Navigation – Plan du site

AccueilNuméros20DossierLes politiques de l’égalité des c...

Dossier

Les politiques de l’égalité des chances en éducation en Turquie : primauté d’une approche individualisante des inégalités scolaires

The Policies of Equal Educational Opportunity in Turkey: The Primacy of an Individualizing Approach to Educational Inequalities
Metin Cevizci
p. 91-118

Résumés

Mises en œuvre dans les années 1960, les politiques de l’égalité des chances en éducation sont rarement l’objet d’études sociologiques en Turquie faute de données régulièrement disponibles. Mobilisant une lecture sociohistorique des textes réglementaires et officiels, et une enquête de terrain sur les expériences des acteurs scolaires dans la prise en charge de l’échec scolaire, cet article a pour objectif de comprendre la manière dont les inégalités scolaires sont représentées et prises en charge par ces politiques. Alors que la lutte contre les inégalités d’accès se base sur une conception libérale de l’égalité en mobilisant les principes de compétition et de mérite pour l’accès aux dispositifs créés, la lutte contre les inégalités de réussite s’appuie sur une conception médicopsychologique de l’échec scolaire. Ces deux axes des politiques reposent ensemble sur une logique individualisante qui définit les inégalités scolaires et élabore la lutte dans un registre davantage individuel. En visant à gérer les effets scolaires de ces inégalités une fois produites plutôt qu’à les prévenir, ces politiques, qui sont marquées depuis le début des années 2000 par une certaine privatisation de l’éducation, servent ainsi davantage à déresponsabiliser les domaines politique et scolaire de la production de ces inégalités.

Haut de page

Texte intégral

  • 1 L’abréviation du ministère de l’Éducation nationale est meb.
  • 2 Ces plans sont élaborés par l’agence publique de planification (dpt).

1Les politiques de l’égalité des chances en éducation voient le jour en Turquie dans les années 1960 pour lutter contre les inégalités scolaires. En dépit de leur longue histoire, ces politiques, marquées par l’absence d’évaluations régulières et systématiques, ne font guère l’objet d’études sociologiques. Cet article a pour objectif d’y contribuer en décrivant la manière dont les inégalités scolaires sont définies et prises en charge par ces politiques. L’article s’appuie sur une lecture sociohistorique et sur une enquête de terrain sociologique. La lecture sociohistorique repose sur une analyse de contenu des textes réglementaires et officiels parus depuis les années 1950 jusqu’à nos jours. Ceux-ci regroupent des lois et des arrêtés ministériels (ministère de l’Éducation nationale1), des rapports d’observation des pédagogues américains sur le système scolaire turc, des plans du développement planifié2, des rapports des comités de l’Éducation nationale, ainsi que divers documents ministériels qui traitent des politiques scolaires. L’enquête de terrain, menée entre novembre 2018 et février 2020 dans neuf écoles primaires publiques en Turquie, se base sur des entretiens réalisés avec 75 personnes : des enseignants, des conseillers d’orientation-psychologues et des parents. Elle porte plus précisément sur la mobilisation de certaines catégories médicales — les troubles spécifiques des apprentissages et le trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité — par des acteurs scolaires pour définir et prendre en charge l’échec scolaire.

2L’article considère les inégalités scolaires dans deux perspectives selon la distinction établie entre la démocratisation quantitative et la démocratisation qualitative (Prost, 1986). Tandis que les politiques de l’égalité des chances en éducation reconnaissent dès les années 1960 les inégalités d’accès à l’éducation, la question des inégalités de réussite scolaire reste subsidiaire au problème de l’échec scolaire qui est davantage considéré comme une question médico-psychologique. Sur ce point, l’article part de l’hypothèse que, si ces politiques semblent reconnaître en principe la part des inégalités sociales dans la production des inégalités scolaires, les dispositifs mis en œuvre s’inscriraient davantage dans une approche individualisante en définissant les inégalités scolaires en des termes individuels et en s’adressant non pas à des groupes sociaux mais à des individus singuliers.

Lutte contre les inégalités d’accès : des dispositifs permanents adossés à des politiques par projet

3Le premier axe des politiques de l’égalité de chances en éducation vise à lutter contre les inégalités d’accès. S’inscrivant à l’intersection de deux logiques politiques — universaliste et individualisante — forgées respectivement dans les années 1930 et 1950, ces politiques mobilisent d’abord des dispositifs permanents tels que la bourse, l’internat gratuit et la classe de complément et de rattrapage qui sont éclipsés dès les années 2000 par des politiques par projet qui apportent des dispositifs éphémères.

Constitution des logiques universaliste et individualisante dans le domaine scolaire

4La logique que nous appelons universaliste domine la période allant de la fondation de la République turque en 1923 au milieu des années 1940, où l’éducation est principalement considérée comme un levier politique en vue de l’intériorisation de l’identité nationale et des valeurs républicaines (Çaymaz, 2011). Tout au long de cette période, les politiques scolaires se préoccupent de faire face à un analphabétisme généralisé — en 1923, seulement 9,5 % de la population sait lire et écrire (Öztürk, 1999 : 364) — et d’unifier le système scolaire décentralisé qui relève de l’autorité des pouvoirs locaux en le soumettant à un programme scolaire unique sous l’autorité exclusive du ministère de l’Éducation nationale (Topses, 1999). Cette logique universaliste se traduit plus précisément par l’élaboration de politiques scolaires qui ciblent un groupe social entier au nom d’une société plus égalitaire. Dans les années 1930, les pédagogues américains invités en Turquie pour examiner le système scolaire notent un grand écart de scolarisation entre le milieu rural et le milieu urbain. En 1931, les élèves du milieu rural ne constituent que 34 % de tous les élèves scolarisés en primaire et secondaire (Walker et alii, 1939 : 4), alors que plus de 75 % de la population vit en milieu rural (Öztürk, 1999 : 364). Conformément à la suggestion des pédagogues américains qui imputent cet écart au modèle d’école unique, sont créés, en 1940, les instituts de village pour mettre en œuvre une pédagogie spécifique pour des enfants de milieu rural. S’inscrivant dans le mouvement de l’éducation nouvelle, ces instituts offrent un enseignement adapté au milieu rural dans l’objectif de rapprocher la culture scolaire de la culture rurale (Ilgaz, 1999 : 398). L’enseignement y est soumis à un curriculum hybride composé de disciplines classiques, d’activités agricoles, manuelles, culturelles et artistiques. Ces instituts construits en plein milieu rural accueillent des élèves diplômés de l’école primaire rurale pour leur donner une formation de cinq ans par laquelle ils deviennent instituteurs dans les écoles primaires de leur propre communauté. Jusqu’à leur fermeture en 1954, ces instituts contribuent ainsi au triplement du nombre des écoles et des instituteurs en milieu rural (Arayıcı, 1983 : 638) grâce auquel le taux de scolarisation à l’école primaire passe de 35 % à 50 % entre 1940 et 1950 (Arayıcı, 1999 : 275).

5Mais l’idée d’une différenciation scolaire pour un groupe social particulier est abandonnée dans les années 1950 (Kaplan, 1999) par l’avènement d’une logique que nous appelons individualisante. Le contexte politique étant marqué par un rapprochement avec les États-Unis, les instituts de village sont fermés en 1954 au prétexte qu’ils font la propagande du communisme en préconisant la vie communautaire et l’autosuffisance économique (Arayıcı, 1983). Grâce au retour au multipartisme instauré pour bénéficier de l’aide américaine après la Seconde Guerre mondiale, le Parti démocrate accède au pouvoir en 1950 et met fin au règne du Parti républicain du peuple, au pouvoir depuis 1923. L’influence du libéralisme américain s’avère dès lors prépondérante. Alors que l’initiative privée est avancée pour remettre en question le protectionnisme de l’État républicain (Kasaba, 1993), la liberté individuelle est opposée au projet républicain de l’homogénéisation culturelle (Kaplan, 1999). Ce paradigme sociopolitique se traduit dans le champ scolaire par l’adoption d’une logique individualisante qui considère l’éducation comme une question individuelle en mobilisant les valeurs de mérite et de compétition. Cette logique se concrétise en 1955 dans la création des Maarif Koleji, des établissements scolaires de second degré qui jouissent d’un curriculum différent qui donne une large place à l’apprentissage des langues étrangères. Avec leur création, l’accès à un établissement scolaire est conditionné, pour la première fois dans l’histoire du pays, à un concours qui offre aux élèves les mieux classés un enseignement spécifique. Le mécanisme de concours qui mobilise les valeurs de mérite et de compétition marque par la suite toute l’histoire scolaire de la Turquie (Sakaoğlu, 1992).

