1À Madagascar, le changement climatique est devenu une réalité dont les effets néfastes sont déjà palpables depuis quelques décennies. Ces effets sont illustrés dans le quotidien par le raccourcissement de la saison des pluies, l’imprévisibilité des pluies, la baisse des récoltes, la modification du calendrier agricole, etc. (Delille, 2011). Quelques régions de la grande île sont particulièrement vulnérables, parmi lesquelles le Sud-Ouest, où les incidences des bouleversements climatiques s’ajoutent aux conditions physiques très rudes (Andriambolatiana et al., 2013). Cette région se trouve dans un contexte semi-aride qui se distingue par l’irrégularité spatio-temporelle des précipitations, l’importance des températures et la récurrence des épisodes de sécheresses. Cette sporadicité pluviométrique et la récurrence des années sèches sont en partie responsables de l’insécurité alimentaire, voire des famines sévères affectant la région de façon cyclique (Broudic & Razafindrianilana, 2020).
2Or, l’agriculture et l’élevage qui assurent la survie de la plupart de la population dépendent fortement de ces conditions climatiques (Raharinjanahary et al., 2010). Le système de production est essentiellement de type extensif et se base sur des savoirs et des pratiques traditionnels. Ces moyens de production paysanne se heurtent à de nombreux obstacles, tels que la faible mécanisation, la non-maîtrise de l’irrigation ainsi que la faible utilisation des engrais. Il en résulte que les productions sont souvent maigres. La plupart des récoltes ont pour but la satisfaction des besoins alimentaires et la vente locale (Rollin, 1997). L’expansion des cultures, notamment celles sur abatis-brûlis, connu localement sous le nom de hatsaky, se fait au détriment de l’écosystème forestier. À l’échelle de la forêt des Mikea, les surfaces défrichées ont quadruplé depuis les années 1980, ce qui est dû essentiellement à la culture du maïs (Blanc-Pamard et al., 2005).
3D’autres facteurs sont à l’origine de l’insécurité du monde rural et compromettent davantage les activités paysannes, notamment les vols des zébus et une forte croissance démographique, accentuée par l’arrivée des migrants. Ce facteur démographique participe également à la saturation foncière des terres les plus fertiles, la perte des forêts pour la fabrication des charbons, la quête de nouvelles terres, etc.
4Face à cela, de nombreux plans d’ajustement structurel ont été opérés depuis 1984, en vue de soutenir la croissance durable du secteur agricole et d’atteindre une autosuffisance alimentaire (Dabat, 2008 ; MAEP, 2019). Cependant, les structures agraires demeurent pratiquement les mêmes. Les différents risques et aléas écologiques créent un sentiment d’incertitude qui s’ajoute à la précarité et à l’insécurité rencontrées par les agriculteurs (Blanc-Pamard, 1989).
5Dans le contexte actuel du changement climatique exacerbé par une déforestation croissante, le système de production paysan dans le Sud-Ouest est particulièrement vulnérable. Nombreuses sont les répercussions, à l’image de la baisse des productions agricoles de ces dernières années. Cette situation est perçue différemment selon les populations rurales et diverses réponses locales en vue de garder le fonctionnement du système agricole sont mises en place.
6À travers une analyse de données climatiques et d’entretiens, ce travail vise à appréhender les impacts et les perceptions des récents bouleversements liés au changement climatique, ainsi que les stratégies paysannes d’adaptions mises en œuvre à l’échelle du Sud-Ouest.
7Cette étude a été conduite dans cinq communes (Ankililoaka, Milenake,Ambohimahavelona, Bezaha et Fotadrevo) à vocation agricole et pastorale (Figure 1). Ces communes se répartissent dans trois districts (Toliara II, Betioky et Ampanihy) ayant des conditions agro-écologiques différentes. Elles sont occupées par différents groupes ethniques. Les Vezo, qui sont des pêcheurs prédominent le long du littoral ; plus à l’intérieur, les Masikoro, Vezo, Mahafaly, Tagnalana et Antanosy sont majoritaires. Ces derniers sont considérés comme des sociétés agro-pastorales pour qui les bœufs ont une importance capitale (Masezamana et al., 2013).
Figure 1 : Localisation des sites d’enquête
Source : Sentinel 2, BD 100, 500 FTM
8Le paysage forestier de cette zone est constitué majoritairement par des plantes à caractères xérophytiques. Ces végétations font l’objet d’un défrichement fréquent par le feu de brousse, la culture itinérante sur brûlis et la fabrication de charbon (Napetoke, 1996).
9Les formations pédologiques sont généralement représentées par des lithosols à l’intérieur, et par des dunes fixes ou vives sur les côtes (Sourdat, 1975). Ces lithosols sont caractérisés par une faible fertilité et une capacité de rétention d’eau limitée en raison de leur formation sur des roches altérées. Les cultures résistantes à la sécheresse, qui nécessitent moins d’eau et de nutriments, à savoir le haricot ou le pois du cap, y sont souvent privilégiées. Dans les basses vallées des cours d’eau (Onilahy, Fiherena), les sols dénommés baiboho sont d’origine alluviale et constituent les meilleurs sols de la région, où la riziculture et la culture maraîchère prédominent (Hervieu, 1967).
