- 1 On doit à Marianne Roland Michel l’une des rares études sur la peinture de chevalet de Servandoni : (...)
- 2 Mercure de France, juin 1731, p. 1342.
- 3 Diderot 1984, p. 124.
1Jean-Nicolas Servandoni (1695-1766) occupe une place paradoxale dans l’histoire de l’art. Si l’architecte et le décorateur d’opéra sont bien connus, le peintre de chevalet l’est beaucoup moins. Peu d’études ont été consacrées à ses tableaux de cabinet, et dans les notices biographiques – anciennes comme modernes –, cette activité apparaît marginalisée au profit de réalisations plus spectaculaires telles que la façade de l’église Saint-Sulpice à Paris ou les décors pour l’Opéra1. Discrète en apparence, l’exécution de tableaux a pourtant occupé l’artiste tout au long de sa carrière, lui a valu une reconnaissance publique et critique, suscitant de vifs éloges, et lui a permis d’intégrer la prestigieuse Académie royale de peinture et de sculpture. La peinture est donc tout sauf une activité secondaire pour Servandoni. Chez lui d’ailleurs, les trois domaines d’activité sont étroitement imbriqués. Lors de sa réception à l’Académie en 1731, le Mercure de France souligne qu’« il s’est fait une grande réputation par plusieurs ouvrages généralement estimés, entre autres par ses belles décorations d’opéra […]. Il a été reçu sur un très beau tableau en hauteur, représentant un temple et des ruines, travaille actuellement à un plan, profil et élévation d’une église […] pour être reçu à l’Académie royale d’architecture2 ». À l’extrême fin de sa carrière, l’exposition de plusieurs tableaux au Salon de 1765 lui vaut, sous la plume de Diderot, les qualificatifs de : « grand machiniste, grand architecte, bon peintre, sublime décorateur3 ». L’historiographie n’a pourtant eu de cesse de séparer ces différents registres et surtout de délaisser l’un d’entre eux, faisant de la peinture une occupation marginale et sans enjeu pour l’artiste.
2Cette communication souhaiterait donc revenir sur les tableaux de chevalet peints par Servandoni afin d’en montrer l’importance, à la fois dans la carrière de l’artiste et dans l’évolution du goût au xviiie siècle.
- 4 Mariette 1853-1862, t. V, p. 207.
3Formé à Rome par Giovanni Paolo Panini si l’on en croit Mariette4, Servandoni s’est spécialisé dans la représentation d’architectures et de monuments en ruines. Le 26 mai 1731, Servandoni, qui vit à Paris depuis 1724, est agréé et reçu le même jour à l’Académie royale de peinture et de sculpture avec une œuvre intitulée Ruines de monuments antiques (fig. 1).
Fig. 1. Jean-Nicolas Servandoni, Ruines de monuments antiques, 1731, huile sur toile, 2,62 × 1,95 m. Paris, musée du Louvre ; en dépôt à l’École nationale supérieure des beaux-arts à Paris, INV 667.
Permalien : https://collections.louvre.fr/ark:/53355/cl010053167
© 2011 RMN-Grand Palais (musée du Louvre)
- 5 Procès-verbaux… 1875-1892, t. V, p. 87.
- 6 Diderot 1984, p. 124.
