Navigation – Plan du site

AccueilActes de colloques et de journées...26PrésentationÀ la recherche de l'accord : hist...

Présentation

À la recherche de l'accord : historiographie et principes d'une enquête sur la résolution des conflits

Anne Bonzon et Diane Roussel
Traduction(s) :
In search of agreement: historiography and principles of a conflict resolution research project [en]

Notes de l’auteur

Ce dossier rassemble plusieurs des contributions présentées et discutées lors des journées d’études à Liège (18-19 mai 2018) et à Louvain-la-Neuve (30 septembre-1er octobre 2021) – entre les deux, le Covid-19 a bouleversé le calendrier initial – dirigées par Diane Roussel (université Gustave Eiffel), Xavier Rousseaux (université Catholique de Louvain-la-Neuve) et Anne Bonzon (université Paris 8).

Nous remercions spécialement Annick Delfosse (Université de Liège), Aurore Drécourt, Quentin Verreycken et l’équipe du Centre d’Histoire du Droit et de la Justice de l’Université Catholique de Louvain-la-Neuve pour leur accueil, Marie-Ange Paquita et Ouarda Yahiaoui pour l’organisation des journées, financées par le Fonds National de la Recherche Scientifique de Belgique et nos équipes de recherche respectives : le Centre d’Histoire du Droit et de la Justice, l’unité de recherche Transitions, l’équipe Analyse Comparée des Pouvoirs, le Centre d’histoire des sociétés Médiévales et Modernes (MéMo) et nos universités Paris 8 et Gustave Eiffel. Merci enfin à Criminocorpus pour l’important travail d’édition des articles du dossier et de l’exposition virtuelle.

Texte intégral

1Dans l’agitation confuse de la fête villageoise que représente ce tableau de Brueghel, les gestes de réconciliation et de paix côtoient les signes du conflit : à quelques centimètres de l’épais couteau accroché à la ceinture d’un musicien, des enfants, la bourse au côté, se serrent les mains ; à table, des hommes se tapent dans la main et partagent le pain et le vin ; derrière eux, des amoureux échangent un baiser. Ces rites d’échange et de partage destinés à sceller l’accord rappellent que, à rebours des représentations les plus sombres et les plus caricaturales, les sociétés anciennes n’étaient pas uniquement animées par la violence : les gestes et les paroles de paix aussi tissaient des liens communautaires solides.

  • 1 Stuart Carroll, « Peace-making in Early Modern Europe: towards a comparative history », in Paolo Br (...)

2Si la violence est une modalité ordinaire des relations sociales des sociétés d’autrefois, la réconciliation relève tout autant de la routine. Pourtant, on aimerait en savoir plus sur les rituels de réconciliation, et l’histoire des manières de s’accorder après un conflit demeure mal connue1. Si les historiennes et les historiens s’accordent à reconnaître l’omniprésence et l’évidence sociale des pratiques de résolution des conflits en marge ou en amont de la justice officielle, celles-ci sont pourtant traitées de manière périphérique, voire allusive, dans les études sur l’histoire de la justice. Cet angle mort de la connaissance tient à la difficulté de saisir des pratiques souvent orales et fugaces, qui se laissent rarement prendre dans les mailles des archives, ou qui sont tellement ancrées dans les habitudes qu’elles ne sont mentionnées qu’accidentellement. L’accord laisse naturellement moins de traces dans la documentation que le conflit. Pourtant, loin d’être modeste, le sujet apparaît essentiel pour comprendre le fonctionnement des sociétés d’Ancien Régime et leur rapport à la justice.

3Le présent dossier est le fruit de deux journées d’études qui se sont tenues en mai 2018 à Liège et en septembre 2021 à Louvain-la-Neuve, rassemblant des chercheuses et des chercheurs venus de disciplines et de traditions historiographiques différentes (histoire et histoire du droit, époques médiévale et moderne) pour réfléchir ensemble à cet objet central, mais fuyant, qu’est l’accord. Lors de ces journées conçues comme des ateliers mettant l’accent sur les sources et les méthodes, nous avons souhaité procéder d’abord à un retour à la description des pratiques et aux mots utilisés pour en témoigner dans l’objectif de questionner les catégories préconçues et d’approfondir l’enquête dans des directions nouvelles. Après un rapide bilan historiographique, on présentera dans cette introduction les principes qui ont guidé le projet de recherche puis ses principaux résultats.

Historiographie d’une thématique de frontière : de « l’infrajustice » au « forum shopping »

4À l’origine, le projet S’accorder, né de spécialistes de l’histoire de la justice et du droit, conservait le primat d’une approche judiciaire des sources et des phénomènes. L’historiographie des années 1990-2000 ne pouvait plus ignorer qu’une partie indéterminée du règlement des conflits se jouait hors du tribunal. Hier comme aujourd’hui, les institutions de police et de justice n’avaient pas une connaissance exhaustive de l’ensemble des litiges et des crimes, dont une partie (le fameux le « chiffre noir » de la criminalité) leur échappait. De plus, le constat que, dans les juridictions ordinaires et inférieures médiévales et modernes, la plupart des procès restaient inachevés a conduit les historiennes et les historiens à formuler l’hypothèse que l’« évaporation » des affaires en cours de procédure pourrait s’expliquer par des arrangements conclus dans le dos des juges. Pourtant, l’accord fut longtemps considéré dans l’historiographie comme secondaire par rapport à la justice, comme un effet collatéral qui venait au mieux concurrencer, au pire parasiter le bon fonctionnement de la justice officielle. Notre volonté était donc de dépasser cette approche univoque et de prendre l’accord au sérieux.

Infra/extra/para-justice : chantiers pionniers, premiers concepts

  • 2 Éric Wenzel, « La paix par la justice. Les modes alternatifs de règlement des conflits au coeur de (...)
  • 3 Tomás A. Mantecón, « El peso de la infrajudicialidad en el control del crimen durante la Edad Moder (...)

5La question n’est pas absolument nouvelle : « Infrajudiciaire », « extra-judiciaire », « justice négociée », « justice privée » ou « justice informelle »... les concepts – plus ou moins complémentaires – ne manquent pas pour désigner le vaste continent des pratiques de résolution des conflits aux marges de la justice officielle ou, pour utiliser une autre image proposée par Éric Wenzel, la partie immergée de l’iceberg socio-judiciaire, dont la rudesse de la justice royale pénale ne constituerait en définitive que la petite partie émergée2. « Thématique de frontière » selon les mots de Tomás A. Mantecón3, la question occupe toutefois une place croissante dans l’historiographie européenne de la justice, selon des traditions nationales fondées sur la diversité des trajectoires de la construction des États et de la centralisation judiciaire.

  • 4 Yves Castan, Honnêteté et relations sociales en Languedoc (1715-1780), Paris, Plon, 1974 ; Nicole e (...)
  • 5 Alfred Soman, « L’infra‑justice à Paris d’après les archives notariales », Histoire, Économie et So (...)
  • 6 Benoît Garnot (dir.), L’infrajudiciaire du Moyen Âge à l’époque contemporaine, Dijon, EUD, 1996.
  • 7 Id., « Justice, infrajustice, parajustice et extrajustice dans la France moderne », Crime, Histoire (...)
  • 8 Tomás A. Mantecón, « El peso de la infrajudicialidad... », art. cit., p. 43-76.

6En France, le concept d’« infrajustice », forgé dès la fin des années 1970 par Nicole et Yves Castan dans leurs travaux pionniers sur le Languedoc, servait à désigner les accommodements et autres interventions réparatrices que les populations préféraient souvent au recours judiciaire4. Alfred Soman voyait dans cette nouvelle catégorie d’analyse l’instrument d’une véritable « révolution copernicienne » des études sur la justice5. En 1995, le colloque de Dijon L’Infrajudiciaire du Moyen Âge à l’époque contemporaine offrait un premier état des connaissances et une mise à l’épreuve collective de la notion6. Benoît Garnot proposa ensuite une typologie plus fine, distinguant dans leur rapport – alternatif ou complémentaire – à la justice et selon le caractère plus ou moins formel des pratiques, l’infrajustice, la parajustice et l’extrajustice7. Le concept, dans toute sa plasticité, constitua assurément un important outil heuristique pour proposer une histoire sociale de la justice et du crime renouvelée, plus attentive aux pratiques ordinaires des populations et à leur rôle dans l’évolution multiséculaire de la violence8.

La justice instrumentalisée ? Acteurs et usages sociaux de la justice

  • 9 Mario Sbriccoli, « Giustizia negoziata, giustizia egemonica. Riflessioni su una nuova fase degli st (...)
  • 10 John Bossy (ed.), Disputes and Settlements: Law and Human Relations in the West, Cambridge, 1983.
  • 11 Voir notamment : James A. Sharpe, « The People and the Law », in Barry Reay (éd.), Popular Culture (...)
  • 12 James A. Sharpe, « ‘Such Disagreement Betwyx Neighbours’: Litigation and Human Relations in Early M (...)
  • 13 L’expression est de Martin Ingram, « Law, litigants and the construction of “honour”: slander suits (...)

