- 1 La Gorce 2015.
- 2 Paris, Archives nationales (désormais AN), H2 2018, 10 juin 1732, « Marché fait avec le Sieur Serva (...)
1Jean-Nicolas Servandoni œuvra pour plusieurs célébrations publiques organisées à Paris dans les années 1730 : il imagina en 1730 une évocation des Pyrénées sur l’eau pour la naissance du Dauphin (fig. 1) avant de projeter un décor pour la naissance d’un prince en 1732 (fig. 2), inachevé et remanié pour célébrer le 1er juin 1739 la fin de la guerre de Succession de Pologne1 (fig. 3). Il imagina un décor pour la Saint-Jean-Baptiste en 17322 et édifia en août 1739 un temple de l’Hymen sur le pont Neuf (fig. 4) et un salon de musique sur l’eau (fig. 5) pour le mariage de Madame Première, fille aînée de Louis XV.
Fig. 1. Jacques Dumont, Plan et vue du feu d’artifice tiré à Paris sur la riviere le 21 janvier 1730 entre le Louvre et l’hôtel de Bouillon au sujet de la naissance de Monseigneur le Dauphin, [1730-1731], estampe. Paris, Bibliothèque nationale de France, département des Estampes, collection Hennin, Estampes relatives à l'Histoire de France, t. 93, pièces 8093-8170, période : 1730-1731. RESERVE QB-201 (93)-FOL.
Permalien : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8408722j
Source : gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France
Fig. 2. Jean-Nicolas Servandoni, Dessin d’un feu d’artifice pour la naissance du Dauphin en 1732, 1732, encre et aquarelle sur papier, 97,4 × 67,2 cm. Paris, Archives nationales, département des Cartes et Plans, H2 2018.
© Marie Peyre
Fig. 3. Décoration de la façade du feu d’artifice du côté de l’hôtel de ville […] en réjouissance de la paix faite entre l’Empire, l’Espagne et la France, et publiée le 1.er juin 1739, estampe. Paris, Bibliothèque nationale de France, département des Estampes, collection Hennin, Estampes relatives à l’histoire de France, t. 95, pièces 8250-8344, période : 1737-1739. RESERVE FOL-QB-201 (95).
Permalien : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b84088981
Source : gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France
Fig. 4. Jean-Nicolas Servandoni, Décoration extérieure de l’édifice du côté de la rivière, élevé au mois d’aoust 1739 sur la terrasse où est placée la statue équestre de Henry IV au Pont neuf, estampe, 60 × 44,7 cm. Paris, Bibliothèque nationale de France, département des Estampes, collection Hennin, Estampes relatives à l’Histoire de France, t. 170. RESERVE QB-201 (170)-FT 4 [Hennin, 8321].
Permalien : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b69449254
Source : gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France
Fig. 5. Jean-Nicolas Servandoni, Décoration du salon composé de transparents qui a été élevé sur deux batteaux placés sur la Seine le 29 aoust 1739…, estampe. Paris, Bibliothèque nationale de France, département des Estampes, collection Hennin, Estampes relatives à l’histoire de France, t. 95, pièces 8250-8344, période : 1737-1739. RESERVE QB-201 (95)-FOL.
Permalien : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8408909c
Source : gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France
2La réalisation du décor conçu en 1732 pour célébrer sur la place de Grève la naissance éventuelle du Dauphin fut interrompue suite à la naissance de Marie-Adélaïde de France. Servandoni fut alors rémunéré à hauteur de l’avancée de ses travaux et les toiles furent conservées et réemployées en 17393. L’architecture imaginée pour célébrer la Saint-Jean-Baptiste en 1732 est quant à elle documentée par un contrat qui ne comporte pas d’illustration. Ces trois architectures feintes lui furent commandées par la municipalité parisienne, ou « Bureau de la ville », institution auprès de laquelle l’artiste s’engagea dans un processus réglementé tant du point de vue contractuel que du point de vue des usages et convenances en matière de décors de fêtes. En effet, le Bureau de la ville commandait régulièrement des décors éphémères pour les célébrations publiques mais confiait généralement leur réalisation à ses peintres dits « ordinaires », fonction occupée par des membres de l’Académie de Saint-Luc. Les documents d’archives conservés dans la série K des Archives nationales révèlent que les architectures feintes ou « théâtres d’artifices » érigés place de Grève furent pour la plupart réalisées par quatre peintres membres de la famille Dumesnil répartis sur trois générations, des années 1680 au début des années 1770.
3Si leur activité est bien documentée par des contrats, estampes ou descriptions, les sources des années 1730 révèlent des lacunes concernant l’activité des Dumesnil. Nous pouvons nous interroger sur les raisons qui ont conduit le Bureau de la ville à solliciter Servandoni en 1732 et 1739 et sur ses conditions de travail. Eut-il alors toute liberté ou dut-il se conformer aux recommandations des théoriciens comme aux usages de la municipalité parisienne ? Sa rémunération ou sa marge de manœuvre se sont-elles vues augmentées au regard de son statut récent de membre de l’Académie royale, ou correspondent-elles à celles accordées généralement aux peintres ordinaires du Bureau de la ville ? Comparer les contrats des décors conçus par Servandoni et par les Dumesnil nous éclaire tant sur le caractère exceptionnel du projet conçu par Servandoni en 1732 pour la naissance d’un prince que sur les contraintes auxquelles il dut se conformer ou sur son rejet apparent des prescriptions alors en vigueur concernant l’architecture éphémère.
