- 1 Cette diminution va de pair avec une baisse des inscriptions dans l’ensemble des formations sociale (...)
- 2 Étant donnée la large majorité de femmes dans le métier (96 %) et chez les étudiantes notamment (94 (...)
1Marqués par des logiques internes de reproduction professionnelle, les cursus de formation en travail social sont longtemps demeurés à l’écart de l’enseignement supérieur, à la frontière entre formation initiale et formation professionnelle continue, formation régionale et formation universitaire professionnelle. Depuis quelques années, les reconfigurations institutionnelles du supérieur ont conduit à un processus progressif d’universitarisation de ces filières (Iori, 2020) et posent la question d’une future intégration de ces cursus. Si leur entrée dans Parcoursup, à partir de la rentrée 2019, a contribué à tenir compte du calendrier institutionnel, ces cursus maintiennent en partie leurs propres critères de sélection. Les instituts de formation en travail social, tout comme les professionnel.les sur le terrain, mettent l’accent à la fois sur la vocation, élément indispensable selon eux.elles pour intégrer ces filières, mais exigent en même temps une mise à distance de celle-ci, privilégiant des discours axés sur les compétences plus techniques (Orange, 2013). Malgré la hausse du nombre de bachélier.es arrivant dans l’enseignement supérieur (Chauvel & Hugrée, 2019), ces cursus ont connu dans la dernière décennie une baisse des candidatures (− 8 %)1, amenant les responsables de formation à souligner la difficulté à trouver des bonnes étudiantes2, ou à juger que celles-ci n’ont plus un bon niveau depuis quelques années. Si ce public a été toujours caractérisé par une écrasante majorité féminine, les évolutions de la place des femmes dans la société ainsi que l’allongement de la durée des études et l’accès de plus en plus répandu de jeunes femmes dans des filières d’études scientifiques et technologiques (Blanchard et al., 2016) questionnent de possibles changements du public s’orientant vers le travail social. Pour autant, ces filières demeurent sélectives : comment évaluent-elles les compétences de ces candidates ?
- 3 Arrêt du 29 juin 2004 relatif au deass.
- 4 Cf. note 2, on déclinera au féminin.
- 5 Parcoursup propose des « attendus généraux par discipline » qui « doivent mettre en valeur les tale (...)
2Cet article porte sur les processus de sélection dans la filière de travail social et, en particulier, à celle conduisant au diplôme d’assistant.e de service social (ass). Tout en exigeant le niveau baccalauréat, la sélection repose tout d’abord sur un dossier, ensuite sur une épreuve écrite d’admissibilité (remplacée aujourd’hui par Parcoursup), enfin sur une épreuve orale destinée notamment à apprécier l’aptitude et la motivation du candidat à l’exercice de la profession, compte tenu des publics pris en charge et du contexte de l’intervention3. 80 % des étudiantes4 arrivent à obtenir le Diplôme d’État d’Assistante de Service Social (deass) en trois ans. Les futures professionnelles occuperont une place dans un travail social aujourd’hui de plus en plus gouverné par les chiffres, flexibilisé et territorialisé dans ses dispositifs et globalement remis en question par la nouvelle gestion publique (Barrault-Stella et Weil, 2018 ; rfas, 2020). En divergence avec la mise en place d’outils de sélection de plus en plus automatisés et dépersonnalisés dans l’enseignement supérieur (Chauvel et al. 2020), ce qui est recherché dans cette sélection est la personnalité des candidates, qui renvoie à une rhétorique du talent individuel revendiquée par les pouvoirs publics5, présente aussi chez les éducateurs spécialisés (Bodin, 2009) comme dans d’autres contextes éducatifs (Allouch, 2017 ; Bonnery, 2008 ; Brougère & Bézille, 2007 ; Chambard, 2020 ; Darmon, 2012 ; Divert, 2020).
3Dans la continuité des études menées sur la fabrication de l’« excellence » (Bertrand et al., 2016 ; Blanchard et al., 2016 ; Van Zanten, 2016), il s’agira de comprendre les logiques de l’institution dans la production de classements dans ces espaces de formation professionnelle aux marges du système d’enseignement supérieur. Tout en considérant l’importance des stratégies familiales et des aspirations étudiantes dans l’accès à ces cursus, on se concentrera davantage sur les mécanismes institutionnels à l’œuvre à l’entrée du travail social, pour comprendre comment ces cursus naturalisent certaines dispositions en ciblant des profils spécifiques d’élèves susceptibles d’encadrer les populations confrontées à l’action sociale. Les concours d’entrée peuvent être considérés comme des « rites d’institutions » (Bourdieu, 1989 : 141), premier moment de socialisation, de modulation et de modération, permettant aux étudiantes sélectionnées de poursuivre le travail d’intégration et de se conformer à une vision professionnelle particulière, laissant les formateurs vérifier la correspondance à la formation et au métier (Morel, 2014). Interroger les dynamiques de sélection dans le travail social permet donc de mieux creuser ce qui se dessine derrière cette personnalité : si une certaine “sensibilité” à l’autre est reconnue comme un critère nécessaire à exercer un métier dans ce secteur, elle ne suffit pas à justifier l’admission en centre de formation. Sur quoi l’évaluation aux épreuves d’entrée repose-t-elle ? Quels régimes de sélection (Karabel, 2000) sous-tendent l’entrée dans ces cursus ? Comment cerner les “aptitudes” des candidates se présentant au concours face aux connaissances scolaires plus classiques ? Plusieurs recherches ont rendu compte de la distance qui sépare de plus en plus les travailleuses sociales de leurs publics (usagers) potentiels et leurs stratégies d’encadrement de populations (Cardi, 2007 ; Dubois, 1999 ; Perrin-Heredia, 2012 ; Serre, 2009). L’article vise à montrer qui est écarté de ces cursus, en établissant une relation entre les critères de recrutement et les caractéristiques socio-scolaires des candidates, pour comprendre les enjeux sociaux de la sélection. Nous verrons ainsi que celle-ci vise une forme de « justice sociale » spécifique (Chauvel et al., 2020), vouée à choisir un public “docile” afin de le maintenir au sein des classes moyennes salariées exerçant en tant qu’agentes intermédiaires de l’État.