7Au début des années 2000, l’historien du droit italien Mario Sbriccoli invitait cependant à renverser la perspective historiographique de « l’infrajudiciaire », qu’il considérait comme anachronique au regard du temps long de la construction des États européens, pour lui préférer l’étude de la dialectique entre la « justice négociée » des procédures communautaires de pacification et la « justice hégémonique » des États9. En Angleterre, l’ouvrage collectif Disputes and Settlements dirigé par John Bossy, paru en 1983, témoignait du tournant de la legal anthropology dans l’historiographie de la justice et de la criminalité10. Exploitant les archives des tribunaux locaux, en particulier les cours ecclésiastiques des consistoires urbains, historiennes et historiens se mirent à interroger plus spécifiquement les usages sociaux de la justice en privilégiant des approches bottom-up dans le sillage d’une « history from below » attentive à l’agency des acteurs et à la négociation des relations de pouvoirs11. À partir des procès pour diffamation dans la ville de York au XVIIe siècle, James A. Sharpe observait ainsi qu’« une procédure judiciaire pouvait parfois être engagée, non pas pour faire évoluer un litige, mais comme première étape vers un accord » à l’amiable12. Cette hypothèse, formulée en de nombreuses autres situations européennes, fait désormais consensus et l’historiographie est attentive aux « stratégies de la rue » (streetwise strategies)13.

  • 14 François Billacois, « Clio chez Thémis », in François Billacois et Hugues Neveux (dir.), « Porter p (...)
  • 15 Un exemple magistral de cette méthode : Hervé Piant, Une justice ordinaire. Justice civile et crimi (...)
  • 16 Anthony Muysson, « Arbitration and the legal profession in late medieval England », in Matthew Dyso (...)

8Les hommes et les femmes d’Ancien Régime ne sont plus considérés comme de pauvres êtres ignorants et effrayés, victimes d’une justice répressive, verticale, implacable et incompréhensible. Au contraire, les justiciables ont activement façonné le droit et la justice qu’ils envisageaient comme une ressource parmi d’autres, qu’ils mobilisaient pour servir leurs intérêts et dont ils maîtrisaient les rouages et les codes, sinon comme « comme un musicien joue d’un instrument »14, du moins avec une relative autonomie. En se plongeant dans les immenses fonds des archives des juridictions inférieures, qu’elles soient royales, municipales ou seigneuriales, les historiennes et les historiens peuvent observer à la loupe les interactions quotidiennes entre la société et les institutions judiciaires15. La vitalité des mécanismes non judiciaires et leur acceptation par toutes les couches de la société « témoignent non seulement de leur popularité et de leur caractère inclusif, mais également de la nature adaptative du droit et de la flexibilité du système juridique »16.

  • 17 Martin Dinges, « The Uses of Justice As a Form of Social Control in Early Modern Europe », in Herma (...)
  • 18 Aries Van Meeteren et Griet Vermeesch, « In hope of agreement: Norm and practice in the use of inst (...)
  • 19 Herman Roodenburg et Pieter Spierenburg (ed.), Social Control in Europe (1500-1800), op. cit.

9Récemment, le débat a été enrichi par le concept de Justiznuntzung (traduit en anglais par l’expression uses of justice) proposé par l’historien allemand Martin Dinges pour désigner la manière dont les justiciables parisiens au XVIIIe siècle usaient des différents recours à leur disposition et les instrumentalisaient pour réussir à négocier un accord hors du tribunal17. Dans certaines configurations locales où ces instances de règlement des conflits sont particulièrement nombreuses, comme à Leyde à la fin du XVIIe siècle, les parties avaient l’habitude de passer de l’une à l’autre avec une telle agilité que Aries van Meeteren et Griet Vermeesch ont forgé le concept de « forum shopping » pour décrire les usages stratégiques, voire consuméristes, de la myriade de moyens dont disposaient les habitants18. Dès lors, la justice n’est plus qu’une instance parmi d’autres du contrôle social, auquel contribuent également, de manière formelle et informelle, l’Église et le clergé, mais aussi la communauté locale, les guildes, les confraternités, la famille et le voisinage19. Ainsi conçu, le questionnement s’ouvre alors pleinement aux autres acteurs non judiciaires de la société d’Ancien Régime.

10C’est dans le prolongement de ces perspectives profondément renouvelées, qui élargissent la gamme des approches, invitent à croiser les historiographies et ouvrent grand l’éventail des mécanismes de la régulation sociale, que se situe ce dossier sur les manières de s’accorder et de résoudre les conflits au Moyen Âge et à l’époque moderne.

Pour une enquête collective, internationale et « totale » de la régulation sociale

11L’enquête est loin d’être close. À quelles conditions et par qui l’accord est-il recherché ? Quels types de conflits peuvent être ainsi résolus ? Quels en sont les acteurs et les mécanismes ? Comment les diverses formes de l’accord s’articulent-elles avec les procédures judiciaires ? Ne s’agit-il plus, à la fin de l’Ancien Régime, que d’une pratique reléguée au rang d’archaïsme par le triomphe des justices d’État, comme on l’a souvent conclu ? Non seulement la collecte des preuves doit être poursuivie, mais il est nécessaire de prolonger les recherches dans une perspective comparatiste, européenne et sur le temps long. Pour aborder cette histoire de l’accord, il a fallu opérer plusieurs décentrements et conjuguer les efforts.

Variété des systèmes judiciaires et comparaisons internationales

12À rebours des approches essentiellement « institutionnalistes » et théoriques, la démarche consiste à prendre en considération et au sérieux toutes les formes d’accords envisagées dans une approche « totale » de la régulation sociale, sans fermer a priori les contours du phénomène ni présupposer de hiérarchie au sein des diverses procédures, souvent entremêlées et qui interagissent les unes avec les autres au sein du pluralisme judiciaire d’Ancien Régime. Car bien que commodes, les termes d’infra/extra/para-justice propres à l’historiographie française restent cependant profondément attachés à l’idée d’un rapport hiérarchique avec l’institution judiciaire, considérée comme centrale et supérieure aux autres formes, quand elle ne fut longtemps qu’un recours après ou parmi d’autres. Décentrer le regard du cas français permet ainsi de se déprendre du poids d’une historiographie qui a longtemps décrit l’inexorable développement de la justice royale absolue et de la verticalité du pouvoir, renvoyant, à l’inverse, les autres formes de résolution des conflits à des modèles considérés sans doute trop hâtivement comme « archaïques ».

13La dimension internationale s’est ainsi imposée pour multiplier les angles de vue et penser les comparaisons. Le dossier propose des études de cas contextualisées, portant sur différents espaces européens de la fin du Moyen Âge à la fin de l’époque moderne, permettant d’étudier avec finesse des systèmes judiciaires variés dans leurs propres contextes politiques et sociaux. À l’origine du projet de recherche, la collaboration entre des chercheuses françaises et l’équipe belge du Centre d’Histoire du Droit a structuré le jeu de miroir entre la France et les anciens Pays-Bas. Le programme de recherche s’est naturellement ouvert à d’autres configurations européennes (Italie, Suisse, duché de Lorraine).

  • 20 Donald Dyson, « Legal Pluralism, Hybridization and the Uses of Everyday Criminal Law in Quebec, 176 (...)
  • 21 Dominique Guillemet, « Proximité de la justice et justice de proximité dans les îles du Ponant aux (...)

14Le questionnement mérite bien entendu d’être étendu à d’autres espaces européens et extra-européens. Les contextes coloniaux et impériaux fournissent en effet des observatoires particulièrement intéressants des formes complexes de régulation des conflits en raison de la pluralité des ordres légaux coexistant sur un même espace20. Ainsi, des situations insulaires, face au vide judiciaire, ont favorisé le recours à d’autres modes de régulation sociale, sous l’autorité de ceux qui exerçaient déjà des fonctions de commandement (curé, gouverneur ou gentilhomme)21.

Sources : comment saisir l’interaction de l’accord par les usages, les mots et les pratiques ?

15Appliquée plus largement, la notion de pluralisme judiciaire (legal pluralism) permet d’interroger les dynamiques entre les différents recours, leurs relations de concurrence ou au contraire leurs complémentarités et continuités. Elle constitue un outil particulièrement pertinent dès lors que l’on se tourne vers les immenses fonds des archives des juridictions inférieures, qui permettent de placer la focale à hauteur des acteurs ordinaires : cette échelle révèle la dimension processuelle des dynamiques à l’œuvre dans la résolution des conflits et la manière dont les justiciables choisissent de se tourner plutôt vers une cour laïque qu’ecclésiastique, plutôt royale que seigneuriale, plutôt citadine que rurale.

