• 1 Thierry Dutour, Une société de l’honneur. Les notables et leur monde à Dijon à la fin du Moyen Âge, (...)
• 2 Claude Gauvard, « De grace especial ». Crime, État et société en France à la fin du Moyen Âge, Pari (...)

1L’importance du réseau en politique n’est plus à démontrer depuis longtemps pour la période médiévale. En ce qui concerne l’espace bourguignon, les recherches de Thierry Dutour et Cécile Becchia, pour ne citer qu’eux, ont souligné le caractère aussi patent que primordial de la constitution de réseaux sociaux, économiques et surtout politiques à l’échelle des villes et leurs implications dans les rapports des élites au prince à la fin du Moyen Âge1. En histoire de la justice, les travaux de Claude Gauvard et Nicole Gonthier, entre autres, sur les solidarités, ont montré la voie, par des études soulignant l’importance de la dimension sociale, anthropologique et politique des réseaux2.

• 3 La limite haute de la jeunesse reste cependant assez difficile à déterminer. Voir Aude Musin, Élise (...)
• 4 Pour plus d’informations sur la juridiction dijonnaise, voir Charles Bertucat, « La juridiction mun (...)
• 5 Ces sources sont constituées des liasses d’enquêtes et procès de la justice échevinale, du registre (...)

2Cet article souhaite porter la focale sur les parcours judiciaires de plusieurs habitants de la ville de Dijon dans la seconde moitié du xv^e siècle, de la fin des années 1450 à la seconde moitié des années 1470, dont la principale caractéristique réside dans l’appartenance à une même – jeune3 – génération et surtout dans ses liens avec la bourgeoisie dirigeante. Rappelons brièvement que les habitants de la ville relèvent de la justice échevinale, rendue collégialement par le maire et les échevins dont la juridiction s’étend sur l’ensemble de l’enceinte urbaine – à l’exception des espaces ecclésiastiques et de l’hôtel ducal –, et qui inclut les droits de basse, moyenne et haute justice4. S’appuyant sur les riches fonds d’archives judiciaires de la commune, qui ont déjà fait l’objet d’une présentation5, et en corrélation avec les fiches prosopographiques réalisées par Cécile Becchia sur les élites dijonnaises, il s’agira de comprendre les trajectoires d’individus régulièrement poursuivis pour de multiples cas sans être pour autant toujours condamnés, en s’intéressant à leurs interactions et à l’importance des réseaux qui ont pu leur permettre d’échapper à de nombreuses reprises à la justice, l’un d’eux parvenant même à obtenir une lettre de rémission du duc de Bourgogne. En mettant en perspective ces affaires avec d’autres cas traités par la mairie de Dijon et documentant relativement bien les réseaux de leurs protagonistes, nous essaierons surtout de montrer que l’appartenance aux élites urbaines de plusieurs des individus étudiés a pu les prémunir du déshonneur d’être condamnés par la justice, en nuançant toutefois ce propos par l’exemple de témoignages contredisant notamment leur bonne fama.

• 6 France, Lille, Archives départementales du Nord (ADN), B 1692, fol. 19v-21. L’analyse détaillée de (...)
• 7 France, Dijon, Archives départementales de la Côte-d’Or (ADCO), B II 337/1, fol. 21.
• 8 France, Dijon, ADCO, B 4506, fol. 29 ; B II 360/7, n° 834, 835 et 836.
• 9 France, Dijon, ADCO, B II 360/8, liasse 40, n° 22.
• 10 France, Dijon, ADCO, B II 360/7, n° 951.
• 11 France, Dijon, ADCO, B II 360/10, 30 décembre 1466.
• 12 France, Lille, ADN, B 1692, fol. 19v-21.
• 13 France, Dijon, ADCO, B 4513, fol. 36v-37. Sur la quasi-systématisation de l’amende civile, voir Rud (...)
• 14 France, Dijon, ADCO, B II 360/10, 11 mai 1467.
• 15 France, Dijon, ADCO, B II 360/10, 8 juin 1467.
• 16 France, Dijon, ADCO, B II 360/10, 24 juillet 1467.
• 17 France, Dijon, ADCO, B II 360/11, 30 décembre 1471 ; B II 360/13, 1^er octobre 1476.

3L’origine de cette recherche tient dans l’investigation initialement menée sur le parcours criminel de Jehan de Marnay, prévôt de la ville de Dijon en 1466-1467, dont l’enquête concernant l’homicide qu’il avait commis le 30 décembre 1466 a pu être confrontée à la lettre de rémission qu’il a obtenue le mois suivant ce crime6. Le dépouillement des liasses d’enquêtes et procès de la justice échevinale a pu mettre en exergue une quinzaine d’autres affaires dans lesquelles il était impliqué, aux côtés de certains complices qui avaient eux-mêmes été poursuivis pour d’autres cas. Il est arrêté une première fois en 1457 avant d’être élargi de prison pour une affaire dont la nature n’est pas précisée7. L’année suivante, au mois de juillet, il est condamné à 5 livres tournois d’amende pour le viol qu’il a commis avec Guiot Fourcault – condamné à la même peine – contre Huguette, une fille de Jehan de Pressigney8. On compte ensuite une dizaine de cas consistant le plus souvent en injures, menaces, coups et blessures et, à deux reprises, pour vol ou complicité de vol qui ne sont toutefois pas prouvés. En 1462, Jehan de Marnay affirme d’ailleurs qu’il ignorait que le lit qu’il a acheté avait été volé, mais ses proches lui ont conseillé de le rendre pour éviter d’être déshonoré9. En 1460, il est à son tour victime de coups et blessures10. Les choses se compliquent à la fin de l’an 1466 car, après avoir été soupçonné d’injures et de tentative de rapt au mois de novembre, il se rend coupable d’un homicide perpétré contre Pierre Tachet le 30 décembre, alors qu’il occupe la charge de prévôt de Dijon11. Prétendant qu’il agissait initialement dans le cadre de son office, alors que l’enquête menée par la mairie tend à démontrer le contraire, il obtient néanmoins sa rémission de Philippe le Bon dans le mois qui suit, en janvier 146712. Celle-ci est entérinée moyennant le paiement d’une amende civile, comme c’est fréquemment le cas dans les rémissions bourguignonnes, d’un montant de 6 livres tournois, inscrite dans le compte du bailliage13. Jehan de Marnay est encore impliqué dans plusieurs affaires après cela. Le 9 mai 1467, il insulte et menace le tondeur Amyot Lanonnier14 ; il est présent lorsqu’Oudot Loncle injurie et frappe Nicolas Girard15 ; il figure parmi les principaux suspects – et sans doute coupables – du viol d’une femme mariée nommée Jehanne le 24 juillet suivant16. Son nom apparaît encore dans quelques affaires ultérieures, notamment en 1471 et en 147617. Précisons néanmoins que, dans une grande partie des affaires dans lesquelles il semble avoir été impliqué, il a rarement été seul mais au contraire accompagné d’un ou plusieurs complices, eux-mêmes régulièrement impliqués dans d’autres affaires.

• 18 France, Dijon, ADCO, B II 360/9, 22 juin 1464.
• 19 France, Dijon, ADCO, B II 360/10, 28 avril 1466.
• 20 France, Dijon, ADCO, B II 360/10, 26 novembre 1466 ; 30 décembre 1466.
• 21 France, Dijon, ADCO, B II 336/66. L’annotation du scribe de la mairie, indiquant que les deux suppl (...)
• 22 France, Dijon, ADCO, B II 360/10, 24 juillet 1467.
• 23 France, Dijon, Archives municipales (AMD), I 107, 14 février 1467 (n. st.). Le fait qu’Anceau ne so (...)
• 24 Humbelin a par le passé été complice des agissements de Guillaume Pechinot dit l’Enragé, quand celu (...)
• 25 France, Dijon, ADCO, B II 360/8, liasse 40, n° 39.
• 26 C’est par exemple le cas au dos de l’enquête menée contre lui pour les coups infligés à Alixandre L (...)