- 6 Ce département, conventionné avec le Ministère, permet la validation au bout de trois ans du dut, d (...)
- 7 Ces journées ont été observées lors de ma troisième année de terrain. L’accès accordé par les respo (...)
- 8 L’enquête longitudinale a permis d’interroger ces quinze étudiantes quatre fois tout au long de la (...)
4L’étude de deux formations préparant au diplôme d’ass, institutionnellement différentes (un centre de formation régional centenaire et un département « carrières sociales » d’un iut6), permet d’esquisser les contours de ce curriculum. Tout en opérant un discours d’éloignement du mode scolaire d’évaluation, ces instituts opèrent un repérage de caractéristiques scolaires, sociales et de genre à la fois, peu explicitées comme prérequis, ainsi qu’une attention marquée à l’hexis corporelle des candidates. Pour le démontrer, cet article s’appuie sur une pluralité de méthodes dans le cadre d’une enquête de terrain réalisée dans les deux instituts entre 2013 et 2018 (Iori, 2018). Une analyse des guides de formation, une observation participante d’une session de sélection7 et des entretiens avec quinze étudiantes8 permettent de comprendre l’organisation des différentes épreuves et les motivations de ces futures assistantes sociales. Ensuite, le traitement des documents distribués au jury de sélection, des dossiers étudiants (sélectionnés et, surtout, “recalés”), des fiches manuscrites par les formateurs (150 dossiers), tout comme l’étude des vœux reçus en iut (1329) permettent de saisir les conditions objectives qui sous-tendent le recrutement dans ces formations. On se concentrera ici sur les dossiers des candidates, qui représentent d’authentiques « archives vivantes » (Béliard & Biland, 2008 : 109) permettant une analyse qualitative et quantitative, à la fois des candidates et des modes de recrutement. Il s’agira, après avoir présenté dans un premier temps les caractéristiques de ces populations et de ces filières, de présenter le processus de recrutement en mettant en parallèle les critères de l’école régionale et ceux en iut, et de montrer par-là la permanence des hiérarchies scolaires, sociales et de genre dans l’entrée dans cette formation professionnelle post-baccalauréat.
- 9 Ces données et les suivantes sont issues de l’Enquête École de la drees (données de 2018).
5La population s’orientant vers le travail social est caractérisée par des mobilités scolaires et sociales importantes. Les données sur les origines sociales et scolaires des étudiantes montrent que ce cursus représente une voie privilégiée d’accès à un emploi intermédiaire qualifié pour des étudiantes issues des classes populaires (57 %), tout en intégrant des élèves issues des catégories intermédiaires et supérieures (11 % et 32 %). En guise d’exemple, cette filière a notamment un public plus populaire que dans les Classes préparatoires aux grandes écoles (cpge, 19 %) ou qu’en lettres et sciences humaines et sociales à l’Université (38 %), mais diffère du public en Section de technicien supérieur (sts, qui a des taux similaires : 55 %) pour avoir davantage d’étudiantes ayant obtenu un baccalauréat général (55 % des ass contre 19 % des étudiants intégrant un bts)9.
6De même, si ces cursus viennent d’intégrer Parcoursup, ils ne sont pas composés uniquement de bachelières opérant leur première expérience du supérieur, comme cela est fréquent dans d’autres cursus post-bac. Seules 11 % des étudiantes inscrites en 2017/2018 ont moins de 20 ans : 35 % entre 20 et 22 ans, 21 % entre 23 et 25 ans, 13 % entre 26 et 30 ans, et 19 % plus de 30 ans. D’ailleurs, 31 % des élèves sont déjà passées par un autre cursus du supérieur (une année de licence validée, un bts, un dut…). La région française dans laquelle se déroule notre étude présente un large choix de formations au métier d’assistante sociale, qui se positionnent de manière différente dans la hiérarchie symbolique scolaire et professionnelle. Comme pour l’espace des écoles au journalisme étudiée par Marchetti et Lafarge, on observe des forts écarts de capital scolaire entre la formation en iut et la formation en école, qui renvoient aux différences dans la composition sociale et générationnelle du public étudiant (Marchetti & Lafarge, 2011).