16Pour un habitant de Venise au XVe siècle, l’éventail des possibles de la réconciliation est différent de celui dont dispose un bourgeois de Liège au XVIIe siècle, un Parisien ou un paysan angevin du XVIIIe siècle. Aussi différents soient-ils, ces acteurs du passé ont en commun de n’avoir pas produit leurs propres sources et d’apparaître souvent en creux dans les archives judiciaires, qui restent souvent la première porte d’entrée documentaire sur la régulation sociale. D’autres sources non judiciaires fournissent les preuves directes ou indirectes d’accords passés ou en cours, ou de leur échec. Toutefois, là encore, le décalage est grand entre l’accord lui-même, comme pratique sociale, et sa transcription écrite telle qu’elle apparaît dans des minutes notariales ou des registres administratifs qui décrivent peu ou mal les acteurs, leurs gestes et leurs motivations. Pour ce faire, il faut partir, autant que possible, des usages, des mots et des pratiques, saisis « par en bas » et dans l’interaction de l’accord.

17Partir des pratiques d’accord a ainsi attiré notre attention sur les gestes (serrer la main, embrasser, partager boisson et nourriture) ; sur les lieux, qu’ils relèvent de l’espace quotidien (le cabaret) ou d’un espace moins familier (tribunal, étude du notaire, ou même presbytère) ; sur la personnalité et les qualités des acteurs, individuels ou collectifs, institutionnels ou non, qu’il s’agisse des parties en conflit ou des facilitateurs de l’accord (ami commun, notaire, homme d’Église, consistoire), dessinant des communautés de règlement des conflits ; sur les modes de conservation, écrits ou oraux, des termes de l’accord (serment, transaction notariée) ; sur le caractère public ou privé de celui-ci.

18De l’attention particulière aux sources est née l’exposition « S’accorder », présentée en complément de ce dossier d’articles, afin de rendre visible la diversité et la matérialité des sources à partir desquelles les historiens traquent les traces d’accords. Les photographies de documents originaux (archives, manuscrits et gravures) accompagnés de leur transcription permettent au lecteur de se plonger dans ces réalités passées et de comprendre les enjeux méthodologiques propres à l’enquête.

Décloisonner les historiographies

19En étudiant l’accord comme un objet en soi, de nombreux angles d’attaque s’offrent aux historiennes et aux historiens. Le décloisonnement des historiographies s’est ainsi imposé en avançant dans le travail, car la question intéresse non seulement l’histoire du droit et l’histoire de la justice, mais aussi l’histoire religieuse, urbaine, militaire, économique, financière...

  • 22 Élisabeth Labrousse et Alfred Soman, « Le registre consistorial de Coutras, 1582-1584 », Bulletin d (...)
  • 23 Anne Bonzon, La paix au village. Clergé paroissial et règlement des conflits dans la France d’Ancie (...)

20Ainsi par exemple l’histoire religieuse moderne ne s’intéresse que depuis peu à la signification et au déroulement des accords facilités par les gens d’Église : elle a longtemps considéré cette activité comme allant de soi, mais peu centrale dans la pastorale. Le rôle des consistoires protestants, instance dont l’accommodement des procès est l’une des attributions principales, est bien connu : on comprend aisément que les protestants aient préféré régler leurs conflits à l’interne plutôt que de les porter devant la justice royale22. Bien que le catholicisme ne dispose pas d’institutions dédiées à ce type de pacification, nombre d’hommes d’Église contribuaient à éviter ou terminer les conflits entre leurs paroissiens. Anne Bonzon a récemment tenté de dépasser les fausses évidences et de comprendre les mécanismes qui amènent des curés, à partir du XVIIe siècle, à faciliter les accommodements de procès23.

21Une telle démarche permet ainsi d’observer, à partir de sources ne relevant pas exclusivement du judiciaire, les similitudes et les décalages dans le vocabulaire, les objectifs, les procédures des accords, quels que soient la nature et les protagonistes du conflit et de sa résolution. Pour nous emparer de cet objet fugace, nous avons donc cherché à multiplier les angles d’approche et à décliner différentes situations dans lesquelles l’accord pouvait se déployer : les mécanismes de l’accord concernent non seulement la justice civile et criminelle, mais aussi d’autres configurations non judiciaires, telles que la guerre ou la guerre civile. Dans ces situations, ont pu être mises en évidence les correspondances, établies par les acteurs eux-mêmes, entre les négociations de paix après la guerre et le règlement des conflits entre personnes.

Les mots de l’accord

  • 24 Christian Topalov, Laurent Coudroy de Lille, Jean-Charles Depaule, Brigitte Marin (dir.), L’aventur (...)

22La valeur heuristique d’une étude des manières de dire, en histoire, n’est plus à démontrer24. Point de départ de l’enquête collective, l’attention portée au lexique a permis d’observer des convergences et des évolutions, de confronter la doctrine aux mots de la pratique, de repérer les circulations des termes en usage d’un contexte à l’autre.

23Par-delà les particularités locales et le vocabulaire propre à chaque type de source, et à chaque région, les mots employés dessinent un imaginaire commun de la paix et de la justice. « Consentir », « composer », « convenir », « concordat », autant de mots, intégrant le préfixe -con (cum), qui soulignent la volonté réciproque de s’accorder. Centrale dans ces configurations, la notion de consentement s’exprime aussi par un certain nombre de termes, « accord », « accommodement », « amiable », « amiablement » qui viennent nous rappeler que sans volonté des parties, l’accord ne peut qu’échouer.

  • 25 Xavier Rousseaux, « Politiques judiciaires et résolution des conflits dans les villes de l’Occident (...)

24L’expression « paix à partie », en usage dans les villes du Nord dans les situations de violence physique ou verbale pour désigner un arrangement financier entre les parties25, attire l’attention sur le parallèle possible entre la résolution d’un conflit à l’armée et l’élaboration d’un traité de paix. Elle résonne avec les mots rencontrés dans les accommodements de procès : « paix et union », « vivre en paix », « nourrir la paix en famille », autant d’objectifs énoncés par les actes passés devant un ecclésiastique, mais présents aussi lorsque le litige se termine devant la justice seigneuriale, et qui traduisent un idéal communautaire.

25Mettre en mots la pacification passe aussi par la personnification des conflits et procès, qu’il convient d’« assoupir » ou, mieux, d’ « étouffer ». Dans la lignée des discours dévalorisant le recours aux instances judiciaires, les procès apparaissent comme autant de « monstres » dévorateurs, tels que les représente, par exemple, le Tableau des misères du plaideur.

« Procès engendre procès par négligence et par envie », extrait du Tableau des misères du plaideur, Jacques Lagniet, XVIIe s (après 1657)

« Procès engendre procès par négligence et par envie », extrait du Tableau des misères du plaideur, Jacques Lagniet, XVIIe s (après 1657)

Gallica/BnF

26Les mots de l’accord résonnent parfois avec d’autres situations du quotidien26. Fréquent au XVIe siècle, le mot « chevir », qui a donné « achever », avant de désigner un arrangement, signifie « venir à bout » de quelque chose, sortir d’une situation embarrassante. « Terminer les procès » relève de la même logique. Quant au « département », terme utilisé dans les actes notariés cannois du XVIIIe siècle, son sens ancien renvoie à la fin, au départ27. De fait, l’acte en question met fin à toutes les prétentions des parties et donc, in fine, au procès lui-même. Dans un autre ordre d’idées, s’accorder, c’est aussi se fiancer, et les démarches de préparation d’un mariage ne sont pas sans évoquer celles de la conclusion d’un accord, dans lequel deux parties dont les intérêts peuvent diverger parviennent, au terme de négociations, à trouver un terrain d’entente. Du reste, le Dictionnaire universel de Furetière (1690), à l’entrée « convention », définit cette dernière comme un traité, un accord, mais fait aussi référence aux conventions matrimoniales. Le même ouvrage, à l’article « boire », évoquant la pratique qui consiste à sceller une réconciliation par le partage du vin, rapproche l’accord des procès et celui des musiciens désireux de jouer ensemble :

  • 28 Véronique Nahoum-Grappe, « Le boire et l’ivresse dans la pensée sociale sous l’ancien régime en Fra (...)

Boire ensemble est aussi un témoignage d’amitié qui se fait en se donnant l’un à l’autre quelque repas. Il l’est aussi de réconciliation : car quand on veut raccommoder des gens brouillés, on dit qu’on les fera boire ensemble. On dit même en ce sens, au figuré, quand les voix ou les instruments des deux musiciens ne sont pas d’accord, qu’il les faut faire boire ensemble28.

