• 1 En ce sens, voir F. Habouzit, « La codification du droit pénitentiaire », Revue de science criminel (...)
• 2 Art. 24 de la loi nº 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire, (...)

1Peu de temps après la parution du Code pénitentiaire, des auteurs ont estimé qu’il représentait une occasion manquée1. Il a été reproché au législateur de s’être limité à une codification à droit constant et de ne pas avoir cherché à mieux encadrer le régime juridique de la détention. En effet, la réflexion sur le droit pénitentiaire qui était ouverte offrait l’opportunité de combler certaines lacunes, de consacrer des jurisprudences ou des instructions ministérielles. Toutefois, les auteurs du Code pénitentiaire étaient tenus par la loi d’habilitation, qui les invitait seulement à « [r]assembler et organiser dans un code pénitentiaire les dispositions relatives au service public pénitentiaire, à son contrôle et à la prise en charge ainsi qu’aux droits et obligations des personnes qui lui sont confiées »2.

• 5 M. Wagner, « L’élaboration du Code pénitentiaire vue par une rédactrice : le Code en quatre étapes  (...)

Un autre critère de distinction a été mis en œuvre ; il s’agit de celui du rôle de l’administration pénitentiaire par rapport à la disposition concernée. S’il impliquait une intervention de l’administration à titre principal, le texte a été transféré, tandis qu’un simple renvoi a été retenu si ce n’était pas le cas5. Ce critère a contribué à marquer une séparation assez nette entre les droits de la personne détenue dans le cadre des procédures de nature administrative et ses droits dans le cadre de la procédure pénale. Dans le premier cas, les dispositions reconnaissant ces droits ont été transférées dans le Code pénitentiaire (I), tandis qu’elles font l’objet de simples renvois dans le deuxième cas (II).

• 6 C. pénit., art. R. 412-18.
• 7 C. pénit., art. R. 315-3.

5Les personnes détenues sont amenées à devenir parties dans de nombreuses procédures de nature administrative. On peut citer par exemple les contestations de refus d’affectation sur un poste de travail6 ou les recours de personnes détenues de nationalité étrangère en annulation d’une décision portant obligation de quitter le territoire français7. Pour simplifier la présentation des droits des personnes détenues dans le cadre des procédures administratives, on peut dans un premier temps se focaliser sur la plus emblématique d’entre elles, à savoir la procédure disciplinaire (A). Par la suite, il est possible de prendre du recul et de faire la synthèse des droits des personnes détenues dans le cadre des autres procédures administratives (B).

• 8 Voir M. Herzog-Evans, Droit pénitentiaire, 3^e éd., Paris, Dalloz, 2019, nº 3212.45.

6Pour prendre la mesure de l’évolution que représente l’édiction d’un Code pénitentiaire en matière disciplinaire, il est nécessaire de revenir plusieurs années en arrière, au début des années 1990. Les dispositions dédiées à la procédure disciplinaire étaient alors d’une rare indigence. Elles se retrouvaient à l’article D. 249 du Code de procédure pénale. Ce texte indiquait que la personne détenue devait être informée par écrit et avant sa comparution des faits qui lui étaient reprochés et qu’elle devait être mise en mesure de présenter ses explications. Pour le reste, la procédure disciplinaire était régie par des usages issus d’un ancien arrêté du 8 juin 18428.

• 9 CE, 17 février 1995, Marie, nº 97754. Voir Les grands arrêts de la jurisprudence administrative, M. (...)
• 10 Sur les mesures d’ordre intérieur, voir G. Dumont, J. Sirinelli, Droit administratif, 14^e éd., Pari (...)
• 11 Conseil de l’Europe, recommandation nº R (87) 3 du Comité des ministres aux États membres sur les R (...)
• 12 Décret nº 96-287 du 2 avril 1996 relatif au régime disciplinaire des détenus et modifiant certaines (...)
• 13 Code de procédure pénale, art. D. 250-2 dans sa rédaction issue du décret nº 96-287 du 2 avril 1996
• 14 Code de procédure pénale, art. D. 250-4 dans sa rédaction issue du décret nº 96-287 du 2 avril 1996
• 15 Code de procédure pénale, art. D. 250-5 dans sa rédaction issue du décret nº 96-287 du 2 avril 1996