Dispositifs permanents des années 1960 :
méritocratie au service de l’égalité des chances

6C’est dans ce contexte sociopolitique que la question des inégalités d’accès à l’éducation se pose pour les observateurs américains. Tompkins (1956 : 69) rapporte qu’en 1952, seulement 5,8 % des élèves sortant de l’école primaire ont la chance de continuer le collège. D’autre part, en 1950, la moitié des enfants d’âge scolaire n’accèdent pas à l’école primaire (Journal des actes de l’Assemblée nationale, 5/47/1955 : 586). Ce malaise scolaire fait l’objet de politiques scolaires durant la décennie suivante où le régime militaire établi par le coup d’État de 1960 revendique un retour aux valeurs républicaines et favorise la reconnaissance des inégalités d’accès à l’éducation :

Les inégalités d’accès aux ressources scolaires en fonction de groupes de revenus et de régions empêchent l’éducation de remplir sa fonction d’assurer la justice et la mobilité sociales conformément aux intérêts collectifs. (dpt, 1963 : 449)

7Face aux inégalités d’accès à l’éducation qui sont notamment considérables au niveau de l’enseignement secondaire, comme l’indique le tableau 1, les politiques de l’égalité des chances en éducation voient le jour en mobilisant les dispositifs de bourse, d’internat et de classes de complément et de rattrapage (loi 222/1961, jo 10 705). Ces dispositifs combinent les deux logiques que nous avons vues plus haut. La reconnaissance des inégalités scolaires et la tentative politique de les prendre en charge au nom d’une société égalitaire témoignent de l’influence d’une orientation universaliste. Par contre, l’élaboration et la mise en pratique des dispositifs relèvent en général d’une logique individualisante. En effet, ils ne ciblent pas des groupes sociaux entiers mais des élèves particuliers. Par exemple, l’internat gratuit est destiné à des élèves de l’enseignement secondaire qui risquent de ne pas poursuivre leur scolarité en raison de leurs conditions économiques défavorables. Mais ce dispositif définissant une situation sociale particulière — manque de ressources économiques — est conditionné à une réussite scolaire exceptionnelle :

Conformément à la loi no 915, des collégiens et des lycéens qui sont intelligents, travailleurs, en bonne santé, mais privés de ressources économiques, à tel point qu’ils risqueraient de ne pas pouvoir accomplir leur enseignement secondaire, seront gratuitement acceptés en internat par un concours national. (Arrêté ministériel, jo 12 118/1965, article 1)

Tableau 1. Taux de scolarisation entre 1960 et 1990 (en %)

Tableau 1. Taux de scolarisation entre 1960 et 1990 (en %)

Source : Ünal & Özsoy, 1999.
* Ces données ne sont pas rendues publiques.

8Le dispositif définissant un groupe social particulier, composé d’élèves de milieux défavorisés, ne s’adresse pourtant pas à tous les élèves concernés, mais à une minorité très restreinte d’entre eux, puisque l’accès à ce dispositif est conditionné à un concours national. Ce sont en fait les élèves classés parmi les meilleurs qui ont la chance de profiter du dispositif d’internat gratuit. Même pour postuler à ce concours, l’élève doit prouver sa réussite scolaire :

Il faut que l’institution scolaire de l’élève considéré approuve qu’il soit travailleur, intelligent et décent. Il faut ne pas avoir redoublé plus d’un cours et être passé en classe supérieure avec la mention bien/très bien. (Arrêté ministériel, jo 12 118/1965, article 4)

9En 1976, le dispositif de bourse mis en place garde les mêmes critères. Les élèves les mieux classés dans le concours font un choix entre la bourse et l’internat gratuit :

L’objectif est d’assurer l’égalité des chances en éducation en offrant des dispositifs de bourse, d’internat gratuit et d’autres aides sociales à des élèves du premier et du second cycle de l’enseignement secondaire qui sont démunis de conditions économiques favorables, mais qui sont en réussite scolaire. (Arrêté ministériel, jo 15 590/1976, article 2)

10L’accès à ces dispositifs étant soumis à un concours, sont ainsi mobilisées les valeurs de mérite et de compétition pour assurer l’égalité des chances en éducation. Il ne suffit pas d’en avoir besoin pour y avoir droit, il faut également les mériter par sa performance scolaire. Sur ce point, ces politiques disposent d’une conception naturaliste de la réussite scolaire (Millet & Thin, 2007). En faisant référence à des élèves intelligents, travailleurs ou talentueux, celle-ci en effet n’est pas conçue comme une situation sociale spécifique mais comme une qualité personnelle. Or, toute une littérature de sociologie de l’éducation nous montre que c’est par un certain mouvement de transposition que des ressources familiales et culturelles constituent une base solide pour la réussite scolaire (Duru-Bellat & Fournier, 2007 ; Gayet, 2004). Elle s’apparente à une situation sociale particulière à l’intersection des facteurs sociaux, scolaires et individuels. Alors que la réussite scolaire est très liée à la position sociale de l’élève (Bourdieu & Passeron, 1970), les deux critères posés ensemble — être démuni de ressources économiques mais être en réussite scolaire — risquent d’occulter l’implication des inégalités sociales dans la production des inégalités scolaires. Si le champ politique la reconnaît en principe, la prise en charge pratique qui y est proposée la méconnaît et réduit les inégalités d’accès à un registre individuel. Selon la distinction établie par Meuret (1994), la mobilisation du concept de l’égalité des chances opte pour une conception libérale de l’égalité qui veille à augmenter les chances de chacun d’accéder aux places méritées inégalement réparties, mais qui se dispense d’une conception sociale qui viserait à la diminution des écarts entre ces places. En pratique, ces politiques s’adressent à des élèves “exceptionnels” qui peuvent être en réussite scolaire malgré leurs conditions sociales défavorables. D’autre part, les dispositifs mis en œuvre cherchent à résoudre un problème existant — des effets des inégalités — mais ne s’inscrivent pas dans une logique de lutte contre ce qui produit ces inégalités (Glasman, 1992). Il est possible de le constater plus nettement à travers les classes de complément et de rattrapage qui visent à donner un enseignement primaire concentré à des enfants qui n’ont pas eu accès à l’école primaire, et un enseignement technique et professionnel à des élèves qui n’ont pas eu accès à l’enseignement secondaire (arrêté ministériel, jo 12 757/1967). Ce dispositif se contente de donner un enseignement compensatoire à ceux qui sont exclus de l’école sans s’intéresser à ce qui les empêcherait d’y accéder ou qui les obligerait à abandonner leurs études.

11Ces trois dispositifs présentés constituent le noyau dur des politiques de lutte contre les inégalités d’accès jusqu’aux années 2000. Si les dispositifs de bourse et d’internat restent toujours en vigueur, ils sont éclipsés par des politiques par projet. D’autre part, les classes de complément et de rattrapage sont supprimées en 2008, et les internats régionaux sont remplacés, depuis le début des années 2000, par le dispositif d’éducation “transportée” qui assume les déplacements quotidiens des élèves habitant en milieu rural entre leur domicile et l’école. Mais tout au long de la période de leur mise en œuvre, ils n’ont pas fait l’objet d’évaluations objectives. Aucun système d’évaluation régulière n’a été mis en place, et les données relatives à ces dispositifs sont rarement rendues publiques (Ünal & Özsoy, 1999). Les rares données disponibles témoignent toutefois de leur étendue restreinte. Entre 1963 et 1971, la part des élèves de l’enseignement secondaire bénéficiant de l’internat gratuit passe de 1,5 % à 0,9 % (dİe, 1976). Au niveau de l’enseignement primaire, l’internat gratuit ne parvient à accueillir, en 1974, que 0,76 % des enfants de milieu rural qui n’ont pas accès à un établissement scolaire dans leur lieu d’habitation (dİe, 1977). Et, pour l’année scolaire 2019-2020, les boursiers ne constituent que 1,4 % de l’ensemble des collégiens et des lycéens, et seulement 4,4 % d’entre eux bénéficient du dispositif d’internat gratuit (meb, 2020a).

  • 3 La part de la population urbaine passe de 30 % en 1960 à 60 % en 1990 (turkstat, 2014).

12Bien que le taux de scolarisation dans l’enseignement primaire et secondaire augmente régulièrement (voir le tableau 1) dans le contexte d’une urbanisation rapide3, les dispositifs mis en œuvre échouent à atteindre leur objectif initial de « permettre à tous les élèves, indépendamment de leurs ressources économiques, de profiter de toutes les opportunités scolaires » (dpt, 1963 : 442). Malgré cette amélioration relative d’accès à l’enseignement, les inégalités persistent. Ainsi, en 1975, le taux de scolarisation au collège était de 75 % en milieu urbain, mais seulement de 25 % en milieu rural (dpt, 1979 : 148). Il en va de même pour les inégalités socio-économiques : un enfant de milieu aisé a 34 fois plus de chances qu’un enfant d’agriculteur d’accéder à l’enseignement supérieur (dpt, 1979 : 149). Face à la persévérance des inégalités, le discours des acteurs politiques reconnaît l’impact insuffisant des dispositifs créés et exprime à plusieurs reprises une certaine volonté de les étendre à une population plus large :

On n’a pas pu mettre en place un système qui permettrait à tous les élèves talentueux d’accéder aux cycles supérieurs, car l’étendue des dispositifs de bourse et d’internat gratuit s’avère insuffisante. […] On va assurer que tous les citoyens profitent des opportunités scolaires fournies par l’État en fonction du principe de l’égalité des chances. (dpt, 1967 : 158)