27Confronter le vocabulaire juridique et les usages sociaux a permis également de mettre en évidence décalages et convergences entre ces deux espaces du discours.

  • 29 Anne Bonzon, La Paix au village…, op. cit., p. 28.

28Ainsi, les mots trouvés sous la plume d’un curé du XVIIe siècle qui s’intitule « arbitre, arbitrateur et amiable compositeur » ne s’embarrassent guère des distinctions juridiques, l’essentiel pour lui consistant à opposer deux manières de régler un conflit : la rigueur de la justice, opposée à la « douceur~» d’un règlement amiable29. On notera aussi que cet homme d’Église est le seul, parmi les acteurs rencontrés, à parler de « concordat » pour désigner un accord. Le mot renvoie à la concorde, bien sûr, mais surtout, si l’on suit Furetière, il relève du vocabulaire des matières ecclésiastiques.

  • 30 Il est utilisé dans ce sens, par exemple, dans le Journal de Gilles de Gouberville. Le journal du s (...)
  • 31 Aurore Drécourt, Réguler les conflits violents. Le rôle du notaire dans la principauté de Liège, XV (...)

29Mais l’opposition entre le vocabulaire juridique et les usages sociaux n’est pas systématique : l’examen des sources révèle la circulation de certains mots, comme le verbe « appointer », qui au XVIe siècle signifie encore « s’accorder »30. Dans les actes notariés liégeois, on voit ce verbe changer progressivement de signification, jusqu’à disparaître de cet emploi courant et se cantonner dorénavant au vocabulaire juridique : au XVIIIe siècle, « appointer » ne signifie plus que « mettre en délibéré »31.

La fiction de la paix : déconstruire les discours pour comprendre le conflit et sa résolution

30Si l’accord est si difficile à pister, c’est non seulement parce que le vocabulaire qui le désigne est aussi riche que mouvant, mais aussi parce qu’il faut le débusquer dans des sources qui souvent font écran – plus ou moins volontairement – à la réalité des pratiques de conciliation, en valorisant le discours de la paix et, inversement, en occultant le conflit et sa résolution.

  • 32 Raphaël Eckert, « Le vocabulaire de l’accord dans les manuels pour praticiens et autres sources de (...)

31Classiquement, les professionnels de l’écrit, notaires et greffiers, reformulent et imposent un cadre d’énonciation propre à la procédure dont ils sont les garants. Dans le cas des accords, comme dans la plupart des procédures judiciaires, les transformations sont aussi guidées par des objectifs stratégiques : d’évidence, le passage à l’écrit de tractations convenues à l’oral tend à n’enregistrer que leur résultat final et à escamoter le fastidieux travail qui le précède, les hésitations et les tractations. La fiction de la pureté de la réconciliation gratuite guide les premiers manuels de notaires italiens du XIIIe siècle : dans les « pactes » ou « paix », il était préférable de ne pas évoquer l’argent échangé entre les parties, considéré comme un aveu de culpabilité qui pourrait nuire à la concorde32. Les choses changent par la suite, l’argent « moyenné » entre les parties en conflit étant explicitement placé au cœur du dispositif de l’accord notarié, comme c’est le cas à Paris dès le XVIe siècle.

  • 33 Comme l’a fait Aurore Drécourt dans les papiers des notaires liégeois des XVIIe et XVIIIe siècles, (...)

32Sauver les apparences et favoriser l’oubli de torts s’imposent comme des conditions pour parvenir à faire la paix. C’est sans doute la raison pour laquelle les notaires ont l’habitude d’employer des formules très vagues pour décrire les conflits entre leurs clients. L’historien·ne parvient cependant parfois à déjouer cette stratégie et à lire entre les lignes, parfois même sous les ratures. Quand des mots, des phrases voire des paragraphes entiers sont biffés pour taire les détails de la querelle et euphémiser la violence subie par les victimes, on peut, en creux, restituer les diverses opérations de transformation du récit qui furent nécessaires pour arriver à l’accord33. À partir des procédures relatives au paiement d’une dette, Jonathan Pezzetta parvient ainsi à repérer « entre les lignes » les accords et négociations, non seulement en constatant une « évaporation » des affaires en cours de route, mais en observant de près le déroulement des procédures et la présentation matérielle des textes que renferme le registre. Derrière le filtre de l’écriture judiciaire, une approche fine permet de déceler, ou du moins de supposer l’existence de règlements hors audience. Lorsque de forts intérêts unissent les parties, l’accord est préférable à la poursuite de la procédure, et l’autorité de la justice n’est nécessaire que dans la mesure où elle permet de faire pression sur le débiteur.

  • 34 Natalie Zemon Davis, Pour sauver sa vie. Les récits de pardon au XVIe siècle, tr. fr. Paris, Éditio (...)
  • 35 Stephen Cummins et Laura Kounine, « Confronting Conflict in Early Modern Europe », in Id. (dir.), C (...)

33Pour obtenir le pardon du prince ou du roi – Natalie Zemon Davis l’a brillamment montré – les auteurs d’homicides doivent savoir élaborer un récit de crime vraisemblable et acceptable34. Les hommes de guerre étudiés par Quentin Verreycken dans ce dossier usent des mêmes ressorts narratifs dans les lettres de rémission qu’ils demandent au roi de France ou au duc de Bourgogne au XVe siècle : ils mettent en avant leur volonté de réconciliation avec la famille de la victime tout en minimisant leur propre responsabilité dans l’homicide qu’ils ont commis. De même, les lettres d’abolition que les souverains accordent à leurs sujets après une révolte passent sous silence le rôle décisif de nombreux intermédiaires entre le roi et les rebelles repentis et escamotent les heurts et le cheminement parfois tortueux des négociations. En revisitant ces sources pour y chercher les mécanismes de l’accord, Adrien Carbonnet met au jour la construction d’une fiction du pardon au service d’un discours de l’obéissance et de la figure du roi victorieux, qui châtie et pardonne. Le pardon soumet l’accord à l’impératif politique, il ne peut aucunement apparaître comme le fruit d’un marchandage, au risque de rabaisser la majesté royale. Dans cette version retenue par les traités de paix de la fin du Moyen Âge et du début de l’époque moderne, les crimes des hommes de guerre comme ceux des sujets rebelles sont abolis, effacés des mémoires au terme d’une réécriture de l’histoire qui construit de nouveaux rapports de domination. Ici comme ailleurs, il faut se méfier des illusions du discours tant « les pratiques de résolution des conflits sont loin d’être toujours positives et consensuelles. Au contraire, il s'agit souvent d'un produit de la domination et du renforcement de l'inégalité »35.

Retour au judiciaire : penser l’accord avec la justice et les justiciables

34In fine, si nous avons souvent cherché à nous éloigner des tribunaux et des hommes de loi pour envisager autrement les différentes manières de s’accorder, l’histoire de la justice n’a jamais été perdue de vue. On y revient même plus savants, car mieux comprendre l’accord permet de saisir plus amplement l’ensemble des processus de la régulation sociale et donc de réévaluer la place de la justice, notamment municipale et seigneuriale, comme institution de pouvoir dans la société d’Ancien Régime.

35Le résultat le plus attendu et le plus manifeste tiré de la documentation porte sur l’importance des interactions entre la justice et d’autres acteurs ou institutions non-judiciaires. Les différentes contributions du dossier apportent des preuves importantes et souvent inédites à la compréhension des relations entre justice et société et de leurs transformations au fil des siècles.

Temps long et chronologie de la régulation sociale

36Au sein d’une chronologie large, celle d’un Ancien Régime de longue durée, inscrit dans les structures médiévales et qui paraît fonctionner jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, et en dépit du contexte de développement considérable de l’appareil judiciaire, la permanence de modes d’arrangements négociés ressort assez nettement de l’ensemble des configurations abordées dans les articles comme dans la collection de sources proposée en exposition.

  • 36 Xavier Rousseaux, « De la négociation au procès pénal : la gestion de la violence dans la société m (...)
  • 37 Xavier Rousseaux, « Le prix du sang versé. La cour des appaisiteurs à Nivelles (1430-1665) », Bul (...)
  • 38 Catherine Denys, « Les apaiseurs de Lille à la fin de l’Ancien Régime », Revue du Nord, 60, 1995, p (...)
  • 39 Aries Van Meeteren et Griet Vermeesch, « In hope of agreement », art. cit., p. 143-164.