4Après une brève présentation du contexte du cérémonial public parisien, les particularités contractuelles des projets de Servandoni seront mises en avant par une comparaison avec, d’une part, une convention passée entre le Bureau de la ville et Louis-Michel Dumesnil en 1730, et d’autre part avec deux contrats passés en 1734 et 1742 pour les feux de la Saint-Jean-Baptiste. Le choix d’un programme peu conventionnel opéré par Servandoni pour un décor célébrant la naissance d’un prince destiné à la place de Grève sera souligné par sa comparaison avec la description d’un décor de Louis-Michel Dumesnil réalisé en 1730 pour la naissance du duc d’Anjou, mais également avec les décors imaginés par Louis-Pierre Dumesnil pour les naissances princières des années 1750. Toutes ces architectures seront abordées à la lumière des prescriptions d’Amédée-François Frézier relatives à l’art éphémère. Comparer les styles des architectures proposées dans les années 1730 et 1740 par Servandoni et les Dumesnil pour la place de Grève permettra enfin d’éclairer les particularités stylistiques de chacun dans le domaine bien à part du décor de fête.
- 4 Dans sa thèse portant sur les fêtes parisiennes sous Louis XV, Marguerite Ledoux-Prouzeau indique q (...)
5Au moment où Servandoni réalisa ses architectures éphémères pour la ville de Paris, il était d’usage depuis plus d’un siècle d’accompagner de feux d’artifices les fêtes publiques données généralement place de Grève, devant l’Hôtel de Ville. S’ils n’étaient pas annuels comme la célébration de la veille de la Saint-Jean-Baptiste, les événements donnant lieu à des feux d’artifice étaient généralement liés à l’actualité militaire (prises de villes et traités de paix) et dynastique (naissances et mariages princiers)4.
6Des architectures éphémères, appelées « théâtres d’artifices », étaient commandées pour chaque occasion. Les artifices étaient disposés sur ces architectures feintes plutôt qu’en hauteur des architectures pérennes, limitant les risques d’incendie. Ainsi, ces architectures de toiles peintes tendues sur un châssis de bois avaient une fonction tant utilitaire que symbolique : leur structure, leur ornementation ou les figures allégoriques qu’elles abritaient faisaient de ces édifices les vecteurs principaux du message que les organisateurs souhaitaient attacher à l’événement célébré. Un tableau de Nicolas Raguenet conservé au musée Carnavalet (fig. 6) accompagné du dessin (ou dessein, selon l’orthographe alors utilisée) annexé à son devis (fig. 7) donne un aperçu de ce à quoi pouvaient ressembler les théâtres d’architecture édifiés devant l’Hôtel de Ville. Le temple de la déesse Lucine qui est représenté sur ces deux documents avait été érigé par les frères Louis-Claude et Louis-Pierre Dumesnil en 1746 pour la célébration de la naissance attendue du fils aîné du Dauphin. Il fut malheureusement démonté sans avoir servi en raison du décès de la Dauphine des suites de son accouchement.
Fig. 6. Nicolas Raguenet, Fête donnée place de Grève à l’occasion de la naissance de la princesse Marie-Thérèse, fille du Dauphin, en juillet 1746, 1754, huile sur toile, 54 × 92 cm. Paris, musée Carnavalet, P1979.
https://www.parismuseescollections.paris.fr/fr/musee-carnavalet/oeuvres/fete-donnee-place-de-greve-a-l-occasion-de-la-naissance-de-la-princesse#infos-principales
CC0 1.0 Universal (CC0 1.0)
Fig. 7. Louis-Claude et Louis-Pierre Dumesnil, Accouchement de Madame la Dauphine, encre et aquarelle sur papier, 48 × 67,5 cm. Paris, Archives nationales, H2 20682. Dessin annexé au marché.
© Marie Peyre
7Sous le règne de Louis XV, le Bureau de la ville de Paris fit appel à près d’une quinzaine d’artistes pour concevoir les décors édifiés sur la place de Grève. Ils étaient parfois peintres et scénographes comme Louis-Pierre Dumesnil, Charles-André Tramblin ou Jean-Nicolas Servandoni. Toutefois, ce dernier était membre de l’Académie royale : son statut d’académicien en 1732 est exceptionnel au regard de l’usage, pour le Bureau de la ville, de commander des théâtres d’artifices à des peintres généralement issus de l’Académie parisienne de Saint-Luc et lui étant attachés sous le statut de « peintres ordinaires de l’Hôtel de Ville ».
- 5 Quittance datée d’août 1691 : Nouvelles archives de l’art français, revue publiée par la Société d’ (...)
- 6 Paris, AN, K 1005, no 44, « 7 aoust 1730 Convention faite avec le Sr Dumesnil peintre ordinaire de (...)
- 7 Ibid.
- 8 La Gorce 2007.
- 9 Paris, bibliothèque de l’Institut national d’histoire de l’art (désormais INHA), 8o Rés 933 : « Des (...)
- 10 Voir à titre d’exemples deux tableaux conservés au musée Carnavalet et les livrets des salons de l’ (...)
- 11 Paris, Bibliothèque nationale de France, département des Estampes et de la Photographie (désormais (...)
- 12 Ibid., no 8464, Retour glorieux du Roy.
- 13 Prise des forts de Port-Mahon en 1756, ibid., collection Hennin, t. CLXXI, no 8795, Victoire sur le (...)
