• 1 M. Kamto, « Dynamique constitutionnelle du Cameroun indépendant », Revue juridique africaine, nº 1, (...)
• 2 A. D. Olinga, « L’aménagement des droits et libertés dans la Constitution camerounaise révisée », R (...)
• 3 Celui-ci dispose que : « Le Préambule fait partie intégrante de la Constitution ».

1Après la brève parenthèse du « constitutionnalisme libéral d’ascendance coloniale »1, refermée par plusieurs années d’autoritarisme, la décennie 1990, avec son vent de réformes, a cristallisé le retour progressif du constitutionnalisme libéral, et la valorisation subséquente des droits fondamentaux dont l’exercice était restreint sous l’ère du système monolithique. Si ces droits étaient autrefois énoncés dans de nombreux textes législatifs et conventionnels ratifiés, depuis lors, par le Cameroun, ils n’avaient cependant pas de valeur constitutionnelle du fait de la non-intégration du préambule, site de leur énonciation, dans le corpus de la Constitution du 2 juin 19722. Sur ce point, la loi constitutionnelle du 18 janvier 1996 constitue une rupture en conférant, à son article 653, une valeur constitutionnelle à son préambule.

• 4 V. Champeil-Desplats, « Des “libertés publiques” aux “droits fondamentaux” : effets et enjeux d’un (...)
• 5 É. Picard, « L’émergence des droits fondamentaux en France », L’actualité juridique. Droit administ (...)
• 6 Ibid.

2Réceptionnée par les différentes constitutions primitives et la loi constitutionnelle du 18 janvier 1996, l’expression « droits fondamentaux », érigée en notion, n’y est point définie. Cependant, son explicitation trouve des précisions utiles dans la doctrine4. À cet effet, cette dernière recourt à deux approches distinctes mais complémentaires, à savoir : la hiérarchie normative formelle5 et la hiérarchie normative substantielle6.

• 7 J.-M. Sauvé, « Y a-t-il trop de droits fondamentaux ? », conférence prononcée lors de la rentrée so (...)

3La hiérarchie normative substantielle consiste précisément à déduire la fondamentalité des considérations axiologiques et institutionnelles7. Toutefois, pour appréhender la notion de droit fondamental, la doctrine se réfère d’abord à la hiérarchie normative formelle.

• 8 É. Picard, « L’émergence des droits fondamentaux en France », p. 16.

4Cette dernière consiste par contre à convoquer la pyramide des normes pour en déduire la fondamentalité. À ce propos, le droit fondamental s’entend d’un droit constitutionnalisé car, en tant que norme fondamentale, la Constitution imprègne son contenu de sa fondamentalité formelle8. Cela justifie l’existence d’une garantie constitutionnelle des droits fondamentaux.

• 9 Trois textes en limitaient insidieusement l’effectivité : le décret nº 61-DF-11 du 20 octobre 1961 (...)
• 10 J. Owona, « L’institutionnalisation de la légalité d’exception dans le droit public camerounais », (...)
• 11 M. Nguele Abada, État de droit et démocratisation au Cameroun. Contribution à l’étude de l’évolutio (...)

5Avant la loi constitutionnelle du 18 janvier 1996, cette garantie n’était point envisagée dans la Constitution du 2 juin 1972, car le contexte politique n’y seyait pas. Sous le prétexte de consolider l’unité nationale encore fragile au regard de la jeunesse de l’État du Cameroun, le régime politique autoritaire d’alors restreignait l’exercice des droits et libertés à travers une légalité d’exception9. L’institutionnalisation de cette dernière10 hypothéquait le potentiel libéral de la Constitution au profit de son instrumentalisation dans le but de renforcer l’autorité du chef de l’État11.

• 12 J.-L. Atangana Amougou, L’État et les libertés publiques au Cameroun. Essai sur l’évolution des lib (...)
• 13 J.-L. Atangana Amougou, L’État et les libertés publiques au Cameroun…, p. 222-310.
• 14 Voir le décret nº 2018/105 du 7 février 2018 portant nomination des membres du Conseil constitution (...)