7Sous l’effet de la conjonction de deux facteurs, la situation a évolué à la fin du XX^e siècle. Le plus important a été l’arrêt Marie9. Le 17 février 1995, le Conseil d’État a ouvert la voie du recours pour excès de pouvoir contre les sanctions disciplinaires. Jusqu’alors, les juridictions de l’ordre administratif refusaient de connaître le contentieux des sanctions disciplinaires, au motif qu’elles constituaient des mesures d’ordre intérieur10. Le second facteur a été l’adoption en 1987 d’une recommandation du Comité des ministres du Conseil de l’Europe sur les Règles pénitentiaires européennes11. Plusieurs années après, la législation française n’était toujours pas conforme à cette recommandation, notamment en raison de l’absence d’une définition précise des conduites qui constituaient une infraction disciplinaire et des sanctions qui leur étaient associées. Par un décret du 2 avril 199612, le pouvoir réglementaire a réécrit une importante partie de la section du Code de procédure pénale consacrée au régime disciplinaire. La procédure disciplinaire était alors décrite aux articles D. 250 à D. 250-6 du Code. Selon ces textes, la personne détenue convoquée devant la commission de discipline devait bénéficier d’un délai d’au moins trois heures pour préparer sa défense13. Elle comparaissait en personne devant la commission pour présenter ses explications orales ou écrites, assistée par un interprète le cas échéant14. Elle avait aussi la possibilité de contester la sanction disciplinaire : pour cela, elle devait déférer la décision au directeur interrégional des services pénitentiaires avant tout autre recours15.

• 16 Voir M. Herzog-Evans, É. Péchillon, « L’entrée des avocats en prison », Recueil Dalloz, 2000, p. 48 (...)
• 17 Loi nº 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les adm (...)
• 18 Il a été abrogé par l’ordonnance nº 2015-1341 du 23 octobre 2015. Ce droit figure désormais à l’art (...)
• 19 Décret nº 2002-1023 du 25 juillet 2002 pris pour l’application de l’article 24 de la loi nº 2000-32 (...)

8Le droit à l’assistance de la personne détenue par un avocat a été consacré par un effet collatéral, mais anticipé16, de la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations17. Selon l’ancien article 24 de cette loi18, les administrés pouvaient se faire assister par un conseil ou représenter par un mandataire de leur choix lorsqu’ils présentaient des observations préalables à une décision individuelle de l’administration. Un décret du 25 juillet 2002 est venu préciser le régime de la désignation d’un mandataire par une personne détenue19.

• 20 Décret nº 2010-1634 du 23 décembre 2010 portant application de la loi pénitentiaire et modifiant le (...)
• 21 Code de procédure pénale, art. R. 57-7-16, al. 2 dans sa rédaction issue du décret nº 2010-1634 du (...)
• 22 Code de procédure pénale, art. R. 57-7-16, al. 1 dans sa rédaction issue du décret nº 2010-1634 du (...)

9En 2009, la loi pénitentiaire a réformé les dispositions relatives au régime disciplinaire. Tout d’abord, elle a fait figurer dans le 4° de l’article 726 du Code de procédure pénale le droit pour la personne détenue d’être assistée par un avocat choisi ou commis d’office. Cette loi a aussi exigé que le régime disciplinaire des personnes détenues soit régi par un décret en Conseil d’État et non pas par un simple décret. Il fallait donc, dans le Code, passer des articles en « D » aux articles en « R ». Un décret du 23 décembre 201020 a codifié ces règles. Il a en outre renforcé les garanties en faveur de la personne détenue et a consacré de nouveaux droits : le délai pour préparer sa défense est passé de trois à vingt-quatre heures21, le dossier de la procédure disciplinaire doit être mis à sa disposition et la convocation n’indique plus seulement les faits reprochés, elle doit aussi préciser leur qualification juridique22.

• 23 Assemblée nationale, amendement présenté par M. Coronado et M. Molac, 24 avril 2014, nº CL11.
• 24 CAA Lyon, 18 avril 2013, nº 12LY085, Actualité juridique. Pénal, 2013, p. 624, obs. M. Herzog-Evans
• 25 Code de procédure pénale, art. 726, 4° dans sa rédaction issue de la loi nº 2014-535 du 2 juin 2014
• 26 Décret nº 2016-1432 du 24 octobre 2016 relatif aux conditions de consultation par les personnes dét (...)