37Les études de cas permettent toutefois de préciser la chronologie de ces rapports et de remettre en cause l’idée selon laquelle l’accord connaîtrait au cours de l’époque moderne un recul inéluctable et absolu face à la justice d’État triomphante, rendant la pratique de plus en plus résiduelle et désuète. Certes, la plupart des contributions portent sur la fin du Moyen Âge et le début de l’époque moderne, formant selon Xavier Rousseaux « le temps de l’accommodement » où la négociation prédomine pour mettre fin à la vengeance et restaurer la paix grâce à des solutions conjointement élaborées entre les parties36. Dans les villes d’Italie du Nord et des Pays-Bas, le modèle d’une justice conciliatrice communale qui encadre de plus en plus étroitement les pratiques locales évolue cependant dans le temps. Dans la petite ville de Nivelles, Xavier Rousseaux a montré les transformations de long terme du règlement de la violence ordinaire : la pratique du « mandement de fait », par lequel un coupable vient lui-même se dénoncer devant deux bons témoins pour échapper à l’accusation criminelle disparaît au cours du XVIe siècle. De même, les « appaisiteurs » créés en 1430 pour aider les parties à faire la trêve et aboutir à des compositions financières privées sont progressivement concurrencés par la montée en puissance de la justice écrite et des peines corporelles37. Toutefois, cette transformation n’est ni linéaire ni uniforme dans le monde urbain du Nord : l’action des « apaiseurs » est attestée jusqu’à la fin de l’Ancien Régime dans de nombreuses villes de Flandres38. À Leyde à la fin du XVIIe siècle, les autorités urbaines soucieuses d’assurer l’ordre public encouragent la multiplication des instances de la régulation sociale mises à la disposition de la population39.

  • 40 Xavier Rousseaux, « De la négociation au procès pénal », art. cit.

38Le passage au « temps de l’adjudication », incarné par le juge qui siège au-dessus des parties, produit de la montée en puissance du pouvoir monarchique, du recul des autonomies et des juridictions urbaines et ecclésiastiques, de la construction de la procédure pénale et de la criminalisation de l’homicide, s’impose progressivement en Europe sans pour autant faire totalement disparaître les formes anciennes de l’accord40. Stéphanie Blot-Maccagnan rappelle que, contrairement à l’image d’une justice royale louis-quatorzienne toute puissante, la célèbre ordonnance criminelle française de 1670 ne met pas fin aux transactions. L’article 19 du titre XXV sur les sentences inscrit la possibilité du règlement à l’amiable pour tous les types de crimes, même les plus graves. La construction de la loi résulte elle-même de négociations et d’ajustements, qui prennent en considération le nécessaire partage entre la justice des tribunaux et les autres modes de règlement des conflits.

  • 41 Bernard Dauven, Pardonner et être pardonné dans les Pays-Bas. Le gouvernement par la grâce en Braba (...)

39Ainsi, même les conséquences de l’homicide demeurent longtemps négociables. La négociation des intérêts civils versés en réparation du crime aux victimes constitue un point décisif du règlement des conflits. Condition indispensable pour obtenir la rémission du crime au Moyen Âge, la « paix à partie » conclue entre les familles subsiste dans les Pays-Bas habsbourgeois jusqu’au XVIIe siècle41. Dans le royaume de France, le souverain est le seul capable de pardonner un crime aussi grave ; les sources de la pratique démontrent toutefois qu’au XVIIIe siècle en Anjou par exemple, certaines familles continuent de s’accorder préalablement entre elles pour présenter à la justice une version qui serve au mieux leurs intérêts. Au siècle des Lumières, les discussions des criminalistes sur le caractère licite ou moral de ces pratiques s’inscrivent dans les débats plus larges sur la réforme de la justice, entre la volonté de les renvoyer au privé et les critiques éternelles sur le coût de la justice et la lenteur des procédures.

40Ainsi, sans remettre en cause la montée en puissance et l’unification des justices royales et étatiques en Europe, qui transforme en profondeur les relations entre les sujets et les institutions de justice depuis la fin du Moyen Âge, on peut analyser la relation entre l’accord et la justice moins comme une opposition exclusive que sous l’angle d’une articulation, plus ou moins étroite ou distante, plus ou moins collaborative ou concurrentielle. Il n’est pas anodin, par exemple, de noter que L’Arbitre charitable, sorte de manuel d’accommodement paru sous l’impulsion du lobby dévot dans le contexte de réforme de la justice des années 1660, mette sur le même plan les audiences données par le roi, la justice des pauvres et les activités de conciliation exercées par des ecclésiastiques, justifiées par le message chrétien.

À hauteur des justiciables

  • 42 Griet Vermeesch, « Reflections on the relative accessibility of law courts in early modern Europe »(...)

41Approcher le droit depuis le point de vue des justiciables permet plus particulièrement d’interroger, dans sa dimension concrète et quotidienne, l’accès à la justice et ses usages42. Les justiciables étaient-ils usagers ou clients de la justice ?, se demande ainsi Pierre-Benoît Roumagnou en étudiant le complexe jeu de va-et-vient des habitants de la banlieue parisienne au XVIIIe siècle entre les différentes instances judiciaires – royales et seigneuriales – présentes sur le territoire et les autres moyens de régler un différend, le notaire au premier chef, qui est aussi souvent le greffier de la juridiction locale. De même, l’activité des notaires ruraux observée par Lucien Faggion en Terre Ferme vénitienne confirme la persistance, dans un contexte de conflictualité forte, de la recherche d’accords et de négociations sous l’égide des autorités locales, y compris dans des affaires criminelles. Les parties impliquées dans les conflits, ici comme ailleurs, savent recourir à la justice lorsqu’il s’agit de faire pression sur l’adversaire, en vue d’une transaction.

  • 43 Hervé Piant, « Vaut‑il mieux s’arranger que plaider ? Un essai de sociologie judiciaire dans la Fra (...)

42Il est difficile, voire souvent impossible pour l’historien de retracer la trajectoire complète d’une affaire, dans toutes ses ramifications et circonvolutions à travers des fonds d’archives différents. Cependant, rapprocher les sources d’un même espace juridictionnel est assurément la meilleure méthode pour mettre en lumière les dynamiques entre les différentes instances et comprendre les capacités d’action des justiciables. Si les cas étudiés dans le dossier ne permettent pas vraiment de parler de « forum shopping » au sens le plus étendu du terme, certains usages stratégiques de la justice traduisent des formes d’agency populaire longtemps ignorées des historiens. Se rendre chez le notaire quelques heures après avoir déposé plainte devant la justice seigneuriale locale, ou au contraire attendre de voir comment celle-ci compte juger l’affaire, révèle bien un calcul de la part de justiciables qui ont évalué les coûts et bénéfices de l’action selon leurs intérêts propres, comme le montre Diane Roussel à partir du cas du faubourg Saint-Germain-des-Prés. L’enquête sur la sociologie comparée des plaignants et des contractants confirme l’analyse d’Hervé Piant pour qui « face à l’infrajustice, fondamentalement unanimiste, le recours à la justice institutionnelle permet d’affirmer un statut individuel, une identité sociale, économique et culturelle. Il est donc pratiqué par tous ceux qui veulent rompre avec le consensus communautaire et qui veulent asseoir leur domination en se plaçant dans le sillage de la force montante qu’est l’État »43.

  • 44 Nadya Nazareva, « Les conflits et leurs accommodements à Paris au XVIe siècle d’après les accords n (...)
  • 45 Bernard Dauven, « La ‘paix des dames’ », art. cit.
  • 46 Dans sa thèse récemment soutenue, Marion Philip estime que seule une petite partie des affaires de (...)

43Enfin, les différences de genre – abordées lors des journées d’étude autour du cas des femmes présentes dans les accords notariés parisiens du XVIe siècle44 ou du rôle des veuves dans le règlement des homicides45 – n’apparaissent que bien peu dans ce dossier. Rechercher plus spécifiquement les femmes permet pourtant d’approcher un autre type d’affaires réglées par des accords mais beaucoup moins visibles que la violence : dans les cas de viols, de promesses de mariage, de grossesses illégitimes ou de violences conjugales, l’arrangement hors des tribunaux séculiers et ecclésiastiques est pourtant recommandé pour éviter d’exposer publiquement l’honneur familial46. De ce point de vue aussi, le chantier reste ouvert à de nouvelles recherches.

Haut de page

Bibliographie

Bibliographie indicative

Billacois François et Neveux Hugues (dir.), « Porter plainte : stratégies villageoises et institutions judiciaires en Île-de-France (XVIIe-XVIIIe siècles) », Droit et Cultures, 1990, n° 19.

Bonzon Anne, La paix au village. Clergé paroissial et règlement des conflits dans la France d’Ancien régime, Ceyzérieu, Champ Vallon, 2022.

Bossy John (éd.), Disputes and Settlements: Law and Human Relations in the West, Cambridge, 1983.

Brizay François, Follain Antoine et Sarrazin Véronique (dir.), Les justices de village. Administration et justice locales de la fin du Moyen Âge à la Révolution, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2001.

