• 1 Flora Amann, « La Soutane usée de l’abbé de l’Épée », Le Blog Gallica, consulté le 30 décembre 2022 (...)

1Entre 1776 et 1792, Caroline de Solar (de son vrai nom Jeanne Charlotte Madeleine de la Fontaine de Solar), unique descendante du comte et de la comtesse de Solar, se voit impliquée dans une cause célèbre. Son frère sourd-muet, réputé mort en 1774, aurait été enlevé et abandonné par Jean-François Hippolyte Cazeaux, un ami de sa mère. C’est la version popularisée par le célèbre abbé de l’Épée qui a recueilli un enfant en Picardie et rassemblé des témoignages visant à prouver son identité réelle. Cette affaire judiciaire demeure dans les esprits au xxi^e siècle. Un téléfilm, L’Enfant du secret, a été réalisé en 2006 par Serge Meynard et diffusé sur France 2. Le personnage de l’abbé de l’Épée reste populaire et sujet aux récupérations politiques1.

• 2 Siméon-Prosper Hardy, Mes Loisirs, ou journal d’événemens tels qu’ils parviennent à ma connoissance (...)
• 3 Ibid., p. 101-102.
• 4 Ibid., p. 136-137.
• 5 Jack Thomas, « Le sourd-muet de l’abbé de l’épée : récits concurrentiels d’une affaire judiciaire a (...)
• 6 Nicolas-Toussaint Le Moyne Des Essarts, Causes célèbres curieuses et intéressantes, de toutes les c (...)
• 7 Jean-François Eude, Rapport du procès Solar, concernant l’élève sourd et muet de l’abbé de l’Épée, (...)

2L’affaire criminelle fait déjà grand bruit à l’époque. Le procès de Cazeaux au Châtelet est suivi par le public. L’imprimeur-libraire Siméon Prosper Hardy le mentionne à plusieurs reprises dans son journal comme un procès important2. En 1779, l’abbé de l’Épée fait tirer un mémoire de 97 pages à ses frais de l’imprimerie de Benoît Morin. Ce dernier est néanmoins autorisé à en vendre deux cents au prix de trente sols3. Le mémoire adverse, rédigé pour Cazeaux, est « tiré à plusieurs milliers d’exemplaires que l’on vendoit au public sur le pied de trente six sols chaque »4. Ces récits concurrentiels, produits à partir de 1777, ont été analysés par Jack Thomas dans un article paru en 20145. On peut parler de « Cause Célèbre » au sens premier car l’affaire est reprise dans deux livraisons de moins en moins favorables à l’abbé6. À la suite d’une longue procédure et d’une enquête exceptionnelle menée dans le ressort du parlement de Toulouse, la justice a rendu un verdict ambigu en 1781. Cazeaux est reconnu innocent. Cet étudiant en droit n’a pas fait disparaître l’enfant, ni simulé sa mort à la demande de sa mère, la comtesse de Solar. Cependant, le sourd-muet de l’abbé de l’Epée est bien reconnu comme l’héritier du comte de Solar sans que l’on puisse expliquer comment il a pu voyager de son domicile toulousain à la Picardie pour être trouvé errant sur le chemin de Péronne en août 1773. Cazeaux s’en tient à sa version : le comte de Solar est mort de la petite vérole en janvier 1774, au retour d’une cure thermale dans les Pyrénées où il avait servi d’accompagnateur pour rendre service à la comtesse. Il faut attendre la période révolutionnaire et l’année 1792 pour qu’une cour d’appel tranche la question d’état en défaveur de « Joseph », le sourd-muet de l’abbé de l’Épée. Caroline de Solar est alors reconnue comme la seule héritière de ses parents7.

• 8 France, Paris, Archives nationales de France (AnF), AN Y5162A, p. 556. URL :
• 9 Géraldine Ther, Jeux de rôles et de pouvoirs. La représentation des femmes dans les factums (1770-1 (...)
• 10 Moreau de Vormes, Mémoire pour les dames comtesse de Juliac et baronne de Castelnau, contre la femm (...)
• 11 Plaidoyers de M^e Tronson du Coudray, lettre de M^e Moreau de Vormes et consultation pour le sieur Ca (...)

3En effet, Cazeaux, l’abbé de l’Épée et « Joseph » ne sont pas les seuls protagonistes principaux de cette affaire. Le couple Solar a laissé une fille orpheline, Caroline, née en 1764, qui ne reconnaît pas la légitimité de ce frère présumé. Elle fait appel de la décision de 1781 comme le montre le registre des tutelles de Paris du 12 février 17888. Pour défendre ses intérêts, elle s’est, au préalable, appuyée sur son tuteur, l’avocat au Conseil du Roi, Moreau de Vormes. J’ai déjà rencontré ce personnage en dépouillant une série de factums lors de la préparation de ma thèse de doctorat9. En 1777, année où l’affaire est portée devant la justice, Moreau de Vormes défend dans un factum la comtesse de Juliac et la baronne de Castelnau contre leur demi-sœur, la femme Darmana, fille naturelle du sieur Cazeneuve10. Il s’intéresse donc aux questions de légitimité et d’héritages féminins. Moreau participe aussi à la production de mémoires lors de l’affaire Solar. Une lettre adressée à l’abbé de l’Épée est publiée avec le plaidoyer pour Cazeaux de Tronson du Coudray en avril 177911.

• 12 Ariane Boltanski, « Du réseau à l’individu. Quelques réflexions épistémologiques, à partir de trois (...)

4Pour mieux comprendre comment Caroline de Solar se défend et la place qu’elle occupe dans cette cause célèbre, il convient de tenter de reconstituer les réseaux égocentrés12 qui entourent les personnages de Caroline et de Moreau de Vormes.

• 13 Plaidoyers de M^e Tronson du Coudray, lettre de M^e Moreau de Vormes…, op. cit., p. 9 de la lettre de (...)
• 14 France, Paris, Bibliothèque nationale de France (BnF), 4-FM-5619, p. 11 : Mémoire et Réponse A M. l (...)
• 15 BnF, 4-FM-5619, p. 3.
• 16 Nicolas-Toussaint Le Moyne Des Essarts, Causes célèbres curieuses et intéressantes, op. cit., t. 55 (...)

5Les moyens financiers engagés lors de l’affaire pour défendre les protagonistes contrastent avec le statut social de Caroline. À la mort de ses parents, elle n’hérite de rien. D’après Moreau de Vormes, le père, c’est-à-dire le comte de Solar, a vendu ses biens et est mort ruiné. Il ajoute : « Je pense que vous êtes instruit de l’état de la fortune de Madame la Comtesse de Solar. Elle a laissé pour tout bien un mobilier saisi sur son cadavre, qui a produit 600 livres. Les frais de Justice ont absorbé la meilleure partie de cette somme, & des Opposants pour 6 000 livres ont perdu leur créance13 ». Le statut social de la famille Solar apparaît précaire. Le couple, marié en 1760, est très mobile. Leur fils, Guillaume-Jean-Joseph naît en 1762, leur fille, Caroline, en 1764. « La Comtesse de Solar & son mari avoient passé quelques années chez la Dame Clignet leur mère & belle-mère, & où leurs enfants étoient nés »14. Joseph n’a que 4 ou 5 ans lorsque la famille quitte Clermont en Beauvaisis avec une fortune médiocre, vite dépensée. Ils cherchent secours à Paris où le jeune comte est mis en pension. Le couple, accompagné de leur fille, séjourne quelques mois dans le Beaujolais, chez le comte de Vaucance, puis chez le sieur de Crémeri, leur neveu à La Rochelle. Ils partent finalement à Toulouse et les Solar font rappeler leur fils en 1771. Peu de temps après, la comtesse de Solar passe un an à Paris pour gérer la succession de sa mère tandis que son époux se retire, avec ses enfants, à la Grenairie, près d’Albi, chez une amie de sa femme où il meurt en 177315. La comtesse s’installe alors à Toulouse avec ses enfants pour s’occuper de ses affaires16.