13Mais cette volonté n’a pas débouché sur une action politique concrète et n’a pratiquement pas pris en compte les causes véritables de l’écart entre l’objectif initial de ces dispositifs et leur impact effectif. Et ce discours a pris fin dans le contexte politique des années 1980 où un nouveau coup d’État militaire a mis un terme au projet politique des années 1960 et annoncé le recul du modèle d’État-providence à travers des politiques néolibérales (Keyder, 1989). Le nouveau paradigme sociopolitique des années 1980 se définit alors principalement par la promotion de l’initiative privée et de « la restriction progressive des ressources publiques » (dpt, 1989 : 2). Sur le plan scolaire, il se traduit par l’incitation à la création des écoles privées et la responsabilisation des acteurs privés dans le financement de l’éducation (Ercan, 1999). C’est dans un tel contexte sociopolitique que disparaissent la volonté politique d’améliorer les dispositifs en vigueur et l’idée de réformer le collège pour faire face aux inégalités d’accès (meb, 1974). La première phase de cette réforme avait été réalisée en 1974 par l’intégration du collège à l’enseignement primaire. Le collège faisait ainsi suite à l’école primaire et cessait d’être un cycle préparatoire au lycée ou à la vie professionnelle. La deuxième phase ne s’achève qu’en 1997 avec l’unification de l’école primaire (cinq ans) et du collège (trois ans) dans un même établissement. L’obligation scolaire est ainsi prolongée à 14 ans. Par contre, à la différence d’un enseignement primaire unique pour tous, grâce auquel le taux de scolarisation au collège est passé de 52,8 % à 84,7 % entre 1997 et 1998 (meb, 2006b), l’enseignement secondaire a gardé son caractère sélectif. Suite à la transformation, en 1974, des Maarif Koleji en lycées anatoliens et au report du concours pour y accéder à la fin du collège (en huitième année de scolarisation), l’enseignement secondaire est devenu quadripartite. Les lycées anatoliens, qui sont accessibles par un concours général, font une large place à l’apprentissage et à la pratique de l’anglais ; les lycées superbes acceptent des élèves par la note du diplôme de l’enseignement primaire et dispensent une année préparatoire en anglais, les lycées généraux et les lycées professionnels sont soumis à la carte scolaire et dispensent respectivement un programme scolaire classique et un programme scolaire technique. C’est dans un tel système hiérarchisé que 60 % des jeunes étaient, au début des années 2000, privés d’enseignement secondaire (meb, 2006b).

Émergence du modèle de politiques par projet dans les années 2000

14Les politiques scolaires s’appuient, depuis le début des années 2000, sur divers projets qui n’apportent guère de structures pérennes. Étant souvent financés par des fonds de l’Union européenne ou des ong internationales, ces projets font certes l’objet d’évaluations qui divulguent des données objectives, mais le caractère éphémère des dispositifs empêche un suivi processuel de longue durée. Le modèle de politiques par projet semble d’autre part précariser la lutte contre les inégalités scolaires en apportant des dispositifs passagers qui souffrent dans une large part d’une certaine contradiction entre leur objectif et leur mise en pratique.

15Cette contradiction découle d’abord d’une forte incitation à la privatisation de l’éducation qui est à la fois visible dans le nombre croissant d’établissements scolaires privés et dans le financement des établissements scolaires par des acteurs privés, à savoir des associations, des entreprises privées et des familles :

Les ressources venant du secteur privé permettront l’instauration de l’égalité des chances en éducation. La part du secteur privé sera augmentée dans tous les niveaux scolaires, et les ressources publiques seront ainsi attribuées aux couches sociales qui en ont le plus besoin. (dpt, 2006 : 95)

Tableau 2. Part de l’éducation privée en 2018 (en %)

Maternelle

Primaire

Collège

Lycée général

Lycée
professionnel

Part d’écoles privées

51,8

6,5

10

45,6

8,6

Part d’élèves dans
l’éducation privée

15,7

4,6

6

22,7

4,7

Source : meb, 2018b.

16Le tableau 2 ci-dessus témoigne de la part considérable du secteur privé, notamment dans l’enseignement maternel et secondaire. Pour augmenter l’attractivité de l’éducation privée, une aide financière est versée depuis 2014 à des familles inscrivant leur enfant dans un établissement scolaire privé. Le montant équivalant à un tiers des frais d’inscription annuels, cette aide risque toutefois d’accroître les inégalités scolaires en ne bénéficiant qu’à des familles qui disposent déjà d’un capital économique élevé (erg, 2016). Quant au financement de l’éducation, les chefs d’établissements se chargent, dans le cadre de la rationalisation budgétaire, de créer des ressources économiques en faisant appel à des ong et à des associations des parents d’élèves (Toker Gökçe & Uslu, 2018). Ainsi, avec 24,9 % des dépenses d’éducation assumées par des familles et d’autres acteurs socio-économiques, la Turquie affiche la part la plus élevée du secteur privé parmi les pays de l’ocde (ocde, 2019a : 300). Cette gestion budgétaire qui oblige les établissements scolaires à créer leurs propres ressources économiques risque cependant de creuser les inégalités scolaires, car les écoles les plus favorisées bénéficient, grâce aux ressources économiques des familles, d’un budget encore plus grand que les écoles défavorisées (erg, 2018). En 2019, par exemple, 64,4 % des dépenses des ménages en matière d’éducation étaient le fait du cinquième quintile de revenu, qui percevait 46,3 % du revenu national (TurkStat, 2019). Ce modèle politique de privatisation de l’éducation profite ainsi davantage à ceux qui jouissent déjà des conditions socio-économiques favorables. De surcroît, les écoles des quartiers favorisés touchent un budget considérable dont la très grande part est constituée de dons des parents d’élèves. Pareil modèle entre ainsi en contradiction avec l’objectif politique d’orienter les ressources publiques vers ceux qui en ont le plus besoin :

Vous savez, normalement, on paie un montant pour inscrire son enfant. […] Même si c’est une école publique, on inscrit son enfant en contrepartie d’un montant élevé. […] Ce montant est demandé à titre de dons. (Entretien, Fatma, 37 ans, mère d’élève, école favorisée)

17Tout au contraire, dans leur lutte contre les inégalités d’accès, les écoles défavorisées souffrent du manque de ressources économiques et pédagogiques qui ne sont pas assurées par des autorités publiques et que l’on ne saurait obtenir auprès des parents :

Alors, l’État se retire du jeu et laisse l’école et les parents face à face. […]Nous sommes obligés de solliciter de l’argent auprès des parents pour que l’école subvienne à ses besoins. Mais il faudrait que nous ne le soyons pas. Bon, quand on regarde le revenu des écoles des quartiers favorisés, c’est incroyable ! Il y a un double standard. (Entretien, Banu, 39 ans, enseignante, école défavorisée)

18Il est possible de constater un tel antagonisme dans l’élaboration et la mise en pratique de divers projets conçus pour diminuer les inégalités d’accès à l’éducation. Pour augmenter le taux de scolarisation à l’enseignement préscolaire — qui n’est ni obligatoire ni gratuit en Turquie — auprès des élèves de milieux défavorisés, le « Projet d’un accès 100 % à l’école maternelle » a été mis en œuvre en 2009 dans l’objectif de scolariser tous les enfants ayant de 60 à 72 mois, dans 32 villes ciblées. Mais le taux de scolarisation dans les villes choisies par le projet était de 71 %, alors qu’elles accueillaient 13 % de la population concernée, tandis que le taux de scolarisation pour cette tranche d’âge était de 51 % dans le reste du pays (erg, 2010 : 44). Le « Projet de renforcement de l’enseignement préscolaire » mis en œuvre en 2010 a souffert d’une incohérence semblable puisque seule la moitié des villes visées par le projet avait un taux de scolarisation inférieur à la moyenne nationale, et les villes les plus défavorisées n’étaient pas couvertes par ce projet (erg, 2010 : 46). Le projet prenant fin en 2012, cela a paradoxalement entraîné une hausse des inégalités d’accès : le taux de scolarisation a augmenté de 22 % dans les villes concernées alors qu’il n’a augmenté que de 9 % dans le reste du pays (erg, 2019 : 17).

  • 4 Pour 2021, le montant varie de 35 à 60 ₮ (de 3,5 à 6 €) en fonction du cycle scolaire fréquenté.