6Élaborée dans un contexte de libéralisation socio-politique, la révision constitutionnelle du 18 janvier 1996 entend donc remédier aux limites de la Constitution du 2 juin 1972. Ainsi, elle remet à l’ordre du jour la question de la garantie constitutionnelle des droits fondamentaux. Cette question n’a pas encore fait l’objet d’un traitement spécifique. Certes, quelques auteurs se sont intéressés à la protection des libertés individuelles12, et ils ont à ce sujet émis des réserves13 du fait notamment de la non-entrée en fonction, à cette période-là, du Conseil constitutionnel. Ce n’est plus le cas aujourd’hui, celui-ci est désormais effectif14 et se déploie dans un environnement juridique complexe. D’où l’intérêt théorique de notre étude qui se saisit d’une question non spécifiquement traitée et dont le contexte juridique requiert un regard nouveau. Ce qui porte à questionner la portée de la garantie constitutionnelle des droits fondamentaux à l’aune de la loi constitutionnelle du 18 janvier 1996. Cette garantie s’avère, en réalité, ambivalente. À travers l’analyse des dispositions juridiques pertinentes et, de façon accessoire, de la jurisprudence, cette ambivalence procède du contraste entre une énonciation constitutionnelle affirmée (I) et une protection constitutionnelle mitigée (II).

• 15 J. du Bois de Gaudusson, « Le mimétisme postcolonial, et après ? », Pouvoirs, nº 129, 2009, p. 45-5 (...)

10Excepté dans la Constitution du 1^er septembre 1961, alors dépourvue de préambule, le constituant camerounais a toujours privilégié la formulation directe des droits fondamentaux, notamment une formulation préambulaire. Pour s’en convaincre, il suffit de convoquer, à cet effet, la Constitution du 4 mars 1960, celle du 2 juin 1972 ainsi que la loi constitutionnelle du 18 janvier 1996 portant révision de cette dernière. Cette loi constitutionnelle reconduit in extenso le préambule de la Constitution du 2 juin 1972. Des deux modalités de formulation directe, la préférence du constituant camerounais s’est portée sur la formulation préambulaire, et il ne s’en est plus départi depuis lors. Certes, cette préférence peut se justifier sous l’angle du mimétisme constitutionnel15, mais cela reviendrait à éluder les raisons structurantes de celle-ci.

• 16 J.-B. Jacob, « L’engendrement des droits fondamentaux en France », Revue des droits et libertés fon (...)

12Les droits fondamentaux essaiment ; la diversité et pluralité de leurs sources formelles en font une catégorie dynamique au contenu très dense. Aussi aucun texte juridique ne peut-il en contenir tous les éléments. Plus encore, cette catégorie est vivante, de nouveaux droits sont affirmés par une activité d’interprétation jurisprudentielle16. La plasticité de cette catégorie en justifie la formulation indirecte dans la Constitution. Cette formulation renvoie à la technique d’incorporation et d’attribution d’une valeur constitutionnelle à des droits fondamentaux non formellement énoncés dans le texte constitutionnel. Cette technique se décline autour de deux modalités : la technique du renvoi et celle de la consécration jurisprudentielle. Le constituant camerounais a mobilisé ces deux modalités, davantage la première que la seconde. La formule suivante est explicite à cet égard :

• 17 Organisation internationale du travail, convention nº 155 sur la sécurité et la santé des travaille (...)

13En raison de son caractère général, cette formule apparaît généreuse. Elle promeut une constitutionnalisation ouverte des droits fondamentaux conventionnels. Le constituant affirme ainsi la valeur constitutionnelle des droits conventionnels existants et futurs. Cette affirmation soulève des interrogations en ce que plusieurs conventions internationales énoncent des droits catégoriels n’ayant pas l’homme comme sujet, mais des catégories professionnelles17. Si leur constitutionnalité paraît acceptable, leur fondamentalité le serait moins a priori parce qu’elle serait contextuelle. La Constitution pourrait ainsi abriter une échelle de la fondamentalité qui pourrait soulever la question du degré de garantie de ces droits. Ainsi, face à certaines situations charriant des intérêts impératifs, à l’instar de l’ordre public, leur garantie ne s’imposerait pas.

• 18 É. Le Roy, « Les droits de l’homme entre un universalisme hâtif et le ghetto des particularismes cu (...)