• 17 France, Archives départementales de l’Oise [en ligne], 5MI1061, p. 496. URL :
• 18 Bulletin et mémoire de la société archéologique et historique de Clermont, Abbeville, Imprimerie Pa (...)
• 19 AnF, AN Y5202, p. 1222. URL : https://www.geneanet.org/registres/view/13071/1222?individu_filter=10 (...)
• 20 BnF, 4-FM-5619, p. 36.
• 21 Plaidoyers de M^e Tronson du Coudray, lettre de M^e Moreau de Vormes op. cit., p. 9 de la lettre de M (...)
• 22 BnF, 4-FM-5619, p. 2-3.
• 23 Nicolas-Toussaint Le Moyne Des Essarts, Causes célèbres curieuses et intéressantes…, op. cit., t. 5 (...)

6Sur l’acte de mariage, célébré le 10 septembre 1760 à Saint‑Sulpice à Paris, le comte de Solar est présenté comme « gentilhomme de la chambre de son altesse le Comte d’Eu »17. Il est âgé de 55 ans. Son épouse, Jeanne Pauline Antoinette Clignet, n’a que 20 ans. Son père, Jean-Baptiste Clignet de Marqueny, est avocat au parlement. Sa mère, Jeanne Daustel (ou d’Hostel) est fille de Nicolas-Guillaume Daustel, marchand bijoutier de Paris. La famille Clignet s’installe à Clermont en Beauvaisis car la tante de Clignet, la veuve Thouret, lui a légué sa maison, rue Nointel, par testament du 4 novembre 174418. Cependant, la santé financière de la famille semble compromise rapidement. Un acte du registre des tutelles réalisé en 1758, lors de la succession de l’oncle de Jeanne Daustel, Antoine-Paul Desgodets, indique qu’elle est alors séparée de biens avec son époux19. En 1760, Clignet de Marqueny n’assiste pas au mariage de sa fille20. Pour Jeanne-Pauline-Antoinette Clignet, le mariage avec le comte de Solar représente une possibilité d’ascension sociale. Dans son mémoire, Moreau de Vormes évoque « un Contrat de 40 000 livres, qui faisoit partie d’une substitution en faveur de M. le Comte de Solar & de ses descendants mâles », mais la substitution n’a pas été publiée car le comte de Solar a vendu les biens compris dans la substitution. « Les acquéreurs ne peuvent pas être évincés »21. Ces difficultés financières ont pu engendrer des mésententes dans le couple. Les défenseurs de Cazeaux et Caroline insistent sur l’harmonie et l’amour familial22. Cependant, l’abbé de l’Epée met en avant la discorde en critiquant la comtesse de Solar : « Enfin, c’est cette dame dont il est notoire dans la ville d’Alby, qu’il y avoit entre elle et le comte de Solar, une mésintelligence continuelle, dont elle étoit la cause principale23 ».

• 24 Ariane Boltanski, « Du réseau à l’individu... », art. cit., p. 50.
• 25 Nicolas-Toussaint Le Moyne Des Essarts, Causes célèbres curieuses et intéressantes…, op. cit., t. 5 (...)
• 26 BnF, 4-FM-5619, p. 5.
• 27 Paris, France, Fonds Laborde, Laborde-041. URL : https://www.geneanet.org/registres/view/105033/205
• 28 AnF, AN Y5270, p. 250. URL : https://www.geneanet.org/registres/view/111/250
• 29 BnF, 4-FM-5619, op. cit., Deuxième mémoire, p. 26-27.

7Pour faire face aux difficultés financières, la comtesse de Solar s’appuie sur son capital social24. Elle cherche à obtenir de l’aide par son réseau d’alliés : « Elle emprunte 1 800 liv. et tire des graces d’autres personnes25 ». Même appauvrie, elle est présentée comme une relation à poursuivre pour le jeune étudiant en droit et clerc de procureur qu’est Cazeaux : « Le sieur Cazeaux fut flatté d’obliger la dame de Solar dans une occasion où il pouvoit la servir si aisément, puisqu’il devoit lui-même accompagner aux eaux la dame Cazeaux sa mère. Il avouera, d’ailleurs, que connoissant à la dame de Solar, dont il avoit depuis plusieurs mois transcrit les lettres, des relations très-distinguées & très-puissantes, il pensa que ce service, rendu de bonne grace, pourroit ne lui pas être inutile pour son avancement & sa fortune26 ». Elle possède en effet des relations à la fois dans la noblesse et dans le milieu des avocats au parlement et des bourgeois de Paris. Elle est aussi l’arrière-petite-fille d’Antoine Desgodets, le célèbre architecte du roi et professeur à l’académie royale d’architecture27. Elle peut également s’inspirer de sa mère et de sa grand-mère qui ont géré elles-mêmes les affaires familiales. Sa mère, Jeanne Daustel, est une épouse séparée de biens. Sa grand-mère, Louise Desgodets, est nommée tutrice de ses enfants mineurs, Jeanne et Guillaume, à la mort de son époux, Nicolas-Guillaume Daustel en 171328. Ce capital relationnel s’affaiblit cependant avec le temps et la distance29.

• 30 Jack Thomas, « Le sourd-muet de l’abbé de l’Épée… », art. cit.
• 31 AnF, AN Y5163A, p. 206. URL :
• 32 Nicolas-Toussaint Le Moyne Des Essarts, Causes célèbres curieuses et intéressantes… op. cit., t. 55 (...)
• 33 BnF, 4-FM-5620 : Mémoire pour le Sieur Cazeaux, Étudiant en Droit en l’Université de Toulouse (M^e É (...)
• 34 Nicolas-Toussaint Le Moyne Des Essarts, Causes célèbres curieuses et intéressantes…, op. cit., t. 5 (...)
• 35 Archives départementales de l’Oise [en ligne], 5MI1061, p. 496. URL :
• 36 AnF, AN Y5202, p. 1222. URL :
• 37 Nicolas-Toussaint Le Moyne Des Essarts, Causes célèbres curieuses et intéressantes…, op. cit., t. 5 (...)

