• 1 Philippe Artières, « A. Lacassagne : de l’archive mineure aux Archives d’anthropologie criminelle » (...)
• 2 Les travaux des criminologues ont notamment conduit à l’élaboration d’une distinction entre deux ca (...)
• 3 Ce thème est abordé lors du XII^e Congrès international pénal et pénitentiaire organisé à la Haye en (...)
• 4 Conseil supérieur de l’administration pénitentiaire, Année 1952. Rapport annuel sur l’exercice 1950 (...)
• 5 Nicolas Derasse, Jean-Claude Vimont, « Observer pour orienter et évaluer. Le CNO-CNE de Fresnes de (...)

1Au cours du XIX^e siècle, l’émergence de la criminologie, sous la houlette notamment des criminologues Cesare Lombroso et Alexandre Lacassagne, place les criminels sous le regard des savants et permet d’utiliser les criminels « comme des sujets capables de produire du savoir sur eux-mêmes ou sur leurs condisciples1 ». Cette volonté d’élaborer une connaissance à partir de l’observation des criminels constitue une première tentative relativement limitée pour établir une classification assortie d’un régime pénal adapté à chaque catégorie de condamnés2. Le thème de la classification des délinquants va connaître un important regain d’intérêt auprès de la plupart des spécialistes des questions pénitentiaires après la Seconde Guerre mondiale3. En France, l’impulsion décisive à l’élaboration et la mise en œuvre d’une technique pénitentiaire dédiée à l’observation et à l’orientation des condamnés émerge avec la réforme encouragée à la Libération par le directeur de l’administration pénitentiaire, Paul Amor. Le « centre de triage de Fresnes » ouvre effectivement ses portes le 15 août 1950, avant de devenir centre national d’orientation (CNO) le 3 novembre 1951. Le rapport annuel de l’administration pénitentiaire pour l’exercice 1950 le présente comme l’une des réalisations nouvelles « dans le sens d’une plus grande individualisation de la peine », au même titre que le home de semi-liberté pour les jeunes détenus de la prison-école d’Oermingen, de la prison-école de Doullens et du centre d’observation psychiatrique de Château-Thierry4. Le CNO prend effectivement place parmi toutes ces institutions pénitentiaires nouvellement créées à la Libération dans le cadre de la réforme et en constitue même le véritable « pilier »5.

• 6 Jean Pinatel, « Chronique pénitentiaire », Revue de science criminelle et de droit pénal comparé, 1 (...)

2Le 9 décembre 1944, une commission chargée d’étudier, d’élaborer et de soumettre au garde des Sceaux les réformes relatives à l’administration pénitentiaire est instituée au ministère de Justice6. Paul Amor lui soumet un rapport qui va donner lieu à une réforme en quatorze points, plus connue sous le nom de « réforme Amor ». Le premier point concerne la peine privative de liberté qui doit désormais avoir pour « but essentiel l’amendement et le reclassement social du condamné ». Mais pour que la prison puisse produire ce résultat, il est nécessaire qu’elle ait pour corollaire une « sélection scientifique des détenus ». Ainsi, la réforme Amor fait reposer le régime pénitentiaire des condamnés à une longue peine d’emprisonnement sur des principes d’individualisation et de progressivité. Cette orientation est énoncée aux points 7 et 8 de la réforme :

• 8 Conseil supérieur de l’administration pénitentiaire, Rapport annuel sur l’exercice 1950 présenté le (...)
• 9 Centre national d’observation, rapport annuel 1951, AN 19960148/159.