19D’autre part, certains projets souffrent d’un impact réduit faute d’une prise en charge des facteurs sociaux et scolaires contribuant à la production des inégalités. Par exemple, une aide scolaire conditionnelle a été créée en 2003 dans l’objectif de réduire l’absentéisme des élèves de milieux défavorisés. Une allocation mensuelle4 a été versée à des familles populaires en contrepartie de la scolarisation régulière de leurs enfants avec un taux d’assiduité d’au moins 80 %. De plus en plus de familles ont accès à cette subvention, mais elle n’arrive pas à couvrir toute la population ciblée. En 2017 par exemple, 16 % de l’ensemble des élèves en bénéficiaient (Dama & Sundaram Toklucu, 2018 : 55), alors que 28,7 % de la population scolaire vivait dans des conditions précaires marquées par de fortes difficultés économiques (TurkStat, 2017). En outre, nos enquêtes de terrain conduisent à penser que cette allocation réduisant l’absentéisme à une question financière, sans réflexion sur les conditions de scolarisation, échouerait à faire parvenir à l’école une certaine population pour qui la potentialité de la main-d’œuvre enfantine l’emporterait sur l’aide promise :

Je rencontre souvent mes élèves dans les rues ou devant les feux de circulation. Ils ont honte de me croiser. Chacun y cherche à gagner de l’argent. Je vois ces tout petits enfants si loin de chez eux. L’éducation n’est donc pas leur priorité. (Entretien, Rabia, 48 ans, enseignante, école défavorisée)

20La mise en pratique du ysöp (Programme scolaire de classe de rattrapage) permet d’observer une inefficacité semblable. Ce programme, conduit entre 2008 et 2013, dispensait une formation de neuf mois pour des décrocheurs, des absentéistes et des élèves en retard scolaire d’au moins trois ans. L’évaluation du projet permet de voir que le problème d’accès à l’école ne tenait pas uniquement à des difficultés économiques. Outre celles-ci (19,4 %), l’échec scolaire (14,1 %) et le manque de motivation scolaire (10,2 %) figuraient parmi les facteurs principaux avancés par des élèves pour expliquer leur propre exclusion scolaire (erg, 2011 : 88). Ce projet ne touchait en outre que 12,3 % des élèves initialement ciblés, et seulement 30,3 % des élèves pris en charge parvenaient à accomplir le programme (erg, 2011 : 78).

Tableau 3. Taux de scolarisation en 2006 et 2012 (en %)

Tableau 3. Taux de scolarisation en 2006 et 2012 (en %)

Source : erg, 2013.

21Sans une action politique concrète sur les difficultés sociales et pédagogiques qui empêchent certains élèves d’accéder à l’institution scolaire, ces divers projets semblent ainsi se limiter à une amélioration instantanée mais éphémère de la situation. Le tableau 3 révèle l’ampleur des inégalités d’accès à l’enseignement secondaire. En 2012, la réforme scolaire 4 + 4 + 4 a de nouveau séparé l’école primaire et le collège, rendu le lycée obligatoire et abaissé l’âge d’entrée à l’école primaire de 7 à 5,5 ans, tout en réservant à la famille un droit d’ajournement à condition de prouver, par un certificat médical, l’immaturité de l’enfant. Cette réforme a entraîné paradoxalement une baisse de scolarisation dans l’enseignement élémentaire en raison des ajournements d’inscription à ce niveau et du décrochage scolaire au collège du fait de la séparation des cycles. En outre, si les inégalités d’accès au niveau élémentaire (école + collège) s’avèrent restreintes, elles restent fortes au niveau secondaire (lycée) malgré une obligation scolaire prolongée. Quant à l’enseignement préscolaire, les inégalités d’accès se révèlent beaucoup plus fortes. En 2013, le taux de scolarisation des enfants de 54 mois était de 17 % pour le quintile du revenu le plus bas, contre 71 % pour le quintile le plus élevé (erg & açev, 2017 : 15).

Lutte contre les inégalités de réussite scolaire : l’échec scolaire comme question médico-psychologique

22Le deuxième axe des politiques de l’égalité des chances en éducation s’organise plutôt autour de l’échec scolaire qui n’est pas considéré comme un produit des inégalités scolaires mais comme une question médico-psychologique. D’une part, le champ de l’éducation spécialisée est destiné à des enfants handicapés. D’autre part, des services d’aide psychologique et d’orientation s’offrent à des enfants non handicapés mais souffrant de difficultés scolaires. Mais, à partir des années 2000, l’éducation spécialisée semble l’emporter sur le dispositif d’aide psychologique, avec la prise en compte, dans la prise en charge de l’échec scolaire, de certains troubles psychiatriques par des acteurs scolaires.

Construction de l’échec scolaire comme un problème public

23En Turquie, l’échec scolaire émerge comme problème public dans les années 1950, marquées par une mécanisation agricole conduisant à un exode rural intense.

24Les flux d’exode rural continus tout au long des années 1960 et 1970 expliquent 41,2 % de la croissance démographique des trois grandes villes industrielles — Istanbul, Ankara et Izmir (dpt, 1979 : 77). Sur le plan scolaire, l’exode rural permet à de plus en plus d’enfants d’accéder à l’institution scolaire. Après une chute considérable entre 1940 et 1950 dans le contexte de la Seconde Guerre mondiale, le nombre d’élèves croît fortement, surtout dans l’enseignement secondaire, comme l’indique le graphique 1. L’émergence de l’échec scolaire comme un problème public coïncide avec ce changement démographique et la question est posée, dès les années 1950, par les pédagogues américains réalisant des observations dans des institutions scolaires :

Pour le dire franchement, l’échec scolaire dans ces écoles, le taux de redoublement parmi ces enfants qui sont les plus brillants du pays est redoutablement élevé. […] Il est approximativement de 30 à 40 %. Les observations que nous avons réalisées dans le lycée Atatürk d’Ankara montrent également que 50 % des élèves de toutes les classes ont redoublé au moins une fois. (Beals, 1955 : 29-30)

25Ces pédagogues mobilisent deux modèles explicatifs différents face à l’échec scolaire qui est défini par le redoublement scolaire. Le premier modèle part des caractéristiques intrinsèques de la vie scolaire, l’échec scolaire est alors défini comme un résultat inéluctable du programme scolaire unique :

Le nombre de ceux qui sont expulsés de l’école en redoublant plusieurs fois ou de ceux qui la quittent étant désespérés et découragés est redoutablement élevé. En fait, cette situation est le résultat amer de leur soumission à un programme scolaire unique qui ne prend pas en compte leurs compétences particulières. (Rufi, 1956 : 20-21)

26Le deuxième modèle explicatif mobilise davantage des facteurs individuels et propose la création d’une aide psychologique pour faire face à l’échec scolaire :

Les enfants ont besoin d’une aide pour s’adapter à de nouvelles situations et résoudre leurs difficultés personnelles et scolaires. […] Un programme exhaustif d’orientation et d’aide psychologique est nécessaire pour assurer cette aide. […] Pourquoi ? Parce qu’il y aurait ainsi plus de réussite, de santé et de coopération et tout au contraire moins de redoublement scolaire, d’absence de coopération et d’inadaptation. (Rufi, 1956 : 21-22)

27Ces deux modèles explicatifs contribuent ainsi à la construction de l’échec scolaire comme un problème public qui tiendrait à la fois aux caractéristiques du système scolaire et au monde personnel de l’élève. Cependant, la lecture sociohistorique des politiques scolaires permet de constater que, si le modèle individuel constitue le cœur des dispositifs mis en œuvre, le modèle scolaire ne débouche pas sur une action politique concrète.

La psychologie au secours de la lutte contre l’échec scolaire

28Dans les années 1960, la question de l’échec scolaire est appropriée par des psychologues et des psychiatres qui mettent en avant des difficultés d’ordre émotionnel et cognitif pour comprendre ce problème. La théorie psychologique mobilise davantage l’univers psychique et émotionnel de l’enfant qui serait principalement marqué par l’empreinte du milieu familial :

Les rapports de l’enfant à son milieu et notamment à sa mère s’avèrent comme le facteur le plus important qui explique la genèse de l’échec scolaire. Dans la plupart des cas, il s’agit des mères dominantes, anxieuses, instables et parfois répudiantes. Les symptômes les plus pathologiques sont observés chez des enfants des mères répudiantes. (Farfar, 1968 : 101)

29Ainsi, étant dépouillée de ses dimensions économiques et culturelles, l’implication du milieu familial est réduite à son influence sur l’univers psychique de l’enfant. Les tenants de la théorie psychiatrique attribuent une place minime à la famille en mettant en avant plutôt l’univers mental et intellectuel de l’enfant. Le psychiatre Rıdvan Cebiroğlu (1971), par exemple, l’un des pionniers de la problématisation psychiatrique de l’échec scolaire, effectue une enquête auprès de 269 élèves en échec scolaire et énumère les raisons qu’il a observées dans l’ordre suivant : l’arriération mentale (129), la névrose (110), la maladie mentale (13), l’épilepsie (9), la famille (1), l’enseignant (1) et des raisons inconnues (6). À cet égard, ces deux approches convergent sur une problématisation “déscolarisée” de l’échec scolaire en pointant l’univers personnel de l’enfant pour comprendre l’échec scolaire.

  • 5 Ces centres, attachés au ministère de l’Éducation nationale, gèrent le processus de diagnostic et (...)
  • 6 En Turquie, les enseignants spécialisés sont uniquement chargés des élèves handicapés scolarisés (...)