10Les droits de la personne détenue ont encore été étoffés en 2014. Lors de l’examen du projet de loi de transposition de la directive du 22 mai 2012 relative au droit à l’information dans le cadre des procédures pénales, deux députés ont déposé un amendement23 qui tendait à briser une jurisprudence. Un an plus tôt, la cour administrative d’appel de Lyon avait considéré que le refus opposé à la demande d’une personne détenue poursuivie en matière disciplinaire d’accéder aux enregistrements de vidéosurveillance de l’établissement ne violait pas le principe du contradictoire24. Alors que l’amendement visait seulement l’accès à ces images, il a conduit à la consécration d’un droit de prendre connaissance de tout élément utile à l’exercice des droits de la défense25. Il a été concrétisé à l’article R. 57-7-16 du Code de procédure pénale par un décret du 24 octobre 201626. Depuis cette date, aucun nouveau droit procédural n’a été octroyé en matière disciplinaire.

• 27 Les articles L. 231-1, L. 231-2 et L. 231-3 du Code pénitentiaire constituent un redécoupage de l’a (...)

11L’ordonnance du 30 mars 2022 et le décret du même jour ont fait œuvre de codification à droit constant. Le 4° de l’article 726 du Code de procédure pénale a été basculé au 4° de l’article L. 231-1 du Code pénitentiaire. Pour ce qui est des dispositions réglementaires, elles sont passées des articles R. 57-7-5 et suivants du Code de procédure pénale aux articles R. 234-1 et suivants du Code pénitentiaire. Il y a bien eu quelques redécoupages27, mais, pour l’essentiel, il s’agit d’un transfert de dispositions du Code de procédure pénale au Code pénitentiaire.

• 28 Sur l’articulation entre les deux codes, voir C. pénit., art. L. 4.
• 29 Décret nº 2021-682 du 27 mai 2021 portant partie réglementaire du Code de la justice pénale des min (...)

12Pourtant, un observateur attentif de la table de concordance peut remarquer une certaine discontinuité entre les textes listés. En effet, le régime disciplinaire inscrit dans le Code de procédure pénale a été amputé d’une partie de ses dispositions avant qu’elles ne soient déplacées dans le Code pénitentiaire. Ces dispositions ne sont pas égarées, elles ont été happées par un autre code ; celui de la justice pénale des mineurs28. Ainsi, l’obligation d’aviser les titulaires de l’autorité parentale ou les représentants légaux du mineur à l’encontre duquel une sanction disciplinaire est prononcée, qui était prévue par l’article R. 57-7-29 du Code de procédure pénale, ne se retrouve pas dans le Code pénitentiaire, mais à l’article R. 124-22 du Code de la justice pénale des mineurs. Comment interpréter ce changement de code  ? On peut y voir une simple conséquence chronologique : la partie réglementaire du Code de la justice pénale des mineurs ayant été édifiée plus tôt29, ce code a récupéré des dispositions qui n’ont pas été déplacées de nouveau. On peut aller plus loin, et formuler une autre hypothèse. Le mineur détenu est dans une situation d’intersection de vulnérabilité : à la fois mineur, à la fois personne détenue. En postulant une règle d’attraction des situations spécifiques vers le code qui leur est dédié, on constaterait que la minorité est un facteur qui l’emporte sur la privation de liberté, une sorte de cause de vulnérabilité prioritaire. Quoi qu’il en soit, ce mouvement de texte révèle un risque inhérent au développement des projets de codification de plus en plus techniques : celui d’un éparpillement des dispositions qui peuvent s’inscrire dans plusieurs codes thématiques.

• 30 Voir Code de procédure pénale, ancien art. R. 57-6-9.
• 31 C. pénit., art. R. 313-1.
• 32 C. pénit., art. R. 313-2.

13Les sanctions disciplinaires ne sont pas les seules décisions administratives susceptibles d’affecter l’existence d’une personne détenue. En réalité, beaucoup d’activités qu’elle mène au quotidien sont régies par des décisions de l’administration pénitentiaire. Eu égard à leur importance, la personne détenue aurait tout intérêt à faire valoir son point de vue avant que la décision ne soit prise. Dans une certaine mesure, c’est ce que lui permettent de faire certaines dispositions du Code pénitentiaire, qui figuraient auparavant dans le Code de procédure pénale30. En effet, préalablement à la prise de décision susceptible de l’affecter, la personne détenue peut se faire assister d’un conseil31 et elle dispose d’un délai d’une durée minimale de trois heures pour préparer ses observations, à compter du moment où elle a été mise en mesure de consulter les éléments de la procédure32. Il s’agit d’une manifestation du principe du contradictoire.