4La création du CNO est destinée à permettre une meilleure individualisation du parcours de peine, cette dimension ayant été largement négligée jusqu’aux années 1950 : « Jusqu’ici, les détenus condamnés à de longues peines étaient dirigés sur tel ou tel établissement au hasard des transferts et des places disponibles, sans qu’il puisse être tenu compte d’éléments individuels que l’Administration ignorait. La nature et la durée de la condamnation constituait leur seule étiquette8. » Les surveillants-chefs et les directeurs à la tête des maisons d’arrêt décidaient la plupart du temps seuls de l’affectation d’un détenu après sa condamnation et cette orientation dépendait uniquement de leur choix. Ils avaient donc tendance à conserver à leur service les détenus observant un bon comportement et disposant de qualifications professionnelles intéressantes et à se débarrasser des autres en les orientant vers des maisons centrales disposant de places de libres. Enfin, pour se prononcer, ils ne disposaient que de très peu de données sur le condamné, tout juste son extrait de jugement et sa notice individuelle. Ces orientations aléatoires entraînaient un risque pour la sécurité des personnels réceptionnant ces détenus, car ils étaient peu informés sur leur personnalité et donc sur la potentielle agressivité de certains d’entre eux. Le CNO va donc permettre « de spécialiser les établissements et d’envoyer les bons [détenus] avec les bons, les pires avec la pègre9 » grâce à l’introduction d’un modèle hérité de l’Éducation surveillée et de la détention des mineurs.

• 10 Jean-Lucien Sanchez, Les détenus mineurs de la maison d’éducation surveillée de Fresnes, 1929-1958, (...)
• 11 Élise Yvorel, Les enfants de l’ombre : la vie quotidienne des jeunes détenus au XXe siècle en Franc (...)
• 12 Jean-Lucien Sanchez, « Un des nombreux enfants perdus en Allemagne du fait de la guerre », Revue d’ (...)

5Le premier « centre de triage » et d’observation ouvre ses portes à la maison d’éducation surveillée (MES) de Fresnes en 1930 et concerne des détenus mineurs10. Cette MES, qui se situe dans le quartier des hommes de la prison, est exclusivement réservé aux garçons11. Les prévenus font l’objet d’une enquête sociale et d’une évaluation conduite par une équipe constituée du sous-directeur de l’établissement, d’un instituteur, d’un médecin et d’un psychiatre. Le dossier d’observation constitué par ces intervenants est ensuite transmis au juge des enfants afin qu’il puisse s’appuyer sur ses conclusions pour orienter le mineur (remise à ses parents, remise à une société de patronage ou bien envoi dans une autre maison d’éducation surveillée)12.

• 13 Véronique Blanchard, Mathias Gardet, Mauvaise graine. Deux siècles d’histoire de la justice des enf (...)
• 14 Christian Sanchez, « Les centres d’accueil et de triage de l’Éducation surveillée : 1941-1950 », Re (...)

6Cette technique pénitentiaire va ensuite être institutionnalisée par la loi du 27 juillet 1942 relative à l’enfance délinquante qui, en s’inspirant de l’exemple de l’Italie, instaure des centres d’observation pour mineurs auprès de chaque tribunal pour enfants et adolescents. L’article 27 précise que : « Les mineurs y sont soumis, par toutes les méthodes appropriées, à un examen portant notamment sur leur état physique, intellectuel et moral et sur leurs aptitudes professionnelles. Les observations ainsi recueillies sont transmises au tribunal pour enfants et adolescents. » Même si cette loi est en définitive peu appliquée, elle donne lieu à l’ouverture du centre d’observation public de Paris13. Celui-ci est en fait composé des centres des Tourelles (1942-1945), de Charenton (1945-1949), de la rue de Madrid (1943-1948), de la rue de Crimée (1941-1947) et de Villejuif (1943-1950)14.

• 15 Jean-Jacques Yvorel, Ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante, Musée Criminoco (...)
• 16 Sur l’organisation de cette direction cf. Ministère de la Justice, Direction de l’Éducation Surveil (...)
• 17 Toutefois, l’article 8 de l’ordonnance du 2 février 1945 prévoit qu’un mineur âgé de plus de treize (...)
• 18 Jacques Bourquin et Michel Robin, « De l’Éducation surveillée à la Protection judiciaire de la jeun (...)
• 19 Savigny-sur-Orge, Enfants en justice, XIX-XX^e siècles, consulté le 5 septembre 2019. URL : http://e (...)