30D’autre part, la question de l’échec scolaire acquiert de plus en plus de visibilité dans les années 1960. La réussite scolaire, définie par le passage en classe supérieure, passe de 92,9 % à 82,6 % à l’école urbaine, et de 93 % à 75,5 % à l’école rurale (dpt, 1972 : 85). Au niveau de l’enseignement secondaire, elle diminue, entre 1960 et 1965, de 70 % à 50 % au collège et de 62 % et à 49 % au lycée (dpt, 1967 : 161). Pour faire face à ce problème scolaire, les politiques de l’égalité des chances en éducation partent du modèle explicatif individuel promu par les pédagogues américains. Elles œuvrent à la création d’une structure médico-psychologique qui mobilise d’un côté des facteurs psychiques — l’univers émotionnel de l’enfant — et, de l’autre côté, des facteurs biologiques et neurologiques — la déficience intellectuelle et les troubles psychiques — pour définir et prendre en charge l’échec scolaire. En 1954 est créé le centre d’orientation et de recherche5 pour « dépister et former d’une manière appropriée les enfants mentalement arriérés, en échec scolaire, en situation d’inadaptation psychologique ou sociale et qui ont plusieurs fois redoublé » (Tan, 1974 : 37). Deux sections différentes sont créées au sein de ce centre pour lutter contre l’échec scolaire : la section d’éducation spécialisée6, qui s’occupe des élèves reconnus handicapés (handicap auditif, visuel, orthopédique, intellectuel et communicatif), et la section d’aide psychologique, qui est chargée des élèves en échec scolaire.

Examiner les situations des élèves en échec des établissements scolaires de tout degré, en détecter les causes et prendre des mesures correctives appropriées. […] Prendre en charge les difficultés scolaires en recourant aux tests d’intelligence et d’aptitudes et à la thérapie psychologique. (Arrêté ministériel, jo 12 814/1968, articles 19 et 21)

31Les dispositifs créés mobilisent davantage des facteurs d’ordre biologique et psychique pour comprendre la situation des élèves en échec scolaire et s’appuient sur des instruments relevant du champ médico-psychologique — tests d’intelligence et d’aptitudes, et thérapie psychologique — pour les prendre en charge en l’absence d’une prise en considération des conditions sociales et scolaires de ces élèves. Mais la distinction établie entre les élèves en échec scolaire et les élèves handicapés semble se brouiller très vite, avec l’apparition, en 1975, de la notion de difficultés d’apprentissage parmi les problèmes scolaires relevant de l’éducation spécialisée. Ces difficultés sont initialement définies en deux groupes distincts découlant respectivement des facteurs socioculturels et “organiques” :

Ceux qui ont une privation culturelle : des enfants qui n’ont pas d’intérêt, de motivation et de mode de vie approprié pour l’éducation en raison de la privation objective et culturelle du milieu dans lequel ils ont grandi sans déficit du niveau d’intelligence général.

Ceux qui ont d’autres difficultés d’apprentissage : des enfants qui ont des difficultés à comprendre, à lire, à expliquer, à écrire, à dessiner, à reconnaître et à conceptualiser, ces difficultés tenant à des causes organiques et fonctionnelles. (Arrêté ministériel, jo 15 151/1975, article 3/IV/1-2)

32Si l’apparition de la notion de difficultés d’apprentissage parmi les catégories d’élèves relevant de l’éducation spécialisée risque de mêler les questions d’échec scolaire et de handicap, elle annonce tout de même la reconnaissance du lien entre le milieu socioculturel et l’échec scolaire. Mais, en mobilisant la notion de privation culturelle, cette reconnaissance se fonde sur une conception « déficitariste » de l’échec scolaire (Terrail, 2013). En effet, la notion de privation culturelle est au fondement de la thèse du handicap socioculturel en France, avançant que ces enfants auraient des difficultés en raison de leur incapacité individuelle d’ordre culturel (Isambert-Jamati, 1973 ; Rochex, 2000). À cet effet, en semblant pointer l’implication des conditions socioculturelles dans la production de l’échec scolaire, le recours à la notion de privation culturelle conduit à individualiser la question en la décrivant par le manque d’intérêt et de motivation des élèves, sans considérer l’échec scolaire comme le produit des inégalités. Malgré une problématisation déterministe, cette thèse qui établit un lien entre l’échec scolaire et les dispositions culturelles ne trouve pas d’écho dans le domaine scientifique en Turquie. Seul le sociologue Mahmut Tezcan (1980) cherche, en se basant sur les travaux de Basil Bernstein, à démontrer le rôle des compétences linguistiques dans la réussite scolaire. À l’inverse, des spécialistes des sciences de l’éducation et des psychologues, qui renforcent leur collaboration en l’absence d’une approche sociologique sur l’éducation (Köse, 1990), problématisent l’échec scolaire en recourant à divers concepts psychologiques ou psychiatriques comme les compétences intellectuelles (Arseven, 1981), la motivation, la confiance en soi (Özçelik, 1983), l’anxiété (Bozak, 1982) ou la dyslexie (Razon, 1982).

  • 7 On ne divulgue pas de chiffres sur des élèves pris en charge par ces services. Il est seulement p (...)

33Dans ce contexte des années 1980 où un intérêt politique croissant est accordé à ces questions (dpt, 1984), les dispositifs mis en œuvre trouvent d’autre part la possibilité de s’élargir avec la création du dispositif d’intégration et du plan personnalisé de scolarisation pour les élèves reconnus handicapés, et la propagation des centres d’orientation et de recherche, et des services d’aide psychologique et d’orientation7 des écoles, dont les conseillers d’orientation-psychologues se chargent du traitement de l’échec scolaire :

Proposer la consultation psychologique à l’élève pour le curriculum, l’orientation scolaire et professionnelle, l’échec scolaire, les difficultés d’apprentissage, les instabilités personnelles et sociales. (Arrêté ministériel, jd 2201/1985, article 32/i).

34Ainsi, si une variété de dispositifs sont proposés à des élèves handicapés afin de leur assurer des aménagements scolaires qui limitent leur orientation à des institutions et à des classes spécialisées, seule la consultation psychologique est dédiée à des élèves qui sont en échec scolaire mais qui ne sont pas en situation de handicap. Cependant, la mobilisation exclusive des techniques psychologiques omet la complexité de la construction sociale de l’échec scolaire, lié à la fois à des contextes scolaires (Bressoux, 2009 ; Grisay, 2006) et familiaux (Bautier & Rochex, 1997 ; Lahire, 1993). L’absence d’une prise en charge des facteurs scolaires et socioculturels risque à cet effet de psychologiser l’échec scolaire en le réduisant à une question davantage individuelle et psychologique (Roiné, 2014). Cette tendance va de pair avec la responsabilisation de l’élève de la résolution de ses problèmes scolaires en visant à le soutenir à la limite de ses ressources socioculturelles plutôt qu’à améliorer ses conditions scolaires :

Les services d’orientation et d’aide psychologique visent principalement à ce que les élèves se réalisent, profitent de la scolarisation en fonction de leurs propriétés et capacités et fassent un usage optimum de leurs potentialités innées.

La consultation psychologique assurée par le conseiller d’orientation-psychologue ne vise pas à résoudre le problème de l’élève à la place de celui-ci. L’élève doit assumer la responsabilité de résoudre ses propres problèmes. (arrêté ministériel, jo 24 376/2001, articles 9/c et 9/d)

De l’échec au handicap : vers une médicalisation des difficultés scolaires ?

35La division du travail entre le service d’aide psychologique qui s’occupe des élèves en échec et l’éducation spécialisée qui s’occupe des élèves handicapés semble toutefois disparaitre dès les années 2000. Ce changement est d’abord visible dans la définition de la notion de difficultés d’apprentissage qui se réduit à la catégorie médicale de troubles spécifiques des apprentissages en supprimant le premier groupe identifié à la notion de privation culturelle.

Troubles spécifiques des apprentissages : situations qui affectent négativement l’adaptation sociale et la performance scolaire de l’individu en raison des incapacités à écouter, à parler, à lire, à écrire, à épeler, à se concentrer ou à faire des calculs mathématiques, ces incapacités surgissant dans les processus cognitifs nécessaires pour la compréhension écrite ou orale et la communication. (Arrêté ministériel, jo 23 937/2000, article 4/ö)

  • 8 En Turquie, ces troubles ne sont pas considérés de manière distincte, étant tantôt définis comme (...)

36Ainsi, le terme de troubles, qui remplace celui de difficultés, pointe exclusivement des incapacités cognitives pour définir le problème rencontré et met de côté le rôle du milieu socioculturel. L’arrêté ministériel de 2000 diversifie d’autre part les types de handicaps reconnus en y intégrant le trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité, les troubles du langage et de la communication et le trouble de l’autisme8. Ensuite, la prise en charge de l’échec scolaire ne figure plus parmi les responsabilités des conseillers d’orientation-psychologues et des centres d’orientation et de recherche, qui sont plutôt chargés des élèves handicapés :

Le centre d’orientation et de recherche détecte, examine et diagnostique des individus relevant de l’éducation spécialisée, leur propose le milieu scolaire le plus adapté, l’éducation de soutien et la consultation psychologique.

Le conseiller d’orientation-psychologue aide l’individu relevant de l’éducation spécialisée à s’accepter, à comprendre ses différences individuelles, à corriger ses attitudes inappropriées, à développer sa capacité à résoudre des problèmes et à participer à des activités hors classe. (Arrêté ministériel, jo 23 937/2000, articles 43 et 54)

  • 9 En Turquie, Concerta, Medikinet et Ritalin sont prescrits pour des élèves dyslexiques et hyperact (...)