10Dans le cadre de cette étude, les données climatiques estimées issues de ERA-5 ont servi pour l’analyse climatique. Ces estimations permettent de pallier le manque de données climatiques dû à l’insuffisance des stations opérationnelles dans le Sud-Ouest malagasy. ERA-5 est la cinquième génération de réanalyse atmosphérique fournie par le Centre européen pour les prévisions météorologiques à moyen terme (ECMWF). Il propose un grand nombre de variables climatiques à une résolution spatiale de 30 kilomètres depuis 1979. Les chroniques des pluies et températures choisies s’étalent entre 1980 et 2022. Outre la couverture quasi-totale du monde entier, le choix de ces données repose sur leur disponibilité. Elles ont déjà été utilisées pour des études climatiques dans la partie Sud de Madagascar (Harrington et al., 2022).
11Les autres données utilisées ont été fournies par la direction régionale de l’agriculture et de l’élevage du Sud-Ouest (DRAE), tandis que le dernier type de données provient des enquêtes réalisées dans les sites d’études.
12Ce travail se base à la fois sur une analyse climatique et des entretiens menés auprès des paysans. Dans un premier temps, les moyennes des pluies et de température sur deux périodes différentes (1980-2000 et 2000-2022) ont été calculées sous forme de cartes, puis comparées en vue d’appréhender l’évolution climatique dans les sites d’études. Une analyse interannuelle de la pluviométrie a été par la suite réalisée entre 1980 et 2022 dans les cinq communes. En vue de déterminer les dates de début et de fin des saisons, nous avons appliqué la méthode agronomique de Sivakumar dans deux communes : Ankililoaka et Fotadrevo. La saison des pluies démarre quand une quantité de 20 mm de pluies est recueillie en 3 jours consécutifs, sans période sèche d’une durée supérieure à 7 jours dans les 30 jours qui suivent. La saison des pluies prend fin quand il n’y a plus de pluies pendant une période de plus de 20 jours successifs. La durée de saison pluvieuse est la différence entre les dates de début et de fin (Sivakumar, 1988).
13Dans un deuxième temps, des enquêtes de type qualitatif ont été menées dans les sites d’études afin de comprendre les aspects socio-économiques des bouleversements climatiques. Les travaux de terrain ont duré 7 semaines, entre juillet et novembre 2022. Les méthodes de collecte des données comprennent des focus groupes, des entretiens semi-dirigés et des observations non-participantes.
14Cinq focus groupes, à raison d’un par site, ont été organisés. Les participants aux focus groupes ont été sélectionnés selon leur âge (supérieur à 40 ans), leur fonction (cultivateur et ou éleveur) et leur appartenance à une coopérative paysanne. Certaines coopératives ont été créées par des initiatives propres aux paysans pour s’entraider, échanger des variétés et gérer les éventuels conflits. C’est le cas du FIMPAMA (association des cultivateurs du riz) à Ambohimahavelona. D’autres ont été créées avec l’appui des projets pour financer l’achat de matériel agricole, former les paysans et vulgariser des semences. Actuellement, certaines coopératives jouent un rôle d’intermédiaire entre les organismes étatiques et les paysans. Les questions abordées durant les entretiens de groupes ont été centrées sur la description de l’agriculture, le changement climatique, la sécurité rurale, l’organisation des tours d’irrigation des champs, les techniques agricoles et la vulgarisation des semences. Les réponses des intervenants à chacune des questions ont été retranscrites puis analysées. Après codification, des thèmes ont été répertoriés à partir de la fréquence des mots et leur contexte.
15Dans l’ensemble des cinq communes concernées, un total de 120 personnes ont fait l’objet d’un entretien semi-dirigé. Le choix de l’échantillon a été aléatoire (en tenant compte des critères mentionnés ci-dessus). Les entretiens n’ont pas été programmés à l’avance et les interviewés, des agriculteurs et des éleveurs, ont été recrutés parmi ceux qui semblaient avoir plus de 40 ans, avant confirmation de leur âge. Ce critère a été retenu car il permettait de supposer que ces personnes avaient été témoins, au cours de leur vie, des changements des conditions agro-climatiques et environnementales. Elles étaient donc en mesure de fournir des témoignages fiables et de décrire les pratiques agricoles sur plusieurs décennies. Les questions abordées durant les entretiens semi-dirigés étaient axées sur le fonctionnement du système agraire, les obstacles de nature socio-économique et climatique de l’agro-pastoralisme, la durée et la fréquence des événements climatiques extrêmes, les perceptions paysannes, les conséquences du changement climatique et les mesures locales mises en œuvre. Les informations collectées ont été interprétées de la même manière que celles des focus groupes. Quelques thématiques ont pu être dégagées : la description du système agraire, les perceptions du changement climatique, leurs conséquences sur l’agro-pastoralisme et les stratégies locales adoptées.
16Enfin, des observations non participantes du fonctionnement du système agro-pastoral ont été réalisées. Nous avons observé quelques opérations agricoles en faisant attention particulièrement aux principales cultures, aux matériels et techniques utilisés, aux rôles des hommes et des femmes.
17Afin d’analyser les variations des précipitations et des températures dans le Sud-Ouest, nous avons comparé des moyennes avant et après l’an 2000. L’enquête a révélé que cette année est souvent mentionnée par la population rurale comme repère avant laquelle les pluies étaient encore suffisantes et les températures étaient encore supportables.
