I. Un enrichissement du droit à l’enseignement et à la formation par le Code pénitentiaire

1Le Code pénitentiaire consacre un chapitre à l’enseignement et à la formation professionnelle, dont l’objectif est d’apporter aux personnes détenues les « connaissances qui leur seront nécessaires après leur libération en vue d’une meilleure adaptation sociale » (art. R. 413-1). Si, selon l’article D. 413-3 de ce code, « [l]’enseignement primaire est assuré dans tous les établissements pénitentiaires », dans le cadre de la lutte contre l’illettrisme, l’enseignement secondaire est quant à lui assuré partout aujourd’hui dans les prisons françaises par des personnels de l’Éducation nationale détachés partiellement ou complètement, voire retraités et donc bénévoles. Mais aucune référence explicite n’est faite à l’enseignement universitaire dans ce code si ce n’est l’interprétation que l’on peut faire de l’article R. 413-2 qui dit que « [l]es personnes détenues peuvent faire les études de leur choix et suivre toute formation » ; ou de l’article D. 413-5 qui déclare que « le service de l’enseignement [d’un établissement pénitentiaire], comme la charge d’aider ou de conseiller les personnes détenues qui ont été admises à poursuivre des études personnelles, sont assurés par des personnes qualifiées » (les personnels de l’Éducation nationale) ou « le concours bénévole apporté, notamment, par des visiteurs de prison et des associations » avec l’acceptation du directeur interrégional des services pénitentiaires.

2À vrai dire, sur le terrain, tout dépend d’abord du service d’enseignement de l’établissement, soit du responsable local d’enseignement (RLE), de ses moyens, de ses objectifs, et aussi de la direction de la prison.

II. Une mise en œuvre diversifiée à l’université de Caen Normandie

3C’est ainsi qu’au centre pénitentiaire de Caen un atelier hebdomadaire d’accompagnement des études supérieures appelé « Parcours Plus » ou « P+ » a pu permettre entre 2008 et 2020 à des personnes incarcérées d’obtenir (souvent avec de très bonnes notes), par le téléenseignement – en anglais, sociologie, histoire, musicologie, psychologie, droit, mathématiques, lettres… –, des DAEU (diplômes d’accès aux études universitaires), des licences, quatre masters et même un doctorat (sur neuf années de suivi, de la L1 à la soutenance en prison). Tous ces diplômes ont été validés par les universités de Caen, Rouen, Rennes 2, Poitiers ou Strasbourg… Et cela grâce au RLE et au directeur de l’établissement qui a donné son aval au projet ; grâce aussi au concours bénévole d’universitaires caennais retraités – dont l’autrice de ce texte, seule visiteuse de prison de l’équipe d’accompagnement qu’elle a alors recrutée, dont la tâche a consisté à aider, accompagner les étudiants-détenus, pour des conseils et des échanges intellectuels, méthodologiques, bibliographiques, assurant une présence humaine indispensable, active, d’écoute comme d’encouragements continus.

4Aux succès universitaires de ces étudiants-détenus qui leur garantissaient d’entrée une meilleure réinsertion, il convient d’ajouter les effets positifs liés à une reprise de confiance en soi, la reconstruction d’une meilleure image de soi, l’amélioration de la socialisation…

III. Un dispositif expérimental confirmé et validé

5En 2017, l’université de Caen, première en France, signait au centre pénitentiaire et à titre expérimental une « convention de coopération » jusqu’en 2020 avec le ministère de la Justice, représenté par le directeur interrégional des services pénitentiaires de Rennes, et le rectorat de l’académie de Caen « en vue du développement de l’accès aux études supérieures des personnes placées sous-main de justice ». Il s’agissait d’expérimenter un dispositif d’enseignement à distance en direction des personnes incarcérées au centre pénitentiaire de Caen, sous la forme d’un outil numérique adapté aux contraintes liées à l’incarcération des étudiants, un outil local et sécurisé appelé « Moodle box », installé dans une salle d’enseignement du centre pénitentiaire. Le Centre d’enseignement multimédia universitaire (CEMU) devait assurer ce dispositif spécifique via un portail pédagogique numérique remis à jour tous les quinze jours et coupé d’Internet, interdit en prison.

6Ce dispositif novateur a cependant dû surmonter dès le départ nombre de difficultés techniques et organisationnelles qui ont pu ralentir l’inscription des étudiants-détenus à des cursus universitaires puis leur travail même, d’autant que l’atelier d’accompagnement bénévole P+ se retrouvait alors mis hors-jeu de facto. Avec ce nouveau dispositif, les modalités d’entrée dans un cursus universitaire pour ces étudiants incarcérés changeaient en effet complètement, de même que les processus d’enseignement et d’apprentissage comme de suivi d’études supérieures.

7Ce nouveau dispositif expérimental s’est retrouvé en 2021 confirmé et validé par une convention avec la Région Normandie pour un « campus connecté » toujours hors d’Internet, labellisé et soutenu par la Direction nationale de l’administration pénitentiaire (DAP), essaimant ensuite dans d’autres universités de Bretagne, du Sud-Ouest et du Nord de la France. En mars 2022, un accord-cadre national a ensuite été signé entre la DAP et France Universités, suivi le 5 juillet de la même année d’un accord de pilotage très ouvert concernant :

• l’accès au numérique en détention via un intranet (dans le cadre d’un projet « numérique en détention » ou NED) ;
• la simplification des procédures d’inscription ;
• le remboursement des frais d’inscription, a minima concernant le centre régional des œuvres universitaires et scolaires (CROUS) ;
• une labellisation par la Fédération interuniversitaire de l’enseignement à distance (FIED).

Dans ce cadre, le CEMU caennais a constitué un groupe de travail (dans lequel sont présents pour leur expertise et leur retour d’expérience deux membres encore disponibles de l’ex-atelier P+ du centre pénitentiaire) pour améliorer le dispositif et obtenir la labellisation de la FIED. Ce groupe se prépare ainsi aujourd’hui à organiser à l’université de Caen un séminaire d’information et de formation à l’intention des enseignants-chercheurs intéressés, en activité et retraités – ce qui élargit de facto le cercle des bénévoles (visiteurs de prison ou membres d’associations partenaires de l’administration pénitentiaire) prévus par le Code pénitentiaire à l’article D. 413-5 –, tout comme à l’intention des étudiants qui se sentiraient concernés. Ce séminaire devrait porter sur l’enseignement à distance (EAD) en prison, ses objectifs de réinsertion, ses modalités et ses contraintes inhérentes au milieu carcéral.

 

8Le droit constituant une « discipline » vers laquelle s’orientent beaucoup d’étudiants-détenus, on peut penser que cet enseignement universitaire à distance en détention qui se développe rapidement aujourd’hui, entraînant déjà derrière lui à l’université une transformation pédagogique bien perceptible, pourrait interroger sinon intéresser celles et ceux qui sont concernés par les droits et libertés fondamentaux en prison, dont ceux de l’accès à l’enseignement supérieur.