7Par la suite, l’ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante indique que le juge des enfants doit recueillir des renseignements sur un mineur prévenu en ordonnant une enquête sociale « sur la situation matérielle et morale de la famille, sur le caractère et les antécédents de l’enfant, sur sa fréquentation scolaire, son attitude à l’école, sur les conditions dans lesquelles celui-ci a vécu et a été élevé et sur les mesures propres à assurer son relèvement »15. Durant la période d’instruction, le juge peut confier provisoirement le mineur à une « institution d’éducation » et, s’il estime que son état physique ou mental exige une observation médicale ou médico-psychologique, il peut également ordonner son placement provisoire dans un « centre d’observation ». Une direction de l’Éducation surveillée est ensuite créée au sein du ministère de la Justice le 1^er septembre 194516 et la gestion de la détention des mineurs lui revient désormais17. Cette nouvelle direction a en charge la gestion des centres d’observation publics d’éducation surveillée (COPES) et des institutions publiques d’éducation surveillée (IPES) créés par l’ordonnance du 2 février 194518. Par exemple, le COPES de Savigny-sur-Orge ouvre ses portes en juillet 1945 et a en charge les mineurs pour lesquels le tribunal pour enfants de la Seine a ordonné un placement provisoire en observation. Ils y sont évalués par une équipe pendant trois mois en moyenne puis leur dossier est ensuite transmis au juge pour enfants19.

• 20 Il s’agit de la Nouvelle-Calédonie (de 1887 à 1896) et de la Guyane (de 1887 à 1945).
• 21 Jean-Lucien Sanchez, « La relégation (loi du 27 mai 1885) », Criminocorpus [En ligne], Les bagnes c (...)
• 22 Conseil supérieur de l’administration pénitentiaire, séance du 29 mars 1949, Revue pénitentiaire et (...)
• 23 Albert Gayraud, « L’expérience de Loos en 1948-49 », in Pierre Cannat, Albert Gayraud, Roger Vienne (...)
• 24 Extrait du rapport d’ensemble présenté par l’inspection générale de l’administration : administrati (...)

8Cette technique va ensuite se diffuser aux détenus majeurs. Un premier « centre d’observation et de triage » est créé à la maison centrale de Loos en 1948. Mais il ne concerne que des relégués qui sont des condamnés récidivistes majeurs frappés d’un internement à vie sur le sol d’une colonie20 en vertu de la loi du 27 mai 1885 sur la relégation des récidivistes21. Comme leurs convois en direction de la Guyane sont suspendus à partir de décembre 1938 du fait du déclenchement du second conflit mondial, ils sont maintenus provisoirement dans des établissements pénitentiaires métropolitains. Mais face à leur nombre croissant, un décret du 6 juillet 1942 légalise leur maintien sur le sol métropolitain et, surtout, décide qu’ils peuvent dorénavant bénéficier d’une libération conditionnelle à l’issue de trois ans de relégation. Toutefois, comme beaucoup d’entre eux sont rapidement réintégrés, l’administration pénitentiaire décide au mois d’avril 1948 de tenter une expérience à la maison centrale de Loos. 42 relégués issus de la maison centrale de Saint-Martin-de-Ré, relativement bien notés, sont placés dans le quartier cellulaire de la maison centrale de Loos pour y être observés un an22. Et un règlement en date du 10 mars 1948 les soumet à un régime progressif accompagné d’une phase d’observation23. Ce régime se décompose en trois phases : une phase d’isolement absolu (6 mois) ; une phase de sorties-promenades individuelles (3 mois) ; et une phase de placement en semi-liberté (3 mois). Si le relégué parvient à surmonter l’ensemble de ces épreuves, il peut alors bénéficier d’une libération conditionnelle. Il est évalué durant tout ce processus par un « personnel d’observation » constitué d’un sous-directeur, d’un surveillant-chef, d’un éducateur, d’une assistante sociale, d’un magistrat, de médecins et d’un psychomotricien. Chacun d’entre eux visite presque chaque jour le relégué et constitue progressivement son dossier d’observation. Les résultats de cette évaluation permettent de séparer les relégués en trois catégories et d’adapter un régime particulier pour chacun d’entre eux : les « dangereux actifs ou antisociaux ; les dangereux passifs ou asociaux ; [et] les amendables24. » Puis une commission de classement se réunit pour décider de leur sort, notamment de l’octroi d’une libération conditionnelle. Ce centre d’observation et de triage pour relégués va constituer, dans le prolongement de la MES de Fresnes, un premier modèle d’inspiration pour le CNO. Mais le véritable élément déclencheur de la création du CNO est à rechercher de nouveau du côté de l’Éducation surveillée et des problèmes rencontrés avec la mise en place des établissements à régime progressif.