18La région du Sud-Ouest malagasy fait partie du domaine semi-aride avec un gradient croissant de précipitations de direction Sud au Nord et, dans une moindre mesure, d’Ouest en Est. Ce type de climat est caractérisé par l’insuffisance des pluies, avec une moyenne de 743 mm sur la période 1980-2022.
19L’an 2000 est majoritairement évoqué par la population enquêtée comme une année avant laquelle les conditions pluviométriques étaient meilleures. Ainsi, nous avons cartographié les moyennes pluviométriques à l’aide des données ERA5 sur les périodes 1980-2000 et 2000-2022, en vue de les comparer (figure 2). Les cartes affichent une baisse de la pluviométrie dans l’ensemble des régions, après l’an 2000. Cette baisse des pluies est moins prononcée dans le Nord de la région contrairement à la partie australe et le long du littoral qui connaissent une baisse de 100 mm. Ces parties recevaient des pluies comprises entre 600 et 700 mm durant les deux premières décennies, alors que les deux dernières décennies n’enregistrent que des pluies variant entre 500 et 600 mm.
20Cette diminution concerne également les sites enquêtés, en particulier ceux d’Ambohimahavelona, Bezaha et Fotadrevo, avec un écart de 100 mm entre les deux périodes, alors que la baisse de la quantité des pluies recueillie à Milenake et à Ankililoaka est plutôt faible.
Figure 2 : Comparaison des moyennes des pluies de 1980-2000 et 2000-2022
Source : ERA5
21Afin de compléter l’étude spatiale, une analyse interannuelle des pluies sur la période 1980-2023 a été réalisée. Les résultats (figure 3) montrent que les moyennes annuelles évoluent en dents de scie, de 1980 jusqu’à la fin des années quatre-vingt-dix. Les cumuls pluviométriques dans les cinq communes varient entre 377 mm et 979 mm sur cette première décennie. Une hausse des quantités pluviométriques est observée autour de l’an 2000, pouvant dépasser les 1100 mm pour les cas de Milenake et Ankililoaka. À partir de 2002, les pluies commencent à diminuer dans l’ensemble. On note cependant l’existence de quelques années exceptionnellement arrosées (2007, 2015 et 2023) dans les deux communes citées précédemment. La diminution de la quantité des pluies avancée par les paysans est probablement liée à cette baisse faisant suite aux importants cumuls autour de l’an 2000.
Figure 3 : Variation interannuelle des pluies dans les cinq communes, de 1979 à 2023
Source : ERA-5
22Pour déterminer les saisons des pluies durant les deux dernières décennies, nous avons appliqué la méthode agronomique de Sivakumar dans deux communes : Ankililoaka (au Nord) et Fotadrevo (au Sud). Les résultats montrent que les dates de début et de fin des saisons connaissent une forte fluctuation (figure 4). Dans l’ensemble des deux communes, les saisons commencent généralement en décembre et prennent fin en avril. Cependant, elles peuvent être très courtes. C’est le cas de l’année 2001-2002, 2018-2019 et 2019-2020 à Ankililoaka, où les saisons n’ont duré respectivement que 6 et 5 décades pour les deux dernières années, avec un début tardif dans la deuxième décade de février. Même si le cas de Fotadrevo semble être meilleur car les saisons sont plus longues, certaines années connaissent des arrivées tardives et des fins précoces des pluies (2009-2010, 2020-2021) et sont peu favorables aux cultures qui en dépendent.
Figure 4 : Variation des dates de début et de fin de saison des pluies
Source : ERA-5
23Les moyennes thermiques sur la période 1980-2000 et 2000-2022 ont été cartographiées (figure 5). Les cartes montrent une hausse des températures dans l’ensemble de la région. L’écart des températures entre les deux périodes est majoritairement de l’ordre de 1°C. Les températures les plus élevées sont observées au Nord, avec des valeurs pouvant aller jusqu’à 26°C, 27°C. L’augmentation y est clairement établie, ainsi que sur la bordure littorale du Sud-Ouest. Cependant, cette hausse des températures est tempérée par l’altitude et avoisine les 20°C, 21°C et 23°C dans le Centre-Est.
24Les sites enquêtés connaissent également cette élévation des températures qui est plus prononcée à Bezaha, entre 25°C et 26°C. La hausse constatée à Ankililoaka, Milenake et Ambohimahavelona reste faible, mais elle est aussi de 1°C à Fotadrevo.
Figure 5 : Comparaison des moyennes des températures de 1980-2000 et 2000-2022
Source : ERA5
- 1 Source : Direction régionale de l’agriculture et de l’élevage (2023)
25L’agriculture dans le Sud-Ouest malagasy est principalement traditionnelle. Dans les sites enquêtés, les cultures pluviales et de décrues prédominent et dépendent fortement des conditions climatiques. Les moyens de production mis en place sont de faible technicité (bêche, faucille, herse) et l’usage des engrais reste très faible (Rollin, 1997). Les infrastructures hydro-agricoles ne suffisent pas et la maîtrise de l’irrigation demeure un obstacle à l’amélioration des rendements. Cette agriculture se caractérise également par la domination des cultures vivrières, à l’instar du riz de bas-fonds, du maïs, du manioc, de la patate douce. À titre d’exemple, la riziculture occupe à elle seule une superficie de 38 215 ha sur les 78 608 ha cultivés lors de la campagne agricole 2020-20211. La force animale, notamment celle de zébus, contribue largement aux différentes opérations agricoles, en particulier pour le piétinement des rizières et leur hersage et pour le transport des récoltes. Ces animaux sont aussi consommés et vendus.