4Oudot Loncle est l’un de ces complices réguliers. Les liasses d’enquêtes montrent qu’il est impliqué dans au moins treize affaires entre 1462 et 1469. Outre les cas dans lesquels il est aux côtés de Jehan de Marnay, il est lui aussi régulièrement impliqué dans des situations de coups et blessures, d’assaut et jet de pierres, ou encore de tapage : il ferait partie d’un groupe déguisé en diables et déambulant de nuit dans les rues en 1464, bien que cela ne semble pas avoir été prouvé18. Il vole également une harpe en 1466, qu’il restitue néanmoins19. Huit des affaires dans lesquelles il est impliqué surviennent en 1466-1467, dont une tentative de meurtre contre Jehan Courtois le 26 novembre 1466 et, surtout, sa présence aux côtés de Jehan de Marnay lors de l’homicide commis par celui-ci contre Pierre Tachet, qui fait de lui un complice20. C’est pour cette raison qu’il adresse, au début de l’an 1467, avec le deuxième complice qu’est Anceau Getton, une supplique au maire et aux échevins de Dijon pour qu’ils reconnaissent leur innocence dans cette affaire où ils n’ont porté aucun coup à la victime21. La réponse de la mairie n’est pas conservée, cependant il est patent qu’Oudot Loncle n’a pas été davantage inquiété ni condamné puisqu’il est encore présent aux côtés de Jehan de Marnay lors du viol de la dénommée Jehanne au mois de juillet 146722. Peut-être a-t-il même obtenu un pardon ducal pour sa présence lors de l’homicide de Pierre Tachet, à l’instar d’Anceau Getton dont un mandement de la mairie – daté du 14 février 1467 n. st. – prouve qu’il a obtenu ce document, pour la copie duquel un sergent ducal est payé 5 gros tournois23. Par ailleurs, Oudot Loncle n’agit pas qu’avec la complicité de Jehan de Marnay : les deux hommes connaissent également le chaussetier Humbelin de Montroussel24, qui est complice d’Oudot dans l’agression du sergent ducal Philippe Champaigne en juillet 146325. D’après une annotation du scribe, Oudot, principal suspect, se serait en outre parjuré lors de sa déposition. Précisons encore que la totalité des affaires dans lesquelles il est impliqué n’est pas conservée, comme l’indiquent parfois plusieurs références à d’autres cas – souvent de nature similaire – le concernant dans les enquêtes26.

• 27 France, Dijon, ADCO, B II 360/8, liasse 39, n° 42 ; B II 360/8, 25 décembre 1463 ; B II 360/9, 22 j (...)
• 28 France, Dijon, ADCO, B II 360/10, 11 septembre 1467.
• 29 France, Dijon, ADCO, B II 360/10, 13 mai 1467.
• 30 France, Dijon, ADCO, B II 360/10, 11 mai 1467 ; 24-26 juin 1467.
• 31 France, Dijon, ADCO, B II 360/10, 24 juin 1467.
• 32 France, Dijon, ADCO, B II 360/11, 30 décembre 1471.

5Hugues le Goiget et Jehan Baugey sont régulièrement complices des deux individus précédents. Le premier, d’abord victime de coups en 1461 avant de menacer les filles de Gauthier Daulphinet en 1463 et de frapper Richard Faultrey en 146527, agit régulièrement avec Jehan de Marnay en 1467 ; il est aussi impliqué dans une rupture d’asseurement avec Marion la Liégeoise en septembre suivant28. Durant cette même année, les trois autres cas dans lesquels il est impliqué associent menaces, injures et coups et blessures ; il est en outre accusé de force publique, vol et sacrilège le 13 mai, ce cas en mentionnant encore d’autres auxquels il a participé durant la même année et dont certains ne sont pas conservés29. Quant à Jehan Baugey, on relève sa première participation dans une affaire en tant que complice de Jehan de Marnay en mai 1467 puis dans deux autres affaires la même année, aux côtés d’Oudot Forrey30 ; les deux sont notamment victimes de coups et blessures au mois de juin, portés par des hommes qu’ils avaient eux-mêmes agressés quelques temps plus tôt31. Il est ensuite impliqué dans plusieurs affaires de menaces, injures et coups et blessures entre 1468 et 1478, tentant même de tuer Robert La Verne en décembre 1471 avec la complicité de Jehan de Marnay et Oudot Loncle qui tiennent alors la victime32.

• 33 France, Dijon, ADCO, B II 362/01, fol. 174v et 175v.
• 34 France, Dijon, ADCO, B II 360/8, liasse 40, n° 15.
• 35 France, Dijon, ADCO, B II 360/8, 27 octobre 1463.
• 36 France, Dijon, ADCO, B II 360/9, 1^er mai 1464.
• 37 France, Dijon, ADCO, B II 360/9, 22 janvier 1465 ; B II 360/10, 9 juillet 1466 et 23 février 1467.
• 38 France, Dijon, ADCO, B II 360/10, 17 juillet 1467. Colette Joly, « Dijon sous le principat de Phili (...)

6À ces quelques parcours déjà bien fournis l’on peut ajouter celui de Richard Faultrey, précédemment cité. Il occupe la fonction de prévôt de Dijon de 1463 à 146533, et on le trouve impliqué dans au moins sept affaires entre 1462 et 1467, dont trois dans lesquelles il n’est pas suspect mais victime. Outre le vol qu’il aurait commis à l’extérieur de Dijon en 146234, il est poursuivi en octobre 1463 pour des coups et blessures portés contre Robinet de la Haye35. Il est stipulé dans cette enquête que Richard est coutumier de rançonner des individus dans la ville. En 1464, il est poursuivi pour d’autres coups et blessures et vol commis contre Jehan Cuer de Roy le Jeune et sa femme, avec la complicité de Jehan de Marnay36. Il est à son tour victime de coups, vol et injures respectivement en 1465, 1466 et 146737. Il fait également partie des émeutiers rassemblés en juin 1466, au moment de l’élection du maire, qui demandent à ce que Monnin d’Échenon accède à ce poste38.

• 39 France, Dijon, ADCO, B II 360/9, 1^er mai 1464.
• 40 France, Dijon, ADCO, B II 360/10, 23 février 1467.

7Les éléments présentés dans les paragraphes précédents montrent que la plupart de ces individus se connaissent bien. La régularité avec laquelle agissent Jehan de Marnay et Oudot Loncle, et dans une moindre mesure peut-être aussi avec Hugues le Goiget et Jehan Baugey, laisse penser qu’il existe des liens entre ces personnes qui seront présentés dans la partie suivante. Jehan de Marnay est également complice de Richard Faultrey39, tandis qu’Oudot Loncle agit à deux reprises avec la complicité d’Humbelin de Montroussel en 1463. Hugues le Goiget semble quant à lui être lieutenant du prévôt en février 146740, lorsque c’est Jehan de Marnay qui occupe la charge ; c’est d’ailleurs à cette époque qu’il insulte et menace Richard Faultrey, ce qui montre également la complexité des rapports entre les individus étudiés, qui peuvent aussi bien être complices que rivaux selon les circonstances. Dans ce cas précis, on pourrait peut-être douter de la sincérité de l’altercation entre Hugues le Goiget et Richard Faultrey, dont l’objet est un signet d’argent que Hugues a pris à une prostituée et que Richard lui demande de restituer à celle-ci, ce qu’il refuse. Ils n’en viennent pas aux mains car les personnes présentes s’interposent entre eux.

• 41 France, Dijon, ADCO, B II 360/9, 1^er mai 1464 ; le feuillet contenant l’enquête du 29 juin 1457 est (...)
• 42 France, Dijon, ADCO, B II 360/7, n° 884.
• 43 France, Dijon, ADCO, B II 360/8, liasse 39, n° 951.

8La rivalité entre Jehan de Marnay et Guillaume Pechinot dit l’Enragé semble être plus sérieuse et plus profonde. En 1457, quand Jehan de Marnay est poursuivi pour avoir menacé l’échevin Moingin la Corne, il est écrit que lui et l’Enragé sont auparavant entrés par effraction chez Jehanne Duchet et l’ont emmenée de force avec eux, raison pour laquelle Moingin la Corne les a fait ajourner après que la femme de Jehan Mitallot, chez qui elle vivait, s’est plainte au maire de leur méfait41. Si Marnay et l’Enragé sont alors complices, ce n’est plus le cas en mai 1459 quand Jehan, avec un ou deux acolytes, bat Guillaume et lui mutile une jambe dans une rixe dont l’origine ne saurait être tout à fait éclaircie à partir des seules dépositions des témoins : le patron du bordel de la ville, devant lequel s’est déroulé l’altercation, n’a pas vu ce qui s’est passé, tandis que deux des témoins sont des amis – et complices – de Jehan et se désignent mutuellement comme ayant frappé Guillaume à ses côtés42. D’après l’introduction de l’enquête, Jehan devait de l’argent à Guillaume, que celui-ci lui aurait alors réclamé en le croisant dans la rue, mais cela n’est confirmé par aucun témoin. Les deux acolytes de Jehan affirment en outre qu’ils ont empêché Guillaume de l’agresser à plusieurs reprises, mais qu’il a persisté dans sa volonté de lui trancher la gorge, tandis que dans l’introduction c’est Jehan qui semble être l’agresseur. Quoi qu’il en soit, il n’est pas possible, en l’état actuel de l’investigation, de déterminer l’origine de ce conflit entre les deux hommes. Les tensions renaissent toutefois au plus tard en avril 1460, quand Guillaume passe une première fois devant l’hôtel de Drouhot de Marnay, où vit son fils Jehan qu’il menace ; il tente à nouveau de l’agresser le lendemain, quand Jehan sort avec sa famille d’une messe chez les cordeliers43. L’un des témoins, qui vit aussi chez Drouhot de Marnay, déclare de Guillaume qu’il le « congnoit bien au parler, pour ce qu’il l’a veu plusieurs fois repairier et couchier avec ledit Jehan de Marnay en l’ostel dudit Drouot, son pere, puis deux ans ença ». Cette déclaration confirme bien le lien d’amitié qui a pu unir Jehan et Guillaume, bien qu’il ne soit pas possible pour l’instant de savoir ce qui l’a brisé.