37Ces deux changements contribuent à la mise en avant des notions de trouble et de handicap dans la lutte contre l’échec scolaire. Si deux systèmes distincts sont initialement mis en place dans les années 1960 pour prendre en charge séparément des élèves en échec scolaire et des élèves handicapés, cette distinction disparait officiellement dans les années 2000 en ne permettant de concevoir et de prendre en charge l’échec scolaire qu’à travers l’éducation spécialisée (Doğan, 2000). La mise en avant exclusive de l’enfant handicapé pour lutter contre l’échec scolaire confond ainsi ces deux domaines distincts (Mazereau, 2016) et conduit à un glissement entre la psychologisation et la médicalisation de l’échec scolaire (Morel, 2014). L’exemple le plus probant est que l’élève en échec scolaire ne peut avoir droit à des aménagements scolaires que s’il est reconnu handicapé par un psychiatre après avoir passé des tests d’intelligence (le wisc-r ou le test Stanford-Binet) et d’aptitudes dans le centre d’orientation et de recherche. Les élèves reconnus dyslexiques et hyperactifs sont pris en charge par un traitement scolaire — l’éducation de soutien et le plan personnalisé de scolarisation — organisé à l’intérieur de l’école sous la tutelle du centre d’orientation et de recherche, et par un traitement médical par méthylphénidate9.

  • 10 Le ministère de l’Éducation nationale ne rembourse qu’une aide jusqu’à 12 heures par mois.

38Au demeurant, depuis 2005, cette prise en charge est sujette à un processus d’externalisation et de privatisation, avec la création des centres de réhabilitation. Composés de psychologues, de physiothérapeutes, de thérapeutes du langage et de la communication et d’enseignants spécialisés, ces centres privés offrent une aide pédagogique et rééducative à des élèves handicapés. L’élève y suit un programme individuel en fonction de ses besoins particuliers, selon un large éventail d’activités, allant des exercices d’écriture à des activités de concentration dont l’efficacité est annuellement évaluée par un psychiatre10. Alors que 1 708 centres prenaient en charge 187 726 élèves en 2008, 2 666 centres et 438 570 élèves étaient comptabilisés en 2020 (meb, 2020b). Cette évolution traduit une externalisation de la lutte contre l’échec scolaire qui s’organise de plus en plus en dehors de l’école. Même si tous les élèves handicapés y ont droit sans exception, en 2019, seulement 17,9 % d’entre eux bénéficiaient à l’école d’une éducation de soutien (meb, 2019b), tandis que 56 % des élèves orientés vers le centre d’orientation et de recherche étaient pris en charge dans un centre de réhabilitation (meb, 2020a). Concrètement cependant, l’école et le centre de réhabilitation ne constituent pas deux institutions en collaboration et entrent très rarement en interaction :

On est en rupture. On n’est pas en interaction. Je ne les ai pas appelés pour leur demander ce qu’ils y font exactement. Mais ils auraient aussi pu m’en informer. Cet élève y va depuis deux ans. Je ne sais rien sur ce qu’ils y font. (Entretien, Ayten, 43 ans, enseignante, école défavorisée)

39D’autre part, le diagnostic s’établissant à partir d’une observation des compétences intellectuelles et scolaires de l’enfant, il découle d’un partenariat implicite entre acteurs scolaires et médicaux sans que la collaboration soit toujours reconnue. Alors que, pour les enseignants, il relèverait de l’expertise médicale, les psychiatres s’appuient, eux, dans leur pratique, sur les observations des enseignants et sur la situation scolaire de l’enfant :

Par exemple, j’ai récemment rempli un formulaire. J’y ai résumé la situation scolaire de mon élève. J’ai rendu ce formulaire à la conseillère. Mais je ne sais pas si c’est ce formulaire qui démarre le processus de diagnostic ou si celui-ci en constitue la dernière étape. (Entretien, Melek, 30 ans, enseignante, école défavorisée)

Il [le psychiatre] nous a conseillé d’utiliser des médicaments pour le déficit d’attention. Là, je suis restée bloquée et je lui ai dit : « Oui, mais, on fait quoi pour la dyslexie ? ». Il m’a dit que mon enfant n’est pas dyslexique parce qu’il a une intelligence verbale suffisante. Je lui ai dit : « Oui, mais il est en deuxième année de l’école primaire, mais il ne sait pas toujours lire et écrire. » Il s’en est étonné et nous a demandé de sortir de son bureau. Il est resté seul avec notre enfant pour lui poser des questions. Après, il nous a dit que notre enfant est dyslexique. (Entretien, Sanem, 36 ans, mère d’un garçon dyslexique hyperactif, école favorisée)

40La qualification médicale résultant d’une certaine négociation entre parents, enseignants et médecins, les diagnostics de dyslexie et d’hyperactivité risquent, en l’absence de dispositifs en dehors de l’éducation spécialisée, d’être portés au-delà de leur objectif initial — la prise en charge des troubles relevant d’ordre neurobiologique — et de traduire des difficultés scolaires d’ordre social et pédagogique. Dans les écoles défavorisées où nous avons mené l’enquête, le diagnostic médical est même parfois explicitement recommandé par des acteurs scolaires pour des élèves en échec scolaire pour leur offrir une aide scolaire qui ne peut être obtenue autrement :

Au moins, il [l’élève en échec] fréquenterait un centre de réhabilitation. S’il avait un diagnostic, on l’aiderait là à faire ses devoirs. Il aurait ainsi la chance de faire des exercices. (Entretien, Selin, 34 ans, conseillère d’orientation-psychologue, école défavorisée)

41En outre, la mobilisation des diagnostics scolaires au sein de l’école apporte aux acteurs scolaires une déresponsabilisation professionnelle et émotionnelle dans la prise en charge des élèves en échec :

Peut-être, c’est justement pour se soulager. […] On oriente des élèves pour officialiser les diagnostics. Parce que c’est moi qui suis responsable de la classe. Pourquoi un tel élève n’a pas pu apprendre à lire et à écrire ? Mais ce n’est pas mon échec ! Regardez, il est diagnostiqué ! C’est l’échec de l’élève ! » (Entretien, Rabia, 48 ans, enseignante, école défavorisée).

42Le recours à des catégories médico-scolaires contribue ainsi à individualiser et à externaliser l’échec scolaire en considérant les différences des élèves comme une donnée de nature (Frandji & Rochex, 2011). L’exclusion des facteurs socioculturels est également visible dans le programme scolaire adopté en 2005 qui se donnait pour objectif de « prendre en compte les différences individuelles découlant des propriétés psychologiques, biologiques et cognitives » (meb, 2006a : 2). Or, la réduction des différences scolaires à des différences personnelles mésestime l’existence d’un fort effet-établissement, dont rend notamment compte la variation interétablissements en termes de performance en lecture au lycée (de 43,6 % en 2018, selon l’ocde, 2019b : 86).

43Le système de suivi national abide (Suivi et évaluation des compétences académiques) révèle la persistance des difficultés scolaires. La proportion des élèves en quatrième année de l’école primaire ayant bas un niveau en turc est de 28 %, de 38 % en sciences et de 40 % en mathématiques. Celle des élèves en troisième année du collège est, dans ces trois matières, respectivement de 26 %, de 52 % et de 60 % (meb, 2019a : 26). C’est dans un tel contexte qu’est enfin reconnue l’existence des inégalités de réussite.

44La présentation de l’İyep (Programme de rattrapage à l’école primaire), qui constitue le seul dispositif créé en dehors de l’éducation spécialisée pour lutter contre l’échec scolaire, reconnaît ainsi « la détermination de la réussite scolaire par des variables socio-économiques » (meb, 2018a : 6). Une formation de rattrapage de 160 heures est destinée aux élèves en troisième année du primaire reconnus en difficultés scolaires et qui ne sont pas en situation de handicap. Ce dispositif permet d’envisager une tendance à démédicaliser l’échec scolaire en le prenant en charge en dehors de l’éducation spécialisée, mais il s’appuie sur une pédagogie de compensation (Terrail, 2013) qui vise à combler le manque de connaissances des élèves en échec par une éducation complémentaire à la marge, sans aucun ajustement pédagogique. Dans les faits, la mise en pratique du programme témoigne d’une inefficacité encore plus grande : alors que la création de classes distinctes est envisagée, en pratique, les élèves concernés sont conduits à suivre un manuel spécifique durant les cours ordinaires, et à rater de nouveaux cours pour rattraper ceux auxquels ils n’ont pu assister auparavant. Ainsi, le programme qui vise en principe à diminuer les écarts de performance entre élèves risque paradoxalement de les accroître :

Mais, est-ce qu’il a servi à quelque chose ? Sûrement pas. Parce que nous avons essayé de le faire à l’intérieur de la classe pendant les cours ordinaires. Nous n’avons pas voulu le faire après les heures scolaires. On ne nous a pas envoyé d’enseignants spécifiquement chargés de ce dispositif. Nous avons consacré, soit la dernière heure, soit les cours de dessin. C’est comme ça que nous avons terminé le manuel. (Entretien, Ceylan, 42 ans, enseignante, école défavorisée)