26Selon les données de la DRAE (tableau 1) dans les trois districts (dans lesquels sont réparties les communes d’enquêtes), les rendements agricoles varient d’une année à une autre, selon les endroits et selon les cultures, mais restent généralement insuffisantes. Nous pouvons observer qu’entre 2020 et 2023, le rendement moyen des grains secs (haricot, pois du cap, niébé) est seulement de 0,91tonne à l’hectare, tandis que la riziculture irriguée de grande saison (période comprise entre décembre et mai) semble offrir des rendements meilleurs. La riziculture pluviale, quant à elle, ne dépasse pas 1 91tonne à l’hectare.
Tableau 1 : Rendements en tonne par hectare des principales spéculations dans 3 districts (2020-2023)
| Spéculations |
Année |
Ampanihy |
Betioky |
Toliara II |
|
Haricot
|
2020_2021 |
- |
0,36 |
0,53 |
| 2021-2022 |
- |
0,62 |
0,49 |
| 2022-2023 |
- |
1,27 |
0,53 |
|
Pois du cap
|
2020_2021 |
- |
1,70 |
1,15 |
| 2021-2022 |
- |
2,00 |
1,15 |
| 2022-2023 |
- |
2,00 |
1,15 |
|
Niébé
|
2020_2021 |
0,85 |
0,75 |
1,50 |
| 2021-2022 |
0,40 |
0,75 |
1,00 |
| 2022-2023 |
0,72 |
0,80 |
1,09 |
|
Riz irrigué (grande saison : de janvier à mai)
|
2020_2021 |
- |
2,70 |
2,77 |
| 2021-2022 |
- |
2,70 |
2,77 |
| 2022-2023 |
- |
3,05 |
2,22 |
|
Riz pluvial
|
2020_2021 |
0,75 |
- |
0,28 |
| 2021-2022 |
0,79 |
- |
0,28 |
| 2022-2023 |
1,07 |
- |
- |
Source : DRAE Atsimo-Andrefana, 2023
27Cette agriculture est souvent associée à l’élevage semi-extensif, ou extensif, qui constitue une alternative en cas de mauvaise année agricole, et vice versa. L’élevage pratiqué dans cette zone est à prédominance de grands ruminants (zébus) possédant des rôles socio-économiques et aussi culturels. Cette activité d’élevage n’est pourtant pas sans risque car, en plus des problèmes de pâturage et des points d’abreuvement liés aux sècheresses, elle est exposée aux vols organisés de zébus de plus en plus sanglants lors de ces dernières années. Ces vols ont toujours existé de mémoire d’homme, mais leur intensification crée depuis quelques années une insécurité en zone rurale qui touche l’ensemble de la région. Depuis les années 1990, la recrudescence d’attaques survenant de jour comme de nuit pour voler des troupeaux a été remarquée dans la commune rurale d’Ambohimahavelona.
28Nos résultats ont révélé que les populations sont conscientes de plusieurs changements dans leur quotidien. Les variations des températures apparaissent moins que celles des précipitations qui ont beaucoup de répercussions sur les activités des paysans et des éleveurs. La diminution de la quantité des pluies, leur retard, leur caractère aléatoire, leur imprévisibilité et la modification des dates de début et de la fin de saison (tableau 2) sont largement perçus. En effet, les premières pluies deviennent de plus en plus irrégulières et difficiles à prédire, alors qu’elles sont impatiemment attendues pour commencer les activités agricoles. À cela s’ajoute le raccourcissement de la période pluvieuse qui débute actuellement entre mi-décembre et début janvier et prend fin en mars.
Tableau 2 : Perceptions du changement climatique et adaptations paysannes
| Phénomènes climatiques perçus |
Fréquence des réponses en % |
Principales mesures d’adaptations paysannes |
| Diminution des pluies |
78 |
-Extension des parcelles cultivées
- Pratique de polyculture
- Abandon de la riziculture et priorisation des volymainty
- Pratiques d’autres activités génératrices de revenus (pêche, fabrication de charbon, etc.)
- Changement du calendrier agricole
|
| Retard des pluies |
65 |
| Imprévisibilité des pluies |
50 |
- Choix des variétés à cycle court et plus résistantes au manque d’eau |
| Fréquence des sécheresses |
62 |
- Migrations économiques dans les centres urbains
- Longues transhumances des animaux
- Stockage de paille de riz et des sous-productions agricoles
- Préférence aux petits ruminants à la place des bœufs
|
| Modifications des dates (début/fin) des saisons |
56 |
29Ce constat confirme celui de Broudic et al. : « les premières précipitations ne sont plus aujourd’hui prévisibles et les connaissances empiriques locales ne permettent plus de réaliser des prévisions météorologiques fiables. Si auparavant, la saison pluvieuse s’étalait d’octobre à mars, elle ne commence actuellement qu’à partir du mois de décembre ou janvier pour s’achever en février avec le plus souvent des pluies fines et intermittentes » (2020 : 19).