7Si la sélection dans certains cursus du supérieur met davantage l’accent sur des connaissances scolaires, ce qui est particulier dans le travail social est l’explicitation d’un rapport particulier au social et d’une adaptabilité à la formation, davantage axée sur une dynamique genrée. Comme le montre Romuald Bodin dans le repérage de futurs éducateurs spécialisés, l’interrogation orale a pour but de vérifier la possession « d’une certaine façon d’être, d’un certain ethos, qui s’exprime bien plus dans les attitudes, les façons de parler et de se comporter ou de réagir à certaines sollicitations que dans ce qui est explicitement formulé » (Bodin, 2009 : 81). Regardons de près la sélection dans l’école régionale enquêtée, avant de se pencher sur l’évaluation des étudiantes en iut.
8Avant 2019, l’école régionale organisait, conjointement à sept autres écoles du même département, une épreuve écrite (consistant en un résumé et un commentaire de texte, remplacé par le dossier dans Parcoursup) et un entretien oral devant une commission d’admission composée par des membres de la formation et du métier. Cette épreuve orale a comme objectif de repérer le rapport à l’autre et la « curiosité » des postulantes, comme l’explique la responsable de l’école :
Ce qui nous intéresse, c’est d’essayer d’identifier par rapport à ce qu’apporte le candidat ou la candidate, ce qui donne prise au choix qui a été fait – et ça c’est le premier élément – ; le deuxième c’est […] la question du rapport à l’autre : pendant l’entretien il est intéressant, à travers des questions très très diversifiées, d’envisager la personne dans sa vie, dans sa relation aux personnes avec qui il est au quotidien, avec ses amis, ou avec ce qu’elle a fait auparavant, là on a des énormes indications et indicateurs : est-ce que tu as face à toi quelqu’un qui est complètement autocentré, qui ne parle pas du tout des autres, qui a fait des tas d’expériences ? […] Ce qu’on va évaluer c’est la curiosité [Nicole, 55 ans, ass de formation et responsable de la sélection].
- 10 Voir par exemple : Huet (2016).
- 11 Dans la deuxième partie du domaine de compétences « Expertise sociale » du référentiel professionne (...)
9Pour réussir cette épreuve, les manuels invitent notamment les candidates à réfléchir à leurs motivations, à interroger leur parcours de vie et le cursus scolaire et à faire attention à leur « équilibre psychique », à leurs compétences « relationnelles » et de raisonnement, tout en portant une forte attention à la « communication non verbale » : la façon de s’habiller, faire preuve de « sobriété », » avoir conscience » des signes distinctifs – tatouages, piercings – ou des signes d’appartenance religieuse « ostensibles », gérer le stress et les tremblements ou les « plaques rouges sur le cou ou le visage »10. Selon la grille distribuée aux jurys, les avis de sélection visent à évaluer « les capacités, les qualités et les motivations » des candidates dans une échelle de 1 à 20, une note inférieure à 8 étant éliminatoire, en mettant en lumière les points forts et faibles de chaque candidat, à partir de leurs « capacités » singulières (« les capacités cognitives, d’organisation et relationnelles […], motivations et qualités des candidats : la curiosité, la mobilité personnelle, l’ouverture sur le monde, l’humour, l’esprit critique, le « bon contact », l’indépendance d’esprit, l’imagination, l’originalité, la souplesse d’esprit, l’adaptabilité, la confiance en soi, l’affirmation de soi, le tonus, la ténacité […] »). Cet oral a alors l’objectif de mettre en avant les premiers “codes” susceptibles d’être utiles dans l’apprentissage professionnel : la réflexivité, l’assurance du poste, le recul sur sa propre pratique, qui constituent une partie des compétences à acquérir dans le futur métier11.
10Après l’interrogation de la candidate, les membres du jury remplissent une fiche individuelle. À plusieurs reprises, une fois l’entretien terminé, ils soulignent qu’on ne voit pas assez la personnalité de la candidate. La mise en parallèle des candidatures recalées avec celles acceptées permet de voir lesquelles échouent ou non à l’épreuve orale selon leurs caractéristiques socio-scolaires. Sur les 150 candidates admises à passer l’épreuve orale, deux tiers valident l’épreuve (67 %), mais moins de la moitié intègre finalement la promotion à la rentrée 2013 (42 %, cf. tableau 1).
Tableau 1. Session d’admission orale en 2013
Candidates recalées après l’oral
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49
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33 %
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Candidates sélectionnées après l’oral :
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101
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67 %
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Dont ré-évaluées après le jury et recalées ensuite (jury plénier)
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23
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15 %
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Se réorientant ailleurs
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15
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10 %
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Inscrites dans la promotion entrante en 2013
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63
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42 %
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Total des candidates admises à passer l’épreuve orale
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150
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100 %
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Lire : 101 étudiantes sont sélectionnées pour intégrer la formation après l’oral, soit 67 % de celles admises à cette épreuve. Parmi celles-ci 23 sont réévaluées et recalées ensuite, soit 15 % des admises.
Source : Iori, 2018.
11Quelle taxinomie pratique se révèle dans les jugements opérés sur ces candidates ? Les parcours scolaires continuent à opérer comme premier critère de sélection. Les candidates recalées sont plus souvent issues d’un baccalauréat technologique et professionnel (respectivement 35 % et 21 %, soit 56 %) par rapport aux candidates intégrant la promotion (18 % et 11 %, soit 29 %).