• 33 Dans un sens favorable, voir S. Niquège, « Le pouvoir de police du directeur d’établissement pénite (...)
• 34 Voir F. Habouzit, « Le contrôle des décisions de l’administration pénitentiaire relatives aux condi (...)
• 35 C. pénit., art. R. 213-21.
• 36 C. pénit., art. L. 224-2.
• 37 C. pénit., art. L. 341-4. La délivrance des permis de visite pour une personne condamnée relève de (...)
• 38 C. pénit., art. R. 322-11.
• 39 CE, Ass., 14 décembre 2007, Boussouar, nº 290730, L’actualité juridique. Droit administratif, 2008, (...)
• 40 CE, 6 juin 2018, Dos Santos Pedro, nº 410985, L’actualité juridique. Droit administratif, 2018, p.  (...)
• 41 CE, 28 mars 2011, Garde des Sceaux, ministre de la Justice c. Bennay, nº 316977, L’actualité juridi (...)

15Ce renvoi n’est pas pleinement satisfaisant : la catégorie des décisions individuelles devant faire l’objet d’une motivation demeure relativement indéterminée en droit administratif, et l’édiction d’une liste précise aurait facilité la mise en œuvre des droits procéduraux de la personne détenue. Toutefois, cette proposition n’est pas réaliste, car les pouvoirs de l’administration pénitentiaire ne sont pas eux-mêmes enfermés dans une liste33. La doctrine a son rôle à jouer dans l’identification de ces décisions34. À l’heure actuelle, il est certain que les décisions de mise à l’isolement35, de placement dans des quartiers spécifiques36, de refus de délivrance d’un permis de visite37, de refus de laisser du matériel et des appareillages médicaux à la disposition d’une personne détenue38 font partie de cette catégorie, puisque des dispositions prévoient expressément qu’elles doivent être motivées. En dehors des textes, il faut se fier à la jurisprudence. Le Conseil d’État a notamment estimé qu’une mesure de transfert d’une personne détenue d’un établissement pour peines à une maison d’arrêt imposait des sujétions à son destinataire et devait donc être motivée39. C’est aussi le cas de la décision de rétention du matériel informatique de la personne détenue40. En revanche, il a considéré que ce n’était pas le cas du placement en secteur dit « portes fermées  »41. En l’absence de jurisprudence, il n’est pas toujours évident de savoir si la décision doit être motivée ou non.

• 42 En matière disciplinaire, voir C. pénit., art. R. 234-43. Pour les autres décisions administratives (...)
• 43 Il s’agit d’un renvoi à des procédures de référé du Code de justice administrative. Voir Code de pr (...)
• 44 Cour EDH, 20 janvier 2011, Payet c. France, nº 19606/08, Dalloz actualité, 27 janvier 2011, obs. S. (...)
• 45 CE, 23 novembre 2022, M. B. C., nº 457621, Dalloz actualité, 5 décembre 2022, obs. M. Dominati.
• 46 Voir CE, Ass., 18 mai 2018, CFDT Finances, nº 414583, L’actualité juridique. Droit administratif, 2 (...)

16Il n’en reste pas moins que le déplacement des dispositions relatives aux droits de la personne détenue dans le cadre des procédures administratives dans le Code pénitentiaire est une avancée. En effet, elles n’étaient pas à leur place dans le Code de procédure pénale, pour au moins deux raisons. Tout d’abord, tant les sanctions disciplinaires que les autres décisions administratives sont susceptibles de recours. Or, après les recours préalables obligatoires42, c’est le juge administratif qui est compétent pour connaître de ce contentieux. Le juge administratif n’est pas un juge naturel du Code de procédure pénale, il n’est évoqué que dans un seul texte43. Surtout, la présence de ces dispositions dans le Code de procédure pénale donnait une impression erronée. En dépit de l’emplacement des textes qui la régissaient, la procédure disciplinaire ne relève pas de la matière pénale44, et le Conseil d’État refuse de faire application de l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme dans ce contentieux45. Par ailleurs, ces dispositions n’auraient pas trouvé leur place non plus dans le Code des relations entre le public et l’administration. Dans sa structure, ce code n’admet pas de distinction entre les administrés. En outre, le Conseil d’État ne lui réserve pas toujours un bon accueil46.