30Si les années avant l’an 2000 ont été généralement considérées comme plus humides et favorables aux activités agricoles, il existe cependant des petites nuances selon les localités. Aux environs de la commune d’Ankililoaka et d’Ambohimahavelona, les cinq dernières années ont été signalées comme sévèrement sèches. Pour le cas d’Ampanihy (Fotadrevo), les années sèches très sévères remonteraient à plus de dix ans. De plus, si un cycle de période sèche tous les quatre ou cinq ans est évoqué pour le passé à Ampanihy, la tendance serait aujourd’hui inversée avec une année humide à la suite de quatre à cinq années déficitaires. Cette nouvelle tendance est confirmée par le témoignage d’Émile Jean, cité par Rakotondrazafy (2010) : « Quand mon père était jeune, pas plus d’une ou deux mauvaises années ont lieu en vingt ans. Quand mon père était jeune, une mauvaise année n’apparait que tous les sept ans. Aujourd’hui, on y fait face tous les deux ans. Nous risquons même d’avoir une succession de mauvaises années ».
31Pour tenter de faire revenir les pluies, les paysans pratiquent des rituels d’offrande aux ancêtres en sacrifiant des zébus ou des chèvres presque chaque année dans les sources d’eau ou lors de cérémonies lignagères. Certains interviewés évoquent le fait que certaines pratiques locales, dont le hatsaky, participent à la perturbation environnementale et climatique. Sans autre alternative pour subvenir à leurs besoins, la préservation de l’écosystème n’apparaît pas comme une priorité : « Nous avons coupé nos forêts, c’est pourquoi les pluies sont maintenant rares. Nous nous éloignons davantage du village pour chercher de l’eau pour la cuisine. Bien sûr, nous sommes conscients que nos actions sont responsables de tous ces changements. Nous sommes disposés à reboiser si le gouvernement donne des jeunes pousses pour réparer nos erreurs. Toutefois, fabriquer des charbons, produire des bois de chauffe permet de gagner rapidement de l’argent maintenant que cultiver devient difficile. Nous sommes des paysans, nous ne savons pas beaucoup de choses à part exploiter nos terres » (Rasolo, père de famille, 53 ans, 24 juillet 2022).
32Dans l’ensemble des sites enquêtés, une importante baisse de production due à la variation pluviométrique a été signalée par la majorité de la population. L’irrigation des horaka (rizières) et des cultures sèches sur baiboho devient de plus en plus difficile et occasionne parfois des conflits entre paysans. Des petites nuances sont néanmoins observées ; par exemple à Ankilioaky et Ambohimahavelona, les rizières à proximité des canaux permettent des récoltes assez satisfaisantes et les récoltes les plus médiocres sont obtenues sur les rizières les plus éloignées des vannes d’irrigation. On note que cette commune d’Ankililoaka est très réputée pour sa production rizicole depuis longtemps et qu’elle alimentait même le chef-lieu de région. Actuellement, c’est plutôt l’inverse qui se produit. Elle dépend des villes à proximité pour l’approvisionnement des besoins notamment en riz importé. « Avant, Ankililoaka approvisionnait en riz la ville de Toliara. Maintenant, on achète du riz pakistanais de Toliara. » (Alexandre, 56 ans, père de famille, 24 juillet 2022.)
33Ce même constat est également observé dans la commune de Fotadrevo (Ampanihy) auparavant productrice de riz. La culture rizicole n’y est plus possible due aux sècheresses. La commune figure même parmi celles dites vulnérables où la population dépend des aides des projets et des organisations internationales.
34Par ailleurs, les bouleversements climatiques affectent négativement les productions d’élevage par l’assèchement des points d’eau et la diminution des pâturages. « À cause de l’insuffisance d’herbage, les animaux perdent rapidement du poids, ce qui a un impact sur leur prix en cas de vente ou sur leur capacité à travailler. Les femelles en particulier mettent bas tardivement et cessent précocement l’allaitement des nouveaux mis bas si le pâturage est en manque. » (Bonne-Chance, éleveur, père de famille de 45 ans, 25 Septembre 2022.)
35Ainsi, cette diminution généralisée des productions et l’incapacité à produire dans certaines localités exacerbent les vols de zébus et des récoltes. Il en résulte que le système agro-pastoral et la population locale deviennent de plus en plus vulnérables.
36Le dysfonctionnement des activités lié aux problèmes climatiques contraint la population rurale à apporter des réponses qui diffèrent selon la perception, les réalités socio-environnementales et les moyens disponibles. Des stratégies d’adaptations de l’élevage et des cultures peuvent être distinguées.
37Celles en rapport avec les cultures sont diverses et multiformes (Tableau 2). Une modification du calendrier agricole a été observée dans tous les sites enquêtés, compte tenu de la sporadicité des pluies et de leur caractère imprévisible. Si, auparavant, les opérations agricoles débutaient en novembre et se terminaient en avril ou mai, elles sont actuellement décalées entre décembre et mars en fonction de l’arrivée des premières pluies.