12De même, les origines sociales des candidates constituent un facteur supplémentaire de sélection : les caractéristiques de la famille, le métier des parents, d’éventuelles expériences familiales à souligner (décès, divorces, autres), le fait d’avoir un membre dans le médico-social (mère assistante maternelle, assistante sociale ou aide-soignante) et la formation ou le travail de la fratrie sont souvent directement explicités par le jury. Les candidates sont alors invitées à valoriser des logiques de reproduction sociale dans l’espace professionnel, pour asseoir leur légitimité à être admises en école. On le voit dans le cas d’Abigaelle (21 ans, bac es) :
Je côtoie ce domaine depuis que je suis enfant : ma mère étant psychologue dans un institut thérapeutique, éducatif et pédagogique (itep) et mon père étant infirmier psychiatrique, j’ai donc très vite pris conscience et connaissance des difficultés sociales de familles et de personnes au sein de notre société [extrait de la lettre de motivation dans le dossier].
Parcours intéressant […] parents travaillant dans le milieu médico-social […] bien projetée et très soutenue par ses parents qui vont la prendre en charge durant toute la formation [dossier : candidate retenue, notée 15/20].
13La proximité avec le travail social n’est pas toujours évaluée de la même manière. Le fait d’avoir été en contact lors de son enfance avec des professionnel.le.s du travail social peut être perçu négativement : l’interaction avec une ass suite à une demande de logement social, à une expérience de divorce dans la famille, ou à un signalement pendant sa jeunesse, peuvent laisser douter d’une expérience trop personnelle dans le métier, ce qui contribue à écarter une fraction sociale particulière des candidates. On le voit dans le cas d’Erin (25 ans, bac s), issue d’une famille d’origine kurde à la fratrie nombreuse composée d’un père retraité et d’une mère au foyer :
Points forts : elle est la seule dans la fratrie à avoir poursuivi des études. Tolérante, aidante.
Points faibles : le métier d’ass n’est évoqué qu’à travers le prisme de ses parents et de leurs démarches administratives. Ne s’est pas renseignée sur la formation et l’école [dossier : candidature recalée, notée 7/20].
14Le fait d’avoir des difficultés financières ou de ne pas savoir comment financer les futurs trois ans peut également contribuer à une mauvaise notation du jury, qui considère que l’étudiante n’a pas « assez » réfléchi à son projet professionnel futur. Avant même de les avoir recrutées, on exige de ces futures étudiantes une connaissance élargie du secteur de l’action sociale et de ses métiers, ainsi que la mise en place d’un réel projet professionnel. Les “motivations” sont donc explicitement liées aux conditions matérielles de vie des candidates, conduisant à favoriser des candidates issues d’une situation sociale davantage “stable” et à disqualifier les moins dotées.
- 12 Cet « ordre de genre » est reproduit pendant les trois ans de formation, notamment dans les assigna (...)
15Les évaluations des commissions permettent également de visualiser le recueil de plusieurs informations qui mettent en valeur l’“aisance” des candidates face au jury et des jugements fortement sexués. Le fait de montrer des signes exagérés de tension ou de stress contribue à sanctionner la candidate. La recherche de cette “aisance” va de pair avec des caractéristiques moins objectivables relevant de dispositions propres au comportement individuel et à la posture corporelle de la candidate : agréable, posée, pétillante, touchante, gaie, a de l’humour… Ces éléments renvoient alors, comme le souligne aussi Romuald Bodin (2009) pour les éducateurs, à l’hexis corporelle des candidates (d’autant plus “féminine” ici), tout comme dans d’autres épreuves professionnelles (Cartier, 2001). Cette évaluation par le corps se base sur des formes de psychologie ordinaire du jury qui visent à repérer des indicateurs genrés d’aptitude au futur emploi. Si la gentillesse ou le sourire peuvent constituer des points positifs dans le futur accueil des publics de l’action sociale, les reproches d’être trop scolaire, fragile, réservée, émotive, rigide ou timide motivent en retour un refus à l’oral. On retrouve d’ailleurs des critères similaires dans le recrutement des assistantes maternelles étudié par Anne-Sophie Vozari (2014). Cette proximité est étonnante : si ces deux métiers se composent d’une population presque exclusivement féminine, la position scolaire et sociale occupée par les assistantes maternelles et les ass n’est pas la même (populaire et non qualifiée pour les premières, intermédiaire et qualifiée pour les deuxièmes). Mais, de manière similaire aux assistantes maternelles, ces critères ont l’objectif de transformer des dispositions interactionnelles genrées en vocation et de les formaliser afin d’asseoir la légitimité d’une expertise propre aux métiers du caring12.
