• 1 Voir L. Burgorgue-Larsen, Les trois Cours régionales des droits de l’homme “in context”. La justice (...)
• 2 Voir les statistiques sur le site de la Cour : https://www.african-court.org/cpmt/fr/statistic (der (...)

1La Cour africaine des droits de l’homme et des peuples (ci-après la Cour ou Cour africaine) est la plus récente des trois grandes cours qui symbolisent les systèmes régionaux de protection des droits de l’homme1. En 2004, le Protocole relatif à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples (ci-après le Protocole et la Charte), qui permet sa création, est entré en vigueur après avoir été ratifié par quinze États membres de ladite Charte. Vingt ans plus tard, ce sont trente-quatre des cinquante-cinq États membres de l’Union africaine qui ont ratifié le Protocole. Durant cette période, la Cour a rendu 404 décisions et 15 avis consultatifs2. Cette première chronique sera essentiellement consacrée à la présentation des principales caractéristiques de la Cour. Les chroniques à venir devraient nous permettre de développer des questions que le format de cette présentation ne nous permet pas d’aborder, telles que celle de l’exécution des arrêts de la Cour.

• 4 La Charte de l’OUA sera signée à Addis-Abeba (Éthiopie) le 25 mai 1963 ; voir texte complet en lign (...)
• 5 Voir K. Mbaye, Les droits de l’homme en Afrique, Paris, A. Pedone, 1992, notamment p. 147 sq. ; J.  (...)

3Pourtant, lors de la création deux ans plus tard de la défunte Organisation de l’unité africaine (OUA)4, les questions relatives aux droits de l’homme seront négligées au profit de celles liées à la décolonisation, à la non-discrimination raciale, au développement économique ou à l’unité africaine5.

• 6 Voir le texte de la Charte, adoptée le 1^er juin 1981, en ligne : https://au.int/fr/treaties/charte- (...)
• 7 L’Union africaine (UA) a été officiellement créée en juillet 2002 à Durban, en Afrique du Sud, suit (...)
• 8 Voir par exemple P. Amoah, « The African Charter on Human and Peoples’ Rights : An Effective Weapon (...)
• 9 Art. 30 de la Charte.
• 10 Art. 45 de la Charte. Sur la Commission, voir notamment F. Ouguergouz, « La Commission africaine de (...)
• 11 K. Mbaye, Les droits de l’homme en Afrique, p. 266 sq.
• 12 La Commission tient actuellement quatre sessions ordinaires par an et peut se réunir en session ext (...)
• 13 Art. 31 de la Charte.
• 14 Leur mandat est de six ans renouvelables.
• 15 F. Ouguergouz, « La Commission africaine… », p. 570.
• 16 O. Delas, E. Ntaganda, « La création de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples : mé (...)
• 17 Art. 45 de la Charte.
• 18 Art. 47, 48 et 49 de la Charte.
• 19 Art. 55 de la Charte.
• 20 Règle 115 du règlement intérieur de la Commission (version 2020).

4C’est en 1981 que, lors de sa dix-huitième conférence, l’OUA adopte la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples6. Le texte, aujourd’hui ratifié par tous les États membres de l’Union africaine (UA) (à l’exception du Maroc)7, proclame tant des droits civils et politiques que des droits économiques, sociaux et culturels ; des droits et des devoirs individuels, mais également des droits collectifs8. La Charte prévoit également la création d’une Commission africaine des droits de l’homme et des peuples9 (ci-après la Commission), ayant vocation à assumer seule les missions de promotion et protection des droits de l’homme, ainsi que d’interprétation de la Charte10. La création d’une Cour des droits de l’homme semble alors avoir été considérée comme prématurée. Pour certains, la raison en serait que « le droit africain traditionnel fait une place peu importante à la procédure contentieuse », que « le droit processuel africain [est] essentiellement conciliatoire »11. La Commission, dont le siège sera fixé à Banjul, capitale de la Gambie, apparaît donc comme la pièce maîtresse du mécanisme de sauvegarde des droits de l’homme prévu par la Charte12, aux côtes de la Conférence des chefs d’États et de gouvernements de l’OUA (ci-après la Conférence) et du Secrétariat général de cette même organisation. Composée de onze membres13, élus au scrutin secret14, par la Conférence, sur proposition des États parties à la Charte, elle traduit la préférence des États africains pour « l’autorité du Prince », au détriment de « la sagesse du Juge »15 et peut être appréhendée comme un « organe de nature administrative de type spécialisé », dépendant largement de la Conférence et limitée de ce fait dans son autonomie16. Dans le cadre de sa mission de promotion des droits de l’homme, la Commission développe une activité d’information et de recherche, dans le but de sensibiliser l’opinion publique africaine à la question des droits de l’homme et des peuples, mais également une activité de conseil auprès des États africains, ainsi que de coopération avec les autres institutions africaines et internationales qui s’intéressent aux droits de l’homme et des peuples17. Dans le cadre de sa mission de protection des droits de l’homme, son activité consiste essentiellement dans l’examen des violations de tout droit ou liberté garanti par la Charte, qui auraient été portées à sa connaissance par le biais de communications18, pouvant émaner d’un État partie à la Charte, ou relever de la catégorie « autres communications »19, et être alors soumises par toute personne physique ou morale20.

• 21 Protocole relatif à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, portant création d’un (...)
• 22 Voir F. Viljoen, International Human Rights Law in Africa, 2^e éd., Oxford, Oxford University Press, (...)
• 23 J.-L. Atanga Amougou, « Avancées et limites du système africain de protection des droits de l’homme (...)
• 24 M. Mubiala, « La Cour africaine des droits de l’homme et des peuples : mimétisme institutionnel ou (...)
• 25 OUA, Assemblée des chefs d’État et de gouvernement, 30^e session ordinaire, 13-15 juin 1994, AHG/Res (...)
• 26 Voir M. Mubiala, « Vers l’institution d’une Cour africaine des droits de l’homme et des peuples… »  (...)
• 27 Voir O. Delas, A. Ntaganda, « La création de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples (...)
• 28 Art. 34, § 3 du Protocole. Cinquante-cinq États ont aujourd’hui ratifié le Protocole ; voir liste e (...)