15Le constituant camerounais ne discrimine aucune catégorie des droits énoncés. En cela, il se trouve dans l’entre-deux : entre universalisme et particularisme18. Cette posture conciliatrice l’a porté à reconnaître toutes les générations de droits fondamentaux de manière à densifier le contenu de leur énonciation. À cet effet, il a consacré, d’une part, les droits génériques (1), et, d’autre part, les droits catégoriels (2).

• 19 E. Decaux, La réciprocité en droit international, Paris, LGDJ, 1980, p. 374.
• 20 T. Touonang Tekendo, Les obligations objectives en droit international, thèse de doctorat en droit (...)

16Parler de droits fondamentaux génériques revient à évoquer ceux se rattachant à l’être humain sans considération de sa position socio-politique. Ceux-ci sont généralement énoncés dans les conventions et déclarations internationales universelles, c’est-à-dire celles adoptées au sortir de la Deuxième Guerre mondiale, notamment la Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH), le Pacte international sur les droits civils et politiques (PIDCP) et le Pacte international des droits économiques sociaux et culturels (PIDESC). Ces deux derniers jouissent du statut de normes de jus cogens de sorte que leur application s’affranchit de l’obligation de réciprocité19. Et leur garantie participe des obligations objectives20. Dès leur ratification ou adhésion, ces instruments juridiques universels bénéficient d’une intégration dans la loi constitutionnelle actuelle, la première à consacrer une constitutionnalité de principe des conventions internationales relatives aux droits fondamentaux en leur octroyant, à la différence de ses devancières, une valeur constitutionnelle.

• 21 Il s’agit notamment de la Constitution du 2 juin 1972.

17À l’instar de sa devancière21, elle intègre certains droits fondamentaux énoncés dans les instruments internationaux. Elle n’en fait pas un renvoi aux textes internationaux, mais les consacre expressément. Il s’agit des droits qu’elle qualifie d’« inaliénables et sacrés » et qui sont dès lors érigés en principes. On peut, à cet égard, invoquer l’égalité, la liberté, la sécurité. Ces divers droits sont énoncés soit dans le préambule de la Constitution, soit dans le dispositif constitutionnel. En intégrant ces différents droits dans la Constitution, le constituant embrasse une logique inclusive. Cette dernière interdit toute hiérarchie entre les droits fondamentaux. L’idée contraire pourrait émerger de la valeur infraconstitutionnelle affectée aux conventions internationales.

• 22 A. D. Olinga, « L’aménagement des droits et libertés… », p. 120.

18En fait, au Cameroun, la distinction entre droits conventionnels et droits constitutionnels semble inopérante, puisque les conventions internationales relatives aux droits fondamentaux dûment ratifiées par le Cameroun participent du préambule de sa Constitution. Ainsi, tous les droits qui y sont consacrés sont constitutionnels22. À côté de ces droits génériques, il a prévu des droits fondamentaux catégoriels.

• 23 S. Pierre-Caps, « La VI^e République et la notion de “Constitution démotique” », in Demain, la Sixiè (...)

20Dans une société plurale à l’instar de celle du Cameroun, la question des droits des minorités et autochtones est prégnante. Elle est abordée par la Constitution démotique23 saisie comme l’ensemble des normes constitutionnelles traitant des questions identitaires. Le préambule de la Constitution l’aborde sous l’angle de la diversité sociale.

• 24 Voir l’article 57, alinéa 3 de la Constitution.

21La garantie des intérêts des minorités ethniques et des autochtones apparaît ainsi nécessaire. Et quoi de plus indiqué que de leur reconnaître un droit de représentation politique pour assurer leur participation aux processus de décision. Concrètement, il s’agit d’objectiver leur présence dans les appareils politiques représentatifs à l’échelle nationale et locale. Deux mécanismes constitutionnels sont, à cet effet, prévus : l’exigence du respect de la composition sociologique dans la confection des listes de candidatures aux élections législatives et locales, et celle de l’accès exclusif et systématique d’une personnalité autochtone à la présidence des conseils régionaux24. Ces mécanismes sont appelés à prévenir la marginalisation politique de ces groupes sociaux et la négation de leurs particularités.

• 25 D. J. Zambo Zambo, « Protection des droits fondamentaux et droit à la jurisdictio constitutionnelle (...)

27Au reste, ces différentes juridictions ne sont pas expressément investies d’une mission constitutionnelle de protection des droits fondamentaux. Mais, à travers l’office de jurisdictio constitutionnelle25, elles sont appelées à protéger ces droits car ceux-ci sont consacrés par la Constitution. Elles le font à l’occasion des contentieux civil, répressif, administratif et constitutionnel.