• 44 Cette règle a été établie à partir de 1459. Auparavant l’exercice de la charge s’étendait du 1^er ja (...)
• 45 France, Dijon, ADCO, B II 360/10, 13 mai 1467.

9Il est intéressant de souligner que près d’une quinzaine d’affaires, concernant les individus étudiés, sont concentrées sur une courte période courant d’octobre 1466 à septembre 1467. Ce temps correspond à l’année durant laquelle Jehan de Marnay occupe la fonction de prévôt de Dijon, dont la ferme est vendue aux enchères chaque année à compter du 1^er octobre – pour correspondre au temps d’exercice des receveurs de bailliages44. Le compte du bailliage n’étant pas conservé pour cette année, il n’est pas possible de connaître le montant pour lequel Jehan a obtenu la ferme de cette prévôté. Par ailleurs, parmi la quinzaine d’affaires évoquées, il faut signaler qu’une dizaine consiste en menaces diverses voire en coups et blessures. Le 13 mai 1467, Hugues le Goiget, se disant lieutenant du prévôt, s’en prend à un jeune compagnon venu de Saint‑Seine‑l’Abbaye qui vient d’acheter des hameçons à un mercier sur la place Saint‑Michel ; l’entraînant dans l’église Saint‑Médard, à proximité, il tente de le rançonner en le menaçant de le faire condamner pour vol, bien qu’il ait payé ses hameçons45. Les personnes présentes parviennent à le forcer de rendre son argent au jeune homme, mais le cas est qualifié en fin d’introduction de « force publique, exploit saulvaige a la nouvelle façon, larrecin et sacrilege » puisqu’il s’est produit dans une église. Apprenant qu’une information est en cours sur son méfait, Hugues le Goiget décide d’aller voir Jaques Borestel, substitut du procureur en charge de l’enquête :

• 46 France, Dijon, ADCO, B II 360/10, 24-26 juin 1467.

10Le 25 juin suivant, ce sont Oudot Forrey et Jehan Chapelle qui, durant une altercation entre deux groupes, frappent un orfèvre nommé Goiffon. Hugues le Goiget, présent aux côtés d’Oudot Forrey – qu’il aurait dû solliciter à trois reprises pour qu’il se déplace selon ce dernier – aurait alors, selon la déposition du sergent de la mairie Hugues Beroingnot, été voir le prévôt : « il deposant vit et oït ledit Hugues le Goiget qui deist a Jehan de Marnay en, la presence de luy deposant, telles paroles : ‘Prevost ! je vous ay fait gaignier une amende pour vostre prouchainne chevaulchee, laquelle vous est advenue par mon moyen ! alez la querir et recouvrer quand vous vouldrez !’46 ». Hugues le Goiget aurait en outre tenté de s’en prendre à Jehan Bergerot, qui lui reprochait son geste.

• 47 Jehan de Marnay, lorsqu’il agresse Jehan Guiot dit la Barbe (qui sera par la suite innocenté de sa (...)
• 48 Ernest Champeaux (éd.), Les ordonnances des ducs de Bourgogne sur l’administration de la justice du (...)

11Bien que d’autres conflits personnels aient sans doute impacté le choix de leurs victimes47, il semble logique de penser qu’une bonne partie des cas commis par ces individus en 1466-1467 a eu pour but de rançonner des habitants de la ville, afin de permettre à Jehan de Marnay de payer la somme, trop élevée pour lui, pour laquelle il avait acheté la ferme de la prévôté. Son prédécesseur, Richard Faultrey, semble aussi avoir été coutumier de cette pratique et il est possible qu’il l’ait influencé lorsque Jehan était son lieutenant. Du reste, cet ensemble d’affaires permet de mieux saisir dans le détail une pratique relativement répandue parmi les prévôts ducaux à la fin du Moyen Âge, comme le montrent notamment certaines ordonnances de Philippe le Bon, promulguées en 1460 et renouvelées en 1462, par lesquelles il impose de mettre fin aux pratiques illicites de ces officiers, dont certains n’hésitent pas à s’entendre avec des criminels dans leur juridiction pour partager les gains de leurs méfaits48.

• 49 Sur la violence codifiée, voir notamment Claude Gauvard, « Discipliner la violence dans le royaume (...)

12Les affaires étudiées soulignent la fréquence à laquelle certains individus peuvent faire l’objet de poursuites pour divers délits et crimes, supposant peut-être qu’ils sont rarement punis pour leurs méfaits. Au-delà du recours à la violence et de ses codifications, qui est ici semblable à nombre d’autres affaires conservées dans les archives judiciaires49, cela soulève la question des origines sociales des individus impliqués, qui leur permettent peut-être d’échapper régulièrement à la justice. L’analyse de leurs relations suggère une très bonne intégration à la société urbaine, et non pas un état de marginalité ou d’isolement comme pourraient le laisser croire leurs démêlés récurrents avec la justice.

• 50 En 1445 et 1447. Cécile Becchia, op. cit., ann. Dijon, p. 244.
• 51 France, Dijon, ADCO, B 11498, fol. 38. Sur l’organisation de l’imposition des marcs, voir Anne Gala (...)
• 52 France, Dijon, ADCO, B II 360/10, 29 mai 1466 ; B II 360/13, 1^er octobre 1476.
• 53 France, Dijon, AMD, B 71, juin 1500.

14Jehan de Marnay est le fils de Drouhot de Marnay, qui a été clerc de l’official de Langres et surtout échevin de Dijon à deux reprises50. Jehan appartient donc à l’élite dirigeante de la ville. L’assise financière du père peut en outre être mesurée à la lecture des comptes des marcs de la ville, dans lesquels Drouhot contribue à hauteur de 35 sous et 6 deniers tournois en 1465 et dans les années suivantes, sachant que l’imposition minimale est de 12 deniers soit un sou51. D’après certaines affaires dans lesquelles il dépose en tant que témoin, et dans lesquelles il déclare être âgé d’environ 30 ans en 1466 et 36 ans en 147652, on peut supposer qu’il est né dans la seconde moitié des années 1430 ; sa déposition dans une affaire de 1500 tend à le confirmer, puisqu’il y déclare être âgé d’environ 60 ans53. Il vit semble-t-il chez son père, dans la rue des Beliots au sein de la paroisse Saint‑Michel, jusqu’à la mort de celui-ci. Jehan est par ailleurs lié à Hugues le Goiget lorsque son père, Drouhot, épouse en secondes noces, au plus tard en 1462, la veuve de l’échevin Estienne le Goiget, dont Hugues est le fils.

• 54 France, Dijon, ADCO, B 4513, fol. 1v-2.

15Les sources conservées permettent difficilement de saisir la nature de ses activités professionnelles. Il fréquente le prévôt de Dijon Richard Faultrey dès le début des années 1460, avant d’acheter lui-même la ferme de la prévôté et d’exercer cet office pour l’an 1466-1467. Il ne l’a plus l’année suivante, puisque c’est Chrestiennot Boulier qui exerce la charge pour un bail exceptionnel de trois années à compter du 1^er octobre 1467 pour 40 livres tournois par an54.

• 55 France, Dijon, ADCO, B II 360/9, 22 novembre 1465.
• 56 France, Dijon, ADCO, B II 336/70, fol. 221v.
• 57 France, Dijon, AMD, B 481, n° 33.
• 58 France, Dijon, ADCO, B 11535, fol. 4v ; B II 360/5, n° 537.
• 59 France, Dijon, ADCO, B II 360/5, n° 537 ; B II 360/8, liasse 39, n° 37.
• 60 France, Dijon, ADCO, B II 360/6, n° 680. Cécile Becchia, op. cit., ann. Dijon, p. 222.
• 61 France, Dijon, ADCO, B II 360/8, liasse 40, n° 29.
• 62 France, Dijon, ADCO, B II 362/01, fol. 141.
• 63 France, Dijon, AMD, M 76, fol. 33 ; cette amende est finalement ramenée à 30 sous fol. 70.