5Au début des années 1990, divers facteurs vont favoriser la création de la Cour qui devient ainsi le premier mécanisme judiciaire de la région africaine exclusivement dédié à la protection des droits de l’homme21. Parmi ces facteurs, figurent notamment22 : les limites de la Commission, précédemment évoquées23 ; mais également le génocide des Tutsis au Rwanda et la création du Tribunal pénal international pour le Rwanda24 ; la fin de la guerre froide ; ou encore la création d’organes judiciaires dans les communautés économiques africaines. Cette évolution aboutira à ce que la Conférence des chefs d’État et de gouvernement de l’OUA, réunie en sa trentième session ordinaire à Tunis, du 13 au 15 juin 1994, adopte la résolution 230 par laquelle il est demandé au secrétaire général de l’OUA de convoquer une réunion d’experts gouvernementaux pour réfléchir, en collaboration avec la Commission, aux moyens d’améliorer son efficacité, en envisageant, notamment, la création d’une Cour africaine des droits de l’homme et des peuples25. Dès 1995, plusieurs conférences réunissant experts gouvernementaux et observateurs internationaux vont se succéder26 pour aboutir à l’adoption le 10 juin 1998 du Protocole relatif à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples portant création d’une Cour africaine des droits de l’homme et des peuples27, entré en vigueur le 25 janvier 2004, soit trente jours après le dépôt du quinzième instrument de ratification28. Si l’influence des systèmes de protection des droits de l’homme européen et interaméricain est parfois perceptible, le système africain de protection des droits de l’homme présente des caractéristiques qui lui sont propres, tant dans son organisation (I) que dans l’étendue de ses compétences (II).

• 29 Décision du Conseil exécutif sur l’élection des juges de la Cour africaine des droits de l’homme et (...)

6L’entrée en vigueur du Protocole a ouvert la voie à l’établissement de la Cour qui interviendra en 2006 avec les premières élections des juges29. Son siège a été fixé à Arusha en Tanzanie. Sa composition et son fonctionnement (A) révèlent l’influence des systèmes de protection des droits de l’homme européen mais plus encore interaméricain. La Cour présente néanmoins des spécificités qui lui sont propres et qui apparaissent notamment dans ses relations avec la Commission (B).

• 30 Sept juges composent la Cour IDH (art. 52 de la Convention américaine relative aux droits de l’homm (...)
• 31 Art. 11, § 1 du Protocole.
• 32 Art. 11, § 2 du Protocole.
• 33 Art. 13 du Protocole.
• 34 Art. 14, § 1 du Protocole.
• 35 Art. 14, § 2 du Protocole.
• 36 Art. 14, § 3 du Protocole.
• 37 Art. 14, § 2 du Protocole.
• 38 S’agissant de la représentation géographique équitable et de la représentation des principaux systè (...)
• 39 Art. 15, § 1 du Protocole.
• 40 Art. 54, § 1 de la Convention américaine relative aux droits de l’homme.
• 41 Art. 15, § 1 du Protocole.
• 42 Art. 55 de la Convention américaine relative aux droits de l’homme ; art. 10 du Statut de la Cour i (...)
• 43 Art. 15, § 4 du Protocole.
• 44 Art. 21, § 2 du Protocole.

7Tout comme la Cour interaméricaine des droits de l’homme (Cour IDH), et contrairement à la Cour européenne des droits de l’homme (Cour EDH), la Cour africaine compte moins de juges que d’États parties au Statut30. Elle se compose en effet de onze juges, ressortissants des États membres de l’UA, qui ne sont pas nécessairement des États parties à la Charte ou au Protocole31. La Cour ne peut comprendre plus d’un juge de la même nationalité32. Ces derniers sont élus à titre personnel parmi des juristes jouissant d’une très haute autorité morale, d’une compétence et expérience juridique, judiciaire ou académique reconnue dans le domaine des droits de l’homme et des peuples. C’est le secrétaire général de l’UA qui dresse la liste alphabétique des candidats présentés et la communique aux États membres de l’UA33 afin que l’élection puisse se dérouler au scrutin secret au sein de la Conférence des chefs d’État et de gouvernement de l’UA34. La composition de la Cour doit refléter une répartition géographique équitable35, ainsi qu’une représentation adéquate des deux sexes36 et des grands systèmes juridiques37. L’exigence d’une représentation équilibrée, tant géographique que des systèmes juridiques et des sexes, absente du règlement intérieur de la Cour IDH, se retrouve également dans le règlement intérieur de la Cour EDH38. Les onze juges de la Cour africaine, élus pour une période de six ans, sont rééligibles une seule fois39. La durée de leur mandat est donc la même que celle des juges de la Cour IDH, qui peuvent également être réélus40. Pour la première élection, le Protocole avait prévu que le mandat de quatre juges prenne fin au bout de deux ans et celui de quatre autres au bout de quatre ans41, de ce fait le renouvellement se fait donc par tiers tous les deux ans. Le Protocole ne prévoit pas la possibilité de désigner des juges ad hoc, comme c’est le cas pour la Cour EDH et la Cour IDH42. L’ensemble des juges de la Cour africaine, à l’exception du président, exercent leurs fonctions à temps partiel43, ce qui justifie que ce dernier doive résider au lieu du siège de la Cour44.

• 45 Art. 16 du Protocole.
• 46 Art. 17, § 2 du Protocole.
• 47 Art. 18 du Protocole.
• 48 Art. 19 du Protocole.
• 49 Art. 19, § 2 du Protocole.
• 50 Règle 8, § 4 du règlement intérieur de la Cour (règlement intérieur révisé, entré en vigueur le 25  (...)
• 51 Art. 20, § 2 du Statut de la Cour IDH.
• 52 Art. 23, § 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
• 53 Art. 17, § 3 du Protocole.