Broggio Paolo, Governare l’odio. Pace e giustizia criminale nell’Italia Moderna (secoli XVI-XVII), Rome, Viella, 2021.

Broggio Paolo et Paoli Maria Pia (dir.), Stringere la pace. Teorie e pratiche della conciliazione nell'Europa moderna (secoli XV-XVIII), Rome, Vieilla, 2011.

Castan Nicole et Yves, « Une économie de justice à l’âge moderne : composition et dissension », Histoire, Economie et Société, 1982, p. 361-368.

Castan Yves, Honnêteté et relations sociales en Languedoc (1715-1780), Paris, Plon, 1974.

Cummins Stephen et Kounine Laura (dir.), Cultures of Conflict Resolution in Early Modern Europe, New York, Routledge, 2016.

Dauchy Serge, Demars-Sion Véronique et. al., La résolution des conflits. Justice publique et justice privée : une frontière mouvante, Rapport de recherche, GIP Mission de Recherche Droit et Justice, Lille, septembre 2008.

Dauven Bernard, « La « paix des dames » : le rôle des veuves des victimes d’homicides, un facteur de pacification des mœurs ? », Crime, Histoire et Sociétés / Crime, History and Societies, vol. 24, n°2, 2020, p. 27-48.

Denys Catherine, « Les apaiseurs de Lille à la fin de l’Ancien Régime », Revue du Nord, 60, 1995, p. 13-28.

Dinges Martin, « The Uses of Justice As a Form of Social Control in Early Modern Europe », in Herman Roodenburg et Pieter Spierenburg (ed.), Social Control in Europe, vol. 1, Columbus, Ohio State University Press, 2004, p. 159-175.

Drécourt Aurore, Réguler les conflits violents. Le rôle du notaire dans la principauté de Liège, XVIIe-XVIIIe siècle, thèse présentée en vue de l’obtention du titre de Docteur en Histoire, Art et Archéologie, dir. Annick Delfosse et Xavier Rousseaux, université de Liège, 2019, dactyl.

Dupont Guy, « Le temps des compositions : Pratiques judiciaires à Bruges et à Gand du XIVe au XVIe siècle », in Bernard Dauven et Xavier Rousseaux (dir.), Préférant miséricorde à rigueur de justice : Pratiques de la grâce (XIIIe-XVIIe siècles) [en ligne]. Louvain-la-Neuve : Presses universitaires de Louvain, 2012, http://books.openedition.org/pucl/3366

Garnot Benoît (dir.), L’infrajudiciaire du Moyen Âge à l’époque contemporaine, Dijon, EUD, 1996.

Garnot Benoît, « Justice, infrajustice, parajustice et extrajustice dans la France moderne », Crime, histoire et sociétés/Crime, History and Societies, 2000, n° 1, p. 103-121.

Gauvard Claude et Jacob Robert (dir.), Les rites de la justice. Gestes et rituels judiciaires au Moyen Âge occidental, Paris, Le léopard d’or, 2000.

Gowing Laura, « Gender and the language of insult in early modern London », History Workshop Journal, 35, 1993, p. 1-21.

Grosse Christian, « “Pour bien de paix“. La régulation des conflits par les consistoires en Suisse romande (XVIe-XVIIe siècles) », in Jean-Luc Chabot, Stéphane Gal, Christophe Tournu (dir.), Figures de la médiation et lien social, Paris, L’Harmattan, 2007, p. 85-107.

Ingram Martin, « Law, litigants and the construction of “honour”: slander suits in early modern England », in Peter Coss, éd., The moral world of the law, Cambridge, Cambridge UP, 2000, p. 134-160.

Mantecón Tomás A., « El peso de la infrajudicialidad en el control del crimen durante la Edad Moderna », Estudis. Revista de Historia Moderna, n° 28, 2002, p. 44.

Mentzer Raymond A., « Le consistoire et la pacification du monde rural », Bulletin de la Société d’Histoire du Protestantisme français, 1989, 135, p. 373-389.

Mentzer Raymond A., « Sociability and culpability: Conventions of mediation and reconciliation within the sixteenth-century Huguenot community », in Memory and Identity: minority survival among the Huguenots in France and the Atlantic Diaspora, University of South Carolina Press, 2003, p. 45-57.

Muysson Anthony, « Arbitration and the legal profession in late medieval England », in Matthew Dyson and David Ibbetson (éd.), Law and Legal Process, Substantive Law and Procedure in English Legal History, Cambridge, Cambridge UP, 2013, p. 56-76.

Piant Hervé, « Vaut‑il mieux s’arranger que plaider ? Un essai de sociologie judiciaire dans la France d’Ancien Régime », in Antoine Follain (dir.), Les justices locales dans les villes et villages du xve au xixe siècle, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2006, p. 97-124.

Piant Hervé, Une justice ordinaire. Justice civile et criminelle dans la prévôté de Vaucouleurs sous l’Ancien Régime, Rennes, PUR, 2006.

Rousseaux Xavier, « De la négociation au procès pénal : la gestion de la violence dans la société médiévale et moderne (500-1800) », in Philippe Gérard, François Ost, Michel Van de Kerchove (ed.), Droit négocié, Droit imposé ?, Bruxelles, Facultés Universitaires Saint-Louis, 1996, p. 273-312.

Rousseaux Xavier, « Politiques judiciaires et résolution des conflits dans les villes de l’Occident à la fin du Moyen Âge : Quelques hypothèses de recherche », in Jacques Chiffoleau, et al., Pratiques sociales et politiques judiciaires dans les villes de l’Occident à la fin du Moyen Âge, Rome, Publications de l’École française de Rome, 2007, p. 497-526.

Sbriccoli Mario, « Giustizia negoziata, giustizia egemonica. Riflessioni su una nuova fase degli studi di storia della giustizia criminale », in Mario Bellabarba, Gerd Schwerhoff et Andrea Zorzi (dir.), Criminalità e giustizia in Germania e in Italia. Pratiche giudiziarie e linguaggi giuridici tra tardo medioevo ed età moderna, Bologne, Il Mulino, 2001, p. 345-364.

Sbriccoli Mario, « Histoire sociale et dimension juridique : l’historiographie italienne récente du crime et de la justice criminelle », Crime, Histoire et Sociétés / Crime, History and Societies, 2007, 11, 2, p. 139-148.

Sharpe James A., « The People and the Law », in Barry Reay (éd.), Popular Culture in Sevententh Century England, Londres, St Martins Press, 1985, p. 244-270.

Shoemaker Robert B., Prosecution and Punishment: Petty Crime and the Law in London and Rural Middlesex, c. 1660-1725, Cambridge, Cambride UP, 1991.

Soman Alfred, « L’infra‑justice à Paris d’après les archives notariales », Histoire, économie et société, 1, 1982, p. 369‑375.

Soman Alfred, « Le témoignage maquillé : encore un aspect de l’infra‑justice », in Yves‑Marie Bercé et Yves Castan (dir.), Les archives du délit : empreinte de société, Colloque « Archives judiciaires et histoire sociale », Paris, 1988, Toulouse, Éditions Universitaires du Sud, 1990, p. 99‑109.

Van Meeteren Aries et Vermeesch Griet, « In hope of agreement: Norm and practice in the use of institutes for dispute settlement in late-seventeenth-century Leiden », in Griet Vermeesch, Manon van der Heijden, Jaco Zuiderduijn (dir.), The Uses of Justice in a Global Perspective, 1600-1900, London-New York, Routledge, 2019, p. 143-164.

Vermeesch Griet , « Reflections on the relative accessibility of law courts in early modern Europe »Crime, Histoire et Sociétés / Crime, History and Societies, vol. 19, n°2, 2015, p. 53-76, URL: http://journals.openedition.org/chs/1598DOI: https://doi.org/10.4000/chs.1598

Wenzel Éric, « La paix par la justice. Les modes alternatifs de règlement des conflits au cœur de la procédure et de la doctrine françaises d’Ancien Régime », in Paolo Broggio et Maria Pia Paoli (dir.), Stringere la pace, op. cit., p. 517.

Haut de page

Notes

1 Stuart Carroll, « Peace-making in Early Modern Europe: towards a comparative history », in Paolo Broggio et Maria Pia Paoli (dir.), Stringere la pace. Teorie e pratiche della conciliazione nell'Europa moderna (secoli XV-XVIII), Rome, Vieilla, 2011 p. 90 (« Finally, we should like to know about everyday rituals of making up »).

2 Éric Wenzel, « La paix par la justice. Les modes alternatifs de règlement des conflits au coeur de la procédure et de la doctrine françaises d'Ancien Régime », in Paolo Broggio et Maria Pia Paoli (dir.), Stringere la pace, op. cit., p. 517.