16Jehan de Marnay semble intégré à la société urbaine. En novembre 1465, Guillemot Gaudry, qui tue sa propre femme, dit avoir agi ainsi car il la soupçonnait d’avoir une relation avec Jehan et de vouloir partir avec lui55. Les sources montrent par la suite que Jehan est marié, bien que l’on ignore depuis quand et que le nom de son épouse n’a pu être relevé. Dans les registres aux causes de la mairie, il apparaît en 1478-1479 dans les mémoriaux de paix, qui règlent les tutelles et curatelles des biens et héritiers de défunts, parmi les personnes citées suite à la mort d’Estiennote, veuve du vigneron Viennot Saloignon, à l’instar d’Estienne Penesset notamment56. Durant la période où il est le plus souvent poursuivi, c’est-à-dire dans les années 1460, il est probable qu’il bénéficie de la relation nouée entre son père Drouhot et le procureur échevinal Jehan Rabustel, qui l’appelle dans sa correspondance « treschierseigneur et especial ami57 ». Le réseau social, et sans doute politique, de son père lui sert aussi certainement lorsqu’il requiert sa rémission auprès du duc de Bourgogne après avoir tué Pierre Tachet. Le fait qu’il soit alors prévôt ducal à Dijon a sans doute aidé également à obtenir cette rémission dans le mois suivant l’homicide, un délai très rapide quand on sait, de surcroît, que Philippe le Bon accorde sa lettre depuis Lille. On peut en déduire que Jehan, par la force du réseau de son père, puis par la fonction qu’il occupe en 1466-1467, dispose d’un réseau solide et réactif pour échapper à une sanction judiciaire trop lourde. Cela transparaît de manière moins directe dans le cas de Guillaume Pechinot dit l’Enragé : fils du tripier Guillaume Pechinot d’après une cherche de feux58, il serait âgé d’environ 30 ans en 1462 et exerce le métier de chaussetier59. D’après l’enquête le visant pour des coups et blessures portés contre Humbert Roquant en mars 1455, il serait surtout le neveu de la veuve de Humbert Laurenceot, ce dernier ayant été échevin en 144760. Il vit dans la paroisse Notre-Dame, qui est une paroisse plutôt aisée. Il connaît également Oudot Loncle, dont il est complice des coups et blessures que celui-ci inflige à Alixandre Lanonnier en août 146261. Impliqué dans une dizaine d’affaires bien documentées entre 1453 et 1462 – menaces, injures, vol, tentative de viol, coups et blessures –, il est banni pour 5 ans à compter du mois de février 146462. Il revient toutefois à Dijon après avoir purgé sa peine, comme l’atteste l’amende de 10 livres tournois, ramenée à 60 sous, qui lui est infligée en août 1473 pour « delitz et exces » commis dans l’hôtel de Jehan Milliere avec ses deux complices condamnés à la même peine63.

• 64 Il l’est par exemple en 1436 et en 1438. France, Dijon, AMD, B 155, fol. 4v et 94.
• 65 France, Dijon, ADCO, B II 360/9, 30 mai 1464.
• 66 France, Dijon, ADCO, B II 336/57, fol. 164v ; B II 360/9, 30 mai 1464.
• 67 France, Dijon, ADCO, B II 360/8, 27 décembre 1463 ; B II 360/10, 8 juin 1466.
• 68 France, Dijon, ADCO, B 11498, fol. 51v ; second compte, fol. 53.
• 69 France, Dijon, ADCO, B II 360/9, 30 mai 1464. Cécile Becchia, op. cit., ann. Dijon, p. 350. Sur la (...)
• 70 France, Dijon, ADCO, B II 360/8, liasse 39, n° 37. Cécile Becchia, op. cit., ann. Dijon, p. 270-271 (...)

17Oudot Loncle, l’un des principaux complices de Jehan de Marnay, est pour sa part le fils du marchand drapier Jehan Loncle. Ce dernier n’a pas été échevin ni maire, mais il a fait partie des commis à la visitation du métier de draperie, c’est-à-dire qu’il a été chargé de contrôler la qualité des ouvrages fabriqués à Dijon par la mairie pendant plusieurs années64. Les visiteurs des métiers sont désignés chaque année, pour chaque profession, par le maire et les échevins ; Jehan Loncle a donc fréquenté le corps dirigeant de la ville. Oudot serait né vers 1435-1440, selon sa déposition comme témoin en 1464, dans laquelle il déclare être âgé d’environ 25 ans65 ; il serait donc de la même génération que Jehan de Marnay. Il est qualifié de marchand dans un registre aux causes de la mairie en 1456-1457, puis il figure plus régulièrement comme hôtelier66. Il est marié67, et vit dans la paroisse Saint-Jean en 1465, puis en 1467 il réside à l’hôtel de Vergy dans la paroisse Saint-Pierre68. D’après la relation de l’affaire Jehan Mercier, en 1464, Oudot connaît Chrestiennot Vyon, qui appartient à l’élite urbaine et qui sera en 1477 l’assassin du président de Bourgogne dans le cadre de la mutemaque de Dijon69. Il connaît bien le chaussetier Humbelin de Montroussel, avec lequel il commet plusieurs délits, celui-ci étant le fils du boucher et ancien échevin Richard de Montroussel70, et qui serait âgé d’environ 29 ans en 1462 ; il est aussi le frère du boucher Guiot, impliqué dans d’autres affaires. Oudot et lui sont donc bien connectés avec les élites dirigeantes.

• 71 France, Dijon, ADCO, B II 336/51, fol. 210v. Cécile Becchia, op. cit., ann. Dijon, p. 184.
• 72 France, Dijon, ADCO, B II 360/56, fol. 51. Estienne Penesset est le fils de Perrin Penesset, un mar (...)
• 73 Cécile Becchia, op. cit., ann. Dijon, p. 244.
• 74 France, Dijon, ADCO, B II 360/8, liasse 39, n° 42 ; B II 360/9, 29 septembre 1465. Il n’est toutefo (...)
• 75 France, Dijon, ADCO, B II 360/7, n° 917 ; B II 360/9, 29 septembre 1465.

18Hugues le Goiget est le fils de l’ancien échevin Estienne le Goiget, mort entre juin 1447 et juin 1448, et il a deux frères et une sœur71. Bien que leur mère soit désignée comme leur tutrice à la mort de son époux, c’est Estienne Penesset qui, en 1455-1456, gouverne les corps et biens des héritiers de feu Estienne72. Il entre par ailleurs dans la parentèle de Jehan de Marnay quand son père Drouhot épouse sa mère, avant 146273. D’abord évoqué comme meunier travaillant à Janley, dans les alentours de Dijon, Hugues exerce ensuite le métier de chaussetier74. Le fait qu’il n’apparaisse pas dans le compte des marcs de 1465 pourrait signifier qu’il vit toujours chez Drouhot de Marnay, dans la paroisse Saint-Michel. Ses liens avec Jehan sont en outre confirmés par le fait qu’il est son lieutenant quand celui-ci achète la ferme de la prévôté de Dijon. Il serait de la même génération que son supérieur, puisqu’il se dit âgé d’environ 18 ans en 1459 ; cela reste toutefois incertain, puisqu’il déclare avoir environ 19 ans en 1465, à moins que le scribe n’ait commis des erreurs en recopiant ses déclarations75. Hugues appartient donc lui aussi à l’élite urbaine, bien que cela ne lui permet pas d’échapper au bannissement perpétuel prononcé contre lui en novembre 1467.

• 76 France, Dijon, ADCO, B II 336/58, fol. 214v.
• 77 Cécile Becchia, op. cit., ann. Dijon, p. 62 ; Jules d’Arbaumont, Armorial de la Chambre des comptes (...)
• 78 France, Dijon, ADCO, B II 360/11, 5 mars 1468 (n. st.). On peut supposer qu’il vit encore chez sa m (...)
• 79 France, Dijon, AMD, M 75, fol. 45v-46.
• 80 France, Dijon, ADCO, B 11499, fol. 175.
• 81 France, Dijon, ADCO, B II 360/13, 13 juillet 1479 ; 22 mai 1479 ; B II 337/3, fol. 112v.
• 82 France, Dijon, ADCO, B 11500, fol. 71v.
• 83 Son père, Guillaume, est encore vivant à la mort de son fils puisqu’il est désigné curateur des bie (...)
• 84 France, Dijon, ADCO, B II 360/13, 13 juillet 1479.

19Jehan Baugey est le fils du notaire Philippe Baugey, qui décède en 1459-146076. Les enfants sont alors confiés à Guillemette, veuve de Philippe, qui est désignée comme leur tutrice. Par ses fonctions, le père de Jehan a pu tisser un certain nombre de liens parmi l’élite urbaine, qui ressortent à la lecture des mémoriaux de paix des registres aux causes de la mairie : il est ainsi proche d’Aymé Berjoud qu’il participe à élire comme tuteur et curateur des enfants de sa défunte épouse Jehanne du Cellier, en 1452-1453. Aymé Berjoud a en outre été substitut puis procureur du bailliage de Dijon de 1458 à 146277. Plusieurs bourgeois du corps dirigeant figurent de même parmi les proches de Philippe à sa mort, ainsi que le scribe de la ville Huguenin Girard. Jehan, qui semble demeurer un certain temps chez sa mère dans la paroisse Notre-Dame, occupe quant à lui la fonction de clerc du bailli de Dijon78. Bien qu’il soit reconnu clerc et remis au scelleur de l’official de Langres en 1472, il est tout de même puni par le tribunal de l’évêque comme l’atteste un paiement de la mairie accordant plusieurs pintes d’hypocras aux officiers de l’official qui ont prononcé la sentence – non précisée – à son encontre79. Jehan Baugey semble moins proche de Jehan de Marnay, à l’instar d’Oudot Forrey ou encore d’Anceau Getton. Le premier, fils de Guillaume Forrey, est clerc puis sergent du duc et réside, au plus tard en 1472, dans la paroisse Saint-Michel à quelques rues du domicile de Jehan de Marnay80. Le second, pour sa part, est le fils du fournier Gauthier Getton et exerce le métier de boulanger, puis de chevaucheur de l’écurie du roi81 ; il vit dans la paroisse Saint-Jean, au plus tard en 147582. Oudot et Anceau sont, en l’état actuel de cette recherche, moins bien documentés que les individus précédents. Il est possible qu’ils soient plus âgés que ceux-ci, dans la mesure où Oudot meurt en 1475 ou 147683, tandis qu’Anceau décède en 147984.