Conclusion : une conception a-sociologisée des inégalités scolaires

45En Turquie, les politiques de l’égalité des chances en éducation ont longtemps tranché la question des inégalités scolaires en la réduisant aux inégalités d’accès à l’éducation. Cette logique politique, qui suppose que tous les élèves aient des conditions scolaires semblables d’accès à l’institution scolaire, n’a, jusqu’à récemment, considéré la question des inégalités de réussite scolaire que comme un problème individuel d’ordre médico-psychologique. Cependant, la reconnaissance des inégalités scolaires ne débouche pas forcément sur la création des dispositifs qui viseraient à les prévenir. Voués à traiter des problèmes scolaires une fois produits, les dispositifs créés se contentent de gérer les effets scolaires de ces inégalités. La très grande majorité de ces dispositifs convergent sur une approche qui individualise les inégalités d’accès et de réussite en pointant moins des situations sociales et scolaires qui conduiraient certains élèves à ne pas accéder à l’école ou à y échouer, que des élèves décrocheurs ou en échec scolaire. L’accent exclusivement mis sur des facteurs biologiques, cognitifs ou psychologiques témoigne d’une conception a-sociologisée des inégalités scolaires (Balland, 2017). À la différence d’autres contextes sociaux où les politiques scolaires reposent sur une conception territorialisée en s’adressant à des groupes sociaux précis (Demeuse et alii, 2008), en Turquie, les politiques scolaires ciblent des élèves particuliers. En définitive, ce réductionnisme individuel conduit à responsabiliser les élèves face aux problèmes qu’ils rencontrent, en déresponsabilisant à la fois l’école dans la production des inégalités scolaires.

Haut de page

Bibliographie

Arayıcı Ali, 1983, « L’enseignement en milieu rural dans la Turquie de l’entre-deux-guerres », Tiers-Monde, vol. 24, no 95, pp. 625-642.

Arayıcı Ali, 1999, « Village Institutes in Turkey », Prospects, vol. 29, n2, pp. 267-280.

Arseven Ali Doğan, 1981, « Çocuğun Kendine Güveni ve Okuldaki Başarısı », Eğitim ve Bilim, vol. 6, n31, pp. 21-25.

asbp, 2020, Engelli ve Yaşlı İstatistik Bülteni, Ankara, Ministère de la Famille et des Politiques sociales.

Balland Ludivine, 2017, « La crise de l’école comme problème public. Luttes de sens autour des transformations scolaires et mise en scène des écarts culturels », Idées économiques et sociales, vol. 190, no4, pp. 37-45.

Bautier Élisabeth & Rochex Jean-Yves, 1997, « Apprendre : ces malentendus qui font les différences », in J. Deauvieau et J.-P. Terrail (dir.), Les Sociologues, l’école et la transmission des savoirs, Paris, La Dispute, coll. « L’enjeu scolaire », pp. 105-122.

Beals Lester, 1955, Rehberliğin Lüzumu Hakkında Rapor, Ankara, Maarif Basımevi.

Bourdieu Pierre & Passeron Jean-Claude, 1970, La Reproduction. Éléments pour une théorie du système d’enseignement, Paris, Minuit, coll. « Le Sens commun ».

Bozak Mahir, 1982, « Anksiyete ve okul başarısı arasındaki ilişkiye ait bir araştırma », Psikoloji Dergisi, no 16, pp. 24-39.

Bressoux Pascal, 2009, « Des contextes scolaires inégaux : effet-établissement, effet-classe et effets du groupe de pairs », in M. Duru-Bellat, A. Van Zanten (dir.), Sociologie du système éducatif, Paris, Puf, pp. 131-148.

Çaymaz Birol, 2011, « Citoyenneté et éducation civique en Turquie », Tumultes, no 37, pp. 111-123.

Cebiroglu Rıdvan, 1971, « Okul Başarısızlığı Üzerinde Çalışma », VII. Milli Nöropsikiyatri Kongresi, Ankara.

Dama Nergis & Sundaram Toklucu Dilruba, 2018, Yoksulluk Döngüsünden Çıkış. Şartlı Eğitim Yardımı, Istanbul, Turkuvaz.

Demeuse Marc, Frandji Daniel, Greger David & Rochex Jean-Yves, 2008, Les Politiques d’éducation prioritaire en Europe, t. i : Conceptions, mises en œuvre, débats, Lyon, ens Éditions.

Die, 1976, Milli Eğitim İstatistikleri 1971-1973, Ankara, Devlet İstatistik Enstitüsü.

Die, 1977, Milli Eğitim İstatistikleri 1974-1975, Ankara, Devlet İstatistik Enstitüsü.

Doğan Süleyman, 2000, « The Historical Development of Counselling in Turkey », International Journal for the Advancement of Counselling, no 22, pp. 57-67.

dpt, 1963, Kalkınma Planı 1963-1967, Ankara.

dpt, 1967, İkinci Beş Yıllık Kalkınma Planı 1968-1972, Ankara.

dpt, 1972, Üçüncü Beş Yıllık Kalkınma Planı 1973-1977, Ankara.

dpt, 1979, Dördüncü Beş Yıllık Kalkınma Planı 1979-1983, Ankara.

dpt, 1984, Beşinci Beş Yıllık Kalkınma Planı 1985-1989, Ankara.

dpt, 1989, Altıncı Beş Yıllık Kalkınma Planı 1990-1994, Ankara.

dpt, 2006, Dokuzuncu Kalkınma Planı 2007-2013, Ankara.

Duru-Bellat Marie & Fournier Martine, 2007, L’Intelligence de l’enfant : l’empreinte du social, Paris, Éditions Sciences Humaines.

Ercan Fuat, 1999, « 1980’lerde Eğitim Sisteminin Yeniden Yapılanması : Küreselleşme ve Neoliberal Eğitim Politikaları », in F. Gök (dir.), 75 Yılda Eğitim, Türk Tarih Vakfı, pp. 31-51.

erg, 2010, Eğitim İzleme Raporu 2009, Istanbul.

erg, 2011, ysöp Ara Dönem Gözden Geçirme Raporu, Istanbul.

erg, 2013, Eğitim İzleme Raporu 2012, Istanbul.

erg, 2016, Eğitim İzleme Raporu 2015-2016, Istanbul.

erg, 2018, Eğitim İzleme Raporu 2017-2018, Istanbul.

erg, 2019, Öğrenciler ve Eğitime Erişim. Eğitim İzleme Raporu, Istanbul.

erg & açev, 2017, Türkiye’de Erken Çocukluk Bakımı ve Okul Öncesi Eğitime Katılım, Istanbul.

Farfar Nermin, 1968, « İkokul Çocuğunda Okul Başarısızlığı Üzerine Bir Çalışma », Nöropsikiyatri Arşivi, vol. 5, pp. 101-102.

Frandji Daniel & Rochex Jean-Yves, 2011, « De la lutte contre les inégalités à l’adaptation aux “besoins spécifiques” », Éducation et Formations, no 80, pp. 95-108.

Gayet Daniel, 2004, Les Pratiques éducatives des familles, Paris, Puf.

Glasman Dominique, 1992, L’École réinventée ? Le partenariat dans les zones d’éducation prioritaires, Paris, L’Harmattan.

Grisay Aletta, 2006, « Que savons-nous de l’“effet établissement” », in G. Chapelle et M. Denis (dir.), Améliorer l’école, Paris, Puf, pp. 215-230.

Ilgaz Deniz, 1999, « Köy Enstitüleri », in F. Gök (dir.), 75 Yılda Eğitim, Istanbul, Türk Tarih Vakfı, pp. 383-428.

Isambert-Jamati Viviane, 1973, « Les “handicaps socioculturels” et leurs remèdes pédagogiques », L’Orientation scolaire et professionnelle, no 4, pp. 303-318.

Kaplan İsmail, 1999, Türkiye’de Milli Eğitim İdeolojisi ve Siyasal Toplumlaşma Üzerindeki Etkisi, Istanbul, İletişim.

Kasaba Reşat, 1993, « Populism and Democracy in Turkey, 1946-1961 », in R. Kasaba, E. Goldberg, J. S. Migdal (dir.), Rules and Rights in the Middle East: Democracy, Law, and Society, University of Washington Press, pp. 43-68.

Keyder Çağlar, 1989, Türkiye’de Devlet ve Sınıflar, Istanbul, İletişim.

Köse Ruhi, 1990, « Aile ve Okulun Öğrenci Başarısı Üzerindeki Etkileri: Kuramsal ve Ampirik Gelişmeler », Eğitim ve Bilim, vol. 14, no 76, pp. 57-65.

Lahire Bernard, 1993, Culture écrite et inégalités scolaires. Sociologie de l’« échec scolaire » à l’école primaire, Lyon, Presses Universitaires de Lyon.

Mazereau Philippe, 2016, « Les apports de la sociohistoire à la compréhension du traitement des difficultés scolaires et des handicaps des élèves au sein de l’école en France (1904-2013) », Éducation et Sociétés, vol. 38, no 2, pp. 37-52.

meb, 1974, IX. Milli Eğitim Şurası, Ankara, Ministère de l’Éducation nationale.

meb, 2006a, İlköğretim Türkçe Dersi Öğretim Programı, Ankara, Ministère de l’Éducation nationale.

meb, 2006b, National Education Statistics 2004-2005, Ankara, Ministère de l’Éducation nationale.

meb, 2018a, İYEP Uygulama Klavuzu, Ankara, Ministère de l’Éducation nationale.

meb, 2018b, National Education Statistics 2017-2018, Ankara, Ministère de l’Éducation nationale.

meb, 2019a, 2019 Yılı Performans Programı, Ankara, Ministère de l’Éducation nationale.

meb, 2019b, 2020 Yılı Performans Programı, Ankara, Ministère de l’Éducation nationale.

meb, 2020a, 2019 Faaliyet Raporu, Ankara, Ministère de l’Éducation nationale.

meb, 2020b, National Education Statistics 2019-2020, Ankara, Ministère de l’Éducation nationale.