8Les contrats conservés dans la série K-Monuments historiques des Archives nationales révèlent que, depuis les années 1680 et jusqu’au début des années 1770, les peintres membres de la dynastie Dumesnil œuvrèrent pour la majorité des théâtres d’artifices érigés place de Grève, que ce soit pour réaliser des desseins qu’ils avaient imaginés ou pour édifier des architectures conçues par d’autres. Louis Dumesnil aurait imaginé en 1691 le théâtre du feu d’artifice célébrant la prise de Mons5 et travailla pour le feu annuel de la veille de la Saint-Jean-Baptiste entre 1679 et 16846. En 1730, son fils Louis-Michel Dumesnil (v. 1663-1739) œuvrait depuis quarante-six ans pour la Saint-Jean-Baptiste7, il avait conçu une architecture sur la Seine en 1704 pour la naissance du duc de Bretagne8 et un feu pour celle du duc d’Anjou en 17309. Fils de Louis-Michel Dumesnil, Louis-Claude et Louis-Pierre Dumesnil collaborèrent pour au moins dix-huit architectures éphémères dans les années 1740. Aucun contrat ne témoigne de l’activité de Louis-Claude Dumesnil pour des décors de fête après 1747, très probablement en raison de son activité de professeur puis d’adjoint au recteur de l’Académie de Saint-Luc. En ce qui concerne son frère Louis-Pierre Dumesnil, de nombreux documents attestent de sa participation à près d’une trentaine de décors de fêtes entre 1747 et 1771 : pour la fête annuelle de la Saint-Jean-Baptiste, les naissances princières, les victoires de la guerre de Succession d’Autriche et de la guerre de Sept Ans. Par ailleurs, Louis-Pierre Dumesnil est l’auteur de multiples scènes de genre10 et fut décorateur de spectacles. Il réalisa également des architectures éphémères conçues par d’autres artistes dont Jean-Baptiste-Augustin Beausire11, Gaetano Brunetti12 ou Jean Damun13. Les quatre peintres de la famille Dumesnil étaient membres, professeurs voire administrateurs de l’Académie parisienne de Saint-Luc.
- 14 Paris, INHA, 8o Rés 933, « Description du feu d’artifice qui doit être tiré devant l’Hôtel de Ville (...)
- 15 Paris, AN, K 1005, no117, 23 juin 1734, « Marché fait avec le Sieur Dumesnil peintre ordinaire de (...)
- 16 Paris, AN, H2 2018, 10 juin 1732, « Marché fait avec le Sieur Servandony pour la décoration du feu (...)
9Si une certaine continuité peut être observée dans l’activité des Dumesnil, en particulier pour les feux annuels de la Saint-Jean-Baptiste auxquels les quatre peintres travaillèrent sur une période de près de quatre-vingt ans, nous constatons que l’intervention de Servandoni en tant que décorateur auprès du Bureau de la ville au début des années 1730 se situe dans une période pour laquelle les documents concernant les Dumesnil manquent, sans qu’il ne nous soit possible d’en connaître les raisons. En effet, l’activité de Louis-Michel Dumesnil dans les années 1730 est documentée par seulement trois pièces : une convention passée le 7 août 1730, la description des fêtes données pour la naissance du duc d’Anjou en septembre de la même année14 et un contrat pour le feu de la Saint-Jean-Baptiste en 173415. En date du 10 juin 173216, un marché malheureusement non illustré indique que Servandoni réalisa le théâtre du feu donné à l’occasion de la Saint-Jean-Baptiste, fait particulièrement surprenant dans la mesure où il constitue le seul témoignage d’un feu réalisé pour cette fête annuelle par un peintre autre qu’un des membres de la famille Dumesnil.
10En effet, les architectures éphémères réalisées entre 1684 et 1730 pour la célébration de la Saint-Jean-Baptiste sont attribuables à Louis-Michel Dumesnil grâce à une convention datée du 7 août 1730. Le document indique qu’il était alors chargé de réaliser les décors pour le feu d’artifice tiré la veille de la Saint-Jean-Baptiste « depuis quarante-six années », c’est-à-dire depuis 1684. Il mentionne également des lettres de brevet datées du 12 août 1684 – non retrouvées à ce jour – l’ayant fait succéder à son père Louis Dumesnil (qui avait, quant à lui, obtenu un brevet le 16 juin 1679) :
- 17 Paris, AN, K 1005, no 44, « 7 aoust 1730 Convention faite avec le Sr Dumesnil peintre ordinaire de (...)
Lequel nous ayant représenté que depuis quarante six années qu’il nous a plu luy accorder nos lettres de brevet en datte du 12.08. 1684 et avant luy feu Louis Dumesnil son père par brevet du 16.06.1679, il a fait tout ce qui est de sa profession pour la décoration ordinaire du feu d’artiffice tiré tous les ans, la veille de la nativité de St Jean, et pourquoy luy a été payé depuis plusieurs années la somme de 250 ll par chacun an17…
11Aucun dessin de sa main n’est cependant conservé avant 1734 et aucune estampe n’en témoigne. Seules des descriptions imprimées ou manuscrites, diffusées ou conservées par le Bureau de la ville, nous permettent d’imaginer leur aspect avant les premiers desseins annexés aux marchés, à partir de 1734.
- 18 La Gorce 2015.
- 19 Paris, AN, Minutier central, XLII-397, 16 août 1742, « Convention et délégation entre les Sieur et (...)
12Ayant déjà œuvré à Paris pour le décor de 1730 (fig. 1) qui lui avait été commandé par le roi d’Espagne Philippe V18, Servandoni a-t-il été choisi en 1732 pour donner davantage d’ampleur à la naissance princière par le recours à un membre de l’Académie royale plutôt qu’à un peintre ordinaire de l’Hôtel de Ville ? A-t-il été sollicité en 1732 en raison d’un empêchement de Louis-Michel Dumesnil, alors habituellement en charge des décors conçus pour la place de Grève ? Il est également possible que le décès de Louis-Michel Dumesnil en 1739 ait conduit le Bureau de la ville à solliciter de Servandoni la réutilisation de son décor conçu en 1732. Les deux fils de Louis-Michel Dumesnil, Louis-Claude et Louis-Pierre Dumesnil, semblent avoir commencé à travailler pour le cérémonial public parisien seulement en 1741, deux ans après le décès de leur père et les derniers décors de Servandoni pour le Bureau de la ville. Une dernière hypothèse concerne une collaboration possible de Servandoni avec un ou plusieurs peintres de la famille Dumesnil, leur nom figurant dans la liste des créanciers de Servandoni en 1742 pour une somme de 450 livres19.