8L’indépendance des juges est protégée par le serment qu’ils prêtent après leur élection d’exercer leurs fonctions en toute impartialité et loyauté45, mais également par l’interdiction qui leur est faite de siéger dans une affaire dont ils auraient antérieurement eu à connaître46, ainsi que par l’incompatibilité des fonctions de juge avec toutes autres activités de nature à porter atteinte aux exigences d’indépendance ou d’impartialité liées à la fonction47. La suspension et révocation d’un juge relève d’une décision unanime des autres juges48 et sera définitive, à moins que la Conférence n’en décide autrement lors de sa session suivante49. Cette exigence qui semble réserver à la Conférence, qui est l’organe politique de l’UA, la décision ultime en matière de suspension et révocation, doit être lue à la lumière du règlement intérieur de la Cour qui précise que « [l]a décision de suspension ou de révocation est communiquée au Président de la Commission de l’UA »50. Cette approche est comparable à celle du système interaméricain dans lequel « [i]l appartient à l’Assemblée générale de l’OEA d’exercer le pouvoir disciplinaire contre un juge, mais seulement sur demande motivée de la Cour composée à cet effet des autres juges »51. Si l’on compare avec le système européen, « [u]n juge ne peut être relevé de ses fonctions que si les autres juges décident, à la majorité des deux tiers, que ce juge a cessé de répondre aux conditions requises »52. La question des privilèges et immunités des juges de la Cour renvoie aux règles générales du droit international public53, donc à la convention de Vienne sur les relations diplomatiques du 18 avril 1961.

• 54 Règle 12, § 2 du règlement intérieur de la Cour.
• 55 Art. 21, § 1 du Protocole et règle 10 du règlement intérieur de la Cour.
• 56 Règle 14, § 1 du règlement intérieur de la Cour.
• 57 Ibid.
• 58 Art. 31 du Protocole. Conformément à l’article 9, § 2 de la Charte constitutive de l’UA, la Confére (...)
• 59 Règle 14, § 1 du règlement intérieur de la Cour.

9Ce sont les onze juges qui élisent, au scrutin secret54, le bureau de la Cour composé d’un président et un vice-président pour un mandat de deux ans renouvelable une seule fois55. Outre la présidence des séances et la supervision de l’administration de la Cour, le président est chargé de représenter cette dernière et de promouvoir ses activités56. Il présente notamment un rapport annuel détaillé sur les activités qu’il a menées en sa qualité de président57 mais également sur celles de la Cour. Dans ce rapport, qui est soumis à chaque session ordinaire de la Conférence des chefs d’État et de gouvernement de l’UA, il fait notamment état des cas où un État n’aura pas exécuté les décisions de cette dernière58. Par ailleurs, le règlement intérieur précise également que le président procède « à l’évaluation annuelle de performance des Juges »59, sans toutefois spécifier quels seront les destinataires d’une telle évaluation.

• 60 Règle 16 du règlement intérieur de la Cour.
• 61 Règle 17, § 1 du règlement intérieur de la Cour.
• 62 Art. 24, § 2 du Protocole.

10Le greffier, le greffier adjoint60 et les autres fonctionnaires du Greffe sont désignés par la Cour. Tous devront être ressortissants d’un État membre de l’UA. Le greffier, qui devra « jouir de la plus haute considération morale et posséder les connaissances juridiques, managériales, administratives et linguistiques nécessaires ainsi que l’expérience requise pour l’exercice des fonctions liées à ce poste »61, devra en outre résider au lieu du siège de la Cour62.

• 63 Règle 22, § 1 du règlement intérieur de la Cour.
• 64 Art. 11 du règlement intérieur de la Cour IDH.
• 65 Art. 20, § 1 du règlement intérieur de la Cour EDH. Le président procède à pareille convocation si (...)
• 66 Art. 21 du règlement intérieur de la Cour EDH.

11La Cour tient quatre sessions ordinaires par année, d’une durée d’au moins quatre semaines chacune63. Cette précision peut être comparée avec la liberté laissée à la Cour IDH de tenir « les sessions ordinaires qui se révèlent nécessaires au plein exercice de ses fonctions, et ce, aux dates fixées lors de sa session ordinaire précédente »64, et à celle de la Cour EDH qui, sur convocation de son président, se réunit « en session plénière chaque fois que l’exige l’exercice des fonctions lui incombant en vertu de la Convention et du […] règlement »65, tandis que « [l]a grande Chambre, les chambres et les comités siègent de façon permanente »66.

• 67 Art. 12 du règlement intérieur de la Cour IDH.
• 68 Règle 23 du règlement intérieur de la Cour.
• 69 Art. 21, § 2 du règlement intérieur de la Cour EDH.

12Tout comme pour la Cour IDH67, des sessions extraordinaires peuvent être convoquées à l’initiative du président ou à la demande de la majorité des juges68. Au sein de la Cour EDH, en cas d’urgence, la grande chambre et les chambres peuvent être convoquées par leur président69.

• 70 Règle 27, § 1 et 2 du règlement intérieur de la Cour.
• 71 Règle 27, § 3 du règlement intérieur de la Cour.
• 72 Art. 25 de la Charte constitutive de l’UA.

13Les langues officielles de la Cour sont l’arabe, l’anglais, le français, le portugais, l’espagnol, le kiswahili et toute autre langue africaine, tandis que ses langues de travail sont l’arabe, l’anglais, le français et le portugais70. La Cour peut également permettre à toute personne comparaissant devant elle d’utiliser une langue de son choix s’il apparaît qu’elle n’a pas une connaissance suffisante de l’une des langues officielles de la Cour. Dans ce cas, elle prend toutes les dispositions nécessaires pour assurer la traduction et l’interprétation et elle assume la charge des frais qui y sont liés71. On peut ici faire remarquer que la Charte constitutive de l’UA ne mentionne que les seules langues de travail de l’organisation qui sont, « si possible, les langues africaines ainsi que l’arabe, l’anglais, le français et le portugais »72, sans faire mention des langues officielles.

• 73 Art. 2 du Protocole.

14Conformément au Protocole, la Cour « complète les fonctions de protection que la Charte […] a conférées à la Commission »73.

• 74 S. Oré, « Les rapports entre la Commission et la Cour africaine des droits de l’homme et des peuple (...)
• 75 § 8 du préambule du Protocole.
• 76 Conformément à l’article 118 de son règlement intérieur, la Commission peut décider de soumettre un (...)
• 77 Règle 34 du règlement intérieur de la Cour et articles 114 et 115 du règlement intérieur de la Comm (...)
• 78 Art. 2 du Protocole : « La Cour, tenant dûment compte des dispositions du présent Protocole, complè (...)
• 79 Art. 8 du Protocole : « La Cour fixe dans son Règlement Intérieur les conditions d’examen des requê (...)
• 80 Cour ADHP, arrêt du 23 septembre 2011, Ekollo Moundi Alexandre c. république du Cameroun et républi (...)
• 81 Cour ADHP, arrêt du 16 juin 2011, Soufiane Ababou c. République algérienne démocratique et populair (...)
• 82 Cour ADHP, arrêt du 16 juin 2011, Daniel Amare et Mulugeta Amare c. république du Mozambique, nº 00 (...)
• 83 Cour ADHP, arrêt du 16 juin 2011, Association Juristes d’Afrique pour la Bonne Gouvernance c. répub (...)
• 84 Cour ADHP, ordonnance du 25 mars 2011 (mesures provisoires) et ordonnance du 15 mars 2013 (radiatio (...)