3 Tomás A. Mantecón, « El peso de la infrajudicialidad en el control del crimen durante la Edad Moderna », Estudis. Revista de Historia Moderna, n° 28, 2002, p. 44.

4 Yves Castan, Honnêteté et relations sociales en Languedoc (1715-1780), Paris, Plon, 1974 ; Nicole et Yves Castan, « Une économie de justice à l’âge moderne : composition et dissension », Histoire, Économie et Société, 1982, p. 361-368.

5 Alfred Soman, « L’infra‑justice à Paris d’après les archives notariales », Histoire, Économie et Société, 1, 1982, p. 369‑375 ; « Le témoignage maquillé : encore un aspect de l’infra‑justice », in Yves‑Marie Bercé et Yves Castan (dir.), Les archives du délit : empreinte de société, Colloque « Archives judiciaires et histoire sociale », Paris, 1988, Toulouse, Éditions Universitaires du Sud, 1990, p. 99‑109.

6 Benoît Garnot (dir.), L’infrajudiciaire du Moyen Âge à l’époque contemporaine, Dijon, EUD, 1996.

7 Id., « Justice, infrajustice, parajustice et extrajustice dans la France moderne », Crime, Histoire et Sociétés/Crime, History and Societies, 2000, n°1, p. 103-121.

8 Tomás A. Mantecón, « El peso de la infrajudicialidad... », art. cit., p. 43-76.

9 Mario Sbriccoli, « Giustizia negoziata, giustizia egemonica. Riflessioni su una nuova fase degli studi di storia della giustizia criminale », dans Mario Bellabarba, Gerd Schwerhoff et Andrea Zorzi (dir.), Criminalità e giustizia in Germania e in Italia. Pratiche giudiziarie e linguaggi giuridici tra tardo medioevo ed età moderna, Bologne, Il Mulino, 2001, p. 345-364 ; Id., « Histoire sociale et dimension juridique : l’historiographie italienne récente du crime et de la justice criminelle », Crime, Histoire et Sociétés / Crime, History and Societies, 2007, 11, 2, p. 139-148. Tout récemment, Paolo Broggio a montré que la persistance de paix privées au XVIe et XVIIe siècle n’était nullement incompatible avec la modernité judiciaire : Paolo Broggio, Governare l’odio. Pace e giustizia criminale nell’Italia Moderna (secoli XVI-XVII), Rome, Viella, 2021.

10 John Bossy (ed.), Disputes and Settlements: Law and Human Relations in the West, Cambridge, 1983.

11 Voir notamment : James A. Sharpe, « The People and the Law », in Barry Reay (éd.), Popular Culture in Sevententh Century England, Londres, St Martins Press, 1985, p. 244-270 ; Robert B. Shoemaker, Prosecution and Punishment: Petty Crime and the Law in London and Rural Middlesex, c. 1660-1725, Cambridge, Cambride UP, 1991 ; Laura Gowing, « Gender and the language of insult in early modern London », History Workshop Journal, 35, 1993, p. 1-21.

12 James A. Sharpe, « ‘Such Disagreement Betwyx Neighbours’: Litigation and Human Relations in Early Modern England », in John Bossy (éd.), Disputes and Settlements, op. cit., p. 181. [« judicial proceedings might sometimes be initiated, not as a means of furthering a dispute, but as a first step towards a settlement »]

13 L’expression est de Martin Ingram, « Law, litigants and the construction of “honour”: slander suits in early modern England », dans Peter Coss, éd., The moral world of the law, Cambridge, Cambridge UP, 2000, p. 134-160.

14 François Billacois, « Clio chez Thémis », in François Billacois et Hugues Neveux (dir.), « Porter plainte : stratégies villageoises et institutions judiciaires en Île-de-France (XVIIe-XVIIIe siècles) », Droit et Cultures, 1990, n° 19, p. 10.

15 Un exemple magistral de cette méthode : Hervé Piant, Une justice ordinaire. Justice civile et criminelle dans la prévôté de Vaucouleurs sous l’Ancien Régime, Rennes, PUR, 2006. Voir aussi François Brizay, Antoine Follain et Véronique Sarrazin (dir.), Les justices de village. Administration et justice locales de la fin du Moyen Âge à la Révolution, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2001.

16 Anthony Muysson, « Arbitration and the legal profession in late medieval England », in Matthew Dyson and David Ibbetson (éd.), Law and Legal Process, Substantive Law and Procedure in English Legal History, Cambridge, Cambridge UP, 2013, p. 57 (“The vitality of out-of-court mecanisms and their acceptance by all social classes trumpets not only their popularity and inclusivity, but equally the adaptive nature of the law and the flexibility of the legal system »)

17 Martin Dinges, « The Uses of Justice As a Form of Social Control in Early Modern Europe », in Herman Roodenburg et Pieter Spierenburg (ed.), Social Control in Europe, vol. 1, Columbus, Ohio State University Press, 2004, p. 159-175.

18 Aries Van Meeteren et Griet Vermeesch, « In hope of agreement: Norm and practice in the use of institutes for dispute settlement in late-seventeenth-century Leiden », in Griet Vermeesch, Manon van der Heijden, Jaco Zuiderduijn (dir.), The Uses of Justice in a Global Perspective, 1600-1900, London-New York, Routledge, 2019, p. 143-164.

19 Herman Roodenburg et Pieter Spierenburg (ed.), Social Control in Europe (1500-1800), op. cit.

20 Donald Dyson, « Legal Pluralism, Hybridization and the Uses of Everyday Criminal Law in Quebec, 1760-1867 », in Manon van der Heijden, Griet Vermeesch et Jaco Zuijderduijn (dir), op. cit., p. 198-218.

21 Dominique Guillemet, « Proximité de la justice et justice de proximité dans les îles du Ponant aux XVIIe et XVIIIe siècles : justices seigneuriales et amirauté », in Journées régionales d’histoire de la justice, Poitiers, 1999, p. 327-357 (cité par Antoine Follain, « Justice seigneuriale, justice royale et régulation sociale : rapport de synthèse », in François Brizay, Antoine Follain et Véronique Sarrazin (dir.), op. cit., p. 9-58, ici p. 31).

22 Élisabeth Labrousse et Alfred Soman, « Le registre consistorial de Coutras, 1582-1584 », Bulletin de la Société d’Histoire du protestantisme français, avril-juin 1980, t. 126, p. 193-228 ; Janine Estèbe et Bernard Vogler, « La genèse d’une société protestante. Étude comparée de quelques registres consistoriaux languedociens et palatins vers 1600 », Annales E.S.C., 1976, t. 31, p. 362-388 ; Raymond A. Mentzer, « Le consistoire et la pacification du monde rural », Bulletin de la Société d’Histoire du Protestantisme français, 1989, 135, p. 373-389 ; Id., « Sociability and culpability: Conventions of mediation and reconciliation within the sixteenth-century Huguenot community », in Memory and Identity: minority survival among the Huguenots in France and the Atlantic Diaspora, University of South Carolina Press, 2003, p. 45-57 ; Christian Grosse, « “Pour bien de paix“. La régulation des conflits par les consistoires en Suisse romande (XVIe-XVIIe siècles) », in Jean-Luc Chabot, Stéphane Gal, Christophe Tournu (dir.), Figures de la médiation et lien social, Paris, L’Harmattan, 2007, p. 85-107.

23 Anne Bonzon, La paix au village. Clergé paroissial et règlement des conflits dans la France d’Ancien Régime, Ceyzérieu, Champ Vallon, 2022.

24 Christian Topalov, Laurent Coudroy de Lille, Jean-Charles Depaule, Brigitte Marin (dir.), L’aventure des mots de la ville, Paris, Laffont, 2010.

25 Xavier Rousseaux, « Politiques judiciaires et résolution des conflits dans les villes de l’Occident à la fin du Moyen Âge : Quelques hypothèses de recherche », in Jacques Chiffoleau, et al., Pratiques sociales et politiques judiciaires dans les villes de l’Occident à la fin du Moyen Âge, Rome, Publications de l’École française de Rome, 2007, p. 497-526 ; Bernard Dauven, « La “paix des dames” : le rôle des veuves des victimes d’homicides, un facteur de pacification des mœurs ? », Crime, Histoire et Sociétés / Crime, History and Societies, vol. 24, n°2 | 2020, p. 27-48.

26 Pour la période moderne, probablement en lien avec le développement notable des institutions judiciaires et du recours à celles-ci, les sources sur lesquelles nous travaillons amènent à nuancer l’affirmation, plus juste pour le Moyen Âge, d’une différence foncière entre règlement judiciaire ritualisé et gestes de l’arbitrage et de la conciliation (Claude Gauvard et Robert Jacob (dir.), Les rites de la justice. Gestes et rituels judiciaires au Moyen Âge occidental, Paris, Le léopard d’or, 2000, introduction « Le rite, la justice et l’historien », p. 5-18. Nicolas Offenstadt, « Interaction et régulation des conflits. Les gestes de l’arbitrage et de la conciliation au Moyen Âge (XIIIe-XVe siècles) », p. 201-228.

