du musée en permettant de réactualiser les travaux sur les rapports entretenus par le roi avec ses Galeries historiques. Plusieurs thèses soutenues récemment sont venues confirmer cet intérêt à deux niveaux : du point de vue de l’iconographie politique des collections du musée, avec les travaux de Sylvain Antichan8 et de Margot Renard9, et du point de vue du chantier lui-même, grâce à Éric Landgraf10. Enfin, notons que l’historiographie du musée de Louis-Philippe a également bénéficié de recherches récentes sur des périodes en amont et en aval de la monarchie de Juillet, avec les études de Marie-Claude Chaudonneret sur les artistes de la Restauration et du début de la monarchie de Juillet11 et d’Arnaud Bertinet sur la survivance des Galeries historiques sous le Second Empire12.

4C’est dans cette dynamique qu’a été lancé en 2017 le programme « La représentation de l’histoire dans les collections du musée de Versailles » au sein du Centre de recherche du château de Versailles13. L’ambition d’un tel projet fut dès l’origine de servir de lieu de rencontre à ces différentes approches qui faisaient renaître l’intérêt pour le musée de Louis-Philippe, mais aussi de valoriser les recherches récentes sur le sujet et d’en produire de nouvelles14. C’est donc dans ce cadre que fut organisée le 9 octobre 2019, sous la direction de Laurent Cazes, la journée d’études « Les Galeries historiques de Versailles au xixe siècle : origine, organisation, réception15 » dont nous publions les actes aujourd’hui.

5En lien avec la thématique de notre programme de recherche, les textes réunis dans cette publication souhaitent apporter un nouveau regard sur la question de l’iconographie des Galeries historiques. Comme nous l’avons vu plus haut avec l’allégorie de Couder, la mise en images de cette nouvelle histoire de France voulue par Louis-Philippe doit nous permettre de poser plusieurs questions quant à sa réalisation et sa réception : quelle image de l’histoire de France veut-on transmettre ? par quels moyens constitue-t-on une imagerie nationale cohérente ? dans quelle mesure une telle collection peut constituer un outil efficace d’instrumentalisation politique de l’histoire ? Ces réflexions sur l’iconographie politique des Galeries historiques visent à mettre en lumière des points de vue en histoire, histoire de l’art et muséologie qui doivent permettre de participer à ce renouvellement historiographique du Versailles de Louis-Philippe et à susciter de nouveaux travaux sur ces questions.

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Bibliographie

Antichan Sylvain, 2014, Mettre la France en tableaux : la formation politique et sociale d’une iconographie nationale au musée historique du château de Versailles (1830-1950), thèses sous la dir. de Yves Déloye, université Paris 1-Panthéon Sorbonne.

Bajou Valérie, 2018, Louis-Philippe et Versailles, cat. exp. (Versailles, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon, 6 oct. 2018-3 fév. 2019), Versailles/Paris, château de Versailles/Somogy éditions d’art.

Bertinet Arnaud, 2015, Les Musées de Napoléon III : une institution pour les arts (1849-1872), Paris, Mare & Martin.

Chaudonneret Marie-Claude, 1999, L’État et les artistes de la Restauration à la monarchie de Juillet (1815-1833), Paris, Flammarion.

Francastel Pierre, 1930, La Création du musée historique de Versailles et la transformation du palais (1832-1848) d’après des documents inédits, Versailles, Librairie Léon Bernard.

Gaehtgens Thomas W., 1984, Versailles, de la résidence royale au musée historique, Paris, Albin Michel.

Gaehtgens Thomas W., 1997, « Le musée historique de Versailles » dans Nora P. (dir.), Les Lieux de mémoire, Paris, Gallimard, 2 vol.

Landgraf Éric, 2021, Louis-Philippe, roi bâtisseur : le rêve d’une nation unifiée. Le chantier du château de Versailles de 1830 à 1848, thèse de doctorat sous la dir. de Jean-Claude Yon, université Paris-Saclay.

Marrinan Michael, 1988, Painting Politics for Louis-Philippe : Art and Ideology in Orleanist France, 1830-1848, Londres/New Haven, Yale University Press.

Renard Margot, 2018, Les Images du récit national : illustrer l’Histoire de France entre 1814 et 1848, thèse de doctorat sous la dir. d’Alain Bonnet, université Grenoble Alpes.

Saule Béatrix (dir.), 2004, L’Histoire au musée, actes du colloque (château de Versailles, 10-12 décembre 1998), Arles/Versailles, Actes Sud/château de Versailles.

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Notes

1 Il s’agit d’un carton de tapisserie qui devait être tissé par les Gobelins.

2 Francastel 1930.

3 Gaehtgens 1984.

4 Gaehtgens 1997, t. II, p. 1781.

5 Marrinan 1988.

6 Saule 2004.

7 Bajou 2018.

8 Antichan 2014.

9 Renard 2018.

10 Landgraf 2021.

11 Chaudonneret 1999.

12 Bertinet 2015.

13 Voir le détail du programme sur : https://chateauversailles-recherche.fr/francais/recherche/programmes-de-recherche/programmes-de-recherche-en-cours/la-representation-de-l-histoire-au-sein-des-collections-du-musee-de-versailles.html.

14 À terme, le programme aboutira à la mise en ligne d’une base de données des œuvres qui constituaient les Galeries historiques sous la monarchie de Juillet. Son rôle sera de favoriser les recherches sur les caractéristiques iconographiques des œuvres exposées, mais également de rendre compte de la localisation et, le cas échéant, des déplacements des œuvres dans les espaces du musée. Voir le détail : https://chateauversailles-recherche.fr/francais/ressources-documentaires/bases-de-donnees-en-cours-d-elaboration/base-representation-de-l-histoire.

15 Voir le programme complet de la journée : https://chateauversailles-recherche.fr/francais/colloques-et-journees-d-etudes/archives-1996-2020/colloques-et-journees-d-etudes-2019/les-galeries-historiques-de-versailles-au-xixe-siecle-origine-organisation.html.

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Table des illustrations

Titre Auguste Couder, Allégorie de la création du musée de Versailles, 10 juin 1837, 1842-1844, huile sur toile, 242 × 352 cm. Versailles, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon, MV 6282.
Crédits © Château de Versailles, Dist. RMN / Christophe Fouin
URL http://journals.openedition.org/crcv/docannexe/image/22153/img-1.png
Fichier image/png, 726k
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Pour citer cet article

Référence électronique

Bastien Coulon, « Introduction »Bulletin du Centre de recherche du château de Versailles [En ligne], 19 | 2021, mis en ligne le 19 octobre 2021, consulté le 10 juillet 2025. URL : http://journals.openedition.org/crcv/22153 ; DOI : https://doi.org/10.4000/crcv.22153

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Auteur

Bastien Coulon

Doctorant, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, École doctorale 441 Histoire de l’art ; chargé de recherche au Centre de recherche du château de Versailles
PhD, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, École doctorale 441 Histoire de l’art; research assistant at the Centre de Recherche du Château de Versailles
bastien.coulon[at]chateauversailles.fr

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