• 26 Voir note 14.
• 27 Voir à ce sujet l’article 50, alinéa 1 de la Constitution.

29À la différence des juges administratif et judiciaire, le juge constitutionnel, incarné par le Conseil constitutionnel, lequel fonctionne depuis 201826, est le principal gardien de la norme constitutionnelle tel que le dispose l’article 46 de la Constitution. Ce Conseil est compétent en matière de contentieux constitutionnel qui ne se confine pas au contrôle de constitutionnalité des lois, traités et conventions internationaux mais intègre aussi le contentieux des élections nationales, précisément présidentielle et parlementaires, au cours duquel il est indirectement appelé à garantir des droits fondamentaux de sorte que ses décisions s’imposent aux pouvoirs publics27 au même titre que celles des juridictions internationales.

• 28 Voir le Protocole portant Statut de la Cour africaine de justice et des droits de l’homme.
• 29 E. J. Tiehi, « L’exécution minimaliste de l’arrêt de la Cour africaine des droits de l’homme et des (...)

31Au niveau africain, il s’agit de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples (Cour ADHP) en attendant son remplacement par la Cour africaine de justice et des droits de l’homme28. L’exécution des arrêts de cette Cour souffre de nombreuses insuffisances comme le remarque l’exécution minimaliste de son arrêt dans l’affaire Actions pour la protection des droits de l’homme (APDH) c. République de Côte d’Ivoire29.

• 30 Cette règle est consacrée à l’article 41, alinéa 1c du PIDCP, ainsi qu’à l’article 2 du Protocole f (...)
• 31 Voir l’article 50 de la Charte ADHP.

32Bien que les juridictions nationales et internationales relèvent de deux sphères distinctes, elles entretiennent un certain dialogue même si celui-ci s’avère essentiellement à sens unique. Il est adossé au principe de subsidiarité qui autorise le juge international de protection des droits fondamentaux à examiner les décisions des juges nationaux. À l’échelle universelle, ce principe est fondé sur la règle de l’épuisement des voies de recours30 qui comporte des exceptions31. En amont des juridictions nationales et internationales, interviennent plusieurs organes non juridictionnels hétérogènes.

• 32 Voir l’article 31, alinéa 1 et l’article 47, alinéa 3 de la Constitution.
• 33 A. Vidal-Naquet, « Les protections parlementaire et juridictionnelle de la Constitution : quelles r (...)

34D’après l’article 5, alinéa 2 de la Constitution, le président de la République « veille au respect de la Constitution. […] Il est le garant […] du respect des traités et accords internationaux ». Cette disposition l’érige comme le principal garant indirect des droits fondamentaux en ce qu’il veille au respect de la norme constitutionnelle32 et au fonctionnement régulier de leurs institutions de garantie. À l’instar du président de la République, le Parlement participe aussi à la protection de la Constitution et, de ce fait, des droits fondamentaux constitutionnels. Bien que cette protection soit « relativement méconnue, voire purement et simplement ignorée »33, elle n’en demeure pas pour autant moins pertinente.

• 34 Aux termes de l’article 26, alinéa 1a de la Constitution : « Sont du domaine de la loi : Les droits (...)
• 35 Voir à ce sujet les articles 18, alinéa 3b et 23, alinéa 3b de la Constitution.

35Le Parlement participe, en effet, à la protection des droits fondamentaux en objectivant l’exercice de ceux-ci au travers de garanties34 et en protégeant le contenu et la supériorité de la norme constitutionnelle en saisissant le Conseil constitutionnel en cas de doute sur la conformité du texte de loi à la Constitution35.

• 36 Lire à ce propos l’article 45 de la Charte ADHP et l’article 2 du Protocole relatif à la Charte afr (...)

36Au niveau africain, on retrouve la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples (Commission ADHP). Dès l’abord, il convient de noter qu’elle a longtemps revêtu les traits d’une juridiction qui lui ont permis d’exercer, pendant plusieurs décennies, une compétence contentieuse en matière de protection des droits fondamentaux. Cependant, l’avènement de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples l’a dessaisi de cette compétence. Ce n’est pas pour autant que la Commission ADHP ne contribue plus à la protection des droits fondamentaux. Elle continue d’exercer les fonctions de promotion des droits de l’homme et d’interprétation de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP) au regard de sa fonction consultative36.