13Servandoni a-t-il dû répondre à des contraintes imposées par le Bureau de la ville ? Quelle a été sa marge de manœuvre concernant les aspects formels, iconographiques ou matériels ? Son contrat et sa rémunération correspondent-ils aux usages du Bureau de la ville ? Après une présentation succincte des modalités contractuelles engageant les artistes auprès de l’administration parisienne, nous comparerons le contrat du 10 juin 1732 avec la convention passée entre Louis-Michel Dumesnil et le Bureau de la ville en 1730 puis avec les devis réalisés pour les feux de la Saint-Jean-Baptiste en 1734 et en 1741 avant d’aborder le contrat engageant Servandoni pour la célébration de la naissance princière de 1732.
- 20 Voir Dérens 1995, p. 132-142.
14Pour les célébrations annuelles comme dynastiques et malgré les liens étroits entretenus par l’ancienne municipalité parisienne avec le pouvoir royal, le choix des artistes et l’aspect des architectures feintes étaient soumis à l’approbation des seuls membres du Bureau de la ville, en l’occurrence le prévôt des marchands et les quatre échevins, qui paraphaient chaque contrat et les desseins qui leur étaient annexés. La conception des théâtres d’artifices était systématiquement supervisée et coordonnée par le maître général, contrôleur et inspecteur des bâtiments de la ville. Cette fonction fut occupée de 1682 à 1738 par l’architecte Jean Beausire auquel succéda son fils Jean-Baptiste-Augustin Beausire20. Il arriva pour certaines fêtes que ces derniers conçoivent eux-mêmes un décor dont la réalisation était confiée à Louis-Pierre et Louis-Michel Dumesnil, par exemple pour célébrer en 1744 les prises de Menin et Ypres. Le maître des bâtiments sollicitait les artistes et ouvriers et s’assurait de la bonne exécution des travaux en conformité avec les dessins annexés aux devis et marchés. Étape nécessaire à la rétribution des artistes et ouvriers, une vérification des architectures feintes se faisait après leur installation, la veille de la célébration. Le compte-rendu était rédigé à la suite du devis et mentionnait la validation du paiement à verser par le receveur des domaines, dons et octrois. Le montant de la rétribution variait évidemment selon l’ampleur des décors, elle-même dépendante de la taille de l’architecture en fonction de l’importance donnée à l’événement célébré.
15Les contrats relatifs au cérémonial public parisien conservés dans la série K des Archives nationales suivent généralement la même structure : après une mention de la date, du sujet de la fête et une présentation des parties contractantes, ces marchés déterminaient la nature du travail à réaliser, la date de livraison, le prix, parfois les techniques utilisées, plus rarement une description de l’architecture. Les desseins étaient la plupart du temps annexés au devis et permettaient de vérifier la concordance de l’œuvre achevée au projet initial. Lorsqu’aucune estampe ni aucune description imprimée ne gardent trace des architectures éphémères, ils sont pour nous les seuls moyens de les imaginer.
- 21 Paris, AN, K 1005, no 117, 23 juin 1734, « Marché fait avec le Sieur Dumesnil peintre ordinaire de (...)
16La convention datée du 7 août 1730 avait été établie à la requête de Louis-Michel Dumesnil en vue de l’augmentation de sa rétribution pour les décors réalisés annuellement pour la Saint-Jean-Baptiste. La somme, précédemment fixée à 250 livres, ne couvrait alors plus les dépenses que devait engager le peintre pour la réalisation des architectures feintes suite à l’augmentation du coût des matériaux utilisés. La rétribution fut ainsi fixée à 300 livres, montant que nous retrouvons pour le décor réalisé par Servandoni en 1732 et par Louis-Michel Dumesnil pour la Saint-Jean-Baptiste en 173421.
17Si cette convention atteste que des architectures feintes étaient édifiées annuellement pour cette célébration, le marché passé entre Servandoni et le Bureau de la ville le 10 juin 1732 est à notre connaissance le premier des dix-huit contrats relatifs à la Saint-Jean-Baptiste qui nous sont parvenus. Les contrats ultérieurs présentent à leur tour la même structure.
18Les dimensions du dessein annexé au devis de ce décor impressionnent au premier abord. Alors que les feuilles jointes à la plupart des marchés signés par les Dumesnil mesurent rarement plus de 54 cm de haut pour 30 à 35 cm de large, Servandoni propose un dessin mesurant près d’un mètre de haut pour une largeur de 67 cm.
19Dans son article relatif au dessin de Servandoni pour la naissance princière de 173222, Jérôme de La Gorce a souligné le caractère exceptionnel du statut de ce décor qui, contrairement aux usages, n’était pas dans un premier temps destiné à rester à disposition du Bureau de la ville mais devait être conservé par son auteur :
- 23 Paris, AN, H2 2018, « Marché fait pour la décoration d’un feu d’artifices avec le Sieur Servandony, (...)
je m’oblige fournir le tout, comme toille, chassis, menuiserie, d’orures, peintures, a la réserve de la charpente moyénnant la somme de 3000 livres et en reprenant tout ce que j’auray fourni après la feste et si lonjuge apropos de garder le tout pour celle de 3500 livres23.
20Servandoni fut rétribué à hauteur de 3 500 livres pour le corps principal du théâtre d’artifices. En considérant cette somme au regard des dimensions de l’édifice, nous pouvons constater qu’il s’agit d’un montant dix fois supérieur à celui alloué pour le feu annuel de la Saint-Jean-Baptiste, alors même que les décors de ces fêtes respectives sont équivalents par leurs plans, leurs élévations et leurs dimensions.
21Bien qu’elle soit destinée à célébrer la naissance d’un prince, la structure du feu de 1732 correspond plutôt à celle des feux annuels donnés la veille de la Saint-Jean-Baptiste : son plan carré à quatre piliers et son élévation tripartite sont, dans le contexte particulier du cérémonial public parisien, caractéristiques des feux donnés les 23 juin de chaque année (fig. 8). Le théoricien Amédée-François Frézier les avait décrits en ces termes en 1706 :
- 24 Env. 3,85 m de côté pour 6,40 m de hauteur.