15Les relations de la Cour et de la Commission sont placées sous le signe de la complémentarité74. Dès son préambule, le Protocole affirme « que la réalisation des objectifs de la Charte […] nécessite la création d’une Cour […] pour compléter et renforcer la mission de la Commission […] »75. Ainsi, la Commission est omniprésente dans le Protocole dont l’article 4 précise que la compétence de la Cour pour donner un avis consultatif est notamment limitée à la « condition que l’objet de l’avis consultatif ne se rapporte pas à une requête pendante devant la Commission » ; l’article 5, § 1.a affirme que la Commission a qualité pour saisir la Cour76 ; l’article 6, § 1, sur la question de la recevabilité des requêtes introduites par les individus ou les organisations non gouvernementales (ONG), souligne que la « Cour avant de statuer » peut solliciter la Commission, ou conformément à l’article 6, § 3 renvoyer ladite requête directement devant la Commission ; l’article 29, § 1 indique que l’arrêt de la Cour est signifié aux parties en cause, transmis aux États membres de l’UA et à la Commission ; l’article 33 relatif au règlement intérieur signale que « [l]a Cour consulte la Commission chaque fois que de besoin ». La relation de complémentarité entre les deux organes, sans doute favorisée par leur réunion « au moins une fois par an et chaque fois que cela s’avère nécessaire »77, est clairement affirmée par l’article 2 du Protocole, consacré aux relations entre la Cour et la Commission78, de même que par l’article 8 relatif à l’examen des requêtes par la Cour79. Dans sa pratique, la Cour, dans les affaires Ekollo Moundi Alexandre c. république du Cameroun et république fédérale du Nigeria (2011)80, Soufiane Ababou c. République algérienne démocratique et populaire (2011)81, Daniel Amare et Mulugeta Amare c. république du Mozambique (2011)82 et Association Juristes d’Afrique pour la Bonne Gouvernance c. république de Côte d’Ivoire (2011)83, a procédé à un renvoi de l’affaire devant la Commission du fait de son incompétence, les États mis en cause n’ayant pas ratifié le Protocole ou / et fait la déclaration prévue à l’article 34, § 6 du Protocole. À l’inverse, les saisines de la Cour par la Commission sont aussi peu nombreuses dès lors qu’elles se limitent au nombre de trois84.

• 85 Art. 3 du Protocole.
• 86 Art. 4 du Protocole.
• 87 Art. 3 du Protocole.
• 88 Art. 5, § 1 du Protocole.
• 89 Art. 34, § 6 du Protocole.

16La Cour exerce une fonction tant contentieuse85, que consultative86. En tant qu’organe judiciaire, elle est compétente pour connaître de toutes les affaires et différends dont elle est saisie concernant l’interprétation et l’application de la Charte, du Protocole, mais également de tout autre instrument relatif aux droits de l’homme ratifié par les États concernés87. Elle peut être saisie par la Commission, un État partie ou les organisations intergouvernementales africaines88. La saisine de la Cour est également ouverte aux individus et aux ONG dotées du statut d’observateur auprès de la Commission, dès lors que l’État mis en cause a procédé à une déclaration d’acceptation de la compétence de la Cour pour recevoir lesdites requêtes89 (A). Dans le cadre de sa fonction consultative, elle peut être saisie par un État membre de l’UA, l’UA, tout organe de l’UA ou une organisation africaine reconnue par l’UA pour donner un avis sur toute question juridique concernant la Charte ou tout autre instrument pertinent relatif aux droits de l’homme (B).

• 90 Art. 6, § 2 du Protocole : « La Cour statue sur la recevabilité des requêtes en tenant compte des d (...)

17Les requêtes présentées devant la Cour doivent réunir plusieurs conditions énumérées à l’article 56 de la Charte et qui sont notamment liées à l’identité de l’auteur de la requête, la compatibilité de cette dernière avec la Charte de l’UA ou la Charte africaine des droits de l’homme, la teneur des termes utilisés ainsi que le respect des délais ou de l’épuisement des voies de recours internes90.

• 91 Art. 3, § 1 du Protocole.
• 92 Cour ADHP, arrêt du 18 novembre 2016, Actions pour la protection des droits de l’homme (APDH) c. ré (...)
• 93 Cour ADHP, arrêt du 22 mars 2018, Anudo Ochieng Anudo c. République-Unie de Tanzanie, nº 012/2015, (...)
• 94 Cour ADHP, arrêt du 11 mai 2018, Association pour le progrès et la défense des droits des femmes ma (...)
• 95 Cour ADHP, arrêt du 4 décembre 2020, Sébastien Germain Ajavon c. république du Bénin, nº 062/2019.

18D’un point de vue matériel, ainsi que nous l’avons déjà précisé, la Cour, conformément à l’article 3 du Protocole, a vocation à connaître de toutes les affaires et de tous les différends dont elle est saisie concernant l’interprétation et l’application de la Charte, du Protocole, et de tout autre instrument pertinent relatif aux droits de l’homme et ratifié par les États concernés91. La notion de d’« instrument relatif aux droits de l’homme » a été précisée par la Cour, notamment dans sa jurisprudence Actions pour la protection des droits de l’homme (APDH) c. république de Côte d’Ivoire, dans laquelle elle a affirmé que, pour « déterminer si une Convention est un instrument des droits de l’homme, [elle] considère qu’il y a lieu de se rapporter principalement à l’objet de ladite convention ». Un tel objet est décliné « soit par une énonciation expresse de droits subjectifs au profit des individus ou groupes d’individus, soit par la prescription à l’égard des États d’obligations impliquant la jouissance conséquente des mêmes droits »92. Sur la base de l’article 3 du Protocole, la Cour s’est reconnue compétente pour connaître de violations de droits issus d’autres traités du système régional africain, mais également de violations de droits consacrés par le système universel de l’Organisation des Nations unies. Ainsi, dans l’affaire Anudo Ochieng Anudo c. République-Unie de Tanzanie, elle reconnaît la violation du droit à la nationalité tel qu’énoncé par l’article 15 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, laquelle est « reconnue partie intégrante du droit coutumier international »93. De même, dans l’affaire Association pour le progrès et la défense des droits des femmes maliennes (APDF) et Institute for Human Rights and Development in Africa (IHRDA) c. république du Mali94, elle reconnaît la violation de l’article 6, § b du protocole de Maputo qui fixe, sans exception, l’âge minimum du mariage pour la fille à 18 ans, mais également des articles 3 et 4 de la Charte africaine sur les droits et le bien-être de l’enfant et de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (notamment les articles 16, § 1.a et § 1.b, relatifs au droit de contracter un mariage et de choisir librement son conjoint, ou l’article 5.a portant sur l’élimination des préjugés et pratiques de tout type, qui sont fondés sur l’idée de l’infériorité ou de la supériorité de l’un ou l’autre sexe ou d’un rôle stéréotypé des hommes et des femmes). Dans l’affaire Sébastien Germain Ajavon c. république du Bénin95, c’est une violation du Pacte international relatif aux droits économiques sociaux et culturels qui est reconnue, notamment des articles 8, § 1 et 8, § 2.