• 85 Charles Bigarne, « Les châtelains et les officiers de la châtellenie de Beaune, Pommard et Volnay » (...)
• 86 France, Dijon, ADCO, B 4491, fol. 14 ; B 4495, fol. 9 ; B 4496, fol. 10 ; B 4497, fol. 11-11v ; B 4 (...)
• 87 France, Dijon, ADCO, B 4494, fol. 10-10v ; B 4495, fol. 9.
• 88 France, Dijon, ADCO, B 4495, fol. 7v.
• 89 France, Dijon, ADCO, B 4496, fol. 8 ; B 4497, fol. 9 ; B 4498, fol. 13-13v ; B 4499, fol. 14.
• 90 France, Dijon, ADCO, B 4497, fol. 10.
• 91 France, Dijon, ADCO, B 4499, fol. 14v-15.
• 92 C’est effectivement sa veuve qui paie l’impôt des marcs à sa place en 1454. France, Dijon, ADCO, B  (...)
• 93 France, Dijon, ADCO, B 11535, fol. 84.
• 94 France, Dijon, ADCO, B 4503, fol. 20-20v ; B 4504, fol. 27v. Les montants sont respectivement de 16 (...)
• 95 France, Dijon, ADCO, B 4504, fol. 25-25v.
• 96 France, Dijon, ADCO, B 4504, fol. 26v-27 ; B 4513, fol. 14v-15.
• 97 Les comptes du bailliage étant perdus, on se fie ici aux quelques mentions relevées dans le registr (...)
• 98 France, Dijon, ADCO, B 4513, fol. 13.
• 99 France, Dijon, ADCO, B 11507, fol. 8.
• 100 France, Dijon, ADCO, B 11499, fol. 4v.
• 101 Sur la famille Labouquet, voir Cécile Becchia, op. cit., ann. Dijon, p. 210-214.
• 102 Jehan Faultrey est notamment curateur des biens des enfants de feu Jehan Macheco, puis de ceux des (...)
• 103 France, Dijon, B II 336/64, fol. 206v-207.
• 104 France, Dijon, ADCO, B II 360/9, 28 juillet 1464. Dans une autre affaire de la même année, il décla (...)
• 105 France, Dijon, AMD, B 450, n° 34.
• 106 France, Dijon, ADCO, B 11500, fol. 110v. Bien que ce compte des marcs de 1474 évoque sa veuve pour (...)

20Richard Faultrey, contrairement aux autres personnes étudiées ici, n’est pas originaire de Dijon mais de Beaune. Sa famille a déjà fait l’objet d’un travail de recherche portant sur les châtelains de Beaune, Pommard et Volnay – la châtellenie englobant ces trois localités –, car son oncle Milot – ou Mille – occupe cet office pour Philippe le Bon de 1438 à 146385. Jehan Faultrey, son frère et probable père de Richard, achète par ailleurs les fermes de plusieurs prévôtés : Beaune (1438-1439 et 1445-145086), Bouilland (1444-144587), Argilly (144588), Saint-Jean-de-Losne (1446-144989), Nuits (144790) et Vosne (144991), toutes situées dans le bailliage de Dijon ; il meurt avant 145492. Richard suit en partie la même voie : il vit à Beaune en 1450 d’après la cherche de feux de cette année93, puis il achète les fermes des prévôtés de Beaune (1454-145594), Vergy (145595), Bouilland (1455 et 1469-147096) Dijon (1463-146597) et enfin Vosne (1469-147098). D’après le compte des marcs de la ville pour l’an 1454, il serait clerc, raison pour laquelle il est exempté de cet impôt99. Les prévôtés dont il achète les fermes, à l’instar de Jehan, témoignent des capacités financières de sa famille : les prévôtés de Beaune et de Saint-Jean-de-Losne sont souvent vendues à plus de 100 livres tournois. À Dijon, où il s’installe probablement dans la seconde moitié des années 1450, on relève peu d’informations sur lui avant la fin des années 1470, en dehors de ses problèmes avec la justice, notamment en tant que prévôt. En 1471, le compte des marcs indique qu’il est hôtelier et qu’il vit dans la paroisse Saint-Nicolas, dans la rue éponyme aussi appelée rue de la porte au Comte100. Il paie en outre la moitié de la part de la veuve de l’échevin Girard Labouquet, qui est aussi sa belle-mère ; ce point souligne que Richard a lui aussi intégré, par mariage notamment, l’élite dirigeante de Dijon101. Les mémoriaux de paix témoignent, non seulement de liens antérieurs entre son oncle Millot et les familles Macheco et Vandenesse102, mais aussi de ceux tissés par Richard au sein de la ville, notamment par sa femme Eustasse qui figure parmi les proches du défunt chanoine de la Sainte-Chapelle ducale Jehan Bourguois en 1465-1466103. Il serait âgé, d’après une affaire dans laquelle il dépose en 1464, d’environ 36 ans cette année-là104. Après avoir été, semble-t-il, homme d’arme dans la compagnie du bailli d’Auxois en 1471105, il meurt en 1473 ou 1474106.

• 107 France, Dijon, ADCO, B II 360/7, n° 834 ; B II 360/10, 9 juillet 1466 et 10 novembre 1466.
• 108 France, Dijon, ADCO, B II 360/10, 4 décembre 1468.

21La liste des individus présentés dans cet article ne saurait être exhaustive : on pourrait y ajouter Oudot de Mascon, complice de Jehan de Marnay dans trois affaires107, ou d’autres individus isolément impliqués dans quelques cas. De la même manière, Denisot de Mastot n’a pas été inclus dans ce travail. Bien qu’il soit impliqué dans une quinzaine d’affaires d’après un cahier daté de 1467108, celles-ci ne sont pas toutes conservées et n’ont a priori aucun rapport direct avec celles des autres individus présentés.

• 109 Jacques Rossiaud, Lyon 1250-1350. Réalités et imaginaires d’une métropole, Seyssel, Champ Vallon, 2 (...)

22Les principaux individus présentés dans cette partie sont donc bien intégrés à la société, la plupart d’entre eux appartiennent ou sont liés à la bourgeoisie dirigeante de la ville. Les cas dans lesquels ils sont impliqués, notamment le fait de déambuler de nuit dans la ville déguisés en diable comme semble l’avoir fait Oudot Loncle en 1464, pourraient légitimement supposer leur appartenance à une société de jeunesse telle que celles recensées dans les villes méridionales par J. Rossiaud, qui en a en outre identifié à Dijon dans la première moitié du xvi^e siècle109. Toutefois, si cette hypothèse n’a rien d’invraisemblable, elle ne peut malheureusement être étayée : aucun des individus étudiés ne porte en effet de titre relatif à ce genre de société, tel que celui d’abbé, tandis que la nature des cas dans lesquels ils sont impliqués montre qu’il semble rarement s’agir de régulation sociale entre les générations.

• 110 France, Dijon, ADCO, B II 360/8, 27 octobre 1463.
• 111 Par exemple, plusieurs barbiers qui ont soigné Guillaume Sappel, agressé par Oudot Loncle, ne dépos (...)
• 112 France, Dijon, ADCO, B II 337/1, fol. 21.
• 113 France, Dijon, ADCO, B II 337/2, fol. 19v.
• 114 France, Dijon, ADCO, B II 337/6-1, fol. 17v.
• 115 France, Dijon, ADCO, B II 337/6-1, fol. 14.
• 116 France, Dijon, ADCO, B II 337/6-1, fol. 16 et 17.
• 117 France, Dijon, ADCO, B II 337/2, fol. 27 et 30.