27 Dictionnaire du Moyen Français en ligne 

28 Véronique Nahoum-Grappe, « Le boire et l’ivresse dans la pensée sociale sous l’ancien régime en France (XVIe-XVIIIe siècles), in Véronique Nahoum-Grappe, Myriam Tsikounas, Thierry Fillaut (dir.), Histoire et alcool, Paris, L’Harmattan, 1999, p. 33-34. Merci à Christian Grosse pour le repérage de cette citation.

29 Anne Bonzon, La Paix au village…, op. cit., p. 28.

30 Il est utilisé dans ce sens, par exemple, dans le Journal de Gilles de Gouberville. Le journal du sire de Gouberville, rééd. Bricqueboscq, les éd. des Champs, 1993, t. 1 (1549-1552), t. 2 (1553-1557), t. 3 (1558-1562).

31 Aurore Drécourt, Réguler les conflits violents. Le rôle du notaire dans la principauté de Liège, XVIIe-XVIIIe siècle, thèse présentée en vue de l’obtention du titre de Docteur en Histoire, Art et Archéologie, dir. Annick Delfosse et Xavier Rousseaux, université de Liège, 2019, dactyl., p. 175-176. Le Trésor de la Langue française retrace en détail cette évolution sémantique et souligne que l’usage du verbe « appointer » dans le sens de « conclure un accord » est déjà absent, à la fin du XVIIe siècle, du Dictionnaire de Furetière [https://www.cnrtl.fr/definition/appointer ; consulté le 13 avril 2023].

32 Raphaël Eckert, « Le vocabulaire de l’accord dans les manuels pour praticiens et autres sources de la pratique à l’époque médiévale », communication à la journée d’études de Liège du 18 mai 2018.

33 Comme l’a fait Aurore Drécourt dans les papiers des notaires liégeois des XVIIe et XVIIIe siècles, op. cit.

34 Natalie Zemon Davis, Pour sauver sa vie. Les récits de pardon au XVIe siècle, tr. fr. Paris, Éditions du Seuil, 1988 [Fiction in the Archives: Pardon Tales and Their Tellers in Sixteenth-Century France, Stanford, California Stanford University Press, 1987].

35 Stephen Cummins et Laura Kounine, « Confronting Conflict in Early Modern Europe », in Id. (dir.), Cultures of Conflict Resolution in Early Modern Europe, New York, Routledge, 2016, p. 6. (“Resolution of conflict is far from always a positive and consensual act. Instead it is often a product of domination and the reinforcement of inequality”).

36 Xavier Rousseaux, « De la négociation au procès pénal : la gestion de la violence dans la société médiévale et moderne (500-1800) », in Gérard Philippe, Ost François, Van de Kerchove Michel (ed.), Droit négocié, Droit imposé ?, Bruxelles, Facultés Universitaires Saint-Louis, 1996, p. 273-312.

37 Xavier Rousseaux, « Le prix du sang versé. La cour des appaisiteurs à Nivelles (1430-1665) », Bulletin trimestriel du Crédit communal de Belgique, 175, 1991, p. 45-56. Voir Guy Dupont, « Le temps des compositions : Pratiques judiciaires à Bruges et à Gand du XIVe au XVIe siècle », in Bernard Dauven et Xavier Rousseaux (dir.), Préférant miséricorde à rigueur de justice : Pratiques de la grâce (XIIIe-XVIIe siècles) [en ligne]. Louvain-la-Neuve : Presses universitaires de Louvain, 2012, http://books.openedition.org/pucl/3366

38 Catherine Denys, « Les apaiseurs de Lille à la fin de l’Ancien Régime », Revue du Nord, 60, 1995, p. 13-28.

39 Aries Van Meeteren et Griet Vermeesch, « In hope of agreement », art. cit., p. 143-164.

40 Xavier Rousseaux, « De la négociation au procès pénal », art. cit.

41 Bernard Dauven, Pardonner et être pardonné dans les Pays-Bas. Le gouvernement par la grâce en Brabant, du duc Antoine à l’archiduchesse Isabelle (1404-1633), thèse en vue de l’obtention du grade de Docteur en Histoire, art et archéologie, novembre 2021, université catholique de Louvain, p. 198-199.

42 Griet Vermeesch, « Reflections on the relative accessibility of law courts in early modern Europe »Crime, Histoire et Sociétés / Crime, History and Societies, vol. 19, n°2, 2015, p. 53-76, URL: http://journals.openedition.org/chs/1598DOI: https://doi.org/10.4000/chs.1598

43 Hervé Piant, « Vaut‑il mieux s’arranger que plaider ? Un essai de sociologie judiciaire dans la France d’Ancien Régime », in Antoine Follain (dir.), Les justices locales dans les villes et villages du xve au xixe siècle, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2006, p. 118.

44 Nadya Nazareva, « Les conflits et leurs accommodements à Paris au XVIe siècle d’après les accords notariés », communication aux journées d’études du 30 septembre-1er octobre 2021.

45 Bernard Dauven, « La ‘paix des dames’ », art. cit.

46 Dans sa thèse récemment soutenue, Marion Philip estime que seule une petite partie des affaires de grossesses pré-nuptiales arrive devant le tribunal ecclésiastique parisien (Marion Philip, La sexualité légitime comme privilège. Masculinités parisiennes à l’époque moderne (1600-1750), Sorbonne Université, 2022). À Lyon au XVIIIe siècle, les cas de grossesses illégitimes étudiés par Julie Hardwick sont pris en charge par une multitude d’acteurs : l’entourage et le clergé agissent comme médiateurs entre les jeunes gens, tandis que les accords pour « raison de galanterie suivie de grossesse » font partie de la routine des notaires (Julie Hardwick, Sex in an Old Regime City. Young Workers and Intimacy in France, 1660-1789, Oxford, Oxfor University Press, 2020).

Haut de page

Table des illustrations

Titre « Procès engendre procès par négligence et par envie », extrait du Tableau des misères du plaideur, Jacques Lagniet, XVIIe s (après 1657)
Crédits Gallica/BnF
URL http://journals.openedition.org/criminocorpus/docannexe/image/15425/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 511k
Haut de page

Pour citer cet article

Référence électronique

Anne Bonzon et Diane Roussel, « À la recherche de l'accord : historiographie et principes d'une enquête sur la résolution des conflits »Criminocorpus [En ligne], 26 | 2024, mis en ligne le 28 juin 2024, consulté le 19 avril 2025. URL : http://journals.openedition.org/criminocorpus/15425 ; DOI : https://doi.org/10.4000/11wcq

Haut de page

Auteurs

Anne Bonzon

Agrégée d’histoire et ancienne élève de l’École normale supérieure de Saint-Cloud, Anne Bonzon est professeure d’histoire moderne à l’université Paris 8-Vincennes-Saint-Denis et co-directrice du Centre d’histoire des sociétés médiévales et modernes (UR MéMo). Ses recherches portent sur le clergé paroissial et sur les liens entre religion et justice, du XVIe au XVIIIe siècle. Elle s’intéresse aussi aux écrits de curés, à l’histoire de la médiation sociale, aux différentes modalités de règlement des conflits et aux activités non directement religieuses du clergé d’Ancien Régime. Publications récentes : La paix au village. Clergé paroissial et règlement des conflits dans la France d’Ancien Régime, 2022 ; avec Caroline Galland (dir.), Justices croisées. Histoire et enjeux de l’appel comme d’abus (XIVe-XVIIIe siècle), 2021.

Diane Roussel

Diane Roussel est maîtresse de conférences en histoire moderne à l’université Gustave Eiffel et membre du laboratoire Analyse Comparée des Pouvoirs. Depuis sa thèse de doctorat, consacrée à la violence et à la justice à Paris au xvie siècle (Violences et passions dans le Paris de la Renaissance, Champ Vallon, 2012), elle travaille sur l’histoire sociale de la justice et de la régulation (Les justices locales et les justiciables. La proximité judiciaire au Moyen Âge et à l'époque moderne, co-dir. avec Marie Houllemare, PUR, 2015), en interrogeant particulièrement les relations de pouvoir entre les agents ordinaires de la justice et les populations. Elle s’intéresse par ailleurs à l’histoire de Paris et des Parisiens, notamment durant les guerres de Religion et la Ligue. Elle est membre du comité de rédaction de Criminocorpus depuis 2019.

Articles du même auteur

Haut de page

Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search