• 25 Le régime pénitentiaire d’Auburn, en référence à la prison d’Auburn aux États-Unis où il a été appl (...)

10Le régime progressif dans les établissements pour adultes fonctionne sur le même mode. Dans les maisons centrales de Melun, Caen, Mulhouse et Ensisheim, il se décompose également en quatre phases. À une phase d’un an d’enfermement cellulaire strict succède une phase dite « d’Auburn25 » où les détenus sont divisés en trois groupes : 1. Amendables ou présumés tels ; 2. Éléments douteux ; 3. Inamendables ou présumés tels. La troisième phase dite d’amélioration est atteinte lorsque les détenus ont réuni les trois conditions suivantes :
- Deux ans de présence dans le groupe 1 ;
- L’obtention de 800 points (ce nombre est atteint grâce à un système de notation hebdomadaire allant de 0 à 10 qui est constitué par la synthèse des notes données par les différents agents de l’équipe d’observation) ;
- Et que les détenus soient admis à la troisième phase par la commission de classement.

• 26 Dépendants du ministère de l’Intérieur, les inspecteurs généraux des services administratifs ont la (...)

12L’accès à cette ultime phase leur permet de pouvoir intégrer des chantiers extérieurs avant de bénéficier d’un placement en semi-liberté. Mais les directeurs des établissements réformés se plaignent de devoir recevoir dans leurs établissements des détenus qui ne présentent pas le profil adéquat. Et l’inspection générale des services administratifs regrette à son tour qu’il n’existe pas pour les établissements réformés pour adultes un centre de triage comme celui aménagé pour les mineurs à la maison d’arrêt de Rethel26. Cela permettrait d’après elle de mieux orienter en amont les détenus majeurs vers les établissements réformés. Une commission est donc instituée et elle aboutit en 1950 à la création du CNO :

• 28 Compte-rendu sur le fonctionnement du centre d’observation et de triage pendant l’année 1950, AN 19 (...)
• 29 Vers une détention éducative. Rapport sur le Centre national d’orientation de Fresnes. Présenté le (...)
• 30 Bureau de l’individualisation, L’orientation des détenus, Note pour le directeur, 1980, AN 20070335 (...)

13Avant d’être adressés au CNO, tous les condamnés définitifs à plus d’un an de prison détenus dans les maisons d’arrêt en France métropolitaine se voient établir un dossier préliminaire préparé par le bureau de l’application des peines de la DAP. Ce dossier comprend un extrait de l’acte d’accusation ou un exposé des faits ayant motivé la condamnation, une enquête sociale détaillée et une notice de renseignements sur la conduite du détenu dans sa maison d’arrêt d’origine28. Puis le bureau envoie ces détenus par groupes de 80 à 90 effectuer un séjour de six semaines au CNO29. Afin de faciliter la tâche du bureau de l’application des peines, une circulaire du 26 juin 1953 instaure un « index de préclassification » pour chaque condamné définitif30. Celui-ci doit être rédigé et transmis dans les 24 heures au directeur de la circonscription pénitentiaire qui doit le faire ensuite parvenir au bureau de l’application des peines. Il comprend de nombreuses informations relatives à l’état civil du détenu, à sa situation pénale, ses antécédents, son état de santé, sa conduite en détention, etc. À la réception de cet index, le bureau décide soit de mettre le détenu à la disposition du directeur de la circonscription pénitentiaire ; soit de l’affecter directement dans un établissement pour peines ou dans une autre circonscription régionale ; soit, enfin, de l’envoyer au CNO.

• 31 Il est également chargé de suivre l’élaboration du dossier d’observation et doit établir une biogra (...)