23Les liens qu’entretiennent ces personnes avec les élites dirigeantes n’empêchent pas la justice d’engager une procédure pour traiter ces affaires, laquelle ne diffère guère des pratiques habituelles de la mairie. Il s’agit d’une procédure inquisitoire, bien que des éléments montrent que la procédure accusatoire est encore utilisée : l’échevin Nicolas de Dompmartin propose ainsi à Robinet de La Haye de se constituer prisonnier en même temps que Richard Faultrey, qui l’a agressé, afin d’obtenir justice rapidement ; la victime refuse toutefois en raison de la gravité de sa blessure, et l’échevin doit finalement relâcher le prévôt110. Dans la mesure où la majeure partie des cas poursuivis sont des agressions verbales et physiques, la justice semble principalement s’appuyer sur les dépositions de témoins pour rassembler des preuves contre les suspects, faisant peu appel à l’expertise des jurés barbiers pour évaluer la gravité des blessures infligées111. Par ailleurs, les registres aux causes du procureur de la mairie, en l’occurrence Jehan Rabustel pour la période qui nous intéresse, montrent que les suspects sont emprisonnés lorsqu’il est possible de les arrêter. Jehan de Marnay est ainsi élargi de prison en 1457 pour les menaces qu’il avait proférées contre l’échevin Moingin la Corne112, de même qu’Oudot Loncle en 1462 pour les coups et blessures qu’il a portés à Alixandre Lanonnier113, ou encore Hugues le Goiget en février 1467 après les menaces qu’il a proférées au bordel contre Richard Faultrey114. Lorsqu’ils ne peuvent être interpellés, ils sont alors ajournés, c’est-à-dire cités à comparaître devant le maire, comme les autres justiciables. Jehan de Marnay est par exemple ajourné en novembre 1466 avec deux complices après qu’ils ont agressé Jehanne Gentdarmes115, puis de nouveau avec Oudot Loncle et Anceau Getton après qu’il a tué Pierre Tachet le 30 décembre suivant116 ; deux défauts de comparution sont d’ailleurs prononcés contre les coupables dans cette affaire, avant que Jehan ne présente la rémission qu’il a obtenue du duc. L’examen des registres aux causes du procureur confirme en outre l’implication des individus étudiés dans d’autres affaires que celles conservées dans les archives judiciaires : Jehan de Marnay est ainsi ajourné en février puis en avril-mai 1463, sous peine d’être condamné respectivement à des amendes de 20 livres et 100 sous, pour deux cas dont la nature n’est pas précisée et dont les détails ne sont pas conservés dans les liasses d’enquêtes117.

• 118 On lit par exemple, au bas de l’enquête menée contre Oudot Loncle pour avoir battu Alixandre Lanonn (...)
• 119 Cette lacune documentaire empêche de connaître d’éventuelles amendes, en particulier pour la périod (...)
• 120 France, Dijon, ADCO, B II 362/01, fol. 141.
• 121 France, Dijon, ADCO, B II 337/6-1, fol. 21v.
• 122 France, Dijon, ADCO, B II 362/01, fol. 143 ; B II 337/6-1, fol. 34v.
• 123 France, Dijon, ADCO, B II 337/6-1, fol. 16.
• 124 Xavier Rousseaux, « La récidive : invention médiévale ou symptôme de modernité ? », in Françoise Br (...)

24L’un des problèmes concernant ces affaires réside dans la rareté de la qualification juridique précise du délit ou du crime commis. Dans la mesure où la plupart des pièces relatives aux cas étudiés sont des informations et enquêtes judiciaires – et non les procès des accusés – le qualificatif juridique se fait plus rare. Des homicides, vols et autres « batures » sont bien évoqués dans les introductions de plusieurs affaires, toutefois il n’est pas certain que les suspects aient été condamnés pour ces cas précis. C’est d’ailleurs l’autre limite à l’étude de ces affaires : dans la mesure où l’on dispose rarement des procès intentés à ces individus – si tant est que les procédures aient été jusque-là, ce qui n’est pas systématique118 – il est d’autant plus difficile de connaître les éventuelles sentences auxquelles ils ont pu être condamnés, sachant en outre que les comptes généraux de la mairie ne sont pas conservés pour la période courant de juin 1456 à juin 1467119. Plusieurs d’entre eux ont néanmoins été punis. Outre l’amende précédemment évoquée contre Jehan de Marnay pour le viol qu’il avait commis en 1458, citons le bannissement pour 5 ans infligé à Guillaume Pechinot en 1464 pour un cas dont la nature n’est pas précisée120. Hugues le Goiget, pour s’en être pris au jeune homme originaire de Saint-Seine en mai 1467, est condamné le 14 juillet à une amende de 100 sous tournois à verser à la mairie. Le registre aux causes du procureur précise que la sentence concerne un « cas et abuz, […] d’avoir de son auctorité privee fait prisonnier en ceste ville ung homme qu’il disoit avoir commis larrecin, et avoir de luy prins certainne somme de deniers, et autres cas contenus es informacions sur ce faictes121 ». Il faut retenir de cette citation que la qualification de sacrilège, qui figurait dans l’introduction de l’information, n’a sans doute pas été retenue : dans le cas contraire elle aurait dû être citée dans ce document et le châtiment aurait été plus lourd. En revanche, Hugues le Goiget est banni perpétuellement de la ville à l’automne suivant pour avoir menacé de mort et battu Marion la Liégeoise, enfreignant l’asseurement dans lequel il était engagé avec elle122. La rupture d’asseurement, paix jurée devant le maire entre les parties concernées, peut être considérée avec gravité car elle bafoue alors l’autorité du pouvoir communal ; bien que le bannissement soit prononcé par contumace, Hugues étant alors en fuite, les trois ajournements précédant son exclusion indiquent déjà qu’il s’agit bien de la peine qu’il encourt. Ses biens sont en outre confisqués au profit du duc de Bourgogne, comme c’est le cas habituellement. Les autres peines encourues d’après les textes des ajournements conservés, et qui ont peut-être été infligées, sont pour la plupart des amendes de divers montants qui auraient dû être versées à la mairie ; la diversité des sommes reflète celle des cas commis, en tenant par exemple compte de l’absence ou non d’effusion de sang dans les cas de coups et blessures. En revanche, Jehan de Marnay, Oudot Loncle et Anceau Getton sont tous trois menacés de bannissement et de confiscation de leurs biens s’ils ne comparaissent pas devant la justice échevinale pour l’homicide commis contre Pierre Tachet123, ce qui explique qu’ils aient recours à la rémission et au pardon ducaux. Il est par ailleurs difficile de qualifier les individus étudiés de multirécidivistes, pour plusieurs raisons : d’abord, le terme de récidive n’apparaît dans aucun document analysé ici, et d’autre part les historiens ont souligné son extrême rareté dans les sources médiévales, bien que des mesures soient évidemment prévues par les autorités pour les criminels qui persisteraient dans leurs déviances124. Ensuite, rien n’indique dans la documentation que les hommes poursuivis pour les diverses affaires de coups et blessures et autres cas ont été systématiquement condamnés ; or, la récidive implique, sur le plan juridique, qu’il y ait eu une culpabilité reconnue dans une ou plusieurs occasions antérieures. Enfin, même dans les cas où des condamnations sont connues, pour Jehan de Marnay et Hugues le Goiget en particulier, la documentation conservée – certes incomplète – ne renvoie à aucun moment aux amendes précédemment infligées, y compris lorsque Hugues le Goiget est banni définitivement de la ville par contumace.

• 125 France, Dijon, ADCO, B II 360/10, 24 juillet 1467.
• 126 France, Lille, ADN, B 1692, fol. 19v-21.
• 127 France, Dijon, ADCO, B II 360/10, 30 décembre 1466.
• 128 France, Dijon, ADCO, B II 360/10, 11 septembre 1467.
• 129 France, Dijon, ADCO, B II 360/8, 27 octobre 1463.
• 130 Le prévôt de la ville n’en a pas moins déjà fait l’objet de poursuites judiciaires. En 1461, c’est (...)

25L’appartenance des protagonistes aux réseaux des élites urbaines suppose également une certaine culture judiciaire commune et partagée. Celle-ci transparaît de différentes manières, que ce soit dans le mode opératoire des suspects ou encore dans leur connaissance de la procédure. On remarque ainsi, à plusieurs reprises, qu’ils n’hésitent pas à se faire passer pour des hommes du guet de la ville pour prétendre au droit de pénétrer chez des habitants. Ces derniers ne s’y laissent d’ailleurs pas toujours prendre facilement, notamment en 1467 quand Jehanne, chez qui Jehan de Marnay et ses complices veulent entrer, demande qui est l’échevin responsable du guet pour cette nuit125. Les agresseurs donnent la bonne réponse, bien que l’échevin soit absent ; l’un d’eux tente alors d’imiter sa voix, mais Jehanne remarque le subterfuge et refuse d’ouvrir sa porte. Précisons que le prétexte de l’appartenance au guet de la ville n’est nullement spécifique des cas commis par les individus étudiés, mais il montre qu’ils savent que cela peut constituer un motif légitime pour entrer chez des habitants de la ville dans le cadre judiciaire. Par ailleurs, l’exercice d’un office peut également servir de prétexte aux méfaits de certains. On le voit dans l’exposé de la rémission de Jehan de Marnay, qui prétend s’être rendu chez Perrin Briete dans le cadre de sa charge prévôtale, pour y trouver des femmes adultères et leur infliger l’amende de 65 sous qu’elles auraient alors dû verser126. L’enquête menée par la mairie tend au contraire à démontrer qu’il se rendait à cet hôtel avec ses deux complices pour y trouver des prostituées avec lesquelles ils souhaitaient passer la soirée127. Ce motif est également employé par Hugues le Goiget en septembre 1467, alors qu’il est encore lieutenant du prévôt, lorsqu’il affirme s’être rendu chez Marion la Liégeoise pour y trouver d’autres femmes adultères et leur infliger la même amende128. Cela dissimule davantage une volonté de ces hommes de rançonner les femmes qu’ils auraient pu trouver, voire d’éventuels viols qu’ils pouvaient projeter. Richard Faultrey, en 1463, est déjà considéré comme coutumier de rançonner des prostituées au bordel municipal, en prétextant qu’elles ont couché avec des prêtres, des clercs ou des hommes mariés129 ; le prévôt tentait d’ailleurs de rançonner un jeune homme, pourtant non marié, quand Robinet de la Haye, mari de la tenancière Jehannine Robelote, est venu l’interpeller. Or, l’introduction de l’enquête précise bien que le prévôt n’a pas le droit de s’en prendre aux prostituées ni à qui que ce soit à l’intérieur du bordel si aucune plainte n’a été déposée, car il s’agit d’un lieu public. Pour renforcer la gravité du cas, le scribe indique en introduction que cette pratique « n’a pas esté acoustumé de faire par les prevostz dudit Dijon le temps passé130 ».