• 96 Cour ADHP, arrêt du 22 septembre 2022, Bernard Anbataayela Mornah c. république du Bénin, Burkina F (...)
• 97 La république du Bénin, le Burkina Faso, la république de Côte d’Ivoire, la république du Ghana, la (...)
• 98 Cour ADHP, arrêt du 22 septembre 2022, Bernard Anbataayela Mornah…, pt 146.
• 99 Ibid., pt 147.
• 100 Ibid., pt 148.
• 101 Ibid.
• 102 Ibid., pt 149.
• 103 Ibid., pt 150.

19L’étendue de la compétence ratione loci de la Cour n’est précisée ni dans le Protocole ni dans le règlement intérieur. Elle devrait logiquement s’exercer à l’égard des violations survenues sur le territoire de l’État défendeur. Toutefois, dans une affaire Bernard Anbataayela Mornah96, la Cour s’est livrée à une interprétation extensive de cette compétence. Le requérant alléguait des violations des droits de l’homme du peuple sahraoui du fait du manquement à sauvegarder l’intégrité territoriale et l’indépendance de la République arabe sahraouie démocratique, de la part de divers États parties à la Charte, au Protocole et ayant accepté le droit de recours individuel97. À cette occasion, la Cour aura l’occasion de préciser que, « contrairement aux textes applicables à la Cour EDH et à la Cour IDH, la Charte ne précise aucun ressort. Le Protocole ne définit pas, non plus, le ressort de la Cour »98. Cependant, s’il est vrai que la « détermination de la compétence territoriale des juridictions internationales s’est traditionnellement limitée aux frontières des États »99, au cours des dernières années, « suite à l’augmentation des engagements extraterritoriaux des États et l’effritement de la défense de la souveraineté face aux violations des droits de l’homme, la notion classique de compétence territoriale a connu quelques modifications »100, la jurisprudence en matière de droit de l’homme n’ayant « cessé d’étendre l’application territoriale des traités relatifs aux droits de l’homme au-delà des frontières »101. De ce fait, la Cour n’a pas hésité à affirmer qu’« il se dégage, de plus en plus, un consensus pour que l’obligation de protéger ou, du moins, celle de ne pas violer les droits de l’homme s’étende au-delà des limites traditionnelles des territoires des États »102. En outre, « il existe certains droits, comme le droit à l’autodétermination, au sujet desquels l’obligation des États ne saurait être limitée à leurs frontières »103.

• 105 Art. 5, § 1 du Protocole : « Ont qualité pour saisir la Cour : a) la Commission ; b) l’État partie (...)
• 106 Art. 5, § 3 du Protocole.

21S’agissant de sa compétence ratione personae, la Cour peut être saisie par la Commission, un État partie, ou une organisation intergouvernementale africaine105. Les individus et les ONG dotées du statut d’observateurs auprès de la Commission peuvent également introduire des requêtes conformément à l’article 34, § 6 du Protocole106.

• 107 Art. 61 de la Convention américaine relative aux droits de l’homme.
• 108 Ibid., art. 62.

22En comparaison, on peut signaler que, dans le système interaméricain, « [s]euls les États parties à la […] Convention et la Commission ont qualité pour saisir la Cour »107, les États devant au préalable avoir accepté la compétence obligatoire de la Cour108, tandis que, dans le système de la Cour EDH, les articles 33 et 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales permettent aux États parties ainsi qu’à « toute personne physique, toute organisation non gouvernementale ou tout groupe de particuliers qui se prétend victime d’une violation par l’une des Hautes Parties contractantes des droits reconnus dans la Convention ou ses protocoles » de saisir la Cour.

• 109 Vingt ans auparavant, une communication interétatique introduite par la RDC contre les républiques (...)
• 110 La RDC demande, en outre, à la Cour de réserver la suite de la procédure en ce qui concerne les rép (...)

23La saisine de la Cour par un État est longtemps restée absente dans la pratique de la Cour. C’est le 21 août 2023 que la république démocratique du Congo (RDC) a saisi la Cour d’une requête introductive d’instance, dirigée contre la république du Rwanda, suivie d’une « requête additionnelle tendant à obtenir l’examen accéléré de la procédure »109. Dans cette première saisine étatique, la RDC fait valoir que, du fait d’un conflit opposant son armée à une coalition composée des forces armées de la république du Rwanda et d’un mouvement rebelle dénommé M23, la république du Rwanda doit être déclarée responsable de la violation de divers droits, protégés par la Charte, parmi lesquels figurent le droit à un recours effectif et à la réparation, le droit à la vie et à l’intégrité physique, le droit à la dignité humaine, l’interdiction de l’esclavage, de la traite des personnes humaines, de la torture, des peines et traitements cruels ou dégradants, le droit à la liberté et à la sécurité personnelle, le droit à l’éducation, le droit à la propriété, le droit au logement, le droit de jouir du meilleur état de santé physique et mental, le droit à la protection de la famille, le droit à l’alimentation, le droit au développement, le droit à l’environnement et le droit des peuples à la paix. La RDC sollicite, en conséquence, la réparation adéquate des préjudices résultant des violations alléguées, y compris le retrait, par la république du Rwanda, de ses troupes de son territoire et la cessation immédiate de toute forme de soutien au M23110. Dans une ordonnance du 7 mars 2024, la Cour, après avoir rejeté la demande aux fins de procédure accélérée, a décidé de poursuivre l’instruction conformément au règlement en ce qui concerne les délais de dépôt des mémoires et d’examiner la requête en priorité.