8À la mort de la comtesse de Solar, le réseau familial ne semble pas se mobiliser immédiatement pour venir en aide à la jeune Caroline. Elle est confiée à une revendeuse toulousaine30. Seule une cousine de la comtesse de Solar semble se préoccuper du sort de la jeune fille. Marguerite-Françoise Julliot est cousine au quatrième degré des enfants Solar. Le détail de la généalogie n’est pas connu mais les deux femmes semblent apparentées par la famille Daustel. Un acte du registre des tutelles de 1788 concernant l’interdiction d’un certain Augustin-François Julliot mentionne à la fois Marguerite-Françoise Julliot, tante du jeune homme et Guillaume-Toussaint Daustel de la Baronnière, avocat au parlement et cousin paternel de l’interdit Julliot31. Or, ce Guillaume-Toussaint est le cousin germain maternel de la comtesse de Solar, fils de Guillaume Daustel et de Marie-Catherine Joisneau. La comtesse de Solar est restée très proche de la famille Joisneau jusqu’à la fin de sa vie puisqu’elle va chercher de l’aide chez un dénommé Joisneau à Paris en 177132. En outre, c’est une Demoiselle Jouaisneau qui avait eu soin à Paris du petit comte de Solar, pendant qu’il y fut en pension dans l’Isle Saint‑Louis33. La comtesse de Solar continue à écrire depuis Toulouse à « son parent et ami pour lui parler de pensions, de dettes, d’argent à emprunter34 ». C’est donc une partie bien spécifique de la parentèle maternelle qui se mobilise. À aucun moment ne sont évoqués des tentatives visant à secourir Caroline de la part du frère de la comtesse de Solar, de son père ou de son cousin maternel, Guillaume-Toussaint Daustel. La famille Daustel a joué un rôle particulièrement important dans la vie de la comtesse de Solar. Lors de son mariage, son père est absent mais son oncle Guillaume Daustel, avocat au parlement, est bien présent35. Jeanne Daustel et son frère Guillaume semblent proches puisque cette dernière, alors séparée de biens d’avec son mari, donne procuration à son frère dans un acte du registre des tutelles datés de 1758 visant à demander la création d’un curateur pour la succession de leur oncle maternel36. Si les relations entre le frère et la sœur apparaissent bonnes, elles semblent se dégrader entre le cousin et la cousine : « M. Daustel de la Baronniere, son cousin germain, dit qu’elle était très expérimentée dans l’art de mentir37 ». Cela pourrait expliquer son inaction à la mort de sa cousine.

• 38 BnF, 4-FM-5620, p. 54.
• 39 Ibid., p. 55.
• 40 BnF, 4-FM-5619, p. 35.
• 41 La famille de Moreau de Vormes est originaire de l’Yonne. Marguerite-Françoise Julliot décède à Sen (...)
• 42 AnF, AN Y 18570/B.
• 43 BnF, 4-FM-5621 : Vue Générale de l’Affaire du soi-disant Comte de Solar… composé de « Extrait de l’ (...)

9Marguerite-Françoise Julliot n’est pas mentionnée en tant que telle dans les factums et récits de Causes Célèbres consultés. Elle est toujours présentée comme l’épouse de Moreau de Vormes et la bienfaitrice de Caroline. Dans son mémoire, ce dernier explique qu’il a accepté de devenir le tuteur de la jeune fille à la demande de sa femme : « Ma femme étoit cousine de la Comtesse de Solar : elle apprit, vers la fin de l’année 1775, que sa parente étoit morte à Toulouse, au mois d’Octobre précédent, dans l’indigence ; elle fut attendrie sur le sort d’une fille d’environ onze ans qu’elle avoit dû laisser ; elle me communiqua ses inquiétudes ; elle n’eut pas de peine à m’inspirer tout ce que son ame sensible éprouvoit pour un enfant qui lui appartenoit, & que l’infortune lui rendoit encore plus cher38 ». Cette-dernière entreprend des démarches pour retrouver sa parente : « Je conseillai à ma femme de s’adresser à M. de Parazol, premier Avocat-Général du parlement de Toulouse : elle lui écrivit ; elle le pria de faire chercher Mademoiselle de Solar, & de la lui envoyer pour pourvoir à ses besoins & veiller à son éducation. Ce Magistrat répondit qu’il avoit trouvé l’enfant dans la misere ; qu’il l’avoit fait mettre dans une pension, & qu’il la lui enverroit à Paris aussi-tôt que sa foible santé, & une saison plus douce lui permettroient de supporter un aussi long voyage. ». Le couple de Vormes récupère Caroline en juin 1776. Moreau de Vormes devient son tuteur : « Je fis part de son arrivée à sa famille qui m’invita de me charger de la tutele de cette enfant, non pour régir ses biens, puisque ses père & mere m’ont laissé des dettes, mais pour lui procurer les secours dont elle avoit besoin39 ». Un sieur Jouaisneau, contrôleur de la marque d’or et d’argent, est nommé curateur de Caroline40. Elle est placée, pour son éducation, à l’Abbaye Royale Saint‑Antoine de Sens41. Marguerite-Françoise Julliot joue un rôle de conseillère auprès de Caroline, en particulier pendant l’enquête menée dans le Toulousain42. Elle accompagne alors Caroline et l’aide à faire face au système judiciaire, aux témoins et aux récolements : « Une dame qui a donné en cette occasion un grand exemple de bienfaisance & de générosité, la dame de Vormes, partit aussi avec la demoiselle de Solar sa pupille, qu’elle seule pouvoit décemment accompagner ; la mauvaise santé de cette dame ne rallentit point son zele43 ».

• 44 BnF, 4-FM-5620, p. 55.
• 45 Jean Duma, Les Bourbon-Penthièvre (1678-1793). Une nébuleuse aristocratique au xviii^e siècle, Paris (...)
• 46 Ibid., p. 38.
• 47 Ibid., p. 204.
• 48 BnF, 4-FM-5619, op. cit., Deuxième mémoire, p. 26-27.

10Le couple Moreau s’emploie aussi à assurer la protection de Caroline en lui procurant une pension du duc de Penthièvre : « j’ai sollicité des secours auprès M. le Duc de Penthièvre, & ce Prince a accordé une pension de 400 livres pendant cinq ans, pour contribuer à l’éducation de l’enfant, en considération des services rendus par M. le Comte de Solar son père à M. le Comte d’Eu, en qualité de son premier Gentilhomme »44. Le duc de Penthièvre, fils du comte de Toulouse, bâtard de Louis xiv et de Françoise-Athénaïs de Rochechouart-Mortemart, épouse Montespan, est alors célèbre pour sa générosité. Il allait jusqu’à distribuer de 100 000 à 200 000 livres d’aumônes chaque année. Jean Duma souligne que sa fortune estimée à plus de cent millions de livres en 1789 (la troisième de France) est nourrie par plusieurs milliers de « dépendants », sans doute plus de 150 00045. Il hérite de son cousin, le comte d’Eu, en 1775, ce qui en fait un des premiers propriétaires fonciers du royaume46. À ce titre, il continue de verser les pensions que prodiguaient son cousin47. Or, jusqu’à sa mort, la comtesse de Solar touchait 800 livres de pension viagère du comte d’Eu, ce qui semble correspondre à sa source de revenu principale48. Le couple Moreau essaie de réactiver le capital social de Caroline et de la placer sous la protection d’un personnage puissant pour la préserver de la pauvreté.