38Certaines pratiques agricoles anciennes dont le katrayou semis en sec qui dépend de l’aptitude de chaque paysan à prédire l’arrivée des premières pluies est abandonné. « Avant, on entendait des tonnerres dès le mois d’octobre, on savait qu’il allait pleuvoir en novembre. L’arrivée des pluies pouvait être prédite grâce au soufflement et direction du vent. Actuellement, les pluies deviennent difficiles à prévoir. Il arrive que nous ensemencions deux ou trois fois avant que les cultures réussissent et cela épuise nos stocks de semences. C’est pourquoi nous avons abandonné le katray. Nous préférons désormais attendre que la saison des pluies soit installée avant de cultiver. » (Claude, 60 ans, Père de famille, 60 ans, 25 juillet 2022.)
39À Ankililoaka et à Milenake, deux communes réputées depuis longtemps pour leur production rizicole, la riziculture se limite désormais dans les parcelles à proximité des canaux d’irrigation ou facilement irrigables. Afin de pallier le caractère aléatoire des pluies qui a sévi depuis ces dernières années, une rotation est mise en place pour irriguer les rizières. Pour chacun des quatre canaux drainant ces deux communes, un président de canal élu tous les deux ans est chargé de planifier un tour d’irrigation par quartier en fonction du nombre de rizières et de la quantité d’eau disponible. Cette nouvelle organisation paysanne reste cependant insuffisante compte tenu des besoins hydriques de la riziculture et l’important nombre de riziculteurs (plus de 60 % des personnes enquêtées à l’échelle de ces deux communes). « Durant les années 90, un président de canal ne faisait pas grand-chose, car l’eau était encore abondante. Maintenant que l’eau du canal est en baisse, j’interpose fréquemment à différents conflits liés à la durée et à la fréquence des tours d’irrigation. » (Solontena, 55 ans, Président du canal rive gauche, 25 juillet 2022.)
40Nous avons également constaté qu’une minorité des paysans utilisent des variétés de riz plus résistantes au manque d’eau (maroanaka, maropiky, valopoloandro). Ces cultivars sont très appréciés localement par leur résistance et leur cycle court, autour de 3 mois à partir du repiquage jusqu’à la moisson. Ils sont vulgarisés pour les paysans membres des coopératives paysannes par la direction en charge de l’agriculture, des projets et programmes de développement. Par contre, les formations paysannes sont très rares, sauf à Fotadrevo où elles sont sujettes, par des organismes nationaux et internationaux, à des enseignements sur les moyens de lutte contre l’insécurité alimentaire.
41Dans les parcelles plus éloignées des sources d’eau, la culture rizicole est complètement abandonnée et fait place aux volymainty (cultures exigeant moins d’eau). En sus de la rareté des eaux de surface, cette conversion des cultures est étroitement liée aux insuffisances des infrastructures hydro-agricoles. De plus, l’emblavage des volymainty coûte moins cher aux paysans et présente moins de risques, à l’inverse de la riziculture qui nécessite suffisamment d’eau, une main d’œuvre plus nombreuse, de nombreux travaux (piétinement, hersage, désherbage, repiquage, traitements phytosanitaires, etc.). Ainsi, quelques volymainty pouvant pousser ensemble sont associées (figure 6). Les cultures telles que le maïs, la patate douce, le manioc et le pois du cap sont priorisées. Cette pratique de polyculture s’avère bénéfique car non seulement elle répond à l’insuffisance des champs, mais elle permet aussi de varier les productions.
Figure 6 : polyculture (Ankililoaka) (à gauche) et conversion du lit du fleuve Onilahy (à droite) (Ambohimahavelona) (juillet 2022).
Crédit photos : Ravanomanantsoa Hery Nantenaina.
- 2 Repiquage en foule.
- 3 Repiquage en ligne.
42Plus au Sud, le long du fleuve Onilahy et à Bezaha, on constate une conquête de nouvelles terres arables. Pendant son étiage, le lit du fleuve Onilahy est creusé puis converti en rizière (figure 6). Cela constitue une alternative permettant d’augmenter les surfaces rizicoles cultivées. Cette nouvelle pratique favorise la satisfaction des besoins hydriques de la riziculture. Par ailleurs, dans les localités où les conditions hydro-agronomiques sont meilleures, trois saisons rizicoles ont lieu par an dans le but d’améliorer les récoltes. Il s’agit du varyaloha (riz cultivé entre juillet et novembre), du tsivalataona (riz cultivé entre novembre et février) et du tsipala (riz cultivé entre janvier et mai). Pour cela, les techniques rizicoles exigeant moins d’efforts sont priorisées. « Je préfère plutôt le ketsasaritaka2 qui est plus rapide vu qu’on cultive du riz trois fois en une année. Je sais que les techniques de repiquage récentes comme le ketsa an-daliny3 offrent des meilleures récoltes, mais elles se pratiquent de moins en moins car nécessitant beaucoup de temps. » (Rasoananahary, 65 ans, Mère de famille, 24 septembre 2023.)