4Cet imposant tableau – il mesure 2,60 m de hauteur sur 1,95 m de largeur – résume les caractéristiques de son art. À l’intérieur d’un bâtiment en partie détruit, envahi par la végétation, des personnages s’agitent au milieu des débris d’architecture et de sculpture ; au loin, on aperçoit un obélisque et un temple, eux aussi partiellement en ruines. Le sujet témoigne de l’influence de Panini, qui a développé ce type de composition à Rome dès la fin des années 1710. Selon le procès-verbal, Servandoni est admis avec ces Ruines au sein de l’Académie en tant que « peintre dans le talent de l’architecture et de la perspective5 ». Il combine en effet la représentation de l’architecture et de belles perspectives, qui structurent la composition, l’une en direction du ciel, l’autre vers l’arrière-plan. La précision détailliste n’est qu’apparente : de près, le spectateur peut observer que la touche est large, rapide et visible. Cette technique est moins celle d’un peintre de chevalet que celle d’un décorateur, dont on attend qu’il couvre de sa brosse de larges surfaces. La composition du tableau relève d’ailleurs de l’art de la scène, avec un premier plan encadré d’une architecture colossale et un second plan dégagé. L’effet scénique est renforcé par la perspective en diagonale, qui conduit le regard vers le fond à droite. Ces deux dispositions, Servandoni les reprendra souvent dans ses décors d’opéra, en particulier la perspective oblique, qui évite la monotonie de la scénographie de tradition italienne, centrée sur un point au milieu du décor. Les moyens picturaux entrent donc au service d’un effet scénique puissant, les ruines évoquant un décor de théâtre plus qu’une reconstitution archéologique. Cela n’exclut pas un certain sens de la monumentalité et l’on perçoit dans cette œuvre un souffle puissant. Diderot dira toute son admiration à propos des ruines de Servandoni dans son Salon de 1765 : « on sent grands des objets qu’il a peints petits6 ».
5Les nombreuses similitudes d’une œuvre conservée au musée des Beaux-Arts de Lyon, Ruines antiques (fig. 2), avec le morceau de réception ont permis de l’attribuer à Servandoni7. Le sujet est effectivement le même, la composition similaire, quoique inversée, et la technique identique. La date d’exécution en est sans doute plus tardive.
Fig. 2. Jean-Nicolas Servandoni, Ruines antiques, vers 1724, huile sur toile, 130,5 × 96 cm. Lyon, musée des Beaux-Arts, H 727.
Notice : https://collections.mba-lyon.fr/fr/notice/h-727-ruines-antiques-4fc1d6a1-49cd-4384-a1c5-c3952943b8fa
© Lyon MBA – Photo Alain Basset
- 8 Explication des peintures… 1739, p. 9.
6À partir de sa réception, Servandoni expose régulièrement au Salon : il présente des tableaux de 1737 à 1743, puis aux Salons de 1750, 1753 et 1765. Les livrets décrivent des « sujets d’architecture », des « ruines et antiquités », ou encore des « paysages avec ruines » ; les monuments représentés ne sont pas identifiables, hormis en 1739, où l’auteur du livret reconnaît sur un dessus-de-porte une « partie du Colisée de Rome, éclairé d’un soleil couchant8 ». Au total, Servandoni expose une quarantaine de tableaux en trente ans et sa production couvre l’ensemble de sa carrière, puisqu’il présente encore une œuvre au Salon de 1765, à la veille de sa mort. La peinture de chevalet ne peut donc être considérée comme une activité marginale.
- 9 À la quarantaine d’œuvres exposées lors des Salons successifs s’ajoute une dizaine de tableaux cité (...)
7Le malentendu, qui s’est installé au xixe siècle, vient du fait que, sur les quelque cinquante tableaux mentionnés par les documents anciens9, moins d’une dizaine est aujourd’hui identifiée, ce qui signifie au passage que beaucoup d’œuvres de l’artiste se cachent sous d’autres noms, à moins qu’ils n’aient définitivement disparu. Cette faible visibilité explique en partie la méconnaissance – voire l’ignorance – de l’activité de Servandoni comme peintre de chevalet.
8Les rares tableaux conservés révèlent pourtant un authentique talent. Ruines antiques avec une pyramide (fig. 3) rassemble une pyramide funéraire et d’autres vestiges antiques, tous démolis. Même l’arbre à gauche, dont le tronc est cassé, semble en ruine, lui aussi affecté par le temps qui passe et qui conduit inexorablement à la disparition de toutes choses. Si le groupement des architectures est purement imaginaire, il semble que le peintre ait souhaité les ancrer dans une réalité géographique et historique, puisqu’il a ajouté sur l’un des flancs de la pyramide l’inscription SPQR, qui fait référence à la République romaine. Les costumes portés par les personnages évoquent d’ailleurs tous l’Antiquité, contrairement au morceau de réception, où les vêtements à l’antique voisinaient avec des tenues contemporaines. L’œuvre se ressent d’une double influence, celle de Piranèse (le frontispice de la Prima parte di architetture e prospettive par exemple, ou certaines planches des Vestiggi d’antichi edifici) et celle des Vénitiens, en particulier Marco Ricci, comme Fantaisie de ruines romaines10. Quant à l’arbre, il rappelle ceux de Salvator Rosa.