• 49 Ibid., Premier mémoire, p. 37-38.
• 50 Albert Poirot, Le milieu socio-professionnel des avocats au Parlement de Paris à la veille de la Ré (...)
• 51 Ibid, t. 2, p. 121 et 126.
• 52 Plaidoyers de M^e Tronson du Coudray, lettre de M^e Moreau de Vormes…, op. cit., p. 7.

12Dans un mémoire publié en 1779, Élie de Beaumont rend hommage à la générosité de Moreau de Vormes et de son épouse : « Il nous est doux au milieu des erreurs, des préventions & des contrariétés affligeantes, & en même-temps des spectacles cruels, dont cette affaire offre le tableau, de pouvoir nous reposer sur un trait de bienfaisance qui nous confirme cette vérité précieuse, que c’est principalement dans les classes moyennes de la société que se trouvent la vraie générosité et la vertu49 ». Paul-Augustin Moreau de Vormes est avocat au parlement de 1744 à 1754, puis avocat au Conseil du Roi50. Or, Albert Poirot souligne que le milieu social dont sont issus les avocats au parlement n’est pas très élevé. Ils appartiennent à la moyenne bourgeoisie liée à la robe, aux offices de judicature et de finances. Ils sont prêts à vanter les qualités de cette bourgeoisie modeste mais honorable⁵¹. C’est ce topos que reprend Élie de Beaumont. Cette présentation tranche avec celle que fait l’abbé de l’Épée de son ennemi. Il insinue que Moreau de Vormes, par le biais de son réseau, a réussi à convaincre le célèbre avocat, proche de Voltaire, de participer à la défense de Cazeaux. Moreau de Vormes ridiculise de telles affirmations : «En vérité, M. l’Abbé, vous me faites mille fois plus d’honneur que je n’en mérite52 ».

• 53 Jacob-Nicolas Moreau, Mes souvenirs, éd. par Camille Hermelin, 1898-1901, Paris, Plon, p. xvii.
• 54 Ibid, p. 2 et 6.
• 55 Ibid., p. 46-48.
• 56 Ibid., p. 8
• 57 Isabelle Coquillard, « L’émergence d’un groupe professionnel : les docteurs régents de la faculté d (...)
• 58 Dieter Gembicki, Histoire et Politique à la fin de l’Ancien Régime. Jacob-Nicolas Moreau 1717-1803, (...)
• 59 Blandine Hervouët, Jacob-Nicolas Moreau, le dernier des légistes. Une défense de la constitution mo (...)
• 60 Dieter Gembicki, Histoire et Politique …, op. cit., p. 343.
• 61 Ibid., p. 350.
• 62 Jacob-Nicolas Moreau, Mes souvenirs, op. cit., p. 305.
• 63 Ibid., p. 307.

13Pourtant, la famille de Moreau de Vormes se trouve bel et bien au cœur de stratégies d’ascension sociale. Les Mémoires de son frère, Jacob-Nicolas Moreau, dont une version expurgée a été publiée par Camille Hermelin au xix^e siècle, permettent d’en apprendre davantage sur la généalogie de la famille53. Moreau de Vormes est issu d’une famille nombreuse originaire de Saint‑Florentin. Son père, Edme-Nicolas Moreau, fervent janséniste, parvient néanmoins à obtenir une place au Conseil du Roi lors de la réforme de 173854. Ses grands-parents, Jacob Moreau et Philippe Gallimard, exerçaient aussi la profession d’avocat55. Edme-Nicolas Moreau privilégie l’éducation de ses enfants. L’aîné, Jacob-Nicolas Moreau, est destiné à la médecine mais il préfère le droit et la littérature56, alors son frère cadet, Edme-Nicolas Moreau, devient médecin à sa place. Isabelle Coquillard souligne que le prix des études médicales à Paris est élevé au xviii^e siècle. Il faut compter 6 000 livres. La solidarité familiale joue donc un rôle majeur. Qu’il s’agisse d’exercer la médecine ou la profession d’avocat, le capital social est très important afin de pouvoir constituer une clientèle57. En comparaison du destin de ses frères, Jacob-Nicolas Moreau va connaître une ascension sociale fulgurante qui le propulse au sommet de la petite robe. Le conseiller juridique a su trouver une clientèle dans la haute noblesse et le haut clergé. Son premier mariage, en 1759, avec Henriette-Marguerite de Coulange, le lie indirectement à la duchesse de Polignac et à la famille de Périgord. Grâce au maréchal de Noailles, il trouve une place au ministère accompagnée d’un traitement de 15 000 livres. Il poursuit une carrière d’apologiste de la monarchie qui lui assure aisance et sécurité. Dans son autoportrait, écrit en 1767 à l’occasion de son second mariage, Moreau qualifie ses biens de « modique fortune »58. Pourtant, son contrat de mariage chiffre celle-ci à 100 000 livres. En 1772, il obtient la place de premier conseiller du comte de Provence. En 1774, il devient historiographe de France59. Dès 1773, il se porte acquéreur de la « terre, fief et seigneurie de Chambourcy […] consistant principalement en un ancien château »60. Il devient seigneur roturier. L’ascension sociale de la famille est achevée lorsque sa fille, Augustine Pauline, épouse le baron de Clédat en 179261. Moreau de Vormes, lui, reprend la charge de son père au Conseil du Roi. Sa fortune est plus modeste mais il entretient son capital social par le biais de sa famille. Les deux frères peuvent être amenés à collaborer. Jacob-Nicolas fait nommer son frère avocat de la ville de Périgueux62. Il prend sous son aile son neveu Jacob-Augustin-Antoine, fils de Moreau de Vormes, et essaie de lui obtenir une place au conseil du Cap63.

• 64 Anne-Ursule Gallimard (27/03/1700 – 20/10/1781).
• 65 Mademoiselle Lenoble.
• 66 Adélaïde épouse M. de Lavitte le 08/01/1770.
• 67 BnF, 4-FM-5620, p. 57.

14L’ensemble de la famille se mobilise lors de la première visite de Caroline chez l’abbé de l’Épée afin de rencontrer son prétendu frère : « J’invitai plusieurs parens & amis à être spectateurs de cette scene intéressante. […] Je me trouvai au rendez-vous donné avec Mademoiselle de Solar, ma mere64, mon frere aîné, premier Conseiller du Conseil de Monsieur, ma belle-sœur, femme de M. Moreau, Docteur-Régent de la faculté de Médecine de Paris65, une cousine germaine, femme de M. Moreau de Presle, Avocat, Madame de Lavit ma fille66, Mademoiselle Jouaisneau qui avoit eu soin à Paris du petit comte de Solar, pendant qu’il y fut en pension dans l’Isle Saint‑Louis, & ma femme67 ». Outre Jacob-Nicolas Moreau et Moreau de Vormes, c’est la parentèle féminine qui se mobilise pour assister à la scène de non reconnaissance de « Joseph ». Les deux frères sont bien proches au début de l’affaire.

• 68 Jacob-Nicolas Moreau, Mes souvenirs, op. cit., p. 270-272.
• 69 Ibid., p. 304.
• 70 Ibid, p. 307.
• 71 Plaidoyers de M^e Tronson du Coudray, lettre de M^e Moreau de Vormes…, op. cit.
• 72 BnF, 4-FM-5619, op. cit., Second mémoire, p. 66-67 : « dans ce moment même, j’apprends que M. Morea (...)
• 73 Jacob-Nicolas Moreau, Mes souvenirs, op. cit., p. 307.
• 74 Ibid., p. 308.