14Les locaux du CNO sont aménagés aux mois de juin et juillet 1950 et le centre ouvre ses portes le 9 août suivant. Il est directement placé sous l’autorité du directeur des prisons de Fresnes. Un sous-directeur est spécialement affecté à sa direction et procède lui-même à des observations. Il est flanqué d’un commis qui réalise aussi des observations ainsi que la synthèse des diverses enquêtes conduites sur les détenus. Le personnel est constitué de quatre gradés (un surveillant-chef et trois surveillants-chefs adjoints) et de 27 surveillants. Le service d’observation est constitué d’un médecin psychiatre, d’un psychotechnicien détaché par le ministère du Travail, d’un interne qui assure le service médical et d’une infirmière. À partir de 1952, un éducateur a la charge d’accueillir individuellement les détenus et de leur expliquer le but de leur passage au CNO31.

• 32 Centre national d’observation, rapport annuel 1951, AN 19960148/159.

16Le bâtiment comprend 129 cellules réservées à la détention. Une cellule mesure 4 mètres de long, 2,50 mètres de large et 3 mètres de haut. Le mobilier est constitué d’un lit en métal scellé au mur, d’une table scellée également, d’un tabouret, d’un placard individuel avec un porte-manteau et d’un WC avec chasse d’eau. Parmi ces cellules, six sont renforcées par une grille pour accueillir des détenus considérés comme dangereux. Trois autres ne possèdent qu’un vasistas pouvant être obstrué par un volet et font office de cellules de punition. L’ensemble donne donc un total de 139 cellules réparties sur trois paliers (un rez-de-chaussée et deux étages). Pour faciliter les observations, les détenus sont soumis au régime cellulaire intégral, ceci afin d’interdire toute communication entre eux32.

• 34 Cf. par exemple Jean Marcel Coly, Le centre national d’orientation de Fresnes (Études sur la délinq (...)
• 35 Compte rendu sur le fonctionnement du centre d’observation et de triage pendant l’année 1950, AN 19 (...)
• 36 Cesare Lombroso (1835-1909) est un criminologue italien qui a défendu dans son ouvrage L’uomo delin (...)

19Les examens pratiqués au CNO permettent essentiellement de répartir les condamnés dans les établissements pénitentiaires en fonction de leur profil, de spécialiser en retour ces établissements et de permettre des études criminologiques (grâce aux analyses quantitatives ou qualitatives tirées des observations effectuées)34. Car outre sa fonction d’orientation, le CNO vise également à mieux comprendre le criminel et les circonstances dans lesquelles il a produit son acte. Le centre conserve effectivement les dossiers de tous les condamnés et peut donc renseigner rapidement l’administration pénitentiaire en cas de besoin et ces documents permettent en retour de réaliser des études. Ainsi, dès le premier rapport du CNO en 1950, le psychotechnicien indique que : « contrairement aux affirmations de certains spécialistes le « délinquant-né » ne semble pas exister. L’influence du milieu est primordiale et tient une place prépondérante dans la genèse des délits35 ». Ce constat, basé sur l’analyse des observations réalisées, est confirmé en conclusion de la deuxième session du CNO où le psychomotricien insiste à nouveau pour disqualifier la thèse du criminel-né défendue notamment par le criminologue Cesare Lombroso36 :

• 38 Centre national d’observation, rapport annuel 1951, AN 19960148/159.

21À partir de mai 1951, le CNO assure une nouvelle mission en examinant des condamnés signalés par des médecins comme présentant des troubles mentaux. L’équipe doit décider si leur état justifie ou non leur admission au centre d’observation psychiatrique de Château-Thierry. Auparavant, les détenus suspectés de maladie mentale étaient envoyés directement depuis leurs établissements au centre de Château-Thierry. Mais certains simulaient et d’autres étaient des « débiles séniles qui ne [pouvaient] guère espérer d’amélioration de leur état et dont l’affectation à la section des vieillards de la Chataigneraie [était] mieux justifiée, d’autres enfin et surtout étaient tout simplement des éléments indésirables dans leur maison d’origine, sans être pour cela de véritables malades mentaux38 ».

• 39 Supra p. 20.
• 40 Examen général ; radioscopies, examens sérologiques, prophylactiques et odontologiques systématique (...)
• 41 Ce rapport renseigne sur les antécédents héréditaires au niveau des parents, des grands-parents, on (...)