• 37 Voir à cet effet l’article 61-1 nouveau de la Constitution de la France.

40Au Cameroun, il n’existe point de contentieux constitutionnel des droits fondamentaux qui aurait permis l’accès des individus à la juridiction constitutionnelle. Il n’existe pas non plus de mécanismes pouvant permettre à celle-ci d’être saisie indirectement par les individus en tant que justiciables, à l’instar de la question préjudicielle de constitutionnalité37. Il en va autrement de la Cour ADHP.

• 38 Lire à cet effet l’article 34, alinéa 6 du protocole de Ouagadougou.
• 39 A. Khadre Diop, « La règle de l’épuisement des voies de recours internes devant les juridictions in (...)
• 40 Union africaine, Rapport de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples (CafDHP), 27^e se (...)

41À la différence de la Commission ADHP, dont l’accès était inconditionnellement reconnu aux particuliers, la Cour ADHP conditionne leur accès à une autorisation générale de l’État. À ce sujet, on parle de déclaration facultative d’acceptation de juridiction38. Certes, plusieurs États africains ont souscrit à cette déclaration. Ce qui explique la relative abondante jurisprudence de ladite Cour39. Mais cette souscription ne saurait se soustraire à la critique qui considère cette déclaration comme un frein à la protection des droits fondamentaux. Cette considération est d’ailleurs partagée par la Cour ADHP elle-même dans son rapport d’activité, englobant l’année 2011, et présenté à la Conférence de l’Union africaine en 201240.

• 41 K. Kouame, J. E. Tiehi, « Le Civexit ou le retrait par la Côte d’Ivoire de sa déclaration d’accepta (...)

42Par ailleurs, le maintien de cette déclaration apparaît précaire, car celle-ci peut faire aisément l’objet d’une renonciation comme c’est actuellement le cas de la Côte d’Ivoire qui a lancé une action en ce sens. Ce qui n’est pas sans affecter fâcheusement le cadre de protection des droits fondamentaux en Côte d’Ivoire41.

• 42 L. Michoud, Des actes de gouvernement (extrait des Annales de l’Enseignement supérieur de Grenoble, (...)
• 43 Lire utilement J. de N. Atemengue, « Les actes de gouvernement sont-ils une catégorie juridique ? D (...)
• 44 Décision commentée : Conseil d’État, 19 février 1875, nº 46707, in Les grands arrêts de la jurispru (...)

43De même que les juges constitutionnel et africain, les juges administratifs et judiciaires, à l’occasion de leurs contentieux respectifs, sont censés sanctionner les décisions et faits de l’administration, précisément la voie de fait et l’emprise irrégulière, lesquelles sont susceptibles de porter atteinte aux droits fondamentaux. Certaines décisions administratives se soustraient toutefois à leur sanction. Il s’agit de celles qualifiées d’actes de gouvernement, et dont la pertinence de la notion fut critiquée en France42. Malgré cette critique, la notion d’acte de gouvernement a su se diffuser au Cameroun où elle y bénéficie d’une heureuse fortune au vu de l’extension de son champ43 qui, par contre, est dorénavant réduit en France44. Face aux difficultés rencontrées par le juge dans la protection des droits fondamentaux, que pourrait-on dire de celle du Parlement camerounais ?

• 45 Voir l’article 29, alinéa 3 de la Constitution.

44La protection parlementaire s’effectue en mobilisant son pouvoir d’amendement45. En fait, cette protection est potentiellement directe en ce que le contrôle qui le sous-tend peut ne point viser directement une loi manifestement liberticide mais dont les retombées pourraient l’être. Parce qu’il met en exergue deux normes de valeur juridique différente pour s’assurer de la conformité de l’une à l’égard de l’autre, ce contrôle est qualifié d’objectif, mais également d’abstrait en ce qu’il n’intervient point au cours d’un procès qui opposerait deux parties. Ce contrôle cristallise une autocensure, le Parlement s’obligerait lors de la procédure législative à se conformer à la norme constitutionnelle en apurant le texte de loi qui lui est soumis de sorte à protéger les droits fondamentaux. Il s’agit là d’une obligation implicite qui découlerait d’une interprétation téléologique de l’article 26, alinéa 1 de la Constitution.