15L’abbé de l’Épée semble avoir raison lorsqu’il insinue que Moreau de Vormes a des alliés importants. Pourtant, les Mémoires publiées de Jacob-Nicolas Moreau n’évoquent pas du tout l’affaire. L’abbé de l’Épée est bien mentionné mais uniquement lorsqu’il relate la visite de Joseph ii en 1777. Il déclare avoir « connu, estimé et respecté » l’abbé68. Ce silence est peut-être lié à la dégradation de la relation entre les frères. Jacob-Nicolas relate une brouille en 1779 au moment de Pâques : « Le mardi 6 avril 1779, M. l’abbé Bertin m’écrivit une lettre qu’il me priait d’envoyer à mon frère, l’avocat au Conseil, et par laquelle il se plaignait de la conduite singulière que Vormes, mon autre frère, tenait avec le député de Périgueux. Cette affaire me cause beaucoup de chagrin ; je m’y trouvai entre mon frère, qui avait tort, et le ministre, auprès de qui j’aurais voulu l’excuser ; elle mérite que j’en parle ici69 ». Bertin est le protecteur de Jacob-Nicolas. C’est pour lui rendre service qu’il a accepté de défendre la ville de Périgueux qui revendique des privilèges en tant que ville noble. Moreau de Vormes signe le mémoire principalement rédigé par Jacob-Nicolas. Il demande à être payé, ce que lui reproche son frère : « le samedi de la Passion 1779, comme je dînais à Versailles chez M. Bertin, il reçut une lettre du député de Périgueux, qui se plaignait amèrement de ce que mon frère lui refusait une cinquantaine d’exemplaires de l’ancien mémoire que j’avais fait, et par là retardait le jugement que le ministre désirait finir. Le motif du refus était le salaire de l’avocat, et le député alléguait que Vormes avait promis deux mois auparavant […] de se contenter d’une reconnaissance de cette dette de la part de la ville70 ». Or, c’est aussi en avril 1779 que Moreau de Vormes travaille à l’impression d’un mémoire défendant Cazeaux avec Tronson du Coudray destiné à être tiré à un millier d’exemplaires71. Moreau compte peut-être sur les revenus tirés du mémoire rédigé pour la ville de Périgueux pour financer cette impression72. Son frère n’en parle pas. L’affaire s’envenime et des insultes sont prononcées : « Je pris donc le parti de parler à Vormes chez mon frère, le médecin, qui nous donnait à souper le lendemain. Il se mit dans une colère terrible et m’accabla d’injures. Cette scène m’irrita ; néanmoins je me contins, et je résolus de sauver cet imbécile de sa folie et de tout mettre en œuvre pour lui épargner une sottise. »73. L’affaire s’envenime. Moreau de Vormes réclame 900 livres, puis 1 538 livres : « Le mercredi, j’eus de Vormes une impertinente réponse, dans laquelle il me mandait de faire porter chez le médecin 1,538 livres ; mais comme il n’y joignait pas son mémoire, comme il y répétait ses injures, je n’y déférai point ; j’appris, d’ailleurs, qu’il était parti à la campagne dès la veille de Pâques, ce qui piqua fort M. l’abbé Bertin74 ». Jacob-Nicolas Moreau ne semble donc pas avoir soutenu réellement son frère tout au long de l’affaire. Il est présent au début mais les deux hommes se brouillent au moment du procès. En outre, une partie de la famille de Caroline soutient l’abbé de l’Épée dans sa volonté de faire reconnaître Joseph comme l’héritier légitime du comte de Solar.

• 75 Michaud, « Épée (Charles-Michel de L’) », Biographie Universelle, Paris, 1855, t. 12, p. 507-511. J (...)
• 76 BnF, 4-FM-5619, op. cit., Second mémoire, p. 34-35 : « Je vois dans votre Lettre, avec Reconnoissan (...)

16L’abbé de l’Épée est un personnage populaire connu pour son désintéressement et ses œuvres de bienfaisance. Il est né en 1712, d’un père expert ordinaire des bâtiments du roi. D’abord avocat au parlement de Paris, il étudie ensuite la théologie avant d’être nommé chanoine par Bossuet. Possédant 7 000 à 12 000 livres de rentes, il fonde une école pour les sourds-muets. Le duc de Penthièvre soutient cette entreprise75. Lorsqu’il recueille le jeune sourd-muet abandonné, il mobilise son réseau pour retrouver sa famille76. Hardy souligne, dans son Journal, la popularité du personnage et sa capacité à convaincre. Le 19 mars 1779, il écrit :

• 78 BnF, 4-FM-5619, p. 36-37.

17L’abbé de l’Épée parvient à convaincre une partie de la parentèle du comte de Solar que l’enfant trouvé est bien Joseph : il peut s’appuyer sur la reconnaissance de son aïeul, Clignet de Marqueny, de son oncle, Clignet de la Motte ou encore de son cousin Guillaume Toussaint Daustel de la Baronnière78. De telles reconnaissances de membres masculins de la famille donnent des airs d’autorité aux théories de l’abbé. Pourtant, il semble que ceux qui reconnaissent Joseph ont peu fréquenté l’enfant ou ne l’ont pas revu après son départ de Clermont à l’âge de quatre ou cinq ans. Cela fragilise leur capacité à l’identifier.

• 79 Ibid., p. 40.
• 80 Plaidoyers de M^e Tronson du Coudray, lettre de M^e Moreau de Vormes…, op. cit., p. 3-4

18L’approche de Moreau de Vormes est cependant plus prudente. Séduit par l’abbé, il autorise la rencontre entre Caroline et son prétendu frère. Il accepte de le recevoir chez lui et autorise Caroline à dîner chez l’abbé avec son cousin Daustel. Trois dîners sont organisés79. Pendant ce temps, Moreau mène l’enquête à Toulouse en s’appuyant sur « M. le Chevalier de la Barre, chargé par M. de Saint‑Germain, Ministre de la Guerre, d’une commission dans les Provinces méridionales80 ». Il cherche à récupérer le certificat de décès du comte de Solar et à mieux connaître les circonstances de sa mort présumée. Il refuse de devenir le tuteur de « Joseph » tant que la question d’État n’est pas tranchée :

• 84 Jack Thomas, « Le sourd-muet de l’abbé de l’Épée… », art. cit., p. 459.
• 85 BnF, 4-FM-5619, p. 38-39.

21Dès novembre 1777, le procureur du roi au Châtelet a adressé une requête au lieutenant civil : question d’état du jeune sourd-muet et poursuite contre ceux qui ont cherché à le priver de son état. Jusqu’en février-mars 1778, Moreau de Vormes et Caroline sont les seuls opposants aux thèses de l’abbé84. Caroline est interrogée par la justice et affirme ne pas reconnaître son frère85.

• 86 Jean-Chrétien-Ferdinand Hœfer (dir.), Nouvelle Biographie Générale, op. cit.