16Les capacités cognitives et relationnelles requises par le jury visent à questionner la maturité et la curiosité intellectuelle des candidates. Si celles-ci ne renvoient pas proprement à l’âge ou aux études, elles se lient à d’autres indicateurs socio-culturels en sous-évaluant les candidates issues des fractions les moins dotées culturellement et en privilégiant leur “culture libre”. L’évaluation de la lecture de certains ouvrages, quotidiens et hebdomadaires change notamment selon le degré de légitimité culturelle et institutionnelle de ce qui est lu : des romans, des revues de divulgation scientifique (Sciences Humaines) ou professionnelles (ash – Actualités sociales hebdomadaires) ou ouvrant à des informations d’actualité nationale et internationale (Le monde diplomatique, Courrier international) sont préférés à la presse gratuite (Métro, Direct Matin) ou à la presse people (Closer, Paris Match…), comme on peut le voir dans les exemples suivants dans les fiches manuscrites par les jury dans les dossiers des candidates :
Difficulté à élaborer, à conceptualiser. Reconnaît avoir des difficultés à l’écrit, pas de lectures sciences humaines. Lit « Détective, Closer et Le Parisien ». Lit des récits autobiographiques. Lire : expression orale confuse. Ne répond pas vraiment précisément aux questions posées [candidate recalée, notée 7/20 ; 20 ans, bac pro].
Loisirs : danse. Lectures : (Maurice Godelier, fac socio), Métro, Le Parisien, randonnées. S’intéresse à l’actualité (essentiellement les faits divers) surtout par la tv (bfmtv) [candidate recalée, notée 8/20 ; 21 ans, bac stg, L1 sociologie].
De plus, peu de curiosité intellectuelle, de recherche, pour sa préparation au concours. Durant une année, la candidate a lu uniquement un livre qui prépare aux concours et Le Parisien acheté par son père [candidate recalée, notée 9/20 puis 7/20 ; 21 ans, bac stg, bts sp3s].
Niveau de terminale : très scolaire. Peu de maturité et peu d’analyse dans les propos. Dit ne pas avoir lu cette année, ne va pas au cinéma. Ne lit pas la presse (sauf celle du métro). Regarde le journal télévisé. Dit avoir beaucoup voyagé mais ne nous en dit rien de plus et ne fait pas de liens avec son orientation professionnelle [candidate recalée, notée 7/20 ; 18 ans, bac st2s, père ascensoriste, mère employée].
17Si la syntaxe et l’élaboration intellectuelle priment globalement sur d’autres critères, le classement adopté par cette école tend également à surinvestir certains indicateurs de classe. Le classement fait alors référence à un ensemble de critères qui sont loin d’être neutres socialement et qui reposent sur des dispositions socialement situées, propres surtout aux fractions des classes moyennes du public et d’une partie du pôle culturel de classes supérieures (Bourdieu, 1979 ; Iori, 2016) et qui évincent de ce type de formation les candidates issues des fractions les plus précaires des classes populaires, occupant une position sociale plus fragile moins fondée sur un parcours « cohérent ». Si les métiers du social peuvent représenter un horizon et une ascension sociale pour cette population, l’accès leur est refusé.
18D’un côté, peu de candidates soulignent un éventail de lectures étendu, alors que le manque de curiosité intellectuelle est un reproche présent dans un large spectre de dossiers. D’un autre côté, la possession d’un profil considéré comme “trop légitime” peut aller à l’encontre des attentes du jury et illustre la défiance d’une partie de la commission quant aux capitaux culturels élevés. Cette sélection opère alors un travail de nivellement social des admissions, dans un double jeu qui exclut progressivement aussi les candidates issues des fractions les plus élevées des classes supérieures. La candidature d’une ancienne enseignante-chercheuse en droit et en reconversion comme cadre dans l’action sociale, âgée de 40 ans, peut amener à une discussion :
Points forts : motivation et parcours professionnel. Points faibles : actuellement catégorie A, va passer catégorie B (rétrogradation ?). Risque de décalage au sein de la promotion (« je serai plus en contact avec les formateurs qu’avec la promo ») et dans son futur professionnel (décalage avec l’encadrement par exemple) [initialement notée 15/20, discutée en jury plénier et recalée avec 7/20].
19Recevoir une candidate possédant un capital culturel plus important que ses évaluateurs conduit finalement à une éviction de la candidature, perçue comme un risque de remise en discussion de l’autorité et de la compétence des formateurs une fois en formation. À l’avenir, ces futures assistantes sociales doivent à la fois encadrer les publics de l’action sociale, mais aussi maintenir leur place en respectant la hiérarchie administrative. Si cette docilité rappelle des compétences recherchées aussi en cpge (Darmon, 2012), celle demandée par ces écoles ne renvoie pas à la recherche d’un « sérieux scolaire » mais à la sélection d’étudiantes faciles à gérer par les formateurs pendant les trois ans, capables de suivre des consignes, ne remettant pas en discussion les bases de la formation et de leurs parcours, capables de « rester à leur place » (Orange, 2010 : 47). On le voit dans cet extrait du dossier de candidature :
Potentiel important, engagée dans son discours et invitée à nuancer certains de ses propos voire de ses idéaux sur le métier d’as. Le jury a la sensation de faire face à une énergie positive et débordante, qu’il serait judicieux de mieux canaliser pour ne pas prendre trop de place dans l’espace de communication [candidature acceptée, notée 14/20 ; Tiphaine, 23 ans, bac stg, L1 philo, bts et licence de rh].