• 112 Voir note 84.
• 113 Voir les statistiques sur le site de la Cour : https://www.african-court.org/cpmt/fr/statistic.

25L’analyse des 342 requêtes contentieuses reçues par la Cour permet de constater que 316 ont été déposées par des individus, 22 par des ONG, 3 par la Commission112 et 1 par un État113. Les requêtes individuelles sont donc très largement majoritaires.

• 114 Voir la liste sur le site de la Cour : https://www.african-court.org/wpafc/declarations.
• 115 Rwanda (2016), Tanzanie (2019), Bénin (2020), Côte d’Ivoire (2020).
• 116 Cour ADHP, arrêt du 3 juin 2016 (compétence), Ingabire Victoire Umuhoza c. république du Rwanda, nº (...)
• 117 Ibid., pt 54.
• 118 Ibid., pt 55.
• 119 Ibid., pt 58.
• 120 Ibid., pt 60.
• 121 Ibid., pt 61.
• 122 Ibid.
• 123 Ibid., pt 62.
• 124 Ibid., pt 63.
• 125 Ibid., pt 65.
• 126 Ibid., pt 68.

26À ce jour, seuls huit États ont déposé une déclaration au titre de l’article 34, § 6 du Protocole114. Quatre autres États ayant dans un premier temps déposé leur déclaration d’acceptation des requêtes individuelles ont choisi de les retirer115. Dans l’affaire Ingabire Victoire Umuhoza c. république du Rwanda116, la Cour a été amenée à préciser que « la déclaration faite en vertu de l’article 34(6) […] est un acte unilatéral »117. Dès lors, pour déterminer si le retrait de ladite déclaration est valable, il convient de se référer aux « règles pertinentes qui régissent les déclarations de reconnaissance de compétence ainsi [qu’au] principe de la souveraineté des États en droit international »118. En ce qui concerne les actes unilatéraux, « la souveraineté des États prescrit que les États sont libres de s’engager et qu’ils conservent le pouvoir discrétionnaire de retirer leurs engagements »119. Toutefois, « le caractère discrétionnaire de ce retrait n’est pas absolu »120, les États « sont tenus de donner préavis de leur intention »121. Cette exigence de préavis est nécessaire puisque la déclaration faite en vertu de l’article 34, § 6 du Protocole constitue un engagement international de l’État, qui crée « des droits subjectifs en faveur des individus et des groupes »122. De l’avis de la Cour, « la notification du délai de préavis est essentielle pour assurer la sécurité juridique et empêcher une suspension soudaine de droits ayant inévitablement des conséquences sur les tiers que sont, en l’espèce, les individus et les ONG qui sont titulaires de ces droits »123. La Cour citera d’ailleurs la position similaire adoptée par la Cour IDH dans l’affaire lvcher Bronstein c. Pérou124. Concernant le délai du préavis, la Cour « s’inspire de deux pratiques principales qui s’accordent sur un délai d’au moins un an ». Le premier exemple est la pratique de la Cour IDH telle que prévue à l’article 78 de la Convention américaine relative aux droits de l’homme et appliquée dans l’affaire lvcher Bronstein précitée, tandis que la seconde illustration est fournie par le délai de préavis prévu par l’article 56, § 2 de la convention de Vienne sur le droit des traités125. Par conséquent, de l’avis de la Cour, la notification par le défendeur de son intention de retirer sa déclaration « n’a aucun effet juridique sur les affaires pendantes devant la Cour »126.

• 127 Règle 50, § 2e du règlement intérieur, art. 56 de la Charte et art. 6, § 2 du Protocole.

27La saisine de la Cour par les individus et ONG suppose l’épuisement préalable des « recours internes s’ils existent, à moins qu’il ne soit manifeste à la Cour que la procédure de ces recours se prolonge de façon anormale »127. L’épuisement des recours internes a été présenté par la Cour comme étant une règle qui

• 129 Cour ADHP, arrêt du 20 novembre 2015 (fond), Alex Thomas c. République-Unie de Tanzanie, nº 005/201 (...)
• 130 Cour ADHP, arrêt du 26 mai 2017, Commission africaine des droits de l’homme et des peuples c. répub (...)
• 131 Cour ADHP, arrêt du 5 novembre 2014 (fond), Lohé lssa Konatl c. Burkina Faso, nº 004/2013, pt 96.
• 132 Cour ADHP, arrêt du 28 mars 2019 (fond et réparations), Lucien Ikili Rashidi c. République-Unie de (...)

28Dans une jurisprudence constante, la Cour a toujours jugé qu’un requérant est tenu d’épuiser « uniquement des recours [judiciaires] ordinaires »129. Les recours internes visés sont ceux qui sont « disponibles, suffisants ou efficaces et ne risquent de se prolonger de façon anormale »130, la Cour ayant également précisé qu’« une voie de recours peut être considérée disponible ou accessible lorsqu’elle peut être utilisée sans obstacle par un requérant »131. Lorsqu’une « voie de recours existe, mais n’est pas accessible au Requérant, elle sera considérée épuisée »132.

• 133 Art. 56, § 7 de la Charte.

29En application du principe ne bis in idem133, le recours ne doit

• 135 Art. 28, § 1 du Protocole.
• 136 Art. 28, § 2 du Protocole.
• 137 Règle 69, § 2 du règlement intérieur de la Cour.
• 138 Art. 28, § 2 du Protocole.
• 139 Art. 28, § 4 du Protocole.
• 140 Règle 77, § 1 du règlement intérieur de la Cour.
• 141 Cour ADHP, arrêt aux fins d’interprétation du 28 mars 2014, Urban Mkandawire c. république du Malaw (...)
• 142 Cour ADHP, arrêt du 18 novembre 2016, Actions pour la protection des droits de l’homme (APDH) c. ré (...)
• 143 Cour ADHP, arrêt aux fins d’interprétation du 28 septembre 2017, Alex Thomas…, pt 30.