22Le soutien continu du duc de Penthièvre à l’abbé de l’Épée peut expliquer en partie le jugement ambigu de 1781, qui cherche à ne froisser personne en reconnaissant à la fois l’innocence de Cazeaux et l’identité du jeune comte de Solar. La révision du procès, en 1792, a lieu juste après la mort de l’abbé de l’Épée et quelques mois avant la mort du duc de Penthièvre86. Cependant l’abbé a aussi des détracteurs. C’est ce que suggère Hardy dans son journal, le 14 mars 1779 :

• 88 Ibid., p. 420-421 : « On maintenoit que l’incident qui avoit donné lieu au jugement cidessus énoncé (...)

23Hardy souligne à nouveau les motivations anti-jansénistes de l’évêque de Comminges dans l’entrée du 13 mai 178088. Les tendances jansénistes de l’abbé sont aussi évoquées par Jacob-Nicolas Moreau dans ses Mémoires lorsqu’il raconte la visite de Joseph ii à Paris :

• 90 Ibid., p. 273 : « Le religieux ecclésiastique de qui je tiens ce fait, et qui logeait dans la même (...)
• 91 Blandine Hervouët, Jacob-Nicolas Moreau, op. cit., p. 337.
• 92 Jacob-Nicolas Moreau, Mes souvenirs, op. cit., p. xiii.
• 93 Blandine Hervouët, Jacob-Nicolas Moreau, op. cit., p. 337-338 et 341-342.

24Il suggère que l’abbé de l’Épée poursuit un agenda politique qu’il réprouve90. Le réseau de soutien de Jacob-Nicolas Moreau prend en effet racine dans le clan dévot. Dans sa jeunesse, il s’est éloigné de l’entourage janséniste qu’il fréquentait pendant ses études. Sa carrière a été soutenue par le maréchal de Noailles, le contrôleur général Bertin, mais aussi le Dauphin, père de Louis xvi91. Il reste proche des tantes et des frères du roi92. Ce sont « les partisans du roi et de l’autel qui estiment l’œuvre de Jacob-Nicolas »93. Or Moreau de Vormes peut s’appuyer sur son frère au début de l’affaire. Le soutien à Cazeaux et à Caroline de Solar semble s’organiser à partir de ce réseau.

• 94 Siméon-Prosper Hardy, Mes Loisirs…, op. cit., vol. 6, p. 420-421 : Du samedi treize mai [1780].
• 95 BnF, 4-FM-5619, p. 13.
• 96 BnF, 4-FM-5620.
• 97 Ibid., Second mémoire, p. 3.
• 98 Jacques de Cazotte, Un avocat dans la tourmente : Guillaume Alexandre Tronson du Coudray, 1750-1798 (...)
• 99 Albert Poirot, Le milieu socio-professionnel des avocats au Parlement de Paris…, op. cit., t. 1, p. (...)
• 100 Ibid., t. 2, p. 108-109.

25Le clan dévot n’est pas le seul à apporter du soutien à Cazeaux et à Caroline de Solar. De nombreux avocats parmi les plus célèbres de l’époque se mobilisent pour prévenir ce qu’ils estiment être une erreur judiciaire. Hardy, dans son Journal, va même jusqu’à qualifier l’affaire de « cause des avocats » : « Maître Élie de Beaumont avocat avoit, disait-on, ourdi toute cette trame et échauffé le zèle et l’émulation de plusieurs jeunes jurisconsultes jaloux de se signaler par quelque plaidoyerie qui pût faire une sorte d’éclat dans l’arène du bareau. On l’avoit vu mandier lui-même des applaudissements pour ces nouveaux athelètes au point qu’en plein Palais on avoit appellé assez hautement cette cause, la cause des avocats94 ». Élie de Beaumont, célèbre avocat défenseur de Calas et ami de Voltaire, affirme avoir été contacté directement par M. d’Osmond, évêque de Comminges, qui l’a prié d’embrasser la défense de Cazeaux95. Il la rédige, mais ne plaide pas96. C’est le jeune avocat ambitieux, Tronson du Coudray qui se charge de cette partie de la défense de Cazeaux en avril 1779 : « un jeune Orateur, déjà désigné par de grands talents pour défendre l’innocence, avoit porté la conviction & le soulèvement à la fois dans l’ame des Magistrats & de trois mille citoyens rassemblés !97 ». Tout comme les Moreau, il semble pouvoir s’appuyer sur les recommandations de la famille de Périgord98. Venant d’accéder au barreau en 1778, il cherche alors à se faire un nom99. Les affaires célèbres permettent aux avocats de montrer leurs talents et de recueillir les lauriers de la renommée100.

• 101 David A. Bell, Lawyers and Citizens. The Making of a Political Elite in Old Regime France, Oxford U (...)
• 102 Pierre Chevallier, Histoire de la Franc-maçonnerie, t. I: La Maçonnerie, école de l’Égalité, 1725-1 (...)
• 103 Jacques de Cazotte, Un avocat dans la tourmente…, op. cit., p. 43.
• 104 Anonyme (Jacob-Nicolas Moreau), « Avis utile, ou Premier Mémoire sur les Cacouacs », Mercure de Fra (...)
• 105 Dieter Gembicki, Histoire et politique à la fin de l’Ancien Régime…, op. cit., p. 349.
• 106 Cité dans Jacob-Nicolas Moreau, Mes souvenirs, op. cit., p. xxix.
• 107 La Décade Philosophique Littéraire et Politique par une Société de Gens de Lettres, VIII^e année de (...)
• 108 Édouard Guitton, Ginguené (1748-1816) : idéologue et médiateur, Rennes, Presses universitaires de R (...)
• 109 En 1799 et 1800, le dramaturge J.-N. Bouilly écrivit et monta une pièce de théâtre : L’Abbé de l’Ép (...)

26Élie de Beaumont se rattache davantage au parti des philosophes qu’au clan des dévots101. Il fait partie de la loge franc-maçonne des Neufs Sœurs fondée en 1776102, qui vise à œuvrer pour le bonheur terrestre des Hommes. Les avocats membres de cette loge doivent offrir des consultations gratuites aux démunis et défendre les victimes des injustices103. Tout éloigne Élie de Beaumont, a priori de la famille Moreau car Jacob-Nicolas Moreau est réputé pour des pamphlets anti-philosophiques104. Pourtant, il peut y avoir une certaine porosité entre ces différents réseaux. La deuxième femme de Jacob-Nicolas Moreau, Marie-Louise O’Neill, qu’il a épousée en 1767, a été proche d’amis de Rousseau et des physiocrates105. C’est une intellectuelle, comme le souligne l’éloge funèbre fait par M. Delacroix dans le Spectateur français en 1820¹⁰⁶. Les membres des Neuf Sœurs restent intéressés par l’affaire Solar/Cazeaux après le décès d’Élie de Beaumont en 1786. Le Journal La Décade Philosophique rend compte du jugement de 1792 favorable à Caroline et à Cazeaux107. Pierre-Louis Guiguené, idéologue de la loge des Neuf Sœurs fonda ce journal108. L’article critique en outre une pièce de théâtre qui montre l’abbé de l’Épée sous un jour favorable¹⁰⁹.