• 47 Cour EDH, 30 janvier 2020, J.M.B. et autres c. France, nº 9671/15, L’actualité juridique. Droit adm (...)
• 48 Cass. crim., 8 juillet 2020, nº 20-81.731 et nº 20-81.739, Dalloz actualité, 31 août 2020, obs. C.  (...)
• 49 CC, déc. nº 2020-858/859 QPC du 2 octobre 2020, L’actualité juridique. Droit administratif, 2020, p (...)
• 50 Sur cette loi, voir J.-B. Perrier, « Détention et conditions indignes : création d’un recours (in)e (...)

20Un droit procédural figurant dans le Code de procédure pénale fait l’objet d’une section spécifique dans le Code pénitentiaire. Il s’agit du recours judiciaire visant à garantir le droit au respect de la dignité en détention. Ce recours a été créé en réaction à une condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l’homme47, ainsi qu’à un arrêt de la Cour de cassation48 et une décision du Conseil constitutionnel49. Le droit français ne connaissait pas de recours préventif suffisamment effectif pour mettre fin à des conditions de détention attentatoires à la dignité de la personne détenue. L’ambition de la loi du 8 avril 2021 était de pallier cette carence, en permettant à toute personne détenue dans un établissement pénitentiaire de saisir le juge des libertés et de la détention ou le juge de l’application des peines afin qu’il soit mis fin à des conditions de détention indignes50.

• 51 Commission supérieure de codification, Rapport annuel 2021, p. 78.
• 52 Voir E. Bonis, « Le Code pénitentiaire est entré en vigueur », La semaine juridique, édition généra (...)
• 53 L’ambition du rapport Cotte était de créer un code « propre au condamné, en sa qualité “d’usager” [ (...)
• 54 Il s’agit d’une section située dans le livre III du Code, relatif aux droits et obligations des per (...)
• 55 Art. 2 de la loi nº 2023-1059 du 20 novembre 2023 d’orientation et de programmation du ministère de (...)

23L’article 803-8 aurait pu être intégralement transféré dans le Code pénitentiaire. La Commission supérieure de codification n’avait pas une position tranchée sur cette question51. Il est vrai que, si l’on s’attache au critère du rôle joué par l’administration pénitentiaire, la solution du renvoi s’impose52. En effet, cette disposition met avant tout en relation la personne détenue et le juge. Mais si l’on revient à l’ambition initiale du rapport Cotte53, il faut bien reconnaître que c’est avant tout en sa qualité d’usager du service public pénitentiaire que la personne détenue exerce ce recours ; ses conditions de détention sont sans lien direct avec l’affaire pénale traitée par la juridiction. Quoi qu’il en soit, on peut souligner le fait que le recours contre les conditions de détention indignes est mis en valeur par le fait qu’une section lui est dédiée54, ce qui lui permet d’apparaître dans le plan du Code pénitentiaire. À l’heure où il est question d’une réécriture du Code de procédure pénale55, il pourrait être pertinent de s’inspirer de ce procédé pour sortir l’article 803-8 des dispositions générales.

• 56 M. Wagner, « L’élaboration du Code pénitentiaire vue par une rédactrice… ».
• 57 Cette expression apparaît notamment à l’article L. 311-4 du Code pénitentiaire.

24Lors des travaux de préparation du Code pénitentiaire, la première étape a été d’identifier les articles susceptibles d’entrer dans son périmètre56. L’inconvénient de cette démarche est qu’elle suppose des textes préexistants. Ne figurent donc dans le Code pénitentiaire que des droits procéduraux qui étaient ou qui sont toujours affirmés par d’autres textes. Or, dans le Code de procédure pénale, les droits procéduraux propres aux personnes détenues sont toujours relatifs à l’affaire pour laquelle elles sont détenues. Mais une personne détenue peut devenir partie à une autre procédure que celle qui a entraîné sa détention. Être détenu n’empêche pas de connaître un contentieux civil, comme un divorce ou un retard de versement de loyers. De même, une personne détenue est susceptible de participer à une autre procédure de nature pénale : elle peut elle-même avoir été victime, être l’autrice de faits qui n’ont pas encore été jugés ou avoir commis une infraction pénale au cours de sa détention. Dans toutes ces hypothèses, l’action ou la défense du mis en cause risque d’être matériellement compromise par sa privation de liberté. Or, il semble que la personne « détenue pour une autre cause »57 ait été relativement oubliée.