• 46 Voir l’article 47, alinéa 2 de la Constitution.

48Au sens de l’article 47, alinéa 1, le Conseil constitutionnel statue souverainement sur la constitutionnalité des lois, des traités et des accords internationaux. Cependant, à l’exception des règlements intérieurs des deux chambres du Parlement qui font l’objet d’une saisine d’office, les autres catégories de lois sont soumises à la condition de la saisine préalable par un nombre restreint d’autorités identifiées à cet effet46. Il faut toutefois relever que ce contrôle apparaît comme une pétition de principe en raison de la discipline partisane qui muselle le Parlement dominé par le parti politique au pouvoir, et de la difficulté pour l’opposition parlementaire, du fait de sa minorité, de constituer le quorum nécessaire à la saisine du Conseil constitutionnel.

• 47 Ibid., article 48, alinéas 1 et 2.
• 48 Voir l’article 40, alinéa 2 de la loi nº 2006/022 du 29 décembre 2006 fixant l’organisation et le f (...)
• 49 Dans le cadre du contentieux des candidatures de l’élection présidentielle du 9 octobre 2011, le ju (...)
• 50 Lire utilement J.-C. Tcheuwa, « Droit constitutionnel étranger. Les principes directeurs du content (...)

49Par ailleurs, en matière électorale, l’occasion est offerte au juge électoral, notamment constitutionnel47 et administratif48, de protéger les droits fondamentaux, précisément ceux de nature politique. Il s’agit de la liberté de suffrage articulée autour du droit de candidature et de celui de vote, du droit du candidat de battre librement campagne électorale, et enfin du droit à des élections sincères. Au-delà de quelques décisions traduisant des avancées dans ce sens49, il convient de dire que ce juge fait montre de retenue au regard de son approche formaliste du contentieux électoral et de l’usage mécaniste du principe prétorien de l’influence significative50. Ainsi, ce formalisme restreint l’accès à son prétoire et, partant, l’exercice du droit de recours.

• 51 M. Kamto, « Le contentieux électoral au Cameroun », Lex Lata, nº 20, novembre 1995, p. 5-6.

50Relativement à la question de compétence, le juge électoral tend à réduire son champ de compétence en instrumentalisant la notion d’actes de gouvernement, notamment à travers l’insertion du décret portant convocation du corps électoral dans la catégorie y afférente51.

• 52 A. D. Olinga, « Justice constitutionnelle et contentieux électoral : quelle contribution à la sérén (...)
• 53 J.-C. Tcheuwa, « Droit constitutionnel étranger. Les principes directeurs du contentieux électoral (...)

51Dans le même sens, il a établi son incompétence à partir de la distinction contentieux préélectoral / contentieux postélectoral52. Affirmant son incompétence pour le premier, il ne retient sa compétence que pour le second. Pourtant, ni l’esprit ni la lettre de la loi électorale ne l’y obligeait. Aussi la doctrine y a-t-elle perçu une menace pour l’État de droit53.

• 54 Voir l’article 48, alinéa 2 de la Constitution.
• 55 D’après le juge constitutionnel agissant en tant que juge électoral, la qualité de candidat est rec (...)

52En ce qui concerne les conditions de forme, notamment celle de qualité reconnue à tout candidat, tout parti politique ayant pris part à l’élection dans la circonscription concernée ou toute personne ayant qualité d’agent du gouvernement pour cette élection54, le juge électoral en fait une interprétation restrictive. Or, au regard de la fondamentalité de ces droits, on se serait attendu à une souplesse de sa part dans l’appréciation de cette condition. Il a plutôt développé une conception critiquable des notions de candidat et de parti politique ayant pris part à l’élection dans la circonscription concernée55.

• 56 Lire à ce sujet J.-C. Tcheuwa, « Droit constitutionnel étranger. Les principes directeurs du conten (...)

53Par ailleurs, à l’occasion du déroulement de l’instance, on observe un usage mécaniste du principe de l’influence significative. En effet, le juge électoral tend à cheviller la protection des droits fondamentaux à l’incidence de leurs violations sur les résultats du scrutin. Faisant ainsi de l’« incidence significative » un standard limitant la protection des droits électoraux56.