- 25 Frézier 1706, p. 405.
Comme la fête de la saint Jean-Baptiste est une réjouissance annuelle, les communautés des villes qui font des feux d’artifices, comme à Paris, y destinent une certaine forme toujours égale, et pour épargner la dépense du théâtre, y emploient toujours la même carcasse de charpente, qui se monte et démonte, l’on y fait de changement qu’à la peinture des décorations dont elle est couverte, et à la figure qui en termine le sommet. Cet échafaut de charpente est en façon de tour carrée de 12 pieds de large et de 20 pieds de haut24, en forme d’arc de triomphe, percé d’une arcade à chaque face, couronnée d’une corniche et d’une balustrade qui tourne tout autour, au milieu de laquelle s’élève un dez ou piedestal portant une statue de ronde bosse, autour duquel est une espèce de galerie commode pour passer et arranger les artifices25.
Fig. 8. Louis-Michel Dumesnil. Décor réalisé pour la célébration de la veille de la Saint-Jean-Baptiste le 23 juin 1734, 1734, encre et aquarelle sur papier, 54 × 34 cm. Paris, Archives nationales, K 1005, no 118. Dessin annexé au marché.
© Marie Peyre
- 26 La Gorce 2015, p. 67.
- 27 Paris, AN, K 1007, no 1, 5 mai 1744, « Marché pour la décoration du feu de la feste de la saint Jea (...)
22Le plan, l’élévation et la taille du décor laissent supposer que sa charpente, seul élément fourni par le Bureau de la ville, était précisément celle des feux donnés pour la Saint-Jean-Baptiste. Si ses dimensions de 29 pieds de haut sur 24 pieds de large26 ne coïncident pas avec celles que cite A.-F. Frézier en 1706, elles sont exactement celles du feu de la Saint-Jean-Baptiste de 174427 (fig. 9). Par ailleurs, Louis-Pierre et Louis-Claude Dumesnil ont pris soin de placer, en bas des dessins annexés à leurs marchés pour les décors de la Saint-Jean, une échelle en indiquant la largeur, correspondant précisément à 24 pieds. Enfin, que ce soit en 1734 ou jusqu’en 1745, ces feux présentaient de façon systématique une élévation tripartite constituée d’une arcade surmontée d’un édicule et d’une figure de couronnement (fig. 10, 11, 12, 13), tout comme celui imaginé par Servandoni.
Fig. 9. Louis-Claude et Louis-Pierre Dumesnil, Décor réalisé pour la célébration de la veille de la Saint-Jean-Baptiste le 23 juin 1744, 1744, encre et aquarelle sur papier, 52,5 × 35 cm. Paris, Archives nationales, K 1007, no 12. Dessin annexé au marché.
© Marie Peyre
Fig. 10. Louis-Claude et Louis-Pierre Dumesnil, Décor réalisé pour la célébration de la veille de la Saint-Jean-Baptiste le 23 juin 1741, 1741, encre et aquarelle sur papier, 53 × 34 cm. Paris, Archives nationales, K 1006, no 67. Dessin annexé au marché.
© Marie Peyre
Fig. 11. Louis-Claude et Louis-Pierre Dumesnil, Décor réalisé pour la célébration de la veille de la Saint-Jean-Baptiste le 23 juin 1742, 1742, encre et aquarelle sur papier, 51,5 × 34,4 cm. Paris, Archives nationales, K 1006, no 94. Dessin annexé au marché.
© Marie Peyre
Fig. 12. Louis-Claude et Louis-Pierre Dumesnil, Décor réalisé pour la célébration de la veille de la Saint-Jean-Baptiste le 23 juin 1743, 1743, encre et aquarelle sur papier, 44,3 × 30 cm. Paris, Archives nationales, K 1006, no 1012. Dessin annexé au marché.
© Marie Peyre
Fig. 13. Louis-Claude et Louis-Pierre Dumesnil, Décor réalisé pour la célébration de la veille de la Saint-Jean-Baptiste le 23 juin 1745, 1745, encre et aquarelle sur papier, 44 × 30 cm. Paris, Archives nationales, K 1008, no 272. Dessin annexé au marché.
© Marie Peyre
23Le décor imaginé par Servandoni pour la naissance du Dauphin en 1732 (fig. 2) révèle un choix surprenant au regard des habitudes établies en matière de spectacle : pour célébrer une naissance princière, le roi est ici représenté en pied vêtu en général romain, au centre d’un édifice d’ordre dorique à quatre piliers (de plan carré et présentant quatre faces identiques). Sous cet aspect, l’édifice contrevenait par sa structure, son ornementation et son sujet aux prescriptions alors en vigueur dans l’art éphémère.
24Le principal ouvrage nous permettant d’appréhender les codes et usages des spectacles pyrotechniques en France dans la première moitié du xviiie siècle est le Traité des feux d’artifice pour le spectacle de l’ingénieur militaire Amédée-François Frézier. Initialement publié en 1706 et réédité en 1715, il fut réimprimé en 1741 à La Haye sans l’autorisation de son auteur, qui décida de le réviser et de l’augmenter pour en faire paraître une nouvelle version en 1747. L’objet de cet ouvrage était « d’aider l’imagination de chacun de ceux qui sont dans le cas de travailler sur quelque sujet, par des exemples qui peuvent servir de modèles et leur fournir de bonnes idées28 ». Faisant suite à deux parties relatives aux combustibles utilisés, la troisième section de l’ouvrage aborde la question des théâtres d’artifices en proposant des idées de compositions mais aussi en rappelant les usages communément admis pour chaque type de célébration. Il convenait en effet de concevoir les desseins des théâtres d’artifices selon des règles relativement précises en ce qui concerne le choix du type de monument érigé, du nombre de piliers de la charpente ou de l’ordre d’architecture.
- 29 Frézier 1706, p. 444.
- 30 Ledoux-Prouzeau 2005, p. 90.