43La variation et l’incertitude des productions liées aux sècheresses devenues plus récurrentes obligent la majorité des ruraux à se convertir ou à combiner l’agriculture avec d’autres activités génératrices de revenus. Une fois les cultures installées, des activités qui permettent de gagner rapidement de l’argent, à savoir l’entretien des routes, la fabrication de charbon, ou encore l’exploitation forestière, sont exercées afin de compenser la baisse des récoltes. Dans les communes littorales comme Ankililoaka, la pêche constitue également une autre source de revenus. Les pêcheurs ne cessent d’augmenter ces dernières années, attirés par les ressources halieutiques encore disponibles. « En dehors des importants travaux agricoles, je pars très souvent pêcher étant donné que nous ne sommes pas très loin de la mer. Je peux partir à pied très tôt le matin et revenir l’après-midi. Cela me rapporte un peu d’argent car les poissons sont encore abondants même si le nombre de pêcheurs augmente. » (Alexandre, 56 ans, père de famille, 24 juillet 2022.)
44Pour le cas d’Ampanihy où les sècheresses sont plus sévères, on assiste à une migration économique des jeunes vers les centres urbains, notamment la ville de Toliara, chef-lieu de région, où ils tirent des cyclo-pousses ou exercent des métiers informels.
45Rappelons que l’élevage à caractère extensif dans le Sud-Ouest se distingue par la prédominance des ruminants. Le pastoralisme subit aussi les impacts néfastes des dérèglements climatiques face auxquels les pasteurs tentent d’apporter des réponses. Les sècheresses fréquentes, responsables du tarissement des points d’eau et le manque de pâturage préoccupent les éleveurs qui subissent déjà les vols. Il en résulte que la plupart des stratégies d’adaptations observées ont lieu durant la période sèche. Compte tenu de la rusticité plus élevée des petits ruminants (ovins, caprins) face aux sècheresses et à la diminution des pâturages, certains pasteurs préfèrent désormais en élever plutôt que des zébus qui sont plus sensibles. « Il est vrai que nous avons forcément besoins des zébus, surtout pour des événements familiaux. Voilà pourquoi j’en garde quelques-uns. Mais élever des zébus devient plus complexe compte tenu des risques liés aux sècheresses et les vols. Je préfère plutôt élever des petits ruminants qui sont plus rustiques et à l’abri des vols. » (Boto-Justin, 25 septembre, 2022.)
46Dans l’ensemble des localités enquêtées, nous avons constaté que, durant la période la plus sèche (entre septembre et novembre), les feuilles de certains cactus servent d’alimentation aux animaux, après avoir éliminé leurs épines par le feu (figure 6). Ces feuilles grasses constituant à la fois des sources d’eau et de fibres semblent encore disponibles, excepté à Ampanihy où les cactus sont en régression.
- 4 Zone de pâturage à zébus
47Dans la commune de Bezaha, surmonter les périodes sèches nécessite une bonne connaissance de l’environnement, notamment l’emplacement des points d’eau et des endroits où le pâturage est encore assez abondant : « Nos animaux sont gardés par nos enfants dans letoets’amomby4. Face aux sècheresses actuelles, les sources se tarissent facilement et la façon d’en prendre soin leur est scrupuleusement indiquée afin de faciliter la conduite des animaux. Les sources doivent être couvertes par des blocs de pierre ou par des branches pour éviter leur insalubrité et leur tarissement. Nous leur transmettons également la connaissance des plantes qui servent à soigner et les herbes préférées des animaux. De cette façon, ils peuvent prendre soin des animaux de façon indépendante car les toets’aomby sont loin du village » (Claire, paysanne, mère de famille, 50 ans, 5 Septembre 2022).
48Par ailleurs, la pratique du feu de pâturage en vue de faire régénérer des jeunes herbes est également observée. Les mises à feu ont lieu entre septembre et octobre en fonction de la disponibilité des pâturages. C’est durant cette même période que la conduite des animaux est la plus difficile et peut occasionner leurs morts. « La plupart des points d’eau dans nos toets’aomby ont tari l’an passé. Ceci a causé la mort de 70 de mes 200 bœufs. La situation est vraiment décourageante. Par conséquent, j’ai dû vendre à bas prix certains bœufs afin de construire une maison. Cela me semble plus sûr étant donné les risques et me permet d’avoir une autre source d’argent » (Ravoavy, paysan, 47 ans, 07 août 2022). Face à cette situation, les pasteurs interviennent régulièrement, soit en creusant des puits sur le lit des cours d’eau, soit en cherchant d’autres sources plus loin pour l’abreuvement.
49Selon les enquêtes menées dans cette même commune, le long parcours n’est pas indispensable pendant la saison pluvieuse, car les espèces ligneuses et la savane sont encore abondantes. Les animaux ne s’éloignent pour le pâturage et les points d’eau qu’à mesure que la sécheresse progresse. Cependant la restriction des terres et la domination de l’agriculture posent un réel problème au caractère extensif de l’élevage qui exige un vaste espace. Certains troupeaux sont ainsi gardés dans les forêts. Ceci facilite leur conduite et permet en même temps de prévenir les vols. Les omby lia (zébus sauvages) sortent difficilement des forêts où ils vivent.
50Dans la commune de Fotadrevo où trois à quatre années sèches peuvent se succéder, les moyens d’adaptation de l’élevage sont très limités (Bidou 2007). Nous avons remarqué qu’une fois les récoltes moissonnées, les sous-productions agricoles et les pailles de riz sont précieusement stockées (figure 6) afin de faciliter la traversée de la longue période sèche.
Figure 7 : stockage de paille (à gauche) et figuiers de barbarie désépinés par le feu pour alimenter les animaux en période sèche (à droite), Fotadrevo, juillet 2022.