22Comme nous l’avons vu plus haut39, le détenu envoyé au CNO dispose déjà d’un dossier individuel assez fourni à son arrivée. Celui-ci va permettre à l’équipe d’observation de se faire une première idée de sa personnalité, d’orienter les interrogatoires et de contrôler la véracité de ses dires durant les examens. Le détenu est soumis à une série de quatre examens aux CNO. Il s’agit tout d’abord d’examens médicaux assez poussés40. Puis il est soumis à un examen psychiatrique s’il présente un profil « pathologique » ou à un examen psychologique s’il présente un profil « normal ». L’examen psychiatrique est pratiqué au cours d’entretiens individuels et le psychiatre doit ensuite rédiger un rapport très détaillé41. À partir de cet examen, le psychiatre doit tirer des conclusions sur les rapports qui peuvent exister entre « l’état mental et la délinquance du détenu, sur son orientation pénitentiaire souhaitable et sur la contre-indication de certains régimes » (comme le régime cellulaire, par exemple, pour des détenus enclins à des réactions dépressives). Il doit également se prononcer sur la nature des surveillances à exercer selon les caractéristiques psychologiques du détenu et délivrer un pronostic sur les « chances d’amendement et de récupération sociale ou au contraire de probabilité de récidive ».

• 42 Ces observations portent sur l’adaptation au régime cellulaire ou en commun, l’assiduité au travail (...)

23Le détenu fait ensuite l’objet d’un examen de la part du personnel pénitentiaire. Celui-ci doit effectuer des « observations pénitentiaires42 » pour décider s’il pourra être soumis à un régime cellulaire ou si, au contraire, il faudra l’orienter vers un établissement au régime en commun.

• 43 Le sous-directeur du centre de triage au directeur de l’administration pénitentiaire, 4 octobre 195 (...)

24Enfin, il est soumis à des examens psychotechniques destinés à établir un bilan psychologique pour connaître le plus précisément possible ses aptitudes professionnelles. Ce point est de loin celui qui est le plus développé dans les rapports annuels du CNO, car le travail est considéré comme le pivot de la réinsertion des détenus dans les établissements réformés. L’administration des tests psychotechniques se fait en deux phases. Les détenus sont d’abord soumis à des tests d’intelligence (intelligence logique, compréhension mécanique, représentation spatiale et intelligence verbale) et de connaissances scolaires. Ils doivent également renseigner un questionnaire d’intérêt et de motivation. Puis ils sont ensuite soumis à des tests de manipulation : coordination motrice, dextérité, etc. Enfin, ils sont questionnés sur leurs connaissances professionnelles43. À l’issue de cet examen, les détenus sont divisés en plusieurs catégories : les ouvriers qualifiés pouvant être employés dans leur métier ; les candidats à une formation professionnelle ; les ouvriers spécialisés susceptibles de pouvoir s’adapter à différents postes ; et les manœuvres.

• 44 Centre national d’observation, rapport annuel 1951, AN 19960148/159.

26L’orientation s’effectue néanmoins en tenant compte, certes, de l’intérêt du détenu, mais également de la durée de sa peine ainsi que de son « avenir post pénal et des nécessités de l’administration pénitentiaire44». Et ces nécessités comptent énormément dans le choix de la commission, comme en témoignent les tableaux suivants qui présentent les diverses possibilités d’orientation offertes aux détenus selon leur profil et les conditions auxquelles ils doivent répondre pour pouvoir y accéder.

• 45 Sur ce nombre, 6 détenus ont été affectés à Périgueux pour des faits de collaboration.

27Comme on peut le constater à la lecture de ces tableaux, l’orientation est donc étroitement corrélée aux aptitudes professionnelles des détenus. Et également aux besoins en main-d’œuvre exprimés par l’administration pénitentiaire. Voici par exemple la répartition de 715 détenus examinés au CNO durant l’année 195845. Sur ce nombre, 5,70 % sont orientés vers des établissements à caractère médical :

• 46 Le sous-directeur du centre de triage au directeur de l’administration pénitentiaire, 4 octobre 195 (...)