25A.-F. Frézier précise que le choix des ordres des architectures feintes devait être dicté par les règles héritées de l’art antique. Il était ainsi préférable d’employer l’ordre dorique dans les bâtiments « consacrés aux héros et grands capitaines parce que c’est l’ordre le plus mâle et le plus solide29 », de fait le plus propre aux célébrations relatives aux affaires militaires. Les ordres ionique et corinthien, consacrés dans l’Antiquité à des divinités non guerrières, devaient être privilégiés pour les célébrations des mariages ou naissances des princes. Par ailleurs, les architectures devaient théoriquement compter neuf piliers pour les faits se rapportant au roi, au dauphin ou pour célébrer des victoires militaires30.
26À la lumière de ces prescriptions, une architecture célébrant une naissance princière se devait d’être un temple à neuf piliers d’ordre ionique ou corinthien : si ces codes furent ignorés par Servandoni en 1732, ils furent respectés par Louis-Claude et Louis-Pierre Dumesnil pour les naissances princières ultérieures.
- 31 Ledoux-Prouzeau 2005, p. 354-355.
27Plusieurs solutions s’offraient au décorateur d’un feu donné pour une naissance, parmi lesquelles la référence aux ancêtres du nouveau-né, le recours à l’allégorie ou à la mythologie. Dans le chapitre consacré aux naissances des princes, A.-F. Frézier indique qu’il est envisageable de recourir à la fable en édifiant un palais ou un temple dédié à Diane ou à la déesse Lucine (Junon, invoquée dans l’Antiquité lors des accouchements)31.
- 32 Il se peut que cette réserve concernant les médaillons soit due à l’éventualité de la naissance d’u (...)
28La description du feu imaginé par Louis-Michel Dumesnil en 1730 pour la naissance du duc d’Anjou révèle une structure à quatre piliers mais mentionne qu’il s’agit d’un temple de la Félicité, plaçant Junon au centre de l’édifice. En 1732, Servandoni choisit au contraire de ne faire aucune référence à la déesse Lucine, Diane ou Junon au centre de son architecture mais se réserve la possibilité de remplir les médaillons « de manière convenable au sujet »32.
- 33 Paris, AN, H2 20682 ; K 1010, no 80 ; K 1011, no 272 ; AE2 18202 ; K 1012, no 1992 ; K 1012, no 281(...)
29Les années 1740-1750 virent naître de nombreux héritiers du couple delphinal, dont les trois futurs rois de France. Aidé de son frère Louis-Claude en 1746, Louis-Pierre Dumesnil fut sollicité pour sept feux célébrant des naissances princières : pour l’accouchement de Madame la Dauphine en 1746 (fig. 7), la naissance de Marie-Zéphyrine de France en 1750 (fig. 14), pour celle du duc de Bourgogne en 1751 (fig. 15), pour le duc d’Aquitaine en 1753 (fig. 16), mais également le duc de Berry (futur Louis XVI) en 1754 (fig. 21), le comte de Provence (futur Louis XVIII) en 1755 (fig. 20) et pour le comte d’Artois (futur Charles X) en 1757 (fig. 17)33. Tous ces feux, excepté le premier, sont postérieurs à l’édition de 1747 du traité d’Amédée-François Frézier, qui modifia le chapitre consacré aux naissances des princes, ouvert en ces termes :
L’édifice le plus convenable pour le théâtre d’un feu d’artifice à faire à l’occasion de la naissance d’un Prince, est celui d’un Palais ou d’un Temple. J’en ai cependant vu un dressé en pareille occasion, qui étoit en arc de triomphe, ce qui paroit peu propre à ce sujet34.
- 35 Paris, AN, K 1010, no 88, août 1750, « Description des festivités ».
30Les Dumesnil ont choisi d’édifier des temples pour tous les décors imaginés pour les naissances princières des années 1740-1750. Au moins quatre des sept temples sont dédiés à la déesse Lucine : en 175035 (fig. 14), comme en 1751 (fig. 15) où la déesse n’est plus peinte mais est représentée en ronde-bosse portant un sceptre et une grenade.
Fig. 14. Louis-Pierre Dumesnil, Accouchement de Madame la Dauphine, feu donné le 30 août 1750, 1750, encre et aquarelle sur papier. Paris, Archives nationales, K 1010, no 80. Dessin annexé au marché.
© Marie Peyre
Fig. 15. Louis-Pierre Dumesnil, Naissance du duc de Bourgogne, feu donné en septembre 1751, 1751, encre et aquarelle sur papier, 57,9 × 43,8 cm. Paris, Archives nationales, K 1011, no 272. Dessin annexé au marché.
© Marie Peyre
- 36 Paris, AN, K 1012, no 140, 18 août et 15 septembre 1753, « Marché de la décoration du feu d’artifi (...)
- 37 Paris, AN, K 1013, no 176, « Description de la décoration du feu d’artifice tiré devant l’hotel de (...)
31Pour l’accouchement de Madame la Dauphine en 1746 (fig. 7), aucune description écrite ne confirme qu’il s’agit bien d’un temple à la déesse Lucine mais sa structure se rapproche de celle d’un autel et il est fort probable que les deux figures placées en haut du groupe central soient celles de Mercure apportant le nouveau-né à Junon, les deux parents étant représentés plus bas, à droite de la figure de la France. Pour la naissance du duc d’Aquitaine en 1753 (fig. 16) fut édifié un temple « ouvert sur ses faces » abritant un autel sur lequel la France « offroit [...] un sacrifice en actions de grâces »36. Enfin pour le comte d’Artois en 1757 (fig. 17), l’architecture feinte abrite une scène dans laquelle « la France reçoit avec transport des mains de l’Hymen le jeune Prince dont la naissance est célébrée par des groupes de génies portés sur des nuages37 ».
Fig. 16. Louis-Pierre Dumesnil, Naissance du duc d’Aquitaine, feu donné le 16 septembre 1753, 1753, encre et aquarelle sur papier, 40 × 30,2 cm. Paris, Archives nationales, K 1012, no 1462, (AE2 18202). Dessin annexé au marché.