• 58 Les articles 167, 175, 183, 197, 217 et 390-1 du Code de procédure pénale.
• 59 À l’exception de l’article 390-1 du Code de procédure pénale.
• 60 L’interrogatoire peut avoir lieu dans l’établissement pénitentiaire ou dans les locaux de police si (...)
• 61 Code de procédure pénale, art. 77-2 II.
• 62 Code de procédure pénale, art. D. 15-6-3 II.

25Cette carence peut être illustrée par un exemple. Selon l’article L. 311-3 du Code pénitentiaire, le chef de l’établissement est tenu de notifier certains documents et informations aux prévenus : résultats des expertises, avis de fin d’information, ordonnance du juge d’instruction, convocation à une audience. Il s’agit d’une synthèse, d’un regroupement de renvois à différents textes du Code de procédure pénale58 qui ont tous pour point commun d’évoquer la notification d’un acte et d’inclure l’expression « par les soins du chef de l’établissement pénitentiaire  »59. En l’état, l’article L. 311-3 du Code pénitentiaire semble incomplet, car il y a d’autres actes de procédure qui ont vocation à être notifiés au mis en cause en phase préparatoire. Ainsi, une personne détenue peut être entendue par des enquêteurs si elle est soupçonnée d’avoir commis une infraction60. Un an après son interrogatoire, elle peut demander à consulter le dossier d’enquête61. En retour, le procureur doit lui indiquer le sort réservé à sa demande. Les auteurs de l’article 77-2 du Code de procédure pénale n’ont pas envisagé la situation du suspect détenu pour une autre cause. Une disposition réglementaire indique simplement que le procureur notifie sa décision par tout moyen62. Or, lorsqu’une personne est détenue, le moyen le plus simple de lui notifier un acte est de le faire par l’intermédiaire du chef de l’établissement pénitentiaire. Sous ses airs de liste exhaustive, l’article L. 311-3 du Code pénitentiaire est donc loin d’envisager toutes les hypothèses de notification.

• 63 C. pénit., art. R. 311-10.
• 64 C. pénit., art. R. 311-11.
• 65 C. pénit., art. R. 311-12.
• 66 C. pénit., art. R. 311-13.

26Si l’on continue d’étudier l’article 77-2 du Code de procédure pénale, on peut se demander ce qu’il advient si le procureur fait droit à la demande d’accès au dossier. Pour ce qui est du dossier d’instruction, le Code pénitentiaire décrit son régime de consultation. Si la transmission d’une copie des pièces provient de l’avocat de la personne détenue, elle doit transiter par le greffe de l’établissement pénitentiaire63, avant d’être remise à son destinataire dans un délai de trois jours ouvrables64. Le juge d’instruction peut toutefois décider que les documents soient conservés au greffe de l’établissement pénitentiaire65. Le cas échéant, la personne détenue peut demander à les consulter auprès du chef de l’établissement pénitentiaire, qui doit alors organiser la consultation dans les trois jours ouvrables suivant la demande, sous réserve des exigences du bon fonctionnement de l’établissement66. Qu’en est-il de la copie du dossier d’enquête transmise en application de l’article 77-2  ? Est-elle soumise au même régime, ses modalités de consultation sont-elles laissées à la discrétion du chef de l’établissement pénitentiaire  ? Le Code pénitentiaire ne permet pas de répondre à ces questions.

• 67 Par renvoi à l’article 397-1-1 du Code de procédure pénale.

27Un autre exemple peut être donné. Il s’agit de l’article L. 315-6 du Code de procédure pénale, qui permet à une personne placée en détention provisoire dans le cadre d’une comparution à délai différé de présenter une demande d’acte nécessaire à la manifestation de la vérité au président du tribunal judiciaire67. On ne peut qu’approuver ce rappel d’un droit procédural. Cependant, et à nouveau, qu’en est-il de la personne détenue pour une autre cause, convoquée devant le tribunal correctionnel  ? Elle aussi a le droit de présenter une demande d’acte au président du tribunal, en vertu de l’article 388-5 du Code de procédure pénale. Or, cette disposition est entièrement occultée par le Code pénitentiaire.