31L’objectif initial du CNO demeure celui d’orienter les détenus à de longues peines selon leur profil afin, notamment, de repérer en amont ceux susceptibles de pouvoir bénéficier du régime offert par les « centres de réforme ou d’apprentissage ». Comme l’indique le directeur du CNO au directeur de l’administration pénitentiaire en 1951, c’est parce que le condamné n’a pas pu disposer de l’opportunité d’apprendre un métier qui lui permette de gagner correctement sa vie ou parce qu’il n’a pas reçu une éducation suffisante dans son milieu familial, qu’il a, selon lui, versé dans la délinquance ou dans le crime46. Le passage au CNO vise donc à orienter les détenus vers les structures les mieux adaptées afin qu’ils puissent bénéficier d’un apprentissage et espérer une réinsertion à leur sortie. Mais en retour, le CNO permet également à l’administration pénitentiaire de disposer d’une main-d’œuvre qu’elle peut former et employer en fonction de ses besoins. Cette institution répond ainsi dans les faits à un double objectif :

• 48 Centre national d’observation, rapport annuel 1951, AN 19960148/159.

32Mais cet emploi des détenus n’est pas sans créer de difficultés pour les maisons d’arrêt qui se voient ainsi privées d’une main-d’œuvre qualifiée du fait des transferts de compétences effectués par le CNO vers les maisons centrales. La plupart des détenus évalués au CNO disposent de profils qui correspondent précisément aux attentes en main-d’œuvre des établissements vers lesquels ils sont orientés. Par exemple, le sous-directeur du CNO signale en 1951 que la maison centrale de Melun recrute ses ouvriers qualifiés (aptes en particulier aux travaux d’imprimerie et donc dotés d’un certain niveau intellectuel) exclusivement au CNO48. En contrepartie, certains directeurs et surveillants-chefs de maisons d’arrêt se plaignent de voir les détenus les mieux dotés quitter leur établissement, ce qui les gêne considérablement pour mener à bien les activités économiques nécessaires au fonctionnement de leurs prisons.

• 49 3 février 1922. Circulaire aux directeurs de circonscriptions et d’établissements pénitentiaires re (...)
• 50 31 janvier 1925. Circulaire aux directeurs des circonscriptions pénitentiaires relatives à la répar (...)

33Néanmoins, en opérant ainsi, le CNO permet surtout de faire enfin respecter le principe de séparation des différentes catégories pénales de détenus qui avait été perdu de vue depuis la période de la Seconde Guerre mondiale et de la forte surpopulation carcérale qui s’en est suivie. Et l’action du CNO permet donc de contraindre les surveillants-chefs et les directeurs des maisons d’arrêt à ne plus conserver dans leurs établissements des détenus relevant des maisons centrales, qui sont condamnés à de longues peines, et qu’ils recourent aux condamnés correctionnels à de courtes peines (moins d’un an de prison) et aux prévenus volontaires pour faire fonctionner leurs services généraux. Cette lutte n’est pas nouvelle et l’administration pénitentiaire la conduit dans les faits au moins depuis 1922. Effectivement, c’est par une circulaire en date du 3 février 1922 que le directeur de l’administration pénitentiaire avait déjà enjoint les directeurs des circonscriptions et des établissements pénitentiaires à mieux répartir dans les maisons centrales en régie les condamnés à de longues peines « de façon à utiliser les compétences professionnelles au mieux du travail pénal effectué pour le compte de l’État49». Les directeurs et les surveillants-chefs devaient alors dresser des bulletins indiquant la profession des condamnés incarcérés dans leurs maisons d’arrêt et les adresser aux directeurs des maisons centrales où ils pouvaient être utilement employés. Mais devant les faibles résultats obtenus, le directeur réitère, en vain, ses doléances en 1925 : « Je vous rappelle, de la façon la plus instante, qu’il importe de tenir compte des professions ou des aptitudes des condamnés, en même temps que des catégories pénales, pour diriger un détenu sur tel ou tel établissement50. » Ainsi, l’instauration du CNO a aussi pour objectif de permettre à l’administration pénitentiaire de reconquérir une part de sa souveraineté sur le pouvoir des surveillants-chefs et des directeurs des maisons d’arrêt et de capter une main-d’œuvre pénale dont elle avait impérieusement besoin pour pouvoir assurer la gestion économique de ses maisons centrales.