30Les arrêts de la Cour sont rendus dans les quatre-vingts jours qui suivent la clôture de l’instruction de l’affaire135. Prononcés en audience publique, ils sont pris à la majorité136 et les abstentions ne sont pas permises137. Les arrêts sont définitifs et ne peuvent faire l’objet d’appels138. La Cour est néanmoins compétente pour interpréter son arrêt139. La demande en interprétation peut être présentée par « toute partie », dans un délai de douze mois à compter de la date de notification de la décision, sauf si, dans l’intérêt de la justice, la Cour en décide autrement140. À ce jour, la Cour a été saisie de quatre demandes en interprétation. L’une présentée par le demandeur141 et les trois autres par l’État défendeur142. Ainsi que la Cour a eu l’occasion de le souligner, « […] lorsqu’elle examine une requête en interprétation, elle est amenée, non pas à compléter ou à modifier la décision qu’elle a rendue, décision définitive et ayant force de chose jugée, mais à en clarifier le sens et la portée »143.

• 144 Art. 28, § 3 du Protocole.
• 145 Règle 78 du règlement intérieur de la Cour.
• 146 Cour ADHP, requête en révision du 26 juin 2020, Alfred Agbesi Woyome c. république du Ghana, nº 001 (...)
• 147 Ibid.

31Tout comme les autres cours régionales, la Cour africaine peut réviser son arrêt, en cas de survenance de preuves dont elle n’avait pas connaissance au moment de sa décision144. La requête aux fins de révision est limitée aux découvertes de nouveaux faits ou éléments de preuves pertinents qui influent de manière décisive sur l’arrêt de la Cour et dont la partie en question ne pouvait pas raisonnablement avoir connaissance au moment où l’arrêt était rendu145. Une telle procédure ne peut être utilisée pour faire obstacle au principe du caractère définitif des arrêts146. Cette requête doit intervenir dans un délai de six mois à partir du moment où la partie concernée a eu connaissance du fait ou des éléments de preuve, et ne peut être introduite cinq ans après le prononcé de celui-ci147.

• 148 Art. 5, § 2 du Protocole.
• 149 Art. 27, § 2 du Protocole.
• 150 Art. 27, § 1 du Protocole.
• 151 Voir les statistiques sur le site de la Cour : https://www.african-court.org/cpmt/fr/statistic.

32La Cour a également le droit d’accepter des interventions148, d’indiquer des mesures provisoires149 et d’ordonner des mesures de réparation150. En outre, conformément à l’article 28, § 7 de son Protocole, « [s]i l’arrêt de la Cour n’exprime pas, en tout ou en partie, l’opinion unanime des juges, tout juge a le droit d’y joindre une opinion individuelle ou dissidente ». À ce jour, 161 opinions ont été formulées151.

• 152 Art. 4 du Protocole.
• 153 Cour ADHP, arrêt du 3 juin 2016 (fond), Commission africaine des droits de l’homme…, pt 39.
• 154 Cour ADHP, demande d’avis consultatif nº 001/2015, pt 18, en ligne : https://www.african-court.org/ (...)
• 155 Cour ADHP, demande d’avis consultatif nº 001/2015, opinion dissidente du juge Fatsah Ouguergouz, pt (...)

33Dans l’exercice de sa fonction consultative, la Cour « peut » donner un avis sur « toute question juridique concernant la Charte ou tout autre instrument pertinent relatif aux droits de l’homme », à condition que l’objet de l’avis consultatif ne se rapporte pas à une requête pendante devant la Commission152, ce qui permet d’éviter d’éventuelles interprétations divergentes. Ainsi que la Cour a eu l’occasion de le rappeler dans son avis nº 002/2013, elle dispose ici d’un pouvoir discrétionnaire « pour donner ou non un avis »153. Dans son avis nº 001/2015, sur la question de savoir si l’obligation d’un État partie au Statut de la Cour pénale internationale de coopérer avec celle-ci l’emporte sur l’obligation qui lui est faite de se conformer aux résolutions de l’Union africaine prescrivant à ses États membres de ne pas coopérer avec la Cour pénale internationale, elle a renoncé à se prononcer au motif que les points soulevés par les auteurs de la demande d’avis étaient « plutôt de l’ordre du droit international public et ne [touchaient] pas aux questions des droits de l’homme »154. Dans son opinion dissidente, le juge Ouguergouz fera remarquer que « la protection des droits de l’homme que la Cour est chargée d’assurer sur la base du Protocole, est prévue par le droit international et est par définition irriguée par ce droit », dès lors, le fait que les questions soulevées touchent « le droit international public » en général et la « hiérarchie des normes de droit international public » en particulier ne signifie pas nécessairement qu’elles sont étrangères aux droits de l’homme155.

• 156 Art. 4 du Protocole.
• 157 Cour ADHP, demande d’avis consultatif introduite par Socio-Economic Rights and Accountability Proje (...)
• 158 Ibid., pt 46.
• 159 Ibid., pt 48.
• 160 Ibid., pt 56.
• 161 Ibid., pt 60.
• 162 Ibid., pt 63.
• 163 Cour ADHP, demande d’avis consultatif introduite par l’Union panafricaine des avocats (UPA), nº 001 (...)
• 164 Voir également Cour ADHP, demande d’avis consultatif introduite par l’Union panafricaine des avocat (...)
• 165 Cour ADHP, demande d’avis consultatif nº 001/2018, pt 24.
• 166 Ibid., pt 19.