Fig. 3. Jean-Nicolas Servandoni, Ruines antiques avec une pyramide, huile sur toile, 80 × 99 cm. Paris, musée du Louvre ; en dépôt au musée Bonnat-Helleu, Bayonne, RF 1996 44.
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© 1994 RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Daniel Arnaudet
9Caprice romain avec le Colisée et la pyramide de Cestius (fig. 4) est l’un des très rares tableaux qui relève du caprice architectural pur, un genre mis à la mode à Rome par Panini et qui consiste à rassembler de manière arbitraire en un seul lieu des monuments qui existent, mais qui sont éloignés dans la réalité. La grande arche décentrée à gauche et le point de fuite latéral à droite permettent une construction de l’espace savante et complexe, comme démultipliée. Une telle vision n’est possible que sur une scène de théâtre. Une fois de plus, le travail de scénographe et de décorateur interfère avec la peinture. Les perspectives architecturales se souviennent de celles des frères Bibiena, scénographes baroques, qui dominent alors l’Europe.
Fig. 4. Jean-Nicolas Servandoni, Caprice romain avec le Colisée et la pyramide de Cestius, 1731, huile sur toile, 52,5 × 66 cm. Valence, musée d’Art et d’Archéologie, inv. 2009.4.1.
Notice : https://www.museedevalence.fr/fr/18e-siecle/caprice-romain-avec-le-colisee-et-la-pyramide-de-cestius
© Musée de Valence, photographie Béatrice Roussel
- 11 Sur le goût des ruines au xviiie siècle, voir les travaux d’Alain Schnapp et en particulier Schnapp(...)
- 12 Diderot 1995, p. 335.
- 13 Procès-verbaux… 1875-1892, t. IV, p. 429.
- 14 Ibid., t. VII, p. 334.
10Tous les tableaux peints par Servandoni s’inscrivent dans le courant de la peinture de ruines, qui connaît au xviiie siècle un essor sans précédent11. À la suite de Panini, Piranèse et Marco Ricci, la France cède au charme esthétique et philosophique de la ruine et, bientôt, Diderot définit la « poétique des ruines12 ». Avec ses représentations de monuments anciens démolis, supports d’une méditation mélancolique sur l’écoulement du temps et la disparition inéluctable des civilisations, Servandoni participe pleinement de ce courant. Ses petites figures, qui paraissent dérisoires par rapport aux ruines gigantesques, vêtues tantôt à l’antique, tantôt en costumes du xviiie siècle, introduisent une ambiguïté temporelle lourde de sens : les ruines décrites sont autant celles du passé que celles de la civilisation contemporaine. Par tous ces aspects, Servandoni apparaît comme un précurseur en France, ouvrant la voie à Pierre-Antoine Demachy (reçu à l’Académie en 1755 comme « peintre d’architecture13 »), son élève, Hubert Robert (admis en 1766 en tant que « peintre d’architecture », lui aussi agréé et reçu le même jour14), Charles-Louis Clérisseau et Jean-Baptiste Lallemand.
11C’est avec les œuvres de Demachy que les tableaux de Servandoni présentent le plus d’affinités. L’élève reprend à son compte l’idée du point de fuite latéral et la multiplication des visions diagonales, qui créent un espace complexe et démultiplié, comme l’illustre le Temple en ruine (fig. 5), probable morceau de réception de l’artiste à l’Académie en 1755. Les personnages minuscules soulignent la grandeur monumentale de l’architecture, un bâtiment imaginaire qui ouvre sur un lointain vaporeux. Le rapprochement s’impose avec le morceau de réception de Servandoni, peint un quart de siècle plus tôt : certes, le temple de Demachy est moins ruiné et plus orné (avec le choix d’un ordre corinthien, plus décoratif que l’ordre ionique retenu par Servandoni, et un abondant décor sculpté en bas-relief, ainsi que de nombreuses statues dans des niches), mais on retrouve le savant jeu d’ombre et de lumière, la majesté de l’architecture et surtout cette parfaite maîtrise de la perspective et de l’espace.