• 131 France, Dijon, AMD, M 71, fol. 59v.
• 132 France, Dijon, AMD, M 71, fol. 60.
• 133 France, Dijon, AMD, M 73, fol. 111v.
• 134 France, Dijon, AMD, M 71, fol. 130.

26La culture judiciaire des suspects transparaît encore dans l’avantage qu’ils tentent de tirer de la procédure. Jehan de Marnay, qui s’enfuit après avoir tué Pierre Tachet le 30 décembre 1466, obtient sa rémission de Philippe le Bon durant le mois de janvier – d’après la date indiquée dans la lettre, qui ne précise pas le jour –, soit moins d’un mois après le crime, sachant en outre que le duc réside alors à Lille. De leur côté, ses complices Anceau Getton et Oudot Loncle s’enfuient également et supplient ensuite la mairie de reconnaître leur innocence ; le premier obtient en outre une lettre de pardon du prince, et il est probable que le second a fait de même. Plusieurs individus ont également recours à l’appel pour suspendre les procédures menées à leur encontre et ralentir les poursuites. Oudot Loncle agit ainsi en 1467, contre deux sergents de la mairie qui ont voulu l’arrêter pour un cas non précisé131, et Oudot Forrey fait de même cette année-là à la suite des coups qu’il a portés contre le nommé Goiffon132. Jehan de Marnay appelle aussi d’une procédure menée à son encontre en 1470-1471, peut-être suite à son implication dans la tentative de meurtre initiée par Jehan Baugey contre Robert la Verne133. Quant au principal suspect de cette affaire, il parvient à être reconnu comme clerc et est ainsi remis au scelleur de l’évêque de Langres, échappant alors à la justice échevinale134. Précisons néanmoins que la procédure d’appel peut s’avérer assez onéreuse, et il n’est pas certain que les procédures citées ici ont toutes été menées jusqu’à leur terme. Celui émis par Oudot Loncle semble notamment avoir été suspendu, « relevé », d’après un paiement figurant au compte de la mairie de l’an 1468-1469, comme celui de Jehan de Marnay en 1470 ou 1471.

• 135 France, Dijon, ADCO, B II 360/8, liasse 39, n° 37 ; B II 360/9, 30 mai 1464. Sur le détail de cette (...)

28L’activation des réseaux et parentèle des individus étudiés peut parfois sembler invisible ou difficilement décelable, peu d’affaires étant aussi détaillées que les procès intentés contre Jehannote Saignant, maîtresse des étuves de Saint-Philibert, et de Jehan Mercier alias Douhet135. Cependant, elle paraît plus évidente une fois les liens connus entre différents complices ou protagonistes des affaires analysées, et aussi après avoir établi leurs origines socioprofessionnelles. Cette lecture des cas amène enfin à questionner la réputation des suspects, qu’il importe de nuancer en dépit de leur appartenance à la bourgeoisie dirigeante.

• 136 Jacqueline Hoareau-Dodinau, « Rigueur de justice-miséricorde royale. Ruptures ou continuité ? », in(...)
• 137 Claude Gauvard, « Fama explicite et fama implicite. Les difficultés de l’historien face à l’honneur (...)
• 138 « […] ne aussi ne furent oncques iceulx suppliants actans ne convaincuz d’aucuns villain cas de cry (...)

29L’exemple le plus intéressant est ici celui de Jehan de Marnay. Dans l’exposé de sa lettre de rémission, qui est en général la copie de la supplique adressée par le requérant de la grâce136, il se présente comme ayant toujours été de bonne fama et n’ayant jamais commis aucun crime. Il s’agit bien sûr d’une formule rhétorique que l’on relève dans nombre de lettres de rémission, qu’elles soient bourguignonnes ou royales137. Cependant, les archives judiciaires montrent ici que Jehan, en présentant l’homicide qu’il a commis comme sa première déviance, ment sciemment dans le seul but d’obtenir le pardon de Philippe le Bon. Or, s’il n’a semble-t-il pas été condamné pour les multiples coups et blessures et menaces proférées les années précédentes, il a en revanche bien dû verser une amende pour le viol qu’il avait commis avec Guiot Fourcault contre Jehannote de Pressigney en 1458 ; il a donc été condamné une première fois. Cet exemple, probablement loin d’être isolé, renforce le caractère rhétorique de la présentation par le suppliant de sa bonne fama pour maximiser ses chances d’obtenir la rémission du prince, bien qu’il ait déjà pu être puni auparavant pour d’autres crimes. Oudot Loncle et Anceau Getton, ses complices impliqués dans l’homicide de Pierre Tachet, usent de la même stratégie, du moins dans la supplique qu’ils adressent au maire et aux échevins. Ils insistent surtout pour leur part sur leur innocence en précisant qu’ils n’ont porté aucun coup à la victime et que Jehan a lui-même insisté sur leur innocence138.

• 139 France, Dijon, ADCO, B II 360/10, 30 décembre 1466.
• 140 France, Dijon, ADCO, B II 360/10, 8 juin 1466.

30La fama de Jehan de Marnay n’est toutefois pas altérée uniquement devant la justice, elle l’est aussi vis-à-vis de la population, comme le sont celles de plusieurs de ses acolytes. L’enquête menée sur l’homicide de Pierre Tachet montre qu’un témoin, l’ouvrier de laine Michelet Dieu le Veut, sait que Jehan de Marnay, Oudot Loncle et ses autres complices « sont putiers, et ne venoient illec que pour bordelaige et puterie qui se tient en l’ostel de Perrin Briete139 ». Le second, dans l’introduction d’une affaire de coups et blessures et tentative d’enlèvement, est dit « coustumier de faire plusieurs abuz et excez et de soy acompaignier de gens estrangiers de nuyt140 » ; dans la même affaire, le témoin Pierre du Cellier dit savoir d’Oudot qu’il a « malvaise teste ». Déjà en 1463, dans une affaire d’assaut, menaces et jets de pierre contre Monin Sappel, le substitut du procureur indique en introduction du cas qu’Oudot et Humbelin de Montroussel sont

• 142 France, Dijon, ADCO, B II 360/8, 27 octobre 1463. Déjà en 1462, le cordelier Jehan Grillot, témoin (...)
• 143 France, Dijon, ADCO, B II 360/7, n° 806.
• 144 France, Dijon, ADCO, B II 360/7, n° 969.

31Humbelin était en outre qualifié d’homme « oyseux ». Richard Faultrey, la même année, est lui aussi l’objet d’une réputation peu flatteuse d’après l’affaire de coups et blessures portés au bordel municipal contre Robinet de la Haye, dont l’introduction signale qu’il est « coustumier […] de rençonner lesdites povres filles communes en ladite maison, et de prendre et exiger a force de chacune ce qu’il en peut avoir, de l’unne trois gros, de l’aultre IIII gros ou plus ou mains, et soubz faulx leur donner a entendre que elles ont abergier et receuz gens mariez, prebstres ou clercz142 ». Quant à Guillaume Pechinot dit l’Enragé, il est aussi connu pour être « coustumier » de commettre de grands abus au bordel d’après Philippe des Beufz, qui tient la ferme annuelle de ce bâtiment public et qui est menacé puis agressé, ainsi que la prostituée Michelotte la Flamande, par cet homme en février 1458143. En juillet 1460, dans le cadre d’une tentative de viol, d’une agression verbale et physique perpétrée contre Katherine Girard, le substitut du procureur, Jaques Borestel, ajoute à la fin de l’information judiciaire à propos de Guillaume qu’il est « ung malvais paillart et coustumier etc.144 ». Surtout, il précise ensuite que « plusieurs de messeigneurs des comptes se donnoient merveilles de ce que l’on n’avoit banni perpetuellement de ceste ville et banlieue ledit Guillaume dez pieça, et disoient qu’il estoit mal pugny par justice des cas qu’il commettoit si souvent etc. ».

• 145 France, Dijon, ADCO, B II 360/11, 5 mars 1468 (n. st.).
• 146 Julien Théry, « Fama : l’opinion publique comme preuve judiciaire », in Bruno Lemesle (dir.), La pr (...)