• 110 Albert Poirot, Le milieu socio-professionnel des avocats au Parlement de Paris…, op. cit., t. 1, p. (...)
• 111 Ibid., p. 149.
• 112 Ibid., t. 2, p. 95-96.
• 113 BnF, 4-FM-5621, op. cit.
• 114 Albert Poirot, Le milieu socio-professionnel des avocats au Parlement de Paris…, op. cit., t. 1, p. (...)
• 115 David Bell, Lawyers and citizens…, op. cit., p. 131.

27Élie de Beaumont fait aussi partie des avocats participant aux conseils des princes et travaille pour les frères du roi, tout comme Jacob-Nicolas Moreau. Entre 1772 et 1774, il est avocat général du conseil de comte de Provence (futur Louis xviii) et de 1773 à 1786, il est intendant des finances au conseil du comte d’Artois110. Jacob-Nicolas Moreau, lui, est premier conseiller du conseil du comte de Provence à partir de 1772111. Neuf avocats sont membres du conseil de Monsieur, le comte de Provence. Les princes confient très volontiers leurs intérêts à des avocats au parlement qui aspirent à la reconnaissance112. D’autres avocats issus du même milieu co-signent des consultations d’Élie de Beaumont destinées à défendre Cazeaux113. Sylvain Prunget des Boissières est membre du conseil souverain de Bouillon de 1756 à 1763114. Guy Jean-Baptiste Target, connu comme le défenseur du cardinal de Rohan dans l’affaire du collier, semble considéré comme un des plus grands avocats de son temps. À partir de 1772, il est avocat Consultant du Conseil du comte de Provence ; à partir de 1782, il devient membre du Conseil du comte d’Artois ; il est aussi membre du Conseil souverain de Bouillon de 1776 à 1790. Élie de Beaumont et Guy Target aiment défendre des cas qui passionnent le public éclairé, ainsi participent-ils à la défense de Calas. Ils ont accumulé de grandes fortunes ; Élie de Beaumont accède même à la noblesse. Après avoir défendu le camp parlementaire, ils ont tous deux aidé le parti des ministres115.

• 116 Pierre Nicol, À l’ombre des Thibault : Histoire de Mandres et de ses habitants, Paris, Syros, 1990, (...)
• 117 « Louis-Alexandre Berthier », Wikipedia, consulté le 30 décembre 2022. URL : https://fr.wikipedia.o (...)
• 118 France, Paris, Archives départementales de Paris, AD75V10E4, p. 71. URL : https://www.geneanet.org/ (...)

28On peut se demander dans quelle mesure Cazeaux a pu bénéficier du réseau lié au comte de Provence, y compris après la conclusion de l’affaire. Cazeaux devient en effet maire de Mandres sous la Restauration, une terre que Monsieur, frère du roi, avait achetée en 1774 et qui a été mise sous séquestre pendant la Révolution avant d’être récupérée par le prince de Wagram dont la mère, Françoise L’Huillier de la Serre, était femme de chambre de Monsieur116. Au début de la Révolution, Louis-Alexandre Berthier, futur prince de Wagram avait, en tant que major général de la garde nationale à Versailles, facilité l’émigration du comte d’Artois, des Polignac et des deux tantes du Roi, Mesdames Adélaïde et Victoire de France. À la Première Restauration, Louis xviii lui fait bon accueil117. Il est donc envisageable que Cazeaux ait bénéficié de ce réseau pour se créer une situation sociale honorable dans la ville de Mandres. Caroline continue de partager le destin de ce dernier après la conclusion de l’affaire puisqu’elle l’épouse le 27 mars 1793118.

• 119 De l’anglais « agency », la notion d’agentivité invite à se questionner sur la capacité d’un indivi (...)
• 120 BnF, 4-FM-30305 : M^e Mitantier, Plaidoyer prononcé en l’audience de la Tournelle du 15 Avril Pour D (...)
• 121 Albert Poirot, Le milieu socio-professionnel des avocats au Parlement de Paris…, op. cit., t. 1, p. (...)
• 122 AnF, AN Y 18570/B.

29L’affaire Solar s’est cristallisée autour de la défense de Cazeaux. Caroline de Solar apparaît dans les factums rédigés comme un personnage secondaire. À la Bibliothèque nationale de France (BnF), on retrouve un seul mémoire de 26 pages écrit explicitement pour elle en 1780, par M^e Mitantier, un avocat peu connu120. Nous savons que son prénom est Claude, qu’il est inscrit au barreau des avocats au parlement en 1774 et qu’il meurt en 1784121. Seuls 8 de ses factums sont conservés à la BnF. Il est difficile de retrouver la voix de Caroline dans les factums et récits des Causes Célèbres. Seules les archives du Châtelet permettent d’approcher la jeune fille d’une manière un peu plus directe122. Protégée par Moreau de Vormes dans un premier temps, la jeune femme ne gagne son procès en appel en 1792 qu’après la mort de ce dernier en 1791. Au vu des éléments dont nous disposons, quel bilan pouvons-nous tirer de l’agentivité de Caroline dans cette affaire ?

• 123 BnF, 4-FM-30305, op. cit., p. 17.

30Caroline provient d’un milieu social qui semble valoriser l’éducation des femmes. Sa mère, la comtesse de Solar, s’occupe elle-même de ses affaires, dès avant le décès de son mari. Sa tutrice, Marguerite-Françoise Julliot, est présentée par son époux comme une femme active s’impliquant directement dans l’affaire pour protéger sa pupille. Dans ses Mémoires, le frère de Moreau de Vormes, Jacob-Nicolas, valorise l’éducation féminine en vantant l’intelligence de sa fille à qui il adresse son texte. Pourtant, l’instruction de Caroline semble lacunaire au début de l’affaire, si l’on en croit le mémoire rédigé par M. Mitantier qui affirme qu’elle ne sait pas écrire les chiffres à son arrivée à Sens123. Son implication forcée dans une affaire judiciaire complexe va la forcer à acquérir de nouvelles compétences avec l’aide de sa tutrice. Pour se défendre, elle doit apprendre le langage à tenir face à la justice.

• 124 Siméon-Prosper Hardy, Mes Loisirs…, op. cit., p. 145.
• 125 AnF, AN Y 18570/B : « Interrogatoire de la Dlle de Solar subi au Couvent de l’abbaye St Antoine à S (...)
• 126 BnF, 4-FM-30305, op. cit., p. 16.

31À partir de 1779 et du complément d’information réalisé dans la région toulousaine, les déclarations de Caroline sont scrutées en détails124. On y recherche des incohérences qui pourraient indiquer qu’elle est un témoin peu fiable ou qu’elle ment. L’exercice a dû être stressant pour la jeune fille. À son retour de Toulouse en 1780, elle est de nouveau interrogée minutieusement à Sens. Le procès-verbal du récolement est conservé aux Archives nationales. Caroline adopte une stratégie prudente. Elle préfère répondre qu’elle ne sait pas ou qu’elle ne se souvient pas plutôt que d’être accusée de mensonges : « A dit que quand on est si jeune, on ne se souvient pas de tant de choses et que cela passe de l’esprit »125. On reproche à Caroline une lettre qu’elle aurait écrite, dans laquelle elle reconnaîtrait le sourd-muet de l’abbé de l’Épée comme son frère126. Lors de l’interrogatoire, elle avoue avoir écrit cette lettre. Tout en déniant avoir reconnu son frère, elle dit s’être laissé convaincre par les adultes que l’enfant pourrait être son frère :

32Les verbes employés, « croire » et « reconnaître » permettent à Caroline d’affirmer que l’enfant de l’abbé ne ressemble pas à son frère mais qu’il a été tentant de croire au retour de son frère. Cet argument est repris de manière plus alambiquée par M. Mitantier dans son mémoire :

• 129 Ibid., p. 24.
• 130 Ibid., p. 17.