Fig. 5. Pierre-Antoine Demachy, Temple en ruine, vers 1755, huile sur toile, 1,61 × 1,29 m. Paris, musée du Louvre, INV 6409.
Permalien : https://collections.louvre.fr/en/ark:/53355/cl010060967
© 2010 RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Martine Beck-Coppola
- 15 Roussel-Leriche et Pętkowska Le Roux, 2014, cat. 7.
12Autre illustration de la proximité de l’élève avec son maître : les Ruines animées de Demachy (collection particulière)15 sont à rapprocher du Caprice romain avec le Colisée et la pyramide de Cestius de Servandoni. Les deux compositions associent un temple au premier plan, ouvert sur le ciel, dont l’arche encadre majestueusement le Colisée, identifiable à l’arrière-plan et qui se détache devant un ciel lumineux parcouru de nuages aux formes pittoresques. Plusieurs petits personnages animent les ruines, assis au milieu des chapiteaux, fûts de colonnes et sarcophages renversés à terre, conférant une note pittoresque aux architectures nobles et solennelles. Dans les deux cas enfin, les peintres jouent sur les effets de lumière, créant de puissants contrastes de clair-obscur qui dramatisent la composition.
13La gravure de Basan, d’après Demachy, VIe Ruine (fig. 6), témoigne encore de la proximité entre les deux artistes, l’élève adoptant de nouveau une mise en page démarquée des compositions de Servandoni, notamment celle de Valence (fig. 4). Le Septizodium, monument à étages construit sur le Palatin à Rome sous l’empereur Septime Sévère, qui figurait sur le tableau de Servandoni de Lyon (fig. 2), réapparaît dans la composition de Demachy, vu quasiment sous le même angle, preuve de la circulation des modèles plus que d’une observation archéologique.
Fig. 6. Pierre-François Basan, d’après Pierre-Antoine Demachy, VIe Ruine, estampe, 27,2 × 36,3 cm, tirée de Planches pour compositions de ruines d’anciens palais et monumens, Paris/Amsterdam, Basan/P. Fouquet, s. d.
Notice : https://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb44530905q
Domaine public
14Une fois seulement les deux artistes exposent côte à côte, au Salon de 1765. C’est l’une des premières participations de Demachy au Salon et la dernière de Servandoni. Parmi les dix œuvres de Demachy figure un seul tableau représentant des ruines (Ruines d’architecture selon le livret, no 89). Servandoni, quant à lui, expose quatre toiles – dont deux dessus-de-porte – qui toutes figurent des ruines. Diderot, qui commente le Salon cette année-là, ne manque pas de comparer les deux artistes, au profit du maître et dans des termes sévères pour l’élève :
Demachy vu tout seul peut obtenir un signe d’approbation ; placé devant Servandoni, on crache dessus. En voyant l’un agrandir de petites choses, on sent que l’autre en rapetisse de grandes. Le coloris ferme et vigoureux du premier fait sortir le papier mâché, le gris, le blafard du second ; quelque obtus qu’on soit, il faut être frappé de la fadeur, de l’insipidité de celui-ci, mise en contraste avec la verve et la chaleur de celui-là16.
À propos du tableau exposé par Demachy (le no 89), Diderot écrit : « Je ne sais ce que c’est que ses ruines, ni vous, ni moi, ni personne17. »
15Si Diderot ne cesse de louer le talent de Servandoni, Mariette se montre plus sévère :
- 18 Mariette 1853-1862, t. V, p. 208.
Ce qu’il a peint n’est pas considérable, et, s’il s’en fut tenu là, on n’aurait jamais parlé de lui. Il a voulu, à l’imitation de son maître [Panini], peindre des paysages et des ruines, mais n’ayant ni sa touche, ni sa couleur, et ne pouvant de lui-même peindre le moindre bout de figure, il est demeuré fort en arrière et n’est même pas sorti du médiocre18.
- 19 Dezallier d’Argenville 1787, p. 466.
16Dezallier d’Argenville, quant à lui, reproche au peintre une couleur blafarde19. Les jugements de Mariette et Dezallier restent cependant isolés et la plupart des critiques du Salon admirent le beau désordre de ses ruines, sa science de la perspective et son coloris.