20L’évaluation repose enfin sur les caractéristiques des membres des commissions d’évaluation, en fonction de l’âge, de l’origine sociale, du fait d’être passé par la même école ou encore de l’ancienneté dans le métier, ainsi que sur des caractéristiques genrées. L’admission orale peut prendre appui sur le “feeling” qui peut s’instaurer entre les deux parties dans l’interaction lors de cette épreuve, scène et « lieu de confrontation des corps et des discours » (Moulevrier et al., 2005 : 85). C’est donc à la frontière entre caractéristiques des candidates, compétences professionnelles et propriétés des évaluatrices qu’il faut comprendre les stratégies de sélection dans ces cursus. L’extrait de l’audition de Claire (20 ans, bac es et l1 en droit) en fournit un exemple :
La commission est composée de deux professionnelles, l’une chef de service, l’autre assistante sociale depuis quinze ans, dans la même structure associative dans l’aide sociale à l’enfance. Elles ont déjà participé plusieurs fois aux jurys et interviennent régulièrement comme vacataires dans les enseignements professionnels. Après l’entretien, une fois la candidate sortie, la première s’adresse à l’autre :
« Je la veux ! Je la veux ! Choupette, très bien ! Elle donne envie d’y aller ! Elle sait où elle va ! ». On va mettre « Vrai curiosité intellectuelle et volonté de mise à l’épreuve ».
L’autre lui répond sur un ton de plaisanterie « Tu l’embauches direct ? » [jdt, avril 2016].
21Dans les entretiens d’évaluation, c’est la compatibilité des habitus entre recruteuses et candidates qui guide cette rencontre, dans la recherche de la future identité professionnelle des auditionnées, avant même le passage par les trois ans de formation. Les professionnelles participant aux épreuves de sélection sont formatrices en travail social, cadres de l’action sociale ou encore cheffes de service (et donc susceptibles d’encadrer les futures étudiantes lors des trois stages de la formation), parfois passées par un diplôme en sciences de l’éducation (niveau licence ou master) ou un cursus en formation des adultes (cf. tableau 2), mais globalement de formation assistante sociale.
22Lors des évaluations, les membres de la commission favorisent progressivement certains types d’élèves, leur rappelant la conformité avec le futur rôle professionnel. Ces épreuves s’apparentent alors à une volonté d’homogénéiser ce groupe social à des fins pédagogiques et professionnelles : le suivi de la formation, le besoin de débrouillardise dans les stages annuels, l’obtention du diplôme à l’heure. Ces professionnelles mobilisent également leurs différentes casquettes, allant jusqu’à « mettre en ordre » les économies domestiques des candidates (Perrin-Heredia, 2013) pour cibler la candidate susceptible d’arriver jusqu’au diplôme au bout des trois ans et écarter les candidates les moins ajustées aux normes institutionnelles.
23Si ces écoles accueillent des profils à la marge de l’enseignement supérieur, moins souvent issus directement du baccalauréat, en réorientation sociale et professionnelle et à l’apparence moins homogènes socialement, elles privilégient néanmoins la prédominance de certains critères socio-scolaires et de genre, en jouant sur la causalité du probable. Contrairement à d’autres cursus du premier cycle du supérieur mettant en avant une idéologie du mérite, ces épreuves de sélection visent à instaurer une déclinaison “décalée” de l’idéologie du don, plus axée sur une naturalisation du principe de fibre sociale, mettant en place des formes de « parrainage social » en tant que norme informelle (van Zanten, 2016). Les candidates intégrant la formation auront donc des profils en partie similaires à une partie de l’équipe qui les recrute, en mettant en avant un public “adaptable” aux futures exigences d’un terrain de l’action sociale de plus en plus en manque de moyens (rfas, 2020).
24Face aux écoles régionales qui mettent explicitement en avant les « aptitudes » des candidates, les iut basent leur sélection sur des critères ciblant davantage les connaissances scolaires des candidates, ayant intégré la plateforme apb (Admission Post-Bac, aujourd’hui Parcoursup) depuis quelques années. L’intégration de la formation en travail social sous l’organisation de l’iut a produit une différence notable dans le type d’étudiantes par rapport à celles des écoles régionales, davantage jeunes bachelières et issues des classes populaires. Dans l’iut enquêté, pour sélectionner cet institut dans leurs vœux apb, les étudiantes doivent fournir un dossier réunissant des informations administratives et surtout les notes de français. De même, le dossier peut comporter d’autres documents soulignant des activités scolaires et surtout extra-scolaires : un curriculum vitae, une lettre de motivation, une lettre d’un enseignant, des documents mentionnant des expériences associatives ou un service civique.
25Lors de la sélection de 2013, la commission reçoit 43 % des 1 366 pré-inscriptions abp en dossiers papiers (597). Ceux-ci sont notés sur une grille d’évaluation préétablie entre 0 et 24 points et évalués principalement par les référentes pédagogiques de l’institut. Alors que la directrice du département met l’accent sur la « motivation » des étudiantes lors des portes ouvertes du département, la notation de ces dossiers se concentre sur plusieurs critères qui interrogent avant tout les performances scolaires des candidates. Une première évaluation cible les notes des études secondaires, la moyenne générale et la note de français, tout comme la forme orthographique et syntaxique et le fond de la lettre de motivation. Les évaluateurs se concentrent alors sur des évaluations scolaires de seconde main (Darmon, 2012), intégrant également les appréciations sur le bulletin à propos du comportement en classe : les bavardages et le manque d’assiduité sont pénalisés au profit des investissements et des encouragements mentionnés dans les bulletins, dans le but de trier des profils déjà dotés de postures scolaires favorables.