33La déclaration de Caroline est enrobée de belles phrases insistant sur son innocence, sa vertu et sa fidélité à la mémoire de sa mère129. M. Mitantier et Moreau de Vormes s’éloignent néanmoins des déclarations de la jeune fille qui reconnaissait avoir écrit la lettre où elle s’adresse à son « frère ». Par souci de cohérence et pour protéger la jeune fille face à l’opinion publique, ils affirment que la lettre a été écrite par une femme de chambre et non par la jeune fille elle-même130. Ce document met en effet en péril le système de défense établi par Moreau de Vormes car ce dernier affirme que, ni lui, ni Caroline, n’ont jamais reconnu l’enfant comme susceptible d’être l’héritier du comte de Solar.

• 131 AnF, AN Y 18570/B : « Interrogatoire de la Dlle de Solar subi au Couvent de l’abbaye St Antoine à S (...)

34En dépit de ces difficultés, nous voyons Caroline s’affirmer à mesure qu’elle entre dans l’adolescence. Elle a seulement 11 ans à la mort de sa mère, mais déjà 15 ans au moment du voyage à Toulouse. Sur tous les documents réalisés à l’occasion du complément d’information, elle signe simplement « Solar », montrant par là qu’elle se considère comme la seule héritière de ses parents. Son frère présumé signe lui « Joseph de Solar » pour se distinguer de sa « sœur ». Lors de l’interrogatoire de 1780, nous pouvons lire quelques réponses de la jeune fille qui montrent un caractère en train de s’affirmer. Alors qu’on lui demande de relater les conditions du décès de sa mère et ses dernières paroles, souvenirs qui doivent être douloureux à évoquer, elle n’hésite pas à contredire certains témoins de manière ferme : « Interrogée si elle n’a pas entendu la dame sa mère dire dans sa dernière maladie qu’elle pardonnoit à tout le monde excepté à Cazeaux, qu’il y avoit une chose qui n’étoit connuë que d’elle Solar et lui Cazeaux. A dit qu’elle n’a jamais entendu tenir ce propos par la dame sa mère. Interrogée si quelqu’un lui a parlé de ce propos. A dit que non ». Il en est de même lorsqu’on lui demande de revenir sur les échanges qu’elle a eues avec son prétendu frère lors des rencontres chez l’abbé : « On lui demande comment elle a fait pour communiquer par signes, elle dit avoir imité les signes de l’abbé de l’Épée. On lui dit que ce n’est pas possible car elle ne connaît pas les signes. « A répondu qu’elle connoissoit les signes de l’abbé de l’Épée parce qu’elle avoit assisté aux leçons de Mr l’abbé de l’Épée plusieurs fois, ne peut nous dire combien de fois, et qu’elle avoit remarqué aussi les signes que les sourds et muets se faisoient entre eux. […] À elle remontré qu’il paroit constant qu’elle n’a demandé à Joseph lors de sa confrontation avec Cazeaux que la même chose qu’elle avoit demandé au dit Joseph chez le dit sr abbé de l’Épée, c’est-à-dire s’il se rappellait du vol de fruit qu’ils avoient fait ensemble dans le jardin de leur mère ? A dit qu’on peut fort bien avoir dit qu’elle avoit demandé audit Joseph chez le sr abbé s’il se rappelloit le vol de fruit fait dans le jardin de la mère d’elle répondante mais qu’elle est bien sûre de ne pas l’avoir demandé »131. En 1781, alors que la justice reconnaît Joseph comme héritier du comte de Solar, elle fait appel et poursuit ses démarches jusqu’à obtenir gain de cause pendant la Révolution.

• 132 BnF, 4-FM-30305, op. cit., p. 3.
• 133 Ce mariage aurait été favorisé par un don de 200 000 francs d’un doyen des conseillers au Châtelet, (...)
• 134 « Affaire Solar », Wikipedia, consulté le 30 décembre 2022. URL : https://fr.wikipedia.org/wiki/Aff (...)

35Cette agentivité a été relativement effacée de l’histoire. Nous avons vu que Caroline est un personnage très secondaire dans les récits de l’affaire produits. La défense de M^e Mitantier qui s’appuie sur des topos qui se diffusent dans les années 1780 masque la réalité du personnage132. Les récits postérieurs à l’affaire tendent à oublier la jeune femme. Son mariage avec un des protagonistes principaux de l’affaire l’efface un peu plus mais semble lui apporter une certaine sécurité financière133. On retrouve cet effacement dans les récits plus récents. Dans le téléfilm réalisé en 2006, elle perd même son prénom car Caroline devient Justine dans la fiction. Son nom n’est pas non plus mentionné dans la fiche Wikipedia dédiée à l’affaire Solar134. Pour retrouver l’agentivité de Caroline, il faut se rapprocher des sources primaires. C’est dans les pièces des archives du Châtelet que l’on peut s’approcher au plus près de la jeune fille.

• 135 Géraldine Ther, Jeux de rôles et de pouvoirs… op. cit.

36L’affaire Solar est emblématique car elle permet à la fois de réfléchir à l’effacement et à l’agentivité des femmes dans les affaires judiciaires et les causes célèbres. Les femmes seules et filles mineures, bien qu’actives et se défendant en justice, sont plus difficiles à percevoir que les femmes mariées et les veuves. On le voit bien à travers le personnage de Caroline, à la fois central dans l’affaire et très en retrait dans les récits. Les femmes mariées actives, comme Marie-Françoise Julliot, sont mises en avant mais souvent de manière conjointe avec leur mari. Les factums et récits de causes célèbres ne citent ainsi pas son nom mais la présentent comme Madame Moreau de Vormes. Afin de reconstituer la réalité de l’implication féminine dans les affaires judiciaires, il convient de faire une lecture détaillée et minutieuse des documents disponibles. Cette affaire insiste aussi sur la vitalité des réseaux féminins mobilisables lors des affaires judiciaires. Caroline de Solar est protégée par un réseau familial qu’elle hérite de sa mère et de sa grand-mère. La solidarité féminine entre sœurs dans les factums a déjà été documentée, en particulier lors des affaires en séparation135. Cette solidarité peut s’étendre aux réseaux de cousines (et cousins) qu’il convient d’étudier de manière approfondie. Cette affaire permet, en outre, de mettre en avant les réseaux mobilisables dans le milieu des avocats au parlement de Paris et au Conseil du Roi ; mais aussi de mettre en relief comment ces derniers utilisent et cherchent à faire fructifier leur capital social. L’affaire Solar livre aux historiens des documents riches qui n’ont pas fini d’être analysés.