- 20 Catalogue… 1769, lots nos 3 et 4 ; Catalogue… 1776, p. 216, no 1070.
- 21 Au sujet de la collection formée par Trouard, voir Michel 2010, p. 94.
- 22 Le Nécrologe des hommes célèbres de France, Paris, 1767, p. 100.
17On retrouve d’ailleurs ses tableaux chez les plus grands collectionneurs parisiens : le cardinal d’Auvergne, qui lui commande neuf dessus-de-porte exposés au Salon de 1743, le comte de Choiseul, La Live de Jully, qui détient un tableau de lui, et Blondel de Gagny, qui possède dans son hôtel particulier place Louis-le-Grand (actuelle place Vendôme) l’une de ses œuvres, ornant le dessus-de-porte d’une chambre à coucher, et dans sa résidence de campagne de Garges un « autre tableau d’architecture »20. Servandoni suscite également l’intérêt d’artistes collectionneurs, comme le peintre Lemoyne, qui s’intéresse très tôt à lui, dès les années 1730, et l’architecte Louis-François Trouard21. Ce succès auprès des amateurs est souligné par l’auteur du Nécrologe à sa mort : « On trouve de lui chez les curieux, soit à Paris, soit à Londres, une grande quantité de tableaux de chevalet, représentant des sujets d’architecture22. »
- 23 Catalogue historique… 1764, p. 9 et 18.
- 24 Catalogue… 1778, lot no 27, p. 10.
- 25 Michel 2010, p. 311.
18Détail curieux, dans le cabinet de La Live de Jully, plusieurs ruines de Servandoni sont décrites comme enrichies de figures de la main de Lemoyne ou de Boucher23. Inversement, un trophée de chasse de Desportes est dit complété, dans le fond, d’« une ruine et des débris d’architecture, peints par le chevalier Jean Servandoni24 ». Ce type de mention d’œuvres exécutées à deux mains est en réalité fréquent depuis le xviie siècle, avec les tableaux du Lorrain, dont les architectures auraient été enrichies de figures peintes par Van Laer ou Poussin. Blondel de Gagny possède ainsi deux tableaux d’architecture des célèbres perspectivistes italiens, les Bibiena, avec des personnages de Jean Miel, et Diderot décrit fréquemment de telles associations, notamment entre Demachy et Loutherbourg, qu’il est bien difficile aujourd’hui de confirmer25.
- 26 Catalogue… 1776, p. 10.
19Chez les particuliers, il est à noter que les œuvres de Servandoni sont souvent associées à celles de Demachy ou à d’autres peintres de ruines. Chez Blondel de Gagny, la toile voisinait avec deux tableaux de Panini26 et trois œuvres de Demachy. Blondel de Gagny manifeste donc non seulement un intérêt pour la peinture de chevalet de Servandoni, mais il montre de surcroît que, dès cette époque, ses toiles sont associées à celles de son maître et de son élève. Au-delà du rapprochement singulier et fort heureux de Servandoni, Panini et Demachy, les collectionneurs rassemblent des œuvres de Servandoni avec celles d’Hubert Robert et Lallemand. Dans le même temps, Diderot compare Servandoni à Demachy, Demachy à Hubert Robert, Hubert Robert à Vernet. Les ruines de Servandoni sont donc rapprochées, comparées et jugées à l’aune des autres réalisations, à la fois par les collectionneurs dans leur pratique et par les critiques d’art dans leurs écrits. Tous ces artistes, marqués par leur séjour romain, partagent une sensibilité commune, qui s’exprime au travers du rendu de la pierre et de la lumière, de la présence obsédante de la ruine et de celle, rassurante, des personnages.
20Des convergences au niveau de la vision et du goût s’établissent par conséquent d’elles-mêmes dès le milieu du siècle, preuve de l’importance des peintures de ruines de Servandoni aux yeux de ses contemporains. Pour autant, cette activité n’est jamais dissociée de celle d’architecte et de celle de décorateur. C’est ainsi que ses contemporains le perçoivent : ils l’apprécient dans ce mélange des genres, qui fait la singularité de Servandoni au sein des peintres d’architecture du xviiie siècle.