Crédit photos : Ravanomanantsoa Hery Nantenaina.
51Les effets du changement climatique dans la région du Sud-Ouest de Madagascar sont une réalité largement présente dans les discussions paysannes. Les analyses climatiques montrent une diminution des pluies durant les deux dernières décennies et ce constat converge avec les perceptions locales. Cette baisse est d’autant plus marquée qu’elle fait suite à quelques années humides autour de l’an 2000. Cependant, des dates d’apparition des années sévèrement sèches peuvent être différentes selon les localités. Ceci peut être en lien avec les conditions agroécologiques différentes et la forte variation spatiale des pluies évoquée par Harrington et al. (2021). La détermination des dates de début et de fin de saison entre 2000 et 2021 fait part d’une forte fluctuation des dates. Certaines saisons ont été très courtes à cause des arrivées tardives des premières pluies. Ces modifications ont été considérées comme en partie responsables des échecs agricoles par les paysans. Ce constat rejoint les travaux de Delille (2011) qui démontrent un raccourcissement de la saison des pluies dans le Sud-Ouest qui pèse depuis 3 à 10 ans de façon très visible sur les exploitations agricoles.
52Si l’augmentation des températures est moins abordée, ne déterminant pas directement les activités paysannes, la comparaison des moyennes thermiques sur les deux périodes 1980-2000 et 2020-2022 affiche une augmentation de l’ordre de 1°C. Ce chiffre est à prendre avec précaution, car les estimations satellitaires entrent en concurrence avec les données prises au sol. Si l’on se réfère aux rares études sur l’évolution de la température dans la partie Sud de Madagascar, elles confirment cependant la hausse de la température de l’air. Les modélisations récentes de la DGM prévoient une augmentation entre 1,3° C et 1,6° C d’ici 2050 (Rakotondrazafy et al., 2010).
53À l’échelle des communes enquêtées, les impacts du changement climatique se traduisent au quotidien par la baisse des récoltes, la difficulté de la conduite des zébus, la recrudescence des vols des zébus. Afin de minimiser les effets liés à ces changements, différentes mesures ont été adoptées, dont la modification du calendrier cultural et le choix des variétés plus résistantes au manque d’eau. Les impacts du changement climatique dans la région d’Analanjirofo, une zone humide malagasy, sont vécus à travers des risques liés aux cyclones qui deviennent plus fréquents et plus intenses. Des changements des régimes des pluies ont été également avancés en tant que responsables de la précarité des systèmes agraires, en particulier les cultures vivrières et celles de rentes. En réponse à cette mutation climatique, un réajustement du calendrier cultural est opéré. La culture de girofle est également abandonnée progressivement au profit des poivriers et vanilliers qui sont plus résistants aux cyclones. (Raharinjanahary et al., 2010). Bien que le climat du Bénin soit plus humide que celui du Sud-Ouest, les résultats des entretiens de groupe et du questionnaire individuel dans le Sud du pays ont montré des résultats similaires, les perceptions paysannes faisant part d’une diminution du cumul pluviométrique et d’une modification des dates de début et fin de saison des pluies. Face à cette situation, des mesures locales ont été mises en place, à savoir la modification des dates de semis, le choix des variétés à cycle court, le changement d’heures de travail, les rituels aux divinités, etc. (Ulrich et al., 2013). Les savoirs paysans autour du changement climatique peuvent être finalement associés aux savoirs scientifiques du fait de leurs ressemblances (Bambara et al., 2016). Mais ces savoirs peuvent aussi être en contradiction avec les observations climatiques dans les zones où les pluies restent stables ces dernières années. D’une part, cette divergence peut être liée au fait que les observations climatiques sont réalisées à l’échelle régionale alors que les connaissances paysannes se fondent sur des perceptions à l’échelle locale. D’autre part, les perceptions peuvent être ressenties de façon beaucoup plus prononcée en fonctions des dégâts et des événements exceptionnels (Kosmowski et al., 2015). La prise en compte de ces savoirs paysans pouvant compléter les savoirs scientifiques reste importante dans la compréhension des phénomènes climatiques et pour la recherche des mesures d’adaptations appropriées et durables.
54La région du Sud-Ouest malagasy est particulièrement vulnérable aux changements climatiques. Le système de production paysanne qui assure la survie de la plupart des populations est sensible à ces récentes mutations climatiques. L’ensemble de la région a accusé une baisse pluviométrique et une hausse des températures d’environ 1° C. Dans la vie quotidienne, ceci est perçu par la baisse généralisée de production, avec des petites différences d’une localité à une autre. Afin de minimiser les dégâts et tirer parti de la situation, les populations rurales apportent différentes réponses suivant leur perception, les moyens à leur disposition et leurs connaissances traditionnelles et empiriques. Les mesures mises en place sont cependant insuffisantes. Le système agro-pastoral demeure très précaire et fait face aux risques multiples d’ordre climatique et socio-économique. De plus, on assiste à une perte des ressources forestières qui font l’objet d’une exploitation intense pour compenser les baisses de production agricole. La compréhension des savoirs locaux appuyés par des connaissances scientifiques est ainsi indispensable afin de mettre en place des mesures d’adaptation plus efficaces et durables.