35Les demandes d’avis peuvent être le fait d’un État membre de l’UA, de l’UA, de tout organe de l’UA ou d’une organisation africaine reconnue par l’UA156. Dans son avis consultatif nº 001/2013157, la Cour a précisé que le terme « Organisation » et l’expression « Organisation africaine » utilisés par l’article 4 du Protocole recouvrent « aussi bien les organisations intergouvernementales que les organisations non gouvernementales » reconnues par l’UA158, et qu’« une organisation peut être considérée comme étant “africaine”, si elle est enregistrée dans un État africain et est dotée de structures aux niveaux sous-régional, régional ou continental et […] mène des activités au-delà du territoire dans lequel elle est enregistrée, de même que toute organisation de la Diaspora reconnue comme telle par l’Union africaine »159. L’expression « reconnue par l’Union africaine » ne signifie pas « reconnues par la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples »160, l’Union africaine ayant elle-même, « de façon séparée », déterminé les critères d’octroi du statut d’observateur aux ONG, mais également la procédure à suivre, ainsi que les organes compétents à cet effet161. Dès lors, « les ONG dotées d’un statut d’observateur auprès de la Commission n’ont pas automatiquement le statut d’observateur auprès de l’Union africaine et vice-versa »162. Ainsi, dans les avis nº 001/2018 et nº 001/2020, la Cour relève que l’UPA, enregistrée dans un État membre de l’UA, à savoir la République-Unie de Tanzanie, et disposant de structures aux niveaux national et régional en tant qu’organisation fédératrice d’associations nationales et régionales d’avocats et exerçant par ailleurs ses activités au-delà du territoire sur lequel elle est enregistrée, est une organisation africaine163. Sa reconnaissance par l’UA tient en la signature d’un protocole d’accord de coopération le 8 mai 2006 dans le cadre de la mise en œuvre d’activités portant sur l’État de droit, la promotion de la paix ainsi que l’intégration et la protection des droits de l’homme sur le continent ; la signature d’un protocole d’accord étant l’un de moyens prévus par l’UA pour reconnaître les ONG164, la Cour peut en conclure que l’UPA est bien une organisation reconnue par l’UA165. En matière consultative « étant donné que ni sa compétence territoriale, ni sa compétence temporelle ne sont contestées », elle ne s’assure « que de sa compétence personnelle et de sa compétence matérielle »166.

• 167 Voir Cour IDH, Diálogo entre cortes regionales de derechos humanos, San José (Costa Rica), 2020, en (...)
• 168 Cour IDH, 24 septembre 1982, “Otros tratados” objeto de la función consultiva de la Corte (art. 64 (...)
• 169 Cour EDH, GC, 27 mai 2014, Marguš c. Croatie, nº 4455/10.
• 170 Cour IDH, 24 février 2011, Gelman c. Uruguay, fond et réparations, série C, nº 221.
• 171 Cour ADHP, arrêt du 10 juin 2013 (fond), Rev. Christopher Mtikila c. République-Unie de Tanzanie, n (...)
• 172 Cour IDH, 29 juillet 1988, Velasquez-Rodriguez c. Honduras, série C, nº 4, § 64.
• 173 Cour EDH, 16 septembre 1996, Akdivar et autres c. Turquie, nº 21893/93, § 66.
• 174 Texte en ligne : https://archives.au.int/bitstream/handle/123456789/1736/0027%20F.pdf?sequence=3 .(...)
• 175 Texte en ligne : https://archives.au.int/bitstream/handle/123456789/1744/0035%20F.pdf?sequence=3 .(...)
• 176 Texte en ligne : https://archives.au.int/bitstream/handle/123456789/1754/AMENDMENTS%20PROTOCOL%20AF (...)

36Depuis 2018 et la déclaration de San José, la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples s’est engagée, avec la Cour EDH et la Cour IDH, dans le développement d’un Forum permanent du dialogue institutionnel, destiné à renforcer leur dialogue jurisprudentiel. Certes, la protection des droits de l’homme est assurée dans l’ordre juridique international par des systèmes de protection régionaux ou universels conçus comme étant formellement indépendants. Néanmoins, force est de constater le développement de leur dialogue. Il existe en effet dans la jurisprudence internationale relative à la protection des droits de l’homme une tendance croissante à faire référence à la jurisprudence des autres institutions167. La Cour IDH a sans doute été précurseur en la matière. Dès 1982, elle a affirmé que la protection des droits de l’homme s’oppose à toute distinction selon que les obligations pesant sur les États sont régionales ou universelles, du fait de l’existence d’« une unité de la nature de l’être humain »168. De l’avis de la Cour IDH, il serait inapproprié de faire des distinctions sur l’applicabilité du système de protection des droits de l’homme, selon que les obligations internationales de l’État découlent ou non de la Convention américaine relative aux droits de l’homme. La Cour EDH s’est également référée à la jurisprudence régionale, notamment dans l’affaire Marguš c. Croatie, dans laquelle elle a eu à connaître de la question de l’amnistie accordée aux auteurs de violations graves des droits fondamentaux de l’homme169. Dans cette affaire, la Cour EDH cite notamment l’affaire Gelman c. Uruguay170, dans laquelle la Cour IDH s’est livrée à une analyse approfondie du droit international pour autant qu’il concerne les amnisties accordées aux auteurs de violations graves des droits fondamentaux de l’homme. C’est donc tout naturellement que la Cour africaine des droits de l’homme, dès 2013, dans son arrêt rendu dans l’affaire Rev. Christopher Mtikila c. République-Unie de Tanzanie171, s’est référée aux jurisprudences de la Cour IDH172 et de la Cour EDH173 relatives à l’épuisement des voies de recours internes. Cette pratique n’a fait que se développer depuis. Alors que la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples s’affirme dans son rôle de garante de la protection des droits de l’homme sur le continent africain, la création, au sein même de l’UA, de nouveaux organes juridictionnels suscite pourtant des interrogations sur son avenir. Ainsi, en 2003, a été adopté le Protocole de la Cour de justice de l’Union africaine (CJUA)174. Bien qu’entré en vigueur, il n’a pas encore abouti à la mise en œuvre effective de la nouvelle juridiction. En 2003, a également été adopté un nouveau protocole qui fusionne en un organe unique la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples et la CJUA : le Protocole portant Statut de la Cour africaine de justice et des droits de l’homme (CAJDH)175. Cependant, avant que ce dernier protocole n’entre en vigueur, il a été réformé afin d’ajouter à la future Cour une section de droit international pénal et de modifier son appellation qui devient alors : Cour africaine de justice et des droits de l’homme et des peuples (CAJDHP). Ce protocole, qui n’est pas encore entré en vigueur, fut adopté en 2014 sous le titre de Protocole portant amendements au Protocole portant Statut de la Cour africaine de justice et des droits de l’homme176. Dans le cadre de l’UA, ce sont donc au total quatre protocoles, créateurs de quatre organes juridictionnels distincts qui ont été adoptés. Trois d’entre eux ont des compétences en matière de droits de l’homme : la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples, la CAJDH et CAJDHP ; deux sont entrés en vigueur : la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples et la CJUA mais seule la première, qui a fait l’objet de cette présentation, est actuellement en fonctionnement. Si la situation n’évolue pas, les chroniques à venir seront donc consacrées à l’analyse de sa jurisprudence.