- 13 Modèle de la fiche d’évaluation du dossier de candidature, 2013-2014.
26D’autres indices participent à un premier tri des dossiers reçus et reposent sur d’autres critères de “mérite”. Le fait d’avoir effectué un autre parcours post-bac en lien avec du social (psychologie, sociologie ou géographie, 1 ou 2 points), d’autres « expériences valorisantes (parcours atypiques, parcours à l’étranger, bénévolat, etc. ; de 1 à 5 points) »13, ou encore la provenance du même département ou de la même région (+ 1), peuvent augmenter la note finale jusqu’à 8 points supplémentaires. Cela est d’autant plus discriminant que ces attributs distinctifs se concentrent sur un public issu d’un département moins doté socialement par rapport au public s’orientant vers les écoles régionales dans le reste de la région. Le seuil de 13,5/20 est choisi comme critère afin de retenir 20 % des candidates (soit 119), celles-ci doivent passer tout d’abord une épreuve écrite (supprimée depuis 2018) et une épreuve orale, qui permettront de dégager une première liste de 60 personnes (pour pallier les réorientations), réduite ensuite aux 30 candidates finales, c’est-à-dire environ un quart de celles qui ont passé les épreuves et 5 % de celles qui ont présenté un dossier.
27Bien qu’on soit ici dans une formation courte à la fois professionnelle et universitaire, cette mise en avant du capital scolaire des étudiantes avantage les élèves aux ressources scolaires plus générales et disqualifie davantage les candidates issues d’un parcours technologique et professionnel (cf. graphique 1).
Graphique 1. Candidates au DUT à partir de la filière au baccalauréat et des résultats du concours d’admission
Source : Résultats des candidates à la sélection en iut en 2013 (n = 1 329).
apbdut28Ce sont plus particulièrement les candidates ayant fréquenté une filière générale économique et sociale dans le secondaire (ou générale dans son ensemble) qui franchissent les différentes étapes (+ 13 %), au détriment notamment des bachelières technologiques (− 6 %) ou professionnelles (− 7 %). La spécificité du public s’orientant vers les iut permet toutefois de maintenir une moitié des candidates issues d’un baccalauréat technologique ou professionnel, dans le but revendiqué d’une « ouverture sociale » vers des formes d’« excellence décalée » (Lignier & Pasquali, 2016).
29Si les connaissances scolaires demeurent centrales, l’oral se concentre aussi sur les raisons d’agir étudiantes, à l’instar de l’admission en école régionale, afin d’interroger leurs connaissances sur la formation et, plus largement, sur les thèmes du domaine social (retraites, familles, jeunes, emplois) et leurs expériences extrascolaires. Or, le temps consacré respectivement à l’écrit et l’oral en iut n’est pas le même qu’en école : quinze minutes pour l’oral, alors que, dans certains instituts régionaux, l’entretien oral peut durer jusqu’à une heure. Le jury de l’iut cherche néanmoins à évaluer les savoir-faire des candidates en les interrogeant à la fois sur leurs expériences extra-scolaires ou d’autres activités afin de révéler leur engagement (une expérience de tpe [Travaux personnels encadrés], ses centres d’intérêt). L’interrogation de faits d’actualité, l’explicitation d’un projet professionnel abouti et la capacité de l’étudiante à décrire ce qui signifie être ass participent à l’évaluation finale. Dans les dossiers des candidates retenues ayant obtenu les meilleures notes, plusieurs remarques additionnelles manuscrites contribuent à souligner les logiques de sélection des candidates, faisant écho aux éléments déjà évoqués en école :
Élève issue des cordées de la réussite, très bon oral ! Posée, motivée, au clair ! Entretien prometteur [candidature retenue, notée 22/20].
Sa sœur est es [éducatrice spécialisée] [candidature retenue avec mention « à prendre absolument ; notée 17,5/20].
Candidate claire, intéressée et intéressante [candidature retenue, notée 18,5/20].
Candidate motivée par l’aide à la personne. Rigoureuse et à l’heure, en avance [au rdv] ! Agréable dans l’échange et à l’aise dans l’expression orale [candidature retenue, notée 16/20].Candidate un peu “jeune” mais motivée à la scolarité [candidature retenue, notée 16/20].
30Si la commission de ce département construit sa sélection sur la base de classements directs et indirects construits par l’institution scolaire (que ce soit en termes de notes au baccalauréat ou de comportement), celle-ci cherche également à prendre en compte d’autres compétences, renvoyant aux caractéristiques personnelles et relationnelles des étudiantes et leur capacité à s’inscrire dans un projet (qu’il soit professionnel ou focalisé sur la formation ou le métier).
31Cette différence entre école et iut dans le poids laissé aux différences critères de sélection s’explique aussi par les compositions respectives des jurys d’admission, chargés du “tri” de ce public. Dans le centre de formation régional, la commission est davantage composée par des professionnelles (de formation ou exerçant actuellement) du travail social. En iut, c’est une petite équipe de 10 personnes composée principalement d’enseignant.es-chercheur.ses universitaires en sciences sociales et de cadres pédagogiques, qui est en charge du processus de sélection.