© Marie Peyre
Fig. 17. Louis-Pierre Dumesnil, Naissance du comte d’Artois, feu donné en 1757, 1757, encre et aquarelle sur papier, 47,5 × 30,7 cm. Paris, Archives nationales, K 1013, no 1392 (AE2 18192). Dessin annexé au marché.
© Marie Peyre
32En comparant les prescriptions relatives aux architectures célébrant une naissance princière et la charpente à laquelle Servandoni semble avoir dû se conformer, la question se pose d’un choix de la part de l’artiste de ne pas édifier un temple (qu’il soit ou non à neuf piliers) ou de la simple réponse à une contrainte formelle.
- 38 Paris, INHA, 8o Rés 933 : « Description du feu d’artifice qui doit être tiré devant l’Hôtel de Vill (...)
33La charpente fournie par le Bureau de la ville a pu implicitement contraindre le plan du décor de Servandoni ; nous savons toutefois par le contrat que l’artiste avait lui-même conçu le dessein du théâtre d’artifices. Il est possible que cette charpente ait été la même que celle utilisée deux ans plus tôt par Louis-Michel Dumesnil, la description du feu mentionnant des génies posés sur les « 4 angles supérieurs38 », laissant supposer qu’il s’agissait également d’un édifice à quatre piliers. Le texte indique toutefois que L.-M. Dumesnil avait édifié un temple de la Félicité : il semble donc que le choix de Servandoni de ne pas édifier un temple pour une naissance princière ne résulte pas de la contrainte formelle d’une charpente à quatre piliers mais bien d’une volonté d’honorer le roi par la figure placée au centre de l’architecture, les reliefs en trompe-l’œil ayant à eux seuls la fonction de rappeler la naissance princière.
- 39 Voir La Gorce 2015 et Guidoboni 2015.
34Les dessins annexés aux marchés par les Dumesnil et Servandoni révèlent des conceptions différentes du décor de fête. Ce sont, en 1732 et 1739, ses talents d’architecte plus que de décorateur que Servandoni souhaite mettre en avant39, en présentant en 1732 un dessin d’architecture classique dont la mise au carreau révèle une conception rigoureusement proportionnée. En revanche, les dessins présentés par Louis-Claude et Louis-Pierre Dumesnil au Bureau de la ville proposent des architectures d’un tout autre caractère. Soucieux d’animer leurs décors de fête, ils s’affranchirent des codes de l’architecture pérenne et se montrèrent résolument fantaisistes, profitant d’un cadre favorable au déploiement d’une bonne humeur toujours bienvenue voire attendue.
- 40 Publié entre 1771 et 1777 mais rédigé à partir des cours qu’il dispensa dans les années 1740-1750.
- 41 Paris, AN, K 1011, no 122 ; K 1010, no 80 ; K 1012, no 2811.
35En effet, une certaine souplesse était admise dans le domaine des décors de fête et certains ornements inadaptés à l’architecture pérenne pouvaient être tolérés dans l’architecture éphémère, comme le souligne Jaques-François Blondel dans son Cours d’architecture civile40. Les décors des Dumesnil, artistes peintres et non architectes, comportent parfois ces ornements jugés inconvenants tels que les figures encadrant un blason au-dessus d’un fronton41, par exemple pour la Saint-Jean-Baptiste en 1751 (fig. 18) et 1753 (fig. 19), ou pour la naissance du comte de Provence en 1755 (fig. 20) :
- 42 Blondel 1771-1777, t. III, p. 229-230.
C’est, pour ainsi dire, placer deux amortissements l’un sur l’autre, que d’introduire des figures et des armoiries sur le sommet d’un Fronton. Certainement, ce genre d’emploi n’est pas toujours permis. […] il n’est guère tolérable que lorsqu’il s’agit de nos fêtes publiques, ou de quelques décorations théâtrales : les monuments durables demandant plutôt de la dignité que du faste42.
Fig. 18. Louis-Pierre Dumesnil, Décor réalisé pour la célébration de la veille de la Saint-Jean-Baptiste le 23 juin 1751, 1751, encre et aquarelle sur papier, 52 × 35 cm. Paris, Archives nationales, K 1011, no 122.Dessin annexé au marché.
© Marie Peyre
Fig. 19. Louis-Pierre Dumesnil, Décor réalisé pour la célébration de la veille de la Saint-Jean-Baptiste le 23 juin 1753, 1753, encre et aquarelle sur papier, 46 × 30,4 cm. Paris, Archives nationales, K 1012, no 1082. Dessin annexé au marché.
© Marie Peyre
Fig. 20. Louis-Pierre Dumesnil, Naissance du comte de Provence, feu donné en septembre 1755, 1755, encre et aquarelle sur papier, 46 × 30 cm. Paris, Archives nationales, K 1012, no 2812. Dessin annexé au marché.
© Marie Peyre
36De même, les cariatides ou atlantes utilisés par Louis-Pierre Dumesnil pour la Saint-Jean-Baptiste en 1753 (fig. 19) et la naissance du duc de Berry en 1754 (fig. 21) sont aussi pour J.-F. Blondel un motif peu envisageable dans l’architecture pérenne mais toléré dans l’architecture de fête :
Si les Cariatides peuvent aussi trouver place dans notre Architecture, ce n’est que dans les décorations théâtrales […]. Elles pourroient encore tout au plus être supportées dans les fêtes publiques, où l’allégresse commune n’exige pas cette sévérité à laquelle on est assujetti dans la décoration des édifices durables, & où les attributs et les allégories doivent être assortis au genre & au caractère du monument43.
Fig. 21. Louis-Pierre Dumesnil, Naissance du duc de Berry, feu donné le 29 août 1754, 1754, encre et aquarelle sur papier, 49,5 × 38,2 cm. Paris, Archives nationales, K 1012, no 1992. Dessin annexé au marché.