Meuret Denis, 1994, « L’efficacité de la politique des zones d’éducation prioritaire dans les collèges », Revue française de pédagogie, no 109, pp. 41-64.

Millet Mathias & Thin Daniel, 2007, « Le classement par corps. Les écarts au corps scolaire comme indice de “déviance scolaire” », Sociétés et jeunesses en difficulté, no 3, <http://sejed.revues.org/373>, mis en ligne le 3 mai 2007, consulté le 30 septembre 2016.

Morel Stanislas, 2014, La Médicalisation de l’échec scolaire, Paris, La Dispute.

ocde, 2019a, Education at a Glance 2019: oecd Indicators, Paris, oecd Publishing.

ocde, 2019b, PISA 2018 Results (Volume II): Where All Students Can Succeed, Paris, oecd Publishing.

Özçelik İsmail, 1983, « Okuma Güçlükleri ve Düzeltilmesi », Eğitim ve Bilim, vol. 8, no 45, pp. 22-27.

Öztürk Cemil, 1999, « Cumhuriyet Döneminde Öğretmen Yetiştirme », in F. Gök (dir.), 75 Yılda Eğitim, Istanbul, Tarih Vakfı Yayınları, pp. 358-394.

Prost Antoine, 1986, L’Enseignement s’est-il démocratisé ? Les élèves des lycées et collèges de l’agglomération d’Orléans de 1945 à 1980, Paris, Puf.

Razon Norma, 1982, « Okuma güçlükleri », Eğitim ve Bilim, vol. 7, no 39, 19-29.

Rochex Jean-Yves, 2000, « La “théorie” du handicap socioculturel : une explication ethnocentriste, qui n’explique rien », Dialogue, no 96/97, pp. 6-10.

Roiné Christophe, 2014, « L’élève en difficulté : retours sur une psychologisation du social », La Nouvelle Revue de l’adaptation et de la scolarisation, vol. 2, no 6, pp. 13-30.

Rufi John, 1956, Türkiye’de Ortaöğretim. Müşahedeler, Problemler ve Tavsiyeler, Ankara, Maarif Basımevi.

Sakaoğlu Necdet, 1992, Cumhuriyet Dönemi Eğitim Tarihi, Istanbul, İletişim.

Tan Hasan, 1974 « Ülkemizde Rehberlik ve Psikolojik Danışma Çalışmaları », Psikoloji Çalışmaları, vol. 11, pp. 10-30.

Terrail Jean-Pierre, 2013, Entrer dans l’écrit. Tous capables ?, Paris, La Dispute.

Tezcan Mahmut, 1980, « Öğrenci Başarısında Dilin Rolü », Eğitim ve Bilim, vol. 5, no 27, pp. 8-12.

Toker Gökçe Asiye & Uslu Ömer Faruk, 2018, « İlkokullarda okul müdürlerinin mali kaynak gerektiren ihtiyaçları karşılama yolları », İnönü Üniversitesi Eğitim Fakültesi Dergisi, vol. 19, no 1, pp. 315-334.

Tompkins Ellswort, 1956, Türkiye Cumhuriyeti Orta dereceli Okullarda Organizasyon İdare ve Teftiş, Istanbul, Maarif Basımevi.

Topses Gürsen, 1999, « Cumhuriyet Dönemi Eğitimin Gelişimi », in F. Gök (dir.), 75 Yılda Eğitim, Istanbul, Türk Tarih Vakfı, pp. 10-30.

TurkStat, 2014, Statistical Indicators 1923-2013, Ankara, Turkish Statistical Institute.

TurkStat, 2017, Income and Living Conditions Survey, Ankara, Turkish Statistical Institute.

TurkStat, 2019, Household Consumption Expenditures, Ankara, Turkish Statistical Institute.

Turquıe, Journal des actes de l’Assemblée nationale, 5/47/1955.

Turquıe, Loi 222/1961, jo 10 705, Loi sur l’enseignement primaire et de l’éducation.

Turquıe, Loi 4 306/1997, jo 23 084, Loi sur le changement de la loi de l’enseignement primaire et de l’éducation.

Turquıe : meb, Arrêté ministériel, jo 11 1162/1962, Enfants ayant besoin de ’éducation spécialisée.

Turquıe : meb, Arrêté ministériel, jo 12 118/1965, Élèves en internat gratuit au collège et au lycée.

Turquıe : meb, Arrêté ministériel, jo 12 757/1967, Classes de complément et de rattrapage à ouvrir conformément à la loi 222 de l’enseignement primaire et de l’éducation.

Turquıe : meb, Arrêté ministériel, jo 12 814/1968, Centres d’orientation et de recherche.

Turquıe : meb, Arrêté ministériel, jo 15 151/1975, Enfants ayant besoin de ’éducation spécialisée.

Turquıe : meb. Arrêté ministériel, jo 15 590/1976, Bourse, internat gratuit et autres aides sociales au collège et au lycée.

Turquıe : meb. Arrêté ministériel, jd 2 201/1985, Services d’aide psychologique.

Turquıe : meb. Arrêté ministériel, jo 23 937/2000, Services d’éducation spécialisée.

Turquıe : meb. Arrêté ministériel, jo 24 376/2001, Services d’orientation et d’aide psychologique.

Ünal Işıl L & Özsoy Seçkin, 1999, « Modern Türkiye’nin Sisyphos Miti : Eğitimde Fırsat Eşitliği », in F. Gök (dir.), 75 Yılda Eğitim, Istanbul, Türk Tarih Vakfı, pp. 52-88.

Walker D. Hines, Brehon Somervell & Edvin Walter Kemmerer, 1939, Amerikan Heyeti Raporundan : Maarif İşleri, Istanbul, Devlet Basımevi.

Haut de page

Notes

1 L’abréviation du ministère de l’Éducation nationale est meb.

2 Ces plans sont élaborés par l’agence publique de planification (dpt).

3 La part de la population urbaine passe de 30 % en 1960 à 60 % en 1990 (turkstat, 2014).

4 Pour 2021, le montant varie de 35 à 60 ₮ (de 3,5 à 6 €) en fonction du cycle scolaire fréquenté.

5 Ces centres, attachés au ministère de l’Éducation nationale, gèrent le processus de diagnostic et organisent l’éducation spécialisée.

6 En Turquie, les enseignants spécialisés sont uniquement chargés des élèves handicapés scolarisés dans les classes spécialisées (tout type de handicap sauf la dyslexie et l’hyperactivité).

7 On ne divulgue pas de chiffres sur des élèves pris en charge par ces services. Il est seulement possible de constater que le nombre de ces services passe de 24 à 2 033 entre 1970 et 1997 (Doğan, 2000).

8 En Turquie, ces troubles ne sont pas considérés de manière distincte, étant tantôt définis comme des handicaps mentaux, tantôt comme des handicaps psychiques. En 2020, 494 357 certificats médicaux de handicap intellectuel ont été délivrés, et 217 519 certificats médicaux de handicap psychique (aspb, 2020 : 17).

9 En Turquie, Concerta, Medikinet et Ritalin sont prescrits pour des élèves dyslexiques et hyperactifs.

10 Le ministère de l’Éducation nationale ne rembourse qu’une aide jusqu’à 12 heures par mois.

Haut de page

Table des illustrations

Titre Tableau 1. Taux de scolarisation entre 1960 et 1990 (en %)
Légende Source : Ünal & Özsoy, 1999.* Ces données ne sont pas rendues publiques.
URL http://journals.openedition.org/cres/docannexe/image/5288/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 65k
Titre Tableau 3. Taux de scolarisation en 2006 et 2012 (en %)
Légende Source : erg, 2013.
URL http://journals.openedition.org/cres/docannexe/image/5288/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 118k
Haut de page

Pour citer cet article

Référence papier

Metin Cevizci, « Les politiques de l’égalité des chances en éducation en Turquie : primauté d’une approche individualisante des inégalités scolaires »Cahiers de la recherche sur l’éducation et les savoirs, 20 | 2021, 91-118.

Référence électronique

Metin Cevizci, « Les politiques de l’égalité des chances en éducation en Turquie : primauté d’une approche individualisante des inégalités scolaires »Cahiers de la recherche sur l’éducation et les savoirs [En ligne], 20 | 2021, mis en ligne le 03 février 2022, consulté le 26 avril 2025. URL : http://journals.openedition.org/cres/5288 ; DOI : https://doi.org/10.4000/cres.5288

Haut de page

Auteur

Metin Cevizci

ENS de Lyon, TRIANGLE [cevizcimetin@gmail.com].

Haut de page

Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search