Tableau 3. Caractéristiques du jury de sélection
dans l’institut universitaire (2013-2017)
Nombre des femmes
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7
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De formation assistante sociale
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2
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Ayant poursuivie leurs études jusqu’à la thèse
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3
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Enseignant.e.s titulaires (mcf et prag)
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6
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Exerçant en tant qu’assistantes sociales
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0
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Total des membres du jury
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10
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32On le voit dans le tableau 3, en iut aucun membre de l’équipe ne travaille actuellement dans le domaine social. Les critères professionnels ne sont pas évincés, mais ils priment différemment face à une organisation curriculaire favorisant un cadre pédagogique davantage universitaire.
33La division du travail n’est pas la même tout au long du processus de sélection. La hiérarchie universitaire au sein du département permet de comprendre les logiques d’ajustement et de désajustement qui jouent dans le recrutement en iut. Les cadres pédagogiques et administratifs, position contractuelle créée ex nihilo comme étant à mi-chemin entre un enseignant-chercheur et un cadre administratif, se chargent de l’évaluation de la plupart des recrutements. La sous-commission pour le diplôme d’ass est composée de trois enseignant.es-chercheur.ses et de deux « cadres » non titulaires. Ces dernières sont finalement affectées au “sale boulot” de l’évaluation : en dehors de leurs taches prescrites, elles doivent évaluer 71 % des quelque 600 dossiers reçus par l’institut, face au désengagement des enseignant.es-chercheur.ses. De la même manière, c’est à l’une des deux professionnelles que sont laissées la charge de la plupart des épreuves orales et la validation des candidatures retenues aux épreuves, en reconnaissance de son expertise sur le milieu professionnel tout en lui rajoutant du travail supplémentaire. Mise à l’écart par une partie de l’équipe pédagogique au quotidien, Julie, l’une d’elles, s’occupe ainsi d’accepter les futures étudiantes. Comme elle le dit :
Encore maintenant certaines écoles préfèrent des gens avec une certaine maturité et assises, qui sont clairs avec leurs envies pour ces métiers, et avant il fallait avoir une petite expérience universitaire ou professionnelle. […] Moi, en tout cas, dans les entretiens que je fais, j’insiste là-dessus, sur « quelles connaissances vous avez du monde qui vous entoure et de la société dans laquelle vous évoluez » [Entretien avec Julie, 35 ans, cadre « administrative et pédagogique »].
34Consciente de recevoir une population étudiante moins dotée en ressources par rapport à celle des écoles régionales, cette professionnelle cible les caractéristiques scolaires – demandées notamment par les enseignant.es-chercheur.ses – tout comme d’autres critères relevant plus de la posture et de la personnalité des candidates. C’est donc par le biais de cette professionnelle, assistante sociale de formation et de profession, passée par un centre de formation régional et ayant travaillé douze ans en polyvalence de secteur et dans le service social scolaire, que les critères de personnalité, les motivations et la curiosité, sont finalement réintroduits dans l’évaluation à l’iut, aux marges du processus de sélection.
35Dans les deux cas de sélection étudiés, les instituts de formation favorisent progressivement une naturalisation de dispositions sociales et de compétences scolaires spécifiques. Les épreuves s’apparentent à une socialisation par anticipation des demandes du concours final. La personnalité recherchée repose sur un ensemble de critères socialement situés, sur un jugement social et moral sur la qualité de la candidate (Bourdieu & de Saint Martin, 1975) et sur la recherche anticipée de compétences susceptibles d’être mobilisées directement dans l’espace professionnel. C’est la capacité de s’inscrire dans le parcours de formation tout au long des trois ans, de savoir convaincre avec aisance les membres du jury de la cohérence d’une expérience, de mettre en avant des savoir-faire interactionnels, qui peut faire la différence. Alors que l’école régionale met fortement l’accent sur les caractéristiques sociales et de genre des candidates, l’iut privilégie les connaissances scolaires et introduit ces caractéristiques à la marge du processus de sélection.
36Au même titre que d’autres formations adressées à une jeunesse populaire (Orange, 2010), ces cursus participent d’un « encadrement des aspirations », vers la recherche d’un public « docile » et prêt « à la flexibilité et à l’adaptabilité » (Brucy & Ropé, 2000 : 141). Ils contribuent à évincer surtout des candidates peu dotées en ressources culturelles et sociales, alors qu’elles ont intégré une « règle » scolaire (Bernstein, 1986). Ce processus de recrutement rejoint en ce sens les recherches qui rendent compte de la distance entre les travailleuses sociales et leurs publics potentiels (Cardi, 2007 ; Perrin-Heredia, 2012 ; Serre, 2009). La distance est, ici, instituée, voire recherchée, par les centres de formations dès leur sélection, par le recrutement d’étudiantes ne remettant pas en cause (ou à la marge) l’État social. Cette “docilité” véhiculée par ces formations dès leur entrée sert aussi de levier pour « tenir » (Gaspar, 2012) dans un cadre où, parallèlement à la hausse du public de l’action sociale, la nouvelle gestion publique remet en question le travail au quotidien de ces futures professionnelles.