© Marie Peyre
- 44 Paris, AN, K 1008, no 581, « Marché pour la décoration du feu d’artifice à cause de la prise de G (...)
- 45 Paris, AN, K1008, n° 752 « Marché pour la décoration du feu d’artifice pour la prise de la ville (...)
- 46 Paris, AN, K 1014, no 151, « Dessein du feu d’artifice ».
37Les personnages peuplant les architectures feintes sont un autre ressort utilisé par Louis-Pierre et Louis-Claude Dumesnil pour conférer à leurs décors une certaine vitalité et un caractère pittoresque, suffisamment importants pour être lisibles dès les desseins annexés aux marchés. Ainsi, les décors célébrant les victoires de la guerre de Succession d’Autriche montrent des soldats au combat ou après la victoire, dans des attitudes variées et inattendues : pour la prise de la ville de Gand des soldats prennent d’assaut la porte de la ville (fig. 22) tandis que des arquebusiers résistent au sommet de l’édifice44. Pour la prise de la ville de Dendermonde45 les soldats victorieux sont montrés au repos (fig. 23), trinquant ou jouant aux cartes. Les attitudes variées des soldats se retrouvent dans les décors réalisés au cours des deux décennies suivantes pour les victoires de la guerre de Sept Ans, notamment ceux imaginés en 1762 par Moreau-Desproux pour célébrer les victoires en Hesse46.
Fig. 22. Louis-Claude et Louis-Pierre Dumesnil, Feu donné pour la prise de la ville de Grand le 2 août 1745, 1745, encre et aquarelle sur papier, 52 × 30 cm. Paris, Archives nationales, K 1008, no 581. Dessin annexé au marché.
© Marie Peyre
Fig. 23. Louis-Claude et Louis-Pierre Dumesnil, Feu donné pour la prise de la ville de Dendermonde (Termonde) le 26 août 1745, 1745, encre et aquarelle sur papier, 45,2 × 32,3 cm. Paris, Archives nationales, K 1008, no 752. Dessin annexé au marché.
© Marie Peyre
38De même, Louis-Pierre et Louis-Claude Dumesnil veillaient à animer leurs théâtres d’artifices par les jeux de postures et de regards des multiples figures anthropomorphes, qu’il s’agisse des représentations des personnes célébrées, des figures mythologiques et allégoriques, des imitations de sculptures (statues en pied, termes et cariatides) ou encore d’enfançons. Le feu réalisé pour la Saint-Jean-Baptiste en 1744 (fig. 9) est occupé par onze figures anthropomorphes dont les regards orientent l’attention du spectateur tant à l’extérieur qu’au centre de la composition : le regard de Neptune, assis au centre de la niche, s’élève vers l’extérieur de la fontaine tout comme ceux des deux figures allongées sur le fronton de l’édifice. Les chimères placées sur les volutes latérales en partie inférieure semblent servir de transition entre les espaces réel et fictif, fonction que remplissent les mottes de terre des monuments commémorant les victoires militaires de 1745. Ces chimères souriantes tournent leurs regards vers les naïades adossées aux piliers de la fontaine, ces dernières faisant naître deux filets d’eau guidant le regard du spectateur vers le centre de la composition, occupée par les tritons et Neptune.
39Servandoni œuvra pour le Bureau de la ville de Paris en 1732 et 1739, année du décès de Louis-Michel Dumesnil et deux ans avant que les deux fils de ce dernier prissent sa suite pour les décors de fête commandés par l’institution parisienne. Le contrat de Servandoni pour la Saint-Jean-Baptiste en 1732 présente toutes les caractéristiques des contrats ultérieurs pour cette fête annuelle mais celui passé pour la naissance du Dauphin est exceptionnel par le statut du décor, sa rétribution et son programme. Il est possible que Servandoni ait collaboré avec un ou plusieurs peintres de la famille Dumesnil mais leurs styles diffèrent. Oblitérant la fantaisie dont il avait fait preuve pour son décor réalisé sur la Seine en 1730, Servandoni choisit en 1732 d’imiter une architecture classique rigoureusement proportionnée. À l’inverse, les peintres de la dynastie Dumesnil, dont aucun n’a été architecte, choisirent d’utiliser les ressources pittoresques des figures anthropomorphes pour animer des édifices, contrevenant bien souvent aux règles de l’architecture classique, dans un domaine où la fantaisie était permise. L’année 1749 vit se multiplier dans de nombreuses villes des temples célébrant la paix d’Aix-la-Chapelle : Jean-Nicolas Servandoni imagina à Londres un temple dorique et Louis-Pierre Dumesnil collabora avec les peintres Charles-André Tramblin et Joseph Labbé pour édifier devant la place de Grève un temple d’ordre ionique abritant une déesse de la paix (fig. 24).
Fig. 24. Louis-Pierre Dumesnil, André Tramblin et Joseph Labbé, Feu donné pour la publication de la paix d’Aix-la-Chapelle, 1749, encre et aquarelle sur papier, 47,3 × 61 cm. Paris, Archives nationales, K 1009, no 2164. Dessin annexé au marché.
© Marie Peyre
- 47 Paris, AN, K 1009, no 2161 à 4, « Peinture et dorure du feu, et pièces d’ornements du pourtour de (...)
40Les tendances de la décennie précédente se confirment dans ces deux décors. Servandoni imagina pour Londres une architecture d’inspiration classique (fig. 25) alors que les artistes parisiens proposèrent un édifice47 à la surface ondulée, peuplé d’une multitude de victoires, génies et enfançons animant par leurs postures variées cette architecture de fête.
Fig. 25. Jean-Nicolas Servandoni, Plan et élévation du feu d’artifice donné à Saint James Park, 1749, estampe, 42,6 × 57,2 cm. Royal Collection Trust, RCIN 750427.
https://www.rct.uk/collection/750427
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