32Les délits et crimes commis par Jehan de Marnay, Guillaume Pechinot, Oudot Loncle et d’autres ne sont pas sans conséquences pour leur réputation aux yeux de la population ou de certains officiers, notamment de la Chambre des comptes de Dijon, en dépit du peu de condamnations prononcées contre ces individus. Même l’indignation de ces derniers ne semble pas suffire à faire condamner Guillaume Pechinot, puisque celui-ci n’est banni pour 5 ans qu’au début de l’an 1464 pour un autre cas. Par ailleurs, la mémoire de certains de leurs crimes transparaît des mots des proches de leurs victimes. Ainsi, Jacote, veuve de Pierre Tachet, « print la hardiesse de dire et remonstrer » aux hommes du bailli de Dijon (parmi lesquels se trouve Jehan Baugey) venus agresser Jehan Prevost en mars 1468 « qu’ilz se gardassent de mal faire, et qu’ilz ne feissent pas ainsi que Jehan de Marnay avoit fait, qui luy avoit tué son mary145 ». Bien que ces quelques exemples ne signifient pas que l’ensemble des habitants considèrent ces individus comme marginalisés, cela montre néanmoins qu’une part de la population connaît les actes qu’ils ont commis, voire s’en exaspère. De surcroît, si leur fama juris reste relativement épargnée faute de sentences prononcées à leur encontre, leur fama personae pâtit, au moins partiellement, des actes délictueux voire criminels qu’ils commettent à de trop nombreuses reprises, la documentation pouvant ici être considérée comme une illustration de la distinction entre les différentes formes de fama à la fin du Moyen Âge146.

• 147 Bernard Guenée le notait déjà à propos des officiers de justice, dont les débordements ne brisaient (...)
• 148 Voir sur ce sujet Yves Mausen, Veritatis Adiutor. La procédure du témoignage dans le droit savant e (...)
• 149 France, Dijon, ADCO, B II 360/9, 12 juillet 1464 ; 28 juillet 1464 ; 13 février 1465 (n. st.).
• 150 France, Dijon, ADCO, B II 360/9, 30 mai 1464.
• 151 France, Dijon, AMD, M 72, fol. 21-21v.
• 152 France, Dijon, ADCO, B II 360/13, 1^er octobre 1476.
• 153 France, Dijon, ADCO, B II 337/3, fol. 115v.
• 154 France, Dijon, ADCO, B II 360/15, 20 juillet 1487.
• 155 France, Dijon, ADCO, B 4523, fol. 14.
• 156 France, Dijon, ADCO, B 4528, fol. 15v et 1-2. Il est aussi cité comme prévôt de Dijon dès 1485-1486 (...)
• 157 France, Dijon, ADCO, B 4530, fol. 1-2 ; B 4531, fol. 4v-5v ; B 4532, fol. 1-2 ; B 4535, fol. 4-5 ; (...)
• 158 France, Dijon, AMD, B 71.
• 159 France, AMD, M 80, fol. 162-163 ; m 81, fol. 27-29v.
• 160 France, Dijon, ADCO, B II 360/15, 22 octobre 1492 ; B II 360/16, 28 avril 1493. Il a également été (...)
• 161 France, Dijon, ADCO, B II 360/18, 31 août 1506.
• 162 France, Dijon, AMD, B 168, fol. 155-155v ; B 169, fol. 8. De la même manière, les démêlés d’Estienn (...)
• 163 Joseph Garnier, Correspondance de la mairie de Dijon, vol. 1, Dijon, Darantière, 1867, p. LXIV-LXVI (...)

33La dégradation de la fama des individus, quelle que soit sa forme, ne semble pas irréversible pour autant147. Premièrement, ils restent suffisamment respectables pour être entendus comme témoins148, prêtant serment comme n’importe quel autre de dire la vérité, dans diverses affaires judiciaires. Richard Faultrey dépose par exemple dans plusieurs affaires en 1464 et 1465, durant la période où il officie comme prévôt, et est même qualifié d’« honorable homme149 ». Oudot Loncle est également témoin dans plusieurs enquêtes, notamment dans l’importante affaire instruite contre Jehan Mercier alias Douhet150. De surcroît, on relève que Jehan de Marnay achète la ferme du bordel municipal pour l’an 1469-1470 pour 65 francs151. En 1476, il semble qu’il batte une jeune fille qui refusait de le suivre mais il reçoit aussi plusieurs coups de la part d’hommes de guerre152. Il est encore élargi de prison en 1479 pour son implication dans une affaire de coups et blessures, son pleige étant alors Estienne Penesset153. Cela ne l’empêche pas d’être qualifié de « bourgeois de Dijon » en 1487154. Surtout, il achète de nouveau les fermes de plusieurs prévôtés dans les années 1480 et 1490 : il est ainsi prévôt de Rouvres, à proximité de Dijon, en 1488-1489 pour 175 francs155. Il achète ensuite cette prévôté en 1494-1495 pour 110 francs, en même temps qu’il prend à nouveau la ferme de celle de Dijon pour 80 francs156. Il est prévôt de cette ville jusqu’en 1499, pour des sommes variant de 45 à 65 francs157. Il est encore qualifié d’ « honorable homme », bourgeois et fourrier de la ville en 1500, alors qu’il est âgé d’environ 60 ans158. Il verse en outre à la commune une rente annuelle, au plus tard dès 1483 et, au moins à partir de 1496, pour rembourser la dette d’un de ses cousins chargé de collecter un impôt pour la mairie159. Il semble donc avoir maintenu, voire développé son réseau des années après ses déboires judiciaires. Il en va de même pour Oudot Loncle, qui fait partie des portiers de la porte Neuve de la ville en 1492 et est qualifié lui aussi d’ « honorable homme » et bourgeois en 1493160. Jehan meurt au plus tard au mois d’août 1505, comme le montre une affaire dans laquelle sa fille Gillette est victime d’injures puis de coups161. Quant à Oudot, il laisse au moins un fils, prénommé Guillaume, qui devient secrétaire du roi et procureur de la mairie de 1507 à 1514162. Le parcours de leurs autres complices semble moins documenté. Si Hugues le Goiget est banni définitivement en 1467, Guillaume Pechinot revient bien à Dijon après avoir purgé sa peine comme cela a été évoqué plus haut. Jehan Baugey, impliqué dans plusieurs affaires en 1469, 1471, 1477 et 1478, accompagne le conseiller ducal qu’il sert en 1474-1475 au siège de Neuss, et transmet au moins deux lettres à la mairie pour l’informer des événements163. Anceau Getton décède pour sa part en 1479, tandis que les vies de Humbelin de Montrousseaul et Oudot Forrey n’ont pu être pour l’instant bien suivies.

• 164 Valérie Toureille, « Une contribution à la mythologie des monarchies du crime : le procès des Coqui (...)
• 165 Aude Musin, Élise Mertens de Wilmars, « « Consideré son joesne eaige … ». Jeunesse, violence et pré (...)

35Les cas et individus étudiés ne reflètent guère l’existence d’un véritable réseau criminel, encore moins d’une monarchie du crime telle qu’a pu l’être la compagnie de la Coquille quelques années avant les événements relatés ici à Dijon164. Ces excès, délits et parfois crimes tournent régulièrement autour des affaires de Jehan de Marnay, en particulier lorsque celui-ci est prévôt de la ville après qu’il a acheté la ferme pour un montant supérieur à ses propres moyens. En dehors de cette période, la plupart des affaires concernent les intérêts personnels de leurs protagonistes. Ceux-ci sont issus de la bourgeoisie dirigeante de la ville, n’appartenant pas aux familles les plus puissantes telles que les Berbisey ou les Chambellan, mais qui sont suffisamment aisées et intégrées pour appartenir, ponctuellement ou plus régulièrement, à l’échevinage et connaître des gens bien placés. Même le cas de Guillaume Pechinot, pourtant lié à ces familles uniquement par alliance grâce à sa tante, montre combien ce genre d’appui s’avère utile. Toutefois, force est de constater que ces parentèles et réseaux apparaissent rarement dans les sources judiciaires conservées. Il faut reconnaître que leurs procédés ne relèvent en rien de l’intercession telle qu’on peut parfois la percevoir à travers les lettres de rémission. Il s’agit davantage ici d’interventions personnelles destinées à protéger le nom de la famille et son honorabilité, laissant peu, voire aucune, trace écrite. Les archives échevinales montrent pourtant que la justice poursuit les méfaits de ces individus, allant jusqu’à les incarcérer avant de les élargir sous caution de la prison communale, gardant néanmoins par ce moyen une trace de son action. Elle ne reste donc pas inactive, bien que sa rigueur puisse être remise en cause comme le montre l’exemple de Guillaume Pechinot. Enfin, rappelons que les excès, délits et crimes des principaux hommes impliqués dans ces affaires au cours des années 1460 ne les empêchent pas de mener ensuite des vies relativement normales après ces événements, en conservant leur capital d’honorabilité aux yeux de la justice si ce n’est à ceux de la société urbaine. Ils semblent alors refléter en cela les débordements de violence d’une jeune génération dont les comportements, excédant une partie de la population, ne menacent pas suffisamment l’équilibre de la société aux yeux des gouvernants pour mériter de lourds châtiments, d’autant moins qu’ils sont eux-mêmes considérés comme intégrés par leur appartenance à la bourgeoisie dirigeante165.