• 1 Observatoire international des prisons, Le travail en prison, en France, en 2020, p. 1 et 3, en lig (...)
• 2 Selon l’étude de l’Institut Montaigne, le travail en prison diminue les risques de récidive de 43 % (...)
• 3 Ibid., p. 23 et 20.

1Selon une étude publiée par l’Observatoire international des prisons, intitulée Le travail en prison, en France, en 2020, le travail en prison est vu comme un moyen de lutter contre l’ennui et contre la violence en prison1. Il permet d’éviter la récidive2 et de faciliter la réinsertion des détenus à leur sortie. Malgré ses avantages, le nombre de personnes détenues travaillant en prison en France a diminué : elles n’étaient plus que 28 % en 2017, contre 46,5 % en 20003. Ce constat peut s’expliquer notamment par le faible encadrement juridique du travail en prison.

• 4 Voir le rapport rédigé par l’OIT sur cette question : OIT, Une alliance mondiale contre le travail (...)
• 5 Cour EDH, 8 mars 1962, Koch c. RFA, nº 1270/61. La Déclaration universelle des droits de l’homme ne (...)
• 6 Cour EDH, 7 juillet 2011, Stummer c. Autriche, nº 37452/02.
• 7 Cour EDH, 6 juillet 2005, Stec et autres c. Royaume-Uni, nº 65731/01.
• 8 Conseil de l’Europe, Règles pénitentiaires européennes, 11 janvier 2006, modifiées le 1^er juillet 2 (...)

2En effet, la question du travail en prison est souvent ignorée des conventions internationales qui accordent des droits sociaux aux travailleurs. Ainsi, ni la Charte sociale européenne (y compris dans sa version révisée de 1996), ni la Déclaration universelle des droits de l’homme n’en font mention. De même, l’Organisation internationale du travail (OIT) n’a pour l’instant adopté aucune convention particulière sur ce sujet, à l’instar de celles qui existent par exemple pour les travailleurs migrants ou les gens de mer. Si le travail en prison est envisagé dans les normes internationales, il l’est par le biais du travail forcé, de manière négative : cette forme de travail n’est pas considérée comme du travail forcé par exemple dans l’article 4 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme. Il en est de même dans le cadre de la convention nº 29 de l’OIT sur le travail forcé4. Pour la Cour européenne des droits de l’homme (Cour EDH), le principe posé reste qu’une personne détenue conserve les mêmes droits qu’une personne libre, à l’exception de la liberté d’aller et de venir5. Pour autant, n’étant pas dans la même situation que les personnes libres, la Cour EDH admet des différences de traitement et notamment une marge de manœuvre des États assez importante pour accorder ou non certains droits aux travailleurs détenus, faute de consensus européen. Ainsi, aucun texte ne garantit le droit à une rémunération6 ou n’impose l’obligation d’affilier les personnes détenues au régime de retraite ni même à la Sécurité sociale7, pour préserver l’efficacité économique du régime de retraite vu la faiblesse voire l’absence de cotisation. Cette position de la Cour EDH pourrait cependant évoluer, grâce aux Règles pénitentiaires européennes (RPE) de 1987 et de 20068 qui, bien que dépourvues de force contraignante, favorisent l’émergence d’un certain consensus au niveau du Conseil de l’Europe.

• 9 Voir, par exemple, Congrès des Nations unies pour la prévention du crime et le traitement des délin (...)
• 10 G. Loiseau, « Aux portes du pénitencier : sur les traces du non-sujet de droit du travail », Les ca (...)
• 11 RPE, règles 2 et 3.
• 12 RPE, règle 5.
• 13 RPE, règle 26.7.

3La question du travail en prison est en réalité abordée par les instances ou les conventions internationales relatives à la détention9. Pour reprendre la formule du professeur Grégoire Loiseau, « le travailleur détenu est un détenu avant d’être un travailleur ; s’il a l’allure de l’un, il a la condition de l’autre »10. Les RPE rappellent que les personnes privées de liberté doivent, dans la mesure du possible, conserver tous leurs droits11, les atteintes à leurs droits devant être proportionnées et justifiées par des raisons de sécurité ou de maintien de l’ordre. Leurs conditions de vie12 mais aussi de travail13 doivent être les plus proches possible du monde libre. Les règles 26 et suivantes, spécifiques aux travailleurs détenus, leur reconnaissent un certain nombre de droits, comme celui de choisir de travailler, d’avoir un travail procurant une rémunération équitable et respectant des durées maximales, préservant leur santé.

• 14 J.-P. Céré, « Le Conseil constitutionnel et le travail en prison : une occasion manquée ? », Recuei (...)

4En droit français, s’il a pu être relevé hier que « le constat relatif au travail en prison laiss[ait] le sentiment d’un profond désert juridique »14, le nouveau Code pénitentiaire semble aujourd’hui bien moins laconique. Son chapitre relatif au « Travail » comporte une quarantaine d’articles en sa partie législative, presque le double en sa partie réglementaire, sans compter les dispositions éparses relatives aux droits sociaux des travailleurs détenus disséminées dans d’autres chapitres, voire d’autres codes.

• 15 Pour une présentation de l’ancien régime, voir P. Auvergnon, « Travail pénitentiaire », in Répertoi (...)
• 16 Loi nº 87-432 du 22 juin 1987 sur le service public pénitentiaire, Journal officiel de la Républiqu (...)
• 17 Code de procédure pénale, art. D. 433.
• 18 Code de procédure pénale, ancien art. 720.
• 19 Loi nº 2009-1436 du 24 novembre 2009, dite loi pénitentiaire, Journal officiel de la République fra (...)
• 20 J.-P. Céré, « Virage ou mirage pénitentiaire ? À propos de la loi du 24 novembre 2009 », La semaine (...)
• 21 Art. 33 de la loi pénitentiaire.
• 22 Ibid. et Code de procédure pénale, art. 717-3.
• 23 S. Brimo, « Le droit au travail pénitentiaire : un droit sans droit… et sans travail », Revue de dr (...)

5Pour arriver à ce nouveau constat, le chemin n’a été ni linéaire, ni certain15. La loi nº 87-432 du 22 juin 1987 sur le service public pénitentiaire16 a supprimé le caractère obligatoire du travail carcéral. Désormais volontaire, il devait « se rapprocher autant que possible […] des activités professionnelles extérieures afin notamment de préparer les détenus aux conditions normales du travail libre »17, sans que « les relations de travail des personnes incarcérées ne [fassent] l’objet d’un contrat de travail »18. Une deuxième étape a été franchie avec la loi nº 2009-1436 du 24 novembre 2009, dite loi pénitentiaire19, bien que son bilan se soit révélé finalement plus que mitigé. Se donnant pour objectif une meilleure protection des droits des personnes détenues20, la loi pénitentiaire a créé l’acte d’engagement. Passé entre la personne détenue et le chef d’établissement pénitentiaire, il « énon[çait] les droits et obligations professionnels de celle-ci ainsi que ses conditions de travail et sa rémunération »21. Le contrat de travail était à nouveau écarté22 et la détermination des droits et obligations des détenus travailleurs revenait en grande partie au chef d’établissement23.

• 24 P. Auvergnon, « Justice en situation – “Le travail pénitentiaire entre impératifs sécuritaires et d (...)
• 25 CC, déc. nº 2013-320/321 QPC du 14 juin 2013, M. Yacine T. et autre, cons. 9 ; CC, déc. nº 2015-485 (...)
• 26 Voir Quelle normalisation de la relation de travail en prison ? Enjeux et perspectives d’une réform (...)

6Les garanties individuelles et collectives attachées au contrat de travail n’étaient pas reconnues aux détenus travailleurs. Cette situation a suscité de vives critiques et remises en question24. Par deux fois, le Conseil constitutionnel a déclaré que le régime instauré par la loi pénitentiaire n’était pas contraire aux droits et libertés que la Constitution garantit. Il est simplement « loisible au législateur de modifier les dispositions relatives au travail des personnes incarcérées afin de renforcer la protection de leurs droits »25. La protection des droits des détenus travailleurs n’étant qu’une faculté pour le législateur, il fallait attendre une intervention volontaire de ce dernier26.

• 27 Loi nº 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire, Journal offic (...)
• 28 Décret nº 2022-655 du 25 avril 2022 relatif au travail des personnes détenues et modifiant le Code (...)
• 29 Ordonnance nº 2022-1336 du 19 octobre 2022 relative aux droits sociaux des personnes détenues, Jour (...)
• 30 Décret nº 2023-1169 du 12 décembre 2023 portant diverses mesures relatives aux activités de travail (...)

7La réforme intervient finalement avec la loi nº 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire27. Mesure phare de cette réforme, l’acte d’engagement est supprimé au profit de la création d’un contrat d’emploi pénitentiaire (CEP). À ce contrat sui generis, est attaché un régime comprenant des droits et obligations tant pour la personne détenue que pour son donneur d’ordre et le chef d’établissement. Le régime est amplement étayé par un décret d’application du 25 avril 202228. Initialement intégré dans le Code de procédure pénale, le régime du travail carcéral est transféré dans le nouveau Code pénitentiaire entré en vigueur le 1^er mai 2022, ensuite complété par l’ordonnance nº 2022-1336 du 19 octobre 2022 relative aux droits sociaux des personnes détenues29 et plus récemment par un décret du 12 décembre 202330. Il en ressort que le nouveau régime a pour objectif une meilleure garantie des droits et libertés fondamentaux des personnes détenues dans le cadre du travail en détention.

• 31 RPE, règle 26.17.
• 32 RPE, règle 26.14.
• 33 Les personnes condamnées mais bénéficiant d’une mesure de placement à l’extérieur ou de détention à (...)
• 34 Code de la Sécurité sociale, nouveaux art. L. 324-1 sq.
• 35 P. Morvan, Droit de la protection sociale, 8^e éd., Paris, LexisNexis, 2017, nº 7 sq. Le même débat (...)
• 36 M. Borgetto, « La Sécurité sociale à l’épreuve du principe d’universalité », Revue de droit sanitai (...)

10Selon les RPE, « [l]es détenus exerçant un travail doivent, dans la mesure du possible, être affiliés au régime national de sécurité sociale »31. Par ailleurs, des dispositions doivent être prises pour indemniser les victimes d’accidents du travail et de maladies professionnelles dans les mêmes conditions que les travailleurs libres32. Un certain nombre de droits sociaux existaient déjà33 mais ils ont été élargis notamment par l’ordonnance du 19 octobre 2022. Il s’agit de renforcer la dignité de la personne détenue en luttant contre l’insécurité économique non seulement en prison mais aussi à sa sortie. Le Code de la Sécurité sociale est enrichi d’articles spécifiques34. Cette volonté d’accorder des droits sociaux aux travailleurs détenus participe d’un mouvement plus général d’universalisation de ces droits, qui sont reconnus à toute personne, sans que le statut soit un facteur discriminant. Ce débat existe depuis la mise en place de la Sécurité sociale35, même si, finalement, l’ordonnance du 4 octobre 1945 a limité cette protection aux seuls travailleurs, entendus comme salariés36. Le nouveau droit français, porteur de réelles avancées, semble aller au-delà des exigences non seulement de la position de la Cour EDH mais aussi des RPE.

• 37 CE, 10 décembre 2008, nº 303624.
• 38 C’est la loi nº 75-1350 du 31 décembre 1975 relative à la situation des détenus au regard de l’assu (...)
• 39 Cass., 2^e civ., 11 octobre 2006, nº 05-10.634, Bulletin civil, II, nº 259 : absence d’obligation en (...)

12Le texte renvoie au droit commun. Dès que la personne détenue est affectée à un poste ou admise à une formation professionnelle, elle bénéficie de l’ensemble de ces prestations et peut donc désormais toucher les indemnités journalières pendant un arrêt maladie, maternité ou invalidité lui permettant de subvenir à ses besoins en prison. Elle ne peut en revanche percevoir les prestations en nature, en raison du régime dérogatoire de l’accès aux soins dans les prisons. Sont également affiliées au régime général les personnes détenues de nationalité étrangère qui ne remplissent pas les conditions de régularité du séjour. En matière de vieillesse, les personnes détenues pouvaient déjà percevoir leur pension de retraite acquise avant leur détention, versée non sur le compte nominatif mais sur un compte bancaire37. Pour limiter les difficultés antérieures quant à la validation de leurs trimestres en raison de la faiblesse de la rémunération due à un taux horaire et un nombre d’heures effectuées réduits38, il est désormais prévu une cotisation minimale au régime de base ainsi qu’à la retraite complémentaire (IRCANTEC)39, en partie prise en charge par l’État pour ne pas augmenter le coût du travail en prison. L’ensemble de ces droits contribue à assurer la dignité des personnes détenues et à éviter que la prison rime avec exclusion de la société pendant l’incarcération. La protection sociale peut également jouer un rôle en termes de réinsertion en améliorant leurs conditions de vie matérielles à leur sortie.

• 40 Code du travail, art. L. 5424-30.
• 41 Code de la Sécurité sociale, art. L. 324-7.

13Ainsi, ils peuvent désormais percevoir des allocations chômage, à leur sortie de prison, permettant de valoriser cette période d’emploi et de faciliter leur réinsertion. Ils peuvent aussi en bénéficier pendant leur détention, si une mesure d’aménagement de peine est décidée, pour permettre la recherche d’un emploi40. Par ailleurs, lorsqu’ils avaient acquis des droits avant leur détention, ils les perdaient auparavant au bout de trois ans. Ce délai a été allongé à six ans, préservant ainsi davantage leurs droits au moment de leur sortie41. L’activité salariée ou bénévole permet aussi d’alimenter le compte personnel d’activité, dont les droits ne pourront être utilisés, à l’instar des allocations chômage, qu’au moment de la libération.

• 42 C. pénit., art. L. 412-4.
• 43 L. Isidro, T. Pasquier, « Projet de loi “pour la confiance dans l’institution judiciaire” : une éba (...)

15Depuis le 1^er janvier 2023, le CEP s’applique à toutes les modalités de travail en détention, sauf lorsque la personne détenue travaille pour son propre compte42. Le travail subordonné carcéral peut prendre trois formes : le travail au service général (les postes liés à l’entretien et au fonctionnement de la prison), le travail au service de l’emploi pénitentiaire, le travail en concession pour des opérateurs privés. Ces deux dernières catégories concernent des activités de production. Le Code pénitentiaire détaille le régime du CEP en le rapprochant sur bien des points du contrat de travail43.

• 44 CC, déc. nº 2015-485 QPC, cons. 13.
• 45 C. pénit., art. L. 412-3.
• 46 C. pénit., art. L. 412-11, R. 412-26 et R. 412-27.
• 47 C. pénit., art. L. 412-5 à L. 412-10.

16Il s’agit déjà de reconnaître un véritable contrat synallagmatique. Le Conseil constitutionnel avait refusé d’accorder aux détenus travailleurs le bénéfice de l’exercice de la liberté contractuelle en ce que l’acte d’engagement ne les plaçait pas dans une relation contractuelle avec l’administration pénitentiaire44. Désormais, le CEP est conclu entre la personne détenue et le donneur d’ordre qui peut être l’administration pénitentiaire ou un opérateur privé45. Dans la seconde hypothèse, est annexée une convention tripartite signée par le chef d’établissement, le donneur d’ordre et la personne détenue, destinée à préciser les obligations respectives de chacune des parties46. Quant au recrutement, la personne détenue adresse une demande de classement à l’administration pénitentiaire. Après un simple avis de la commission pluridisciplinaire unique, une décision ou un refus de classement est rendu par le chef d’établissement. En cas de classement, la personne détenue réalise une demande d’affectation sur un poste de travail. En pratique, il y a des listes d’attente dans les établissements, l’offre d’emploi étant bien inférieure à la demande. Un entretien peut être réalisé avec le donneur d’ordre, pouvant déboucher sur une décision d’affectation prise par le chef d’établissement et, in fine, sur la conclusion d’un CEP47.

• 48 C. pénit., art. R. 412-20.
• 49 C. pénit., art. R. 412-24.
• 50 C. pénit., art. L. 412-13 et R. 412-28 à R. 412-31.
• 51 Voir infra, II. B.
• 52 S. Izard, « Un contrat pour le travail en prison », entretien avec P. Auvergnon, Semaine sociale La (...)
• 53 C. pénit., R. 412-55 et R. 412-56.

17Le CEP est en principe à durée indéterminée. Le recours au contrat à durée déterminée (CDD) est autorisé pour trois motifs : remplacement d’une personne détenue, accroissement temporaire d’activité et travail saisonnier48. Le renouvellement du CDD est possible49, sans aucune limitation, à la différence du contrat de travail. Le CEP peut être assorti d’une période d’essai50 durant laquelle le contrat peut être rompu par chacune des parties sans motif. Quant à la rémunération, les règles demeurent inchangées51. Le recours au temps partiel, très présent en détention52, est désormais encadré53. À l’instar du droit du travail, le temps de travail est qualifié de partiel dès lors qu’il est inférieur à 35 heures par semaine (ou 1 771 heures sur l’année), avec un seuil minimal de 10 heures par semaine.

• 54 C. pénit., art. L. 412-7 à L. 412-9, L. 412-14 et L. 412-15, R. 412-14 à R. 412-16, R. 412-33 à R.  (...)
• 55 C. pénit., art. L. 412-7, L. 412-16 et L. 412-17, R. 412-37 à D. 412-47.
• 56 C. pénit., art. L. 412-7, L. 412-16 et L. 412-17, R. 412-37 à D. 412-47.

18Sont également prévues les causes de suspension et de résiliation du CEP. Certains motifs de suspension sont propres au milieu carcéral (suspension du classement pour faute disciplinaire ; suspension de l’affectation pour un motif tenant au bon ordre, pendant la durée d’une procédure disciplinaire, pendant la translation de la personne détenue, pour les nécessités de l’information judiciaire ou encore à la demande de la personne détenue ; suspension du contrat d’implantation), tandis que d’autres sont largement inspirés du droit du travail (incapacité temporaire de travail pour raison médicale, baisse temporaire de l’activité)54. Les mêmes similitudes et disparités se retrouvent dans les causes de rupture du CEP55. Les procédures, notamment en cas de rupture pour motif économique, évoquent celles du droit du travail56.

• 57 C. pénit., art. R. 412-51.
• 58 C. pénit., art. R. 412-61.
• 59 C. pénit., art. L. 412-24 à L. 412-35.
• 60 C. pénit., art. L. 412-36 à L. 412-42.
• 61 C. pénit., art. L. 412-20-21.
• 62 Code du travail, art. L. 4131-1.
• 63 C. pénit., art. L. 412-47 à L. 412-54.
• 64 C. pénit., art. L. 412-20-4 à L. 412-20-11.

19Le temps de travail est encadré, afin d’assurer le droit au repos de la personne détenue. La durée quotidienne maximale de travail est fixée à 10 heures, la durée hebdomadaire à 48 heures et les horaires sont fixés en tenant compte du temps nécessaire au repos, aux repas, à la promenade et aux activités éducatives et de loisirs57. Sont également imposés une pause quotidienne de 20 minutes toutes les six heures, un repos quotidien d’au moins 11 heures consécutives et un repos hebdomadaire d’au moins 24 heures58. Certaines vulnérabilités particulières des personnes détenues sont prises en compte à travers des mécanismes connus du droit du travail et dont le régime diverge peu : interdiction des discriminations, notamment à l’égard des personnes détenues enceintes59, et du harcèlement moral et sexuel60. La réforme tente également d’améliorer la protection de la santé physique et mentale des détenus travailleurs en opérant un renvoi aux mesures prévues par les livres I à V et VII de la quatrième partie du Code du travail61. Le donneur d’ordre assure notamment la formation et l’information sur les risques, aménage les postes de travail, fournit les équipements de protection nécessaires. Le chef d’établissement garantit la sécurité, l’hygiène et la salubrité des lieux de travail. Le droit de retrait62, bien que non expressément repris, semble applicable en raison du renvoi global à la quatrième partie du Code du travail. La médecine du travail fait par ailleurs son entrée en milieu pénitentiaire63. Les prérogatives de l’inspection du travail sont reprises et demeurent limitées à l’égard de l’administration pénitentiaire64. Mais, en raison d’une prise en compte inévitable du milieu pénitentiaire, le statut du détenu travailleur reste in fine éloigné de celui du travailleur libre.

• 65 C. pénit., art. L. 412-2, al. 2.
• 66 C. pénit., art. L. 412-2, al. 1^er.

20Tel qu’énoncé dès les premières dispositions du chapitre sur le « Travail », ce dernier doit être « accompli sous le contrôle permanent de l’administration pénitentiaire »65 et doit « vise[r] à préparer l’insertion ou la réinsertion professionnelle et sociale de la personne détenue »66. Néanmoins, le contexte carcéral (A) semble avoir pris l’ascendant sur l’objectif de réinsertion des personnes détenues (B).

• 67 Voir notamment Cour EDH, 30 janvier 2020, J.M.B. et autres c. France, nº 9671/15.

21Ce rapprochement s’il constitue une réelle avancée n’est cependant pas total, car il reste marqué par le milieu carcéral, lieu par définition de privation de libertés, dans lequel la personne détenue est sous la dépendance exclusive de l’administration pénitentiaire. Par ailleurs, ce milieu reste particulièrement violent, raison pour laquelle la sécurité et l’ordre sont recherchés à tout prix. Enfin, de manière factuelle, les prisons françaises restent des endroits insalubres, vétustes en raison d’une surpopulation carcérale chronique, ainsi que d’un manque de moyens humains et matériels, souvent décrits et faisant l’objet de condamnation par la Cour EDH pour violation de l’article 3 sanctionnant les traitements inhumains et dégradants67. Les textes récents n’ont pas suffisamment dissocié le travail de la peine, le statut de personne détenue primant encore sur celui de travailleur. Cette prédominance du milieu carcéral transparaît à la fois dans les lacunes des textes mais aussi dans certaines dispositions, le travail restant un outil de gestion de la peine et non un instrument visant la réinsertion de la personne détenue.

• 68 Étude d’impact. Projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire, 13 avril 2021, p. 21 (...)
• 69 Voir S. Ranc, « La représentation collective des travailleurs détenus éclipsée par la consécration (...)
• 70 Cour EDH, 7 décembre 2021, Fédération syndicale de la république de Iakoutie c. Russie, nº 29582/09
• 71 C. pénit., art. R. 412-1.
• 72 Pour des commentaires, voir O. Leclerc, F. Chateauraynaud, « La transposition de la directive europ (...)
• 73 Voir, par exemple, TA Rennes, 10 octobre 2014, nº 1205245, Actualité juridique. Pénal, 2014, p. 547 (...)
• 74 P. Auvergnon, M. Crétenot, N. Ferran, C. Wolmark, « Propositions… ».

22Tout d’abord, dans le Code pénitentiaire, reprenant l’étude d’impact68, aucun droit collectif n’est garanti, au nom des exigences de sécurité et de prévention du crime69. Ainsi, ne sont pas garantis la liberté de se syndiquer, le droit à une représentation, le droit de grève, le droit de négocier des accords collectifs. Ces différences de traitement sont justifiées par la différence de situation avec les travailleurs libres et ont d’ailleurs été validées par la Cour EDH, dans un arrêt du 7 décembre 202170. Pour elle, le fait d’exclure la liberté de fonder un syndicat pour des personnes détenues n’est pas une atteinte à l’article 11 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme garantissant la liberté syndicale. Le travail en prison ne peut être assimilé à un véritable emploi, dans la mesure où il s’agit de favoriser la réintégration. En outre, cette exclusion repose sur des exigences de défense, de sécurité et d’ordre, comme l’autorise d’ailleurs expressément l’article 11 précité. La Cour souligne enfin le fait qu’il n’y a pas actuellement un consensus au sein du Conseil de l’Europe pour reconnaître une telle liberté, même si une telle évolution pourrait intervenir. Pour des raisons de sécurité, aucun accès à Internet n’est garanti aux détenus pour éviter tous problèmes. Sont par conséquent également prévues, dans le Code pénitentiaire, des obligations d’affichage dans les lieux de travail, obligations qui ont tendance à disparaître du Code du travail au profit des nouveaux moyens de communication dématérialisée. Il en est ainsi par exemple du règlement spécifique de chaque activité71. Or, selon l’Institut Montaigne, l’accès au numérique est indispensable pour permettre une meilleure sortie, dans un monde ultra-connecté. La fracture numérique en sort renforcée et l’immersion des détenus dans le monde professionnel semble plus difficile. À noter également l’absence de protection très efficace du droit d’alerte ou de la liberté d’expression, l’article L. 412-26 interdisant simplement une mesure de discrimination, mais ne renvoyant pas au statut du droit d’alerte prévu par le Code du travail et modifié par la récente loi nº 2022-401 du 21 mars 202272. Une personne détenue pourrait aujourd’hui encore faire l’objet d’une mesure disciplinaire, s’il s’agit d’une revendication collective qui pourrait mettre en danger l’ordre de l’établissement73. Cette exigence d’ordre et de sécurité est-elle suffisante pour interdire totalement ces droits ? N’est-il pas envisageable de reconnaître leur existence tout en adoptant certains aménagements, qui semblent possibles, comme en témoignent plusieurs propositions doctrinales74 ? Cette question se pose de manière plus générale pour la protection des libertés individuelles et le respect de la vie privée, le Code pénitentiaire ne contenant aucun texte équivalent à l’article L. 1121-1 du Code du travail.

• 75 L. Charbonneau, « La réforme du statut du détenu travailleur : un changement de paradigme », in Que (...)
• 76 C. pénit., art. L. 412-5.
• 77 C. pénit., art. L. 412-6.
• 78 C. pénit., art. R. 412-8 et R. 412-9.
• 79 Le décret nº 2016-1853 du 23 décembre 2016 a inséré dans le Code de procédure pénale l’alinéa 2 de (...)
• 80 C. pénit., art. L. 412-2.
• 81 Voir aussi Code pénal, art. R. 233-2.
• 82 C. pénit., art. L. 412-18 : compétence qui concerne également la décision du donneur d’ordre extéri (...)
• 83 Voir, pour la même analyse à propos du projet, M.-C. Amauger-Lattes, « L’emprise du pouvoir péniten (...)
• 84 P. Auvergnon, M. Crétenot, N. Ferran, C. Wolmark, « Propositions… ».

23Par ailleurs, la dépendance vis-à-vis du chef de l’établissement pénitentiaire reste très importante, le travail restant un outil de gestion de la peine. Le gouvernement souhaitait amoindrir ce rôle pour éviter de brouiller le sens et la finalité de ce travail en prison75. Même si aujourd’hui un véritable contrat est conclu, le chef d’établissement conserve un pouvoir très important. Ainsi, il prend encore la décision de classement76 et celle d’affectation77. Même si les décisions de refus à ce double stade doivent désormais être motivées78, le Code ne précise pas la nature de ce motif79 et autorise ceux liés au bon ordre et à la sécurité de l’établissement. De même, le maintien dans l’emploi dépend non pas de la seule attitude du détenu au travail, mais aussi de son comportement en tant que personne détenue. Des motifs disciplinaires ou liés au maintien de l’ordre et de la sécurité peuvent conduire l’administration à suspendre à tout moment l’activité de travail voire le classement ou à y mettre un terme en respectant un certain nombre de précautions80. Selon l’article L. 412-7, ces mesures sont prises « à titre de sanction »81. La personne détenue peut ainsi perdre son travail en raison de son comportement en tant que détenu, quelle que soit la qualité de son travail. L’ensemble de ces décisions peut faire l’objet d’un recours contentieux administratif82, écartant la compétence du conseil des prud’hommes, juge naturel du contrat de travail. Par ailleurs, selon l’article L. 412-2, le travail est accompli sous le contrôle « permanent » de l’administration pénitentiaire qui assure la surveillance des personnes détenues, la discipline et la sécurité sur les lieux de travail. Le travail reste ainsi un outil de gestion de l’ordre dans les prisons, le recul du pouvoir du chef d’établissement étant en trompe-l’œil83. Certaines pistes, visant par exemple à confier le pilotage du travail en prison à un établissement public spécialement créé à cette fin84, n’ont pas été suffisamment explorées.

• 85 C. pénit., art. R. 412-27.
• 86 C. pénit., art. R. 423-33 et art. R. 412-34 ; M. Goicoechea, « Droit au travail et indemnisation de (...)
• 87 C. pénit., art. R. 412-34.

24La même question se pose au sujet de la rémunération, soumise au pouvoir du chef d’établissement. Non seulement il fixe le montant de la rémunération, mais il en contrôle également la mise à disposition de la personne détenue. Ainsi, l’article D. 412-66 prévoit un versement de son salaire par l’administration pénitentiaire qui approvisionne et gère le compte nominatif et qui va reverser les cotisations sociales à l’URSSAF. Si la personne détenue travaille pour un donneur d’ordre extérieur, ce dernier rembourse l’administration85. Il n’y a donc pas un paiement direct par le donneur d’ordre. Par ailleurs, les articles D. 332-10 et suivants prévoient une affectation des sommes reçues par les personnes détenues : une part pour l’indemnisation des victimes, la deuxième pour la constitution d’un pécule de sortie, la troisième étant laissée à la libre disposition de la personne détenue. Cette dernière ne peut donc pas gérer les revenus de son travail. Enfin, en cas de suspension du contrat d’emploi pénitentiaire en raison par exemple de difficultés économiques, d’intempéries ou de toute autre circonstance visée à l’article R. 412-33, la personne détenue ne perçoit aucune indemnisation, comparable à celle qui existe en cas d’activité partielle pour les salariés86. Elle n’a donc aucune garantie, d’autant que cette décision est prise par le chef d’établissement ou la direction interrégionale87. Le travailleur détenu demeure par conséquent avant tout une personne détenue. Reste à savoir si sa réinsertion sera facilitée par ce nouveau dispositif.

• 88 S. Brimo, « Du droit au travail pénitentiaire au droit du travail pénitentiaire », Revue de droit s (...)

25L’objectif affiché depuis l’établissement du caractère volontaire du travail carcéral en 1987 est celui de la (ré)insertion professionnelle des personnes à la sortie de la détention88, lesquelles sont le plus souvent déjà éloignées de l’emploi avant de franchir les portes de la prison. Révélateur de cet objectif, le régime juridique du travail carcéral est inscrit non pas dans le livre III relatif aux droits et obligations des personnes détenues, mais dans le livre IV intitulé « Aide à la réinsertion des personnes détenues ».

• 89 X. Bioy, Droits fondamentaux et libertés publiques, 6^e éd., Paris, LGDJ, 2020, p. 885.
• 90 F. Gaudu, L’emploi dans l’entreprise privée : essai de théorie juridique, thèse de doctorat en droi (...)
• 91 Ibid., p. 570.
• 92 Étude d’impact. Projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire, p. 219.
• 93 Ministère de la Justice, circulaire relative à l’organisation du travail en détention, 18 juillet 2 (...)
• 94 RPE, règles 26.10 et 26.11.
• 95 J. Schmitz, « Les paradoxes de l’approche du travail carcéral par les droits fondamentaux », in Que (...)
• 96 V. Dussart, « Financer le travail en prison : un régime complexe ! », in Quelle normalisation de la (...)
• 97 J.-C. Jobart, « Salaire et prison : un droit sans droits ? », in Le droit à la réinsertion des pers (...)
• 98 M. Goicoechea, « Droit au travail et indemnisation de l’inactivité », p. 449.

26Le support contractuel du travail pénitentiaire a été nommé « contrat d’emploi pénitentiaire », le but affiché étant d’offrir un « emploi » à la personne détenue, afin de la « préparer » à celui qu’elle essaiera d’obtenir à la sortie de la détention. Pour autant, le travail pénitentiaire est-il réellement un emploi ? Consacré au cinquième alinéa du préambule de la Constitution de 1946 et qualifié d’objectif à valeur constitutionnelle89, le terme « emploi » revêt une signification particulière. Il renvoie à une idée de stabilité90, le contrat à durée indéterminée devenant au fil des décennies le « modèle de l’emploi »91. L’emploi vise à offrir une situation stable, tant professionnelle que financière, à l’individu qui en bénéficie. C’est sur ce point que le bât blesse dans le régime du contrat d’emploi pénitentiaire. En matière de rémunération, les dispositions n’ont pas été modifiées au fond et ont à peine été discutées lors des débats parlementaires. Pour preuve, l’étude d’impact s’attache seulement à réaffirmer la volonté de lutter contre la rémunération à la pièce par les entreprises privées92. Pour mémoire, l’article D. 412-64 indexe la rémunération sur le salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC) et prévoit un taux horaire variant entre 20 et 45 % de ce dernier. Le taux maximal s’applique aux activités de production et aboutit à une rémunération horaire brute de 5,24 euros en 2024. Les emplois au service général sont divisés en trois classes, en fonction du niveau de qualification ou de compétences qu’exige leur exécution93 : 3,84 euros par heure pour la classe I (33 % du SMIC), 2,91 euros pour la classe II (25 % du SMIC) et 2,33 euros pour la classe III (20 % du SMIC). La majorité des détenus travailleurs étant à temps partiel, il est parfaitement illusoire d’y voir la rémunération décente d’un emploi94. Plusieurs justifications peuvent être avancées pour défendre ces seuils de salaire : la prise en charge des personnes détenues par l’administration pénitentiaire95 (même s’ils doivent « cantiner » pour de nombreux produits de la vie quotidienne), le manque de ressources financières96 ou la difficulté à attirer des entreprises en détention97. Or, au regard de ces niveaux de rémunération, le travailleur détenu ne peut subvenir seul à ses besoins, même les plus primaires. Qui plus est, les seuils de rémunération impactent immanquablement le montant des droits sociaux perçus à la sortie de la détention, ainsi des allocations chômage98. Sans revenus suffisants, la sortie sera très souvent brutale, conduisant à de nouvelles infractions (vols, trafics de stupéfiants, etc.).

• 99 J.-P. Céré, « Le Conseil constitutionnel et le travail en prison ».
• 100 C. pénit., art. R. 412-25.
• 101 75 % des détenus ont un niveau inférieur ou égal au CAP (Institut Montaigne, Travail en prison…, p. (...)
• 102 Ibid., p. 101.

27Pour justifier la non-augmentation de la rémunération, l’administration pénitentiaire ou les entreprises pourraient arguer que les personnes détenues, dans ce contexte, apprennent un métier ou sont moins productives99. Ainsi perçu, le travail en prison serait davantage une activité, un apprentissage, en vue de la réinsertion future de la personne détenue. Il est d’ailleurs à noter que la circulaire du 18 juillet 2022 n’emploie jamais le terme de « travailleur », mais toujours ceux d’« opérateur détenu » pour la production et d’« auxiliaire » pour le service général. Dans cet objectif, de nouvelles lacunes apparaissent. Les emplois proposés sont souvent des emplois peu qualifiés, lesquels ne permettent pas aux personnes détenues de valider des acquis de l’expérience professionnelle. Aucun objectif de formation professionnelle n’est adossé au travail. L’accompagnement n’est prévu que dans l’hypothèse des contrats conclus avec des structures d’insertion par l’activité économique100. Or, il ne faut pas oublier que la population carcérale est souvent éloignée du marché de l’emploi avant même l’incarcération, notamment du fait de lacunes scolaires101. L’Institut Montaigne avait par exemple proposé de généraliser dans le contrat d’emploi pénitentiaire, en complément du travail, des actions de formation